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» Votre second moyen, après l'immobilité constitutionnelle, c'est la résistance; vous n'avez pas voulu dire la réaction, et vous avez bien fait, car personne n'y aurait cru. Vous conviez seulement de belles et intrépides résistances...... Mais contre quoi ? N'êtes-vous pas convenus ailleurs que le pays est plus las qu'agité? Oui, le pays est fatigué, et on le serait à moins.

» La France n'est pas agitée, elle est triste; elle souffre de la situation qui lui a été faite en Europe par les fautes de son gouvernement. Mais si vous parveniez à lui communiquer d'autres sujets d'irritation que rien ne justifierait, si vous la jetiez dans les divisions tranchées que vous proposez à la Chambre, compterait-elle davantage au dehors? Non, sans doute. Les obstacles, les difficultés de la politique intérieure et extérieure seraient trèsaggravés, et il faut avouer que le moment serait mal choisi pour accroître ainsi nos embarras par des discordes imaginées à plaisir. »

Les débats, auxquels ce discours avait un instant rendu leur gravité, dégénérèrent de nouveau en personnalités. M. Villemain repoussa les allusions du préopinant et défendit son passé. Il arriva cependant à parler de la situation : Ce n'était pas dans une fraction de la Chambre que se rencontrait le point central où devait s'appuyer le pouvoir, mais dans les principes mêmes qui avaient servi de règle et d'instinct à l'administration, toutes les fois qu'elle avait eu de grands périls à repousser et de grands intérêts à défendre.

Cette occasion, ajoutait M. Villemain, s'est montrée récemment; il y avait, quoi qu'on en dise, un grand péril à repousser et un grand intérêt à défendre. On peut aujourd'hui, Messieurs, atténuer les périls qu'on avait vu s'élever, et devant lesquels on s'était retiré, mais on n'efface pas le souvenir; on peut nier les services rendus, on peut nier le rétablissement de la sécurité qui a suivi la répression de certains principes et la disparition de certaines influences; mais les hommes qui, avec des nuances diverses d'opinions, tous également indépendants, également honorables, étaient opposés à ces principes et redoutaient ces influences, ces hommes sont là pour se reconnaître, pour s'avouer les uns les autres et faire discuter chaque mot du texte d'un rapport.

» Ces hommes forment par eux-mêmes une puissante et invariable majorité, qu'on affecte de révoquer en doute précisément parce qu'on sent sa présence et son action, et qu'on ne se dissimule pas que le retour des principes et des influences qu'elle a combattus la retrouverait tout entière, et la rendrait plus puissante encore.

La Chambre, tumultueuse, ne prêta qu'une médiocre attention au discours, d'ailleurs peu modéré, de M. Havin, et l'orateur, fréquemment interrompu dans ses attaques centre la commission et le ministère, renonça à la parole.

27 Février.-M. Jouffroy monta à la tribune pour résumer les débats et défendre son rapport, si faiblement appuyé par le cabinet, et combattu par le seul membre de la majorité qui eût paru à la tribune durant cette discussion (M. de Carné). Il déclara qu'il en maintenait le fond, et qu'il n'avait rien à y changer. N'est-il pas incontestable que les intérêts du pays souffrent de l'instabilité du gouvernement? qu'il sent profondément que sa dignité et sa puissance au dehors, que sa prospérité au dedans sont gravement compromises par cette instabilité? N'est-il pas également vrai que le pays, qui met dans la Chambre toute sa confiance, parce que la Chambre émane de lui, la conjure dans ses vœux de mettre un terme à cette instabilité, et d'arriver enfin, sinon à la conciliation complète de toutes les opinions, tout au moins à organiser une majorité persistante, compacte, homogène, qui donne de la force, de l'autorité, de la dignité au gouverne ment? Sans doute la commission croyait à l'existence de cette majorité, mais en même temps elle croyait que les deux votes politiques rendus depuis l'ouverture de la session ne l'avaient pas prouvée d'une manière complète et suffisante. La question des fonds secrets lui avait paru offrir l'occasion de déterminer s'il y avait une majorité dans cette Chambre, quelle était sa force, et quelle elle était. Dans cette circonstance, la commission avait pensé qu'elle n'avait rien de mieux à faire que d'exposer les principes de politique extérieure et de politique intérieure, auxquels elle adhérait elle-même, auxquels elle présumait que la majorité adhérait, et auxquels les discours du cabinet l'avaient autorisée à croire qu'il adhérait également. Quels étaient ces principes à l'extérieur? Etait-ce, comme on l'avait dit en dénaturant les paroles du rapporteur, une utopie philoso

