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CHAPITRE VII.

LOIS DE FINANCES: Crédits supplémentaires et extraordinaires. - Budget.

Chambre des députés. —Au commencement de cette session (12 décembre 1840), le ministre des finances avait présenté un projet pour la conversion en loi des ordonnances de crédits rendues à la suite du traité du 15 juillet, au milieu des complications subitement survenues dans l'affaire d'Orient. Cependant ce fut seulement le 10 mars que le rapporteur de la commission, M. Lasnyer, déposa son travail sur le bureau du président.

Ce rapport comprenait en même temps les crédits supplémentaires et extraordinaires pour 1840, nécessités par divers évènements indépendants des circonstances dans lesquelles les ordonnances relatives aux travaux publics, à la guerre et à la marine, avaient été publiées. M. Lasnyer évaluait à 172,133,835 l'excédant probable des dépenses sur cet exercice. La majorité de la commission pensait qu'en présence du traité du 15 juillet, au point de vue du cabinet du 1er mars, les ordonnances pour la fortification de Paris étaient conformes à l'esprit de la législation existante. Elle croyait d'ailleurs inutile de revenir sur cette grande question qui avait été résolue par le vote récent du projet des 140 millions. Quant à la création des nouveaux cadres dans l'armée, en présence des faits accomplis et des dépenses faites, la commission, suivant l'expression du rapporteur, ne pouvait que proposer à la Chambre l'allocation des crédits;

Ann. hist. pour 1841,

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toutefois, elle croyait ces créations d'une utilité contestable et les déclarait onéreuses pour nos finances. Mais pour les marchés, pour les fournitures de la guerre, les circonstances exigeaient-elles que les opérations fussent tenues secrètes, comme cela avait eu lieu? Y avait-il urgence évidente, seule raison qui, aux termes de l'article 2 de l'ordonnance du 4 décembré 1836 concernant les marchés au nom de l'Etat, peut dispenser des délais des adjudications? L'urgence, répondait M. Lasnyer, serait au moins contestable en ce qui regarde le dernier marché pour 1,200,000 kil. de cuivre, puisque les approvisionnements pour 1840 et 1841 étaient alors assurés, et que d'ailleurs les cuivres étaient livrables à la volonté des fournisseurs, jusqu'au 31 décembre 1841. Avec des exceptions aussi larges, continuait-il, le contrôle de la dépense serait complètement illusoire, et si de tels marchés étaient réguliers d'après le texte des lois et des ordonnances, on serait obligé de reconnaitre que, pour exercer un véritable contrôle, il faudrait changer la législation. »

Le rapporteur se demandait encore si la disposition de la foi de 1836 qui, dans son article 5, prescrit d'indiquer toujours les voies et moyens à affecter aux suppléments de crédits, n'aurait pas dà recevoir son application dans le projet de loi sur les crédits supplémentaires de 1840, qui ne faisait aucune mention des ressources destinées à y faire face; ma's, ajoutait-il, la commission, après avoir entendu le mini tre des finances, a reconnu qu'en fait la stipulation de la lo: de 135 n'avait jamais été appliquée ni réputée applicable qu'aux credits demandés directement aux Chambres pour les dépenses à faire au-delà des fixations arrêtées par le budget de l'exercice courant. M. Lasnyer établissait donc, ou reconnaissait du moins en principe, qu'il y a une distinction à faire entre les crédits que l'on demande aux Chambres, à titre de régularisation de dépenses faites en vertu d'ordonnances royales et ceux qui sont demandés

pour des dépenses qui ne seront faites qu'après l'autorisation législative.

Les questions soulevées ou plutôt réveillées par ce projet étaient des questions toutes politiques, et bien qu'en définitive elles eussent été jugées par trois votes précédents, celui de l'adresse, celui des fortifications et celui des fonds secrets, elles ne laissaient pas d'offrir encore un certain intérêt. L'ancien ministère du 1er mars devait surtout porter le poids de la discussion. Naturellement celui du 29 octobre l'abandonnait volontiers à ses adversaires.

L'orateur qui occupa le premier la tribune, M. Lepelletier d'Aunay, s'éleva contre ce qu'il appelait l'entraînement, l'imprévoyance, qui ont amené un budget ordinaire de 1 milliard 208 millions accompagné d'un budget extraordinaire de 80 millions, et cela devant un revenu de 1 milliard 150 millions, et avant qu'il y eût encore aucune vraisemblance de guerre européenne. Il reconnaissait qu'un accroissement dans nos armements maritimes, que la réunion d'un plus grand nombre de soldats sous les drapeaux étaient des dépenses qui avaient pu être prescrites par ordonnance, et que le traité du 15 juillet les expliquait ; mais il censurait Tusage abusif qui avait été fait de la faculté d'ouvrir des crédits par ordonnance, pour créer des dépenses permanentes, ce qui était une atteinte grave portée aux droits du pays. Dès 1831, n'avait-il pas été reconnu que les cadres de l'armée étaient définitivement fixés? Et aucune modification, même de la plus légère importance, n'avait pu ý être apportée sans que les commissions des finances et la Chambre ne fissent remarquer que c'était s'écarter du principe qui veut qu'une dépense permanente soit précédée d'un crédit ouvert par la loi. Une dépense de 93 millions qui serait permanente, continuait l'honorable membre, a été créée pour une organisation de corps reconnus inutiles, pour une armée de 500,000 hommes et au-delà, la plus grande force militaire qu'eut jamais l'empire!

