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CHAPITRE VIII.

Appréciation générale des évènements de l'année.-Affaire des lettres attribuées au roi.-Les journaux légitimistes. — Acquittement de la France. -Condamnation de la Gazette.-Explications de M. Guizot au sujet de l'Algérie.-Procès divers.-Le National traduit devant la Cour des pairs. -Condamnation. -Incident relatif à l'admission du prince de la Moskowa. -Baptême du comte de Paris. - Condamnation de Darmès. - Mort de M. Garnier-Pagès.—Traité des détroits.-Troubles occasionnés par le recensement.-Toulouse. - Bordeaux. - Clermont-Ferrand. - Lille. Question de concurrence.-Émeute à Mâcon.-Le 17′ léger.—Attental Quénisset. Circulaire ministérielle. Nouveaux procès de presse. -Condamnation de Quénisset, Dupoly et consorts.-Protestation des journaux.

La crise terminée par le 29 octobre remuait trop profondément les esprits, les passions, pour ne pas provoquer une de ces puissantes réactions qui se manifestent tantôt en paroles dignes, modérées, témoins les écrits que nous avons signalés précédemment (MM. de Lamartine, Quinet, voy. Année 1840); tantôt en écrits ardents, irrités, d'une expression violente, et tombant pour ce fait sous le coup de l'accusation publique (nous avons nommé M. de Lamennais et, après lui, quelques autres dont nous aurons encore à parler suivant l'ordre des dates); enfin, souvent aussi cette agitation se produit en actes coupables et qu'on ne saurait trop flétrir, par exemple, l'attentat qui amenait Darmès devant la Cour des pairs. (Voy. Année 1840.)

Il résulte d'un tel état de choses que si les esprits sont excités, le pouvoir ne l'est pas moins ; que si l'attaque est violente, la répression l'est également, et s'érige presque en système. C'est ce qui est arrivé durant le temps que nous venons de parcourir. A aucune époque les partis ne furent

plus animés; à aucune, les procès de presse plus fréquents... et un peu plus tard, l'agitation se propage, descend dans les départements, s'y traduit en actes sanglants, contraires à la loi, sous prétexte qu'elle aurait été méconnue; enfin cette agitation s'apaise pour revenir encore à son foyer naturel, Paris, où elle prend la forme effrayante de l'attentat de Quénisset, dont le procès indique une tendance nouvelle et dangereuse introduite dans les procès politiques. Nous allons reprendre un à un les actes si nombreux et si variés qui signalent cette phase curieuse de notre histoire contemporaine.

Un incident singulier, un épisode fort inattendu rompt l'allure dont sont empreints les évènements, bien qu'il s'y rattache par un côté, celui de l'esprit de parti. Un journal légitimiste, la Gazette de France, avait publié des lettres qui auraient été écrites, durant l'émigration, par le duc d'Orléans, aujourd'hui roi des Français. Le prince y aurait exprimé avec quelque amertume les sentiments que le chef de la dynastie impériale inspirait, en général, aux princes de la maison de Bourbon et, en particulier, à l'auteur prétendu des lettres. Mais ce qui s'y trouvait de plus significatif, c'était un entier dévouement pour les intérêts de l'Angleterre.

Ensupposant même l'authenticité des lettres, écrites avant l'avènement du nouveau roi, elles ne pouvaient lui être une offense que par induction. C'est peut-être ce qui explique le silence gardé en cette occasion par l'administration; peut-être aussi pensait-on que l'oubli en ferait plus tôt justice. C'était mal connaître l'esprit de parti. En effet, le 24 janvier, un autre journal, consacré également aux doctrines légitimistes, la France, dans un article ayant pour litre la politique de Louis-Philippe expliquée par lui-même, annonça des révélations nouvelles, et publia, en effet, les fragments d'une correspondance qui, cette fois, aurait remonté à l'époque où le duc d'Orléans n'était plus le prince

gitimiste), si peu à craindre qu'il soit, prenne tant de confiance; il ne faut pas qu'il rêve un avenir d'impunité. Le gouvernement a dans les mains des lois qui suffiront pour rappeler au devoir et à plus de calme quelques brouillons...>> La Gazette fut moins heureuse que la France. Condamnée par défaut le 30 avril à 5,000 fr. d'amende, elle vit confirmer cet arrêt par la Cour d'assises le 21 mai suivant.

Cependant, tout n'était pas dit sur cette affaire des lettres. Déjà un journal anglais, le Morning-Post, dont le Messager du 25 août avait cité l'article, avait insinué qu'une spéculation avait livré aux légitimistes ces lettres qui devaient avoir un si fâcheux retentissement. Et l'auteur de cette spéculation, s'il en fallait croire le même journal, aurait été une femme célèbre, à des titres bien mêlés, la Contemporaine. Mais à quelle source avait-elle puisé? C'est ce que parut expliquer un fait bizarre. Il se trouva qu'un député (M. Garnier-Pagès, dit-on) apprit à ses collègues que le texte de l'une de ces lettres (celle que l'on a lue ci-dessus), se trouvait presque mot pour mot dans un ouvrage publié en 1834, par M. Sarrans jeune, sous le titre de Louis-Philippe et la Contre-Révolution. Il suffit en effet de confronter, pour reconnaître la plus parfaite similitude, à part une expression seulement. M. Sarrans ne donnait son texte que comme une réponse verbale que Louis-Philippe aurait faite en octobre 1830, à l'ambas sadeur d'Angleterre. L'ouvrage, au surplus, n'avait pas été poursuivi. C'est ce que M. Sarrans put opposer aux insinuations malveillantes; il fit d'ailleurs aux journaux qui se les permirent, une réponse digne en tout d'une réputation intacte.