phique, sans application possible, un rêve humanitaire qu'on introduirait dans le monde pour la première fois ? C'était au contraire une politique juste, qui consistait à faire énergiquement respecter les droits de son pays, mais aussi à respecter celui des autres. Ce n'était pas à dire que la politique ambitieuse cût cessé d'être possible dans de certaines limites. Il y a des puissances qui sont tellement placées, et qui ont à leur proximité de telies facilités à l'application de la politique ambitieuse, que certainement elle vit encore, et qu'elle contribuera encore, dans une certaine mesure, à l'agrandissement de ces puissances; mais il n'en reste pas moins vrai qu'avec la surveillance que tous les cabinets de l'Europe exercent mutuellement dans ce siècle, les uns sur les autres, avec l'équilibre établi entre toutes ces puissances, il est fort difficile, soit à l'habileté, soit à la violence, de mener loin une puissance quelconque de l'Europe dans le chemin de la po litique ambitieuse. Bien plus, aucune ne pourrait la pratiquer si la France ne le voulait pas, si elle prenait en main la balance qui lui est remise en quelque sorte par sa position et son génie, et si elle voulait s'opposer énergiquement aux derniers efforts de la politique ambitieuse dans le sein de l'Europe. Mais la politique juste était préférable pour la France, et plus conforme à ses intérêts. Depuis dix ans, elle n'a été impuissante que dans un seul cas pour la Pologne; elle a été efficace en Italie, en Belgique, en Espagne. La politique ambitieuse, au contraire, qui deux fois s'est manifestée depuis 1830, a deux fois échoué sous le 22 février, pour l'intervention en Espagne, et sous le 1er mars, dans les affaires d'Orient. Quant à la situation intérieure, la commission pensait qu'il y avait plus d'avantage à maintenir la égislation électorale et la législation de septembre qu'à les réformer. « On peut avoir blâmé, à l'époque où elles furent rendues, certaines dispositions des lois de septembre; on peut ne pas trouver la législation électorale parfaite, et cependant, si l'on était ministre, ne pas vouloir, ne pas juger

opportun, ne pas juger prudent d'en proposer la modification. >>

M. Piscatory, faisant bon marché de la question intérieure, voulut surtout défendre la politique extérieure du 1er mars du nom de politique injuste et ambitieuse. Est-ce qu'il n'est pas vrai que c'était la cause du bon droit que nous soutenions en Orient? Est-ce que le sentiment qu'on appellait aujourd'hui égyptien, naguère si unanime, si intense, n'était pas le sentiment français? Est-ce que ce n'était pas ce sentiment qui nous disait que, dans notre intérêt bien entendu, nous devions protection à toutes les petites puissances qui pouvaient se créer dans la Méditerranée? Est-ce que ce n'était pas ce sentiment qui agitait la Chambre quand elle était elle-même si égyptienne? L'orateur arrivait ensuite à la situation :

« Si, comme je le souhaite ardemment, ajoutait-il à ce sujet, si nous n'entrons pas dans ce concert, qui, apparemment rassurerait bien des imaginations inquiètes, si nous n'allons pas mendier le honteux plaisir de mettre notre signature au bas du traité du 15 juillet, et je défie tout ministère de s'en aviser, il faut bien, Messieurs, en prendre votre parti: la France est seule.

› Que ferons-nous dans cet isolement? Nous continuerons ce que nous avons commencé; nous augmenterons, nous organiserons notre armée, nous fortifierons Paris, nous volerons la loi de la réserve. La commission du budget ne refusera rien au budget de la guerre. Ce sont là tous les votes qui constituent l'isolement fort comme je l'entends. »

M. Piscatory interpella directement le ministre des affaires étrangères sur ce système d'isolement. Si le cabinet pouvait affirmer qu'il ne pensait, en quoi que ce fût, à désarmer et à faire aucune avance pour tirer la France de cet isolement, bien que, sur d'autres points, l'orateur ne partageât point ses vues, il lui promettait son suffrage.

M. Guizot répondit que, dans l'état des affaires du pays, il ne pouvait, ne devait rien dire; il regrettait également de ne pouvoir parler autant qu'il l'aurait voulu du rapport de

la commission. Tout ce que la Chambre avait entendu depuis trois jours n'ayant d'autre but que de porter le trouble et la désunion dans la majorité, le cabinet, qui voulait sincèrement le maintien et l'empire de cette majorité, avait dù se refuser à toutes les paroles, à toutes les explications qui pouvaient concourir aux espérances et aux desseins qu'il comprenait et qu'il combattait. Cette majorité s'était formée par la nécessité en présence d'un grand danger, en présence de la question de la paix et de la guerre; elle s'était formée pour rappeler au dehors la pratique d'une politique prudente et modérée; pour rétablir, au dedans, la pratique d'une politique ferme, conséquente, favorable à l'affermissement, à l'exercice du pouvoir. Si le repos du pays s'était rétabli à l'apparition de cette majorité, par l'appui qu'elle avait donné au cabinet; si les espérances du pays s'attachaient à son affermissement, il était bien naturel que ceux qui lui étaient attachés, simples députés ou ministres, ne permissent pas qu'elle fût légèrement compromise.

Quelle accusation jetée et contre cette majorité et contre l'avenir de votre administration! s'écria M. Odilon Barrot. Quoi! vous avez une majorité qui n'existe que si vous ne vous expliquez pas!... Et c'était là, en effet, le mot de la situation; la majorité qui s'était groupée autour du 29 octobre ne pouvait rester majorité qu'à la condition de ne pas s'expliquer sur les questions fondamentales, sur lesquelles elle était en conflit inévitable.

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Vainement vous invoquez les souvenirs de la discussion de l'adresse, ajoutait l'orateur, vous invoquez la majorité qui s'est prononcée dans la question d'Orient. Mais ne vous faites-vous pas illusion? Sur cette question ne confondez vous pas deux choses? Lorsqu'il s'est agi de porter un jugement rétroactif sur la politique qui aurait été suivie par le 1er mars, oui, vous avez eu une majorité de blâme contre les négociations suivies par le cabinet du 1er mars; lorsqu'il s'est agi des actes mêmes de ce cabinet, vous vous êtes encore trouvés en majorité pour les blâmer. Eh! mon Dieu! je ne veux pas vous contester le mérite de votre majorité, mais je n'aurais qu'à faire appel à mes souvenirs pour me rappeler qu'alors les uns attaquaient ces actes

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