L'honorable député demandait à la Chambre de porter toute son attention sur une situation financière que bientôt l'emprunt ne pourrait plus améliorer et que le budget ne saurait soutenir. Il lui demandait, alors qu'il en était temps encore, de revenir à des principes d'ordre et d'économie, qui avaient amené les faits de l'exercice 1837, le seul qui, depuis dix ans, eût présenté une situation prospère de nos finances. Il lui demandait de ne pas désarmer financièrement, de donner à notre pays la force qui résulte toujours de la possibilité d'entreprendre de grandes choses; il lui demandait de donner plus de prévisions aux dépenses du budget, en introduisant, dans la loi annuelle des finances, un crédit éventuel et limité, et en bornant à l'usage de ce crédit, la facilité d'ouvrir des dépenses en l'absence des deux Chambres. Enfin, il demandait à la Chambre une volonté énergique, soutenue, cherchant la puissance de la France et sa prospérité dans un état prospère de ses finances.

Sans doute, répondit le président du 1er mars, toute dépense considérable, et surtout permanente, doit recevoir la sanction définitive de la Chambre; car, sans ce contrôle, il n'y a plus de gouvernement représentatif : mais, à côté de ce droit, il y en a un autre aussi nécessaire, aussi sacré, le droit du gouvernement de prendre l'initiative dans certains cas donnés; sinon, le gouvernement représentatif serait un gouvernement périlleux. Quant à ce qui avait spécialement rapport à l'organisation de l'armée, M. Thiers rappelait qu'il n'avait jamais hésité à dire depuis quelques années qu'il se rencontrerait telle circonstance où nous aurions à déplorer l'incurie avec laquelle on s'était occupé des intérêts militaires de la France. Il était persuadé et n'avait cessé de dire qu'un effectif de 329,000 hommes nous plaçait dans une situation beaucoup au-dessous des besoins habituels de la France et de l'état particulier de l'Europe. Il était convaincu qu'il arriverait à un ministère d'avoir le malheur de représenter la France, dans des circonstances difficiles, sans en avoir les moyens.

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• Quand on a des prétentions nationales, ajoutait l'orateur, il faut se mettre en mesure de les soutenir la France ne peut pas cesser d'être puissance du premier ordre; elle a besoin de rester puissance du premier ordre en présence de réunions de puissances qui, sans avoir de projets immédiats contre elle, ont cependant, quand il s'agit d'une grande question européenne, le projet évident de l'en exclure. On pourra rentrer dans le concert européen, je ne sais pas quel jour. Je ne conteste pas que si on peut y rentrer honorablement, on le fasse, bien que ce soit une question grave de savoir si on pourra y rentrer honorablement et utilement; mais je suis convaincu qu'alors même qu'on y sera rentré, lorsqu'il se rencontrera une circonstance où l'intérêt des quatre puissances se trouvera d'accord, ce qui est arrivé arrivera encore. De ces quatre puissances, il y en a trois qui vous sont opposées, ce sont celles du continent; et quant à la quatrième, l'Angleterre, quand son intérêt l'y porte, bien que son principe ne la sépare pas de vous, elle n'hésitera pas à se joindre aux trois autres. Eh bien, dans cette circonstance, que vous soyez ou non dans le concert européen, si vous voulez rester puissance de premier ordre, il vous faut un état militaire considérable. Permettez-moi de le dire dans l'intérêt du pays, on parle d'illusions; mais la plus grande de toutes, c'est de vouloir être grande puissance et de ne pas faire les efforts convenables pour l'être. Je sais bien que ces vérités sont désagréables à entendre, mais il faut avoir le courage de les répéter sans cesse, pour que le pays les comprenne. Oui, il faut faire de grands efforts, ou devenir modestes. Si vous voulez rester la grande nation... rester, c'est trop dire! si vous voulez le redevenir (Mouvements divers), il faut vous décider à de grands efforts! » (Rumeurs.)

M. Thiers expliquait ensuite comment l'effectif de 329,000 hommes était insuffisant, et comment son administration avait été portée à créer douze régiments nouveaux d'infanterie, plutôt que d'ajouter un quatrième bataillon aux régiments déjà existants. 88 régiments à 4 bataillons étaient trop peu pour la guerre, car ils donnaient à peine un effectif de 352,000 hommes. Cette disposition eût occasionné d'ailleurs une dépense beaucoup plus considérable que celle des 12 régiments, qui ne constituent en effet que 36 bataillons. Du reste, si la guerre eût éclaté, on eût pu alors créer un quatrième bataillon dans les 100 régiments; c'eût même été là une nécessité; car, en cas de guerre, 400,000 hommes d'infanterie seraient plutôt encore au-dessous qu'au-dessus des besoins du pays; il faut une armée de plus

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