Cependant l'émotion causée par cet incident considérable ne fut pas si tôt calmée; longtemps ce fut le terrain sur le quel se rencontrèrent les opinions militantes. Une démonstration inquiétante eut même lieu. C'était peu de temps après l'acquittement de la France: des citoyens, dont quelques-uns en uniforme de gardes nationaux, se rendirent

solennellement au Palais-Bourbon, pour y provoquer des explications. L'intervention de la force armée pour réprimer cette manifestation lui donna peut-être trop d'importance. Il était temps que le ministère ne se contentât plus des vagues démentis donnés dans ses journaux. Le point vulnérable dans toute cette affaire, c'était la question d'Afrique; c'est à cet égard qu'il fallait rassurer les esprits. M. Guizot plaça sur ce terrain les explications qu'il venait fournir. « Depuis quelque temps, dit le ministre des affaires étrangères (séance du 27 mai), depuis quelque temps, d'insignes faussetés ont été laborieusement répandues, au sujet de prétendus engagements que le gouvernement du roi aurait contractés envers les puissances étrangères, ou telle puissance étrangère, pour l'abandon complet ou partiel de nos possessions d'Afrique. Si ces faussetés s'étaient produites à cette tribune, nous les aurions à l'instant même relevées et qualifiées comme elles le méritent.... Ici des interruptions diverses se croisent: le duc de Valmy demande la parole. - « On ne l'a pas fait, » continue alors M, Guizot. « On ne l'a pas osé! » dit une voix.--« Mais on a imprimé le discours que l'on n'avait pas cru devoir prononcer, »> dit une autre voix, faisant allusion à un discours distribué à ses collègues, par M. de Valmy.« Personne, reprit alors le ministre, n'a apporté ici les faussetés auxquelles je fais allusion; nous n'avons pas voulu, nous n'avons pas dù leur faire un honneur que personne ne leur accordait. >> -« Vous avez bien fait,» s'écrient un grand nombre de membres. «Cependant, reprit encore M. Guizot, elles continuent à se montrer audacieusement ailleurs. La Chambre est près de se séparer; nous ne laisserons pas fermer cette enceinte sans donner à ces calomnies, quelles qu'elles soient, le démenti le plus formel. » Le ministre du roi appuya ensuite ce formel démenti, par des développements que nous avons reproduits ci-dessus et dont nous citerons seulement la conclusion: «Jamais, disait le ministre des affaires étran

gères, par personne, envers personne, aucun engagement n'a été contracté, ou seulement indiqué. Toute assertion contraire est radicalement fausse et calomnieuse. » Ce discours ne manquait ni d'habileté ni d'éloquence; peut-être est-il fâcheux que M. Guizot n'ait pas cru devoir donner à sa réponse plus d'étendue, de développement; s'il avait alors démenti l'existence même des lettres, il eût réduit à leur juste valeur des insinuations qui ne reposent sans doute sur aucun fondement; mais sans doute aussi il voulait laisser aux tribunaux toute leur puissance, toute leur action.

M. de Valmy n'avait pas cu l'occasion, il le dit pour répondre aux allusions du ministre des affaires étrangères, de produire à la tribune son opinion; voilà pourquoi il l'avait publiée par la voie de la presse. Il avait démontré, parce qu'il y trouvait un intérêt national, qu'à une autre époque, qui lui était connue et qui appartient aujourd'hui à l'histoire, la diplomatie française avait résisté avec dignité aux exigences du gouvernement britannique; que, jusqu'au 25 juillet 1830, le gouvernement français n'avait pris vis-à-vis de l'Angleterre aucun engagement relativement à Alger. Le ministre ayant dit à aucune époque, l'époque dont parlait M. de Valmy se trouvait comprise. L'Angleterre ayant poursuivi le gouvernement de la Restauration par ses demandes d'explications, l'honorable pair avait conclu qu'elle avait dû poursuivre également de ses exigences le gouvernement actuel, et que celui-ci avait dû répondre d'une manière quelconque. Mais il n'avait pas pour cela examiné ce qui avait pu être répondu.-M. Guizot dit alors qu'il n'avait contesté le droit de personne, accusé personne : cela n'étant ni de son goût, ni de son devoir. «Tout Français, disait-il, doit être heureux de trouver qu'à toutes les époques, par tous les gouvernements, l'intérêt et l'honneur de la France ont été défendus.

» Ce que j'ai dit et ce que je répète, continuait M. Guizot,

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