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sera pas changé, jamais Paris ne cessera d'être le foyer de toutes les sciences et de tous les arts; toujours l'étranger restera tributaire de vos plaisirs; comme aujourd'hui, vous le verrez partout circulant dans vos rues; seulement, lorsqu'il se promenera sur vos remparts, il dira; « On n'entre plus ici les armes à la main. » Cependant une chose sera changée dans l'aspect de Paris. Ce ne sera plus le vieux Paris humilié et courbant douloureusement la tête au souvenir de ces légions étrangères bivouaquant la nuit sur ses promenades, et paradant insolemment le jour sur ses places; mais ce sera Paris régénéré, ce sera Paris, enfin, déposant sa vieille honte au fond de ses 2,000 canons, et brûlant du désir de la rejeter à la face de ses ennemis. Ah! Messieurs, disait l'orateur, je ne l'appellerai pas, mais il serait beau, le jour de la vengeance!

24 Mars. Avant de discuter la question spéciale, l'ancien président du 15 avril, M. Molé, établit en quelques mots la situation politique: « Depuis deux ans, il s'était passé dans le pays, et, en particulier, dans la Chambre (allusion à la coalition), de telles choses, que le mécanisme de nos institutions, leur jeu s'était trouvé faussé ou entravé; il s'était créé, au sein du parlement lui-même, un instrument, une tactique de telle nature, qu'aucun gouvernement, aucun cabinet ne saurait y résister. Autrefois, les majorités, moins variables, représentaient toujours l'opinion, les sentiments, les impressions du pays. Il n'en a plus été ainsi depuis qu'un fatal exemple a été donné, depuis que les partis les plus opposés, les adversaires les plus décidés, oubliant leur rancune ou voilant leur drapeau, ont montré qu'ils sauraient à toute heure se réunir et s'entendre pour avoir le nombre et frapper le pouvoir d'interdiction. C'est ainsi que le ministère, par l'organe du maréchal Soult, avoue qu'un autre système de défense aurait bien pu encore être préféré, si les nécessités politiques n'avaient pas amené la combinaison des deux procédés. »

L'orateur ajoutait que, prié de s'expliquer sur ces nécessités politiques au sein de la commission, M. le président du conseil avait répondu qu'elles ressortaient des mesures adoptées par le précédent ministère: la loi était, en effet, l'expres sion de la politique et des craintes du 1er mars. En modifiant le projet comme le proposait la commission, la Chambre ramènerait le cabinet actuel en quelque sorte à ses propres convictions. Après ces préliminaires, M. Molé entrait plus profondément dans le sujet, et admettait la possibilité d'une nouvelle coalition, sans toutefois regarder cette coalition. comme probable. La France a au milieu de l'Europe une situation particulière; elle marche à la tête des peuples civilisés dans la voie des réformes sociales et politiques. Avant la révolution de 1789, les écrivains avaient donné le signal et jeté, sur toute la surface du globe, des germes que nous voyons encore se développer dans le nouveau monde comme dans l'ancien. Il s'est établi, entre elle et les autres peuples, une sorte de communauté intellectuelle qui lui fait rencontrer chez eux de vives sympathies, tant qu'elle ne froisse pas, qu'elle ne menace pas un sentiment plus fort que ces sympathies, celui de leur nationalité. Mais les gouvernements qui reposent sur un principe politique intérieur tout différent du nôtre, s'inquiètent de notre influence pendant la paix et même dans la guerre, redoutent notre esprit encore plus que nos armes. Si les souvenirs de Charlemagne, de Louis XIV et de Napoléon leur ont laissé un profond ombrage, ceux de 1791, de cette guerre qui semblait faite à la forme politique de toute la société européenne, aux trônes et aux principes qu'ils soutenaient, ont établi entre tous les États du Continent un lien, une solidarité d'intérêt presque indépendamment de leur volonté. C'est, en quelque sorte, une constitution nouvelle de l'Europe, partagée désormais entre deux principes. Toute querelle un peu sérieuse qui s'élève entre deux États peut appeler l'intervention, réclamer le concours de la France; et, du moment où la France paraît

dans la carrière, les deux principes se trouvent en présence, et chacun d'eux appelle à son secours tous ceux qui le reconnaissent, qui ont foi en lui ou intérêt à le défendre. Des deux parts, on a compris le danger que courait la civilisation, si la force, si les armes se mêlaient jamais d'une lutte où le temps et l'expérience doivent seuls prononcer.

« Il y a eu, ajoutait l'orateur, il y a eu une époque qui témoignera aux générations futures de la sagesse, de la modération, si pleine de lumières que la France et tous les gouvernements ont su garder au milieu d'une grande épreuve. Cette époque est celle de notre révolution de 1830. La France dit alors à l'Europe, et j'eus le bonheur de lui servir d'organe : La base de ma politique est le respect de la foi jurée et de l'indépendance de toutes les nations. » Le premier, Messieurs, j'introduisis les mots de non intervention dans la langue internationale; j'essayai de substituer ce principe de l'indépendance de chacun à celui qui depuis 1814 avait dominé sur le Continent. Mutuellement et de bonne foi, les deux natures de gouvernement s'acceptèrent; les sociétés traditionnelles et les sociétés nouvelles, au lieu d'aspirer à se détruire, rendirent hommage aux lumières de notre temps, en n'admettant entre elles de rivalités et de luttes que dans les voies de l'amélioration des hommes, du progrès de leur industrie, de leur bien-être et de leur richesse, les défiances réciproques s'évanouirent, et l'on put constater alors combien l'Europe redouterait de se voir arrachée à ces voies toutes pacifiques, combien une coalition nouvelle, et dans laquelle elle entrerait tout entière, lui paraîtrait une nécessité regrettable,une source inextricable de difficultés et d'embarras. »

M. Molé expliquait encore la manière dont s'était formée, puis brisée l'alliance anglaise. Aucun ministère n'avait jamais cru que cette alliance pût nous apporter un notable accroissement de puissance ou d'influence; mais on savait que l'Angleterre, dégagée de tous ses liens avec nous, pouvait se réunir au Continent, et que, de ce moment, nous serions menacés, ou de rester seuls dans toutes les questions qui s'élèveraient dans le monde, ou de voir l'Europe se coaliser contre nous, si nous entreprenions de faire triompher par la force notre volonté.

Cette possibilité d'une coalition suffisait pour justifier le

projet de fortifier Paris; c'était même pour mieux atteindre ce but que la commission avait modifié le système adopté par le gouvernement.

« Voulez-vous savoir, ajoutait M. Molé, ce qui a plus contribué que tout le reste à préserver le monde d'une conflagration? C'est que sincèrement, réellement, des deux côtés on n'a pas cru, les gouvernements et les peuples n'ont pas pensé, qu'elle fût inévitable. En France toutefois, et aussi ailleurs, il s'est rencontré quelques esprits, et même de ceux qui par leur nature ou leur position peuvent influer sur les évènements, qui ont douté que les deux principes, tout en paraissant s'accepter réciproquement dans le présent, aient pu faire autre chose que d'ajourner leur lutte. Il en est même, et si je ne voulais éviter tout ce qui pourrait passionner ce grand débat, je dirais qu'il y a chez nous une opinion, un parti, qui croit que les deux principes s'excluent, prononcent en secret leur proscription, qu'on ne peat trop tôt se trouver en mesure, afin d'éviter toute surprise; que la France, en un mot, doit attendre qu'on l'attaque, mais prendre el garder l'attitude d'un athlète toujours prêt au combat. Je veux le dire en passant, et le dire à mon pays très-haut pour qu'il l'entende, cette opinion ne procède point des faits, mais bien des préventions enracinées dans un petit nombre d'esprits. Si jamais notre gouvernement l'adoptait, si elle pénétrait le pouvoir luimême, tous les maux qu'on redoute deviendraient inévitables. Dans l'ordre moral, la foi crée. Vous créerez le danger en y croyant. De part et d'autre il faudra se garantir contre une chance universellement redoutée. Nul ne voudra être en retard sur ses voisins; et de précaution en précaution, de défiance en défiance, à force d'émulation et de prévoyance, les frais de la guerre seront fails, les sources de la prospérité auront partout tari avant que personne ait donné le signal du combat; car celui qui le donnera, Messieurs, assumera sur lui, sur sa mémoire, une responsabilité dont il lui sera demandé compte de génération en génération. C'est dominé assurément par de telles pensées, entraîné par la conscience d'une lutte imminente et générale, que le ministère du 1er mars a voulu fortifier Paris. Il ne fallait rien moins que la prévoyance d'un danger prochain et formidable pour inspirer une résolution si désespérée..

Enfin, l'honorable pair reproduisait quelques-uns des arguments déjà mis en avant à cette Chambre ou à celle des députés, et terminait en citant ces paroles d'un homme de guerre, du fils du maréchal de Tavannes: « Le camp fortifié au pied » d'une grande ville où s'assemblent deux rivières, ne peut

Ann. hist. pour 1841.

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» être forcé au combat. De trois points de pays séparés de » rivières, l'un peut être toujours libre; l'armée seulement » assurée d'une rivière peut être incommodée de plus puis»sants, de cavalerie faisant des forts et des ponts haut et » bas de la rivière, pour rompre les vivres de tous côtés. » A propos de l'enceinte de défense qui entourait Paris de son temps, M. de Tavannes disait encore: « Le roi Henry IVe, » en l'an 1589, faillit de peu prendre Paris à coups de pé» tard, par la porte Saint-Germain, qui fut un temps aban» donnée. Si, par eau, il eût donné à l'isle du Palais, il » l'emportait. Il avait gagné les fauxbourgs par l'impru»dence du sieur de Rosne, qui pensait garder cette grande » enceinte avec peu de gens, où il faillait cent mille hommes. » Les rois, ajoute M. de Tavannes, ne fortifient jamais la » ville de Paris, n'y pouvant faire facilement des citadelles » valables. Mais si la division de l'Estat advient, elle sera » ruinée et fortifiée, si Dieu n'y met la main.»

Le maréchal Soult répondit à M. Molé qu'en effet, le gouvernement subissait en ce moment des nécessités politiques ces nécessités étaient imposées par l'honneur, la sûreté, la dignité de la France. Du reste, le cabinet du 29 octobre avait proposé ce que, dans sa conviction, il croyait utile, digne et convenable, quels que fussent les précédents, sans avoir égard à l'origine du projet; origine, d'ailleurs, plus ancienne qu'on ne l'avait prétendu; le président du conseil la faisait remonter à l'époque des désastres de Waterloo. Sans rentrer dans une discussion à peu près épuisée, il se bornait à proclamer que Paris, fortifié par une enceinte bastionnée et par un camp retranché, ajouterait à la force matérielle du pays plus qu'une valeur de 150,000 hommes. Aussi le gouvernement n'acceptait-il aucun des amendements proposés.

Le système de la commission fut ensuite défendu par M. de Caux et combattu par le maréchal Molitor. M. d'Alton-Shée et le général Pelet prirent encore la parole, le

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