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tic, ne différaient point de celles de l'honorable préopinant.

Un des hommes les plus éloquents de cette Chambre, parce que des convictions religieuses inspirent et élèvent sa pensée, M. de Montalembert, prit ensuite la parole. Il pensait également qu'il valait beaucoup mieux porter la question de confiance sur une loi comme celle des fonds secrets, où il ne s'agit que d'un million, que sur le budget, où il s'agit des intérêts généraux et de l'ensemble du gouvernement national. La question des fonds secrets est essentiellement une question de confiance. La politique extérieure était en ce moment l'objet spécial de l'attention de l'honorable membre; bien qu'à une autre époque, notamment dans la discussion de l'adresse (voir l'Annuaire de 1840), il se fût proclamé entièrement opposé au pacha d'Égypte, il était cependant très-éloigné d'approuver la rentrée, prochaine sans doute, de la France dans le concert européen, à moins que l'on n'obtint par ce moyen quelque grand résultat, ce qui ne paraissait pas probable, d'après les renseignements qui nous étaient parvenus à ce sujet de l'Angleterre. La position des populations chrétiennes de la Syrie offrait cependant à la France l'occasion de jouer un rôle à la fois grand, digne, original. Le ministère pouvait se ratta cher aux derniers évènements sans être dominé par eux. M. de Montalembert rappelait que la France avait toujours été, par ses agents diplomatiques et consulaires, la protectrice naturelle et constante de ces populations : elle l'était déjà à une époque où ce rôle était bien moins important, bien moins essentiel à sa grandeur qu'aujourd'hui; elle l'était à une époque où n'existait pas encore la puissance de la Russie. Depuis Louis XIV, qui n'a pas créé, mais qui a régularisé l'influence catholique de la France en Orient, La Russie, nouvellement élevée, n'a cessé d'exploiter les avantages qu'elle trouvait dans l'identité de sa religion avec celle des nombreuses populations grecques schismatiqu es de l'empire Ottoman. C'était là une raison nouvelle et in ipérieuse pour que la France ne négli

geât aucune occasion de consolider l'exercice de son pouvoir dans toutes les questions relatives à l'Orient. Cette réclamation de l'orateur était d'autant plus opportune que, dans la Chambre des lords, le chef du cabinet, lord Melbourne, interpellé à ce sujet, avait répondu qu'il s'occupait sérieusement d'assurer au gouvernement les moyens de protéger les populations chrétiennes de la Syrie. On disait même que, dans ce but, il avait envoyé comme agent en Syrie, un Anglais catholique, pour être plus sûr de recueillir les sympathies de ces populations. La Russie venait de faire plus encore: elle avait nommé un agent à Jérusalem, ou du moins elle avait fait donner un exequatur à son consul de Beyrouth, pour exercer ses fonctions à Jérusalem. C'était un nouveau moyen de troubler les catholiques syriens et autres dans la paisible fréquentation des lieux saints, qui leur sont disputés par les Grecs schismatiques et coreligionnaires de la Russie. La dernière partie du discours de l'honorable pair présentait moins d'intérêt : elle était consacrée à la défense du ministère du 1er mars.

M. Villemain, qui se chargea de la réponse, ne pouvait donner, sur les négociations en suspens, des explications que le ministre des affaires étrangères avait refusées à l'autre Chambre. Il déclara cependant que le sentiment qui avait toujours animé la France en faveur des populations chrétiennes d'Orient n'était pas mis en oubli dans cette circonstance; que ce sentiment était connu; qu'il y avait des exemples récents de l'impression qu'il produisait au dehors. D'ailleurs, le voyage et la présence actuelle à Paris du patriarche d'Antioche, montraient assez que cet intérêt de protection et de confraternité chrétienne qu'on invoquait n'était pas abandonnée par le gouvernement français.

Le ministre répondit ensuite à la seconde partie du discours de M. de Montalembert, et, après une réplique de ce dernier, la Chambre vola la loi à une grande majorité (106 contre 8).

Ann. hist. pour 1841.

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Les discussions irritantes de l'autre Chambre ne s'étaient point reproduites dans cette enceinte, dont le calme et la gravité sont rarement troublés.

Ainsi, sur tous les points, les représentants du pays accordaient actuellement au ministère leur concours, et si ce concours était conditionnel, s'il n'était accordé que dans les limites de l'honneur national pour l'extérieur, et de la con servation non rétrograde à l'intérieur, il n'en était pas moins réel; et ils consentaient volontiers à écarter certains sujets embarrassants sur lesquels ils déclaraient que le temps n'était pas venu de s'expliquer. Les faits qui suivent confirment cette appréciation, comme ceux qui précèdent y ont donné lieu.

La proposition Remilly, prise en considération à la ses-. sion dernière, avait été se perdre, on s'en souvient, dans le sein de la commission. Le ministère du 1er mars, dont elle était venue troubler la marche, l'avait aidée à mourir. Sous le prétexte spécieux de lois importantes à discuter, elle n'avait pu obtenir que les honneurs d'un rapport qui la mutilait, au dire de son auteur, comme si on eût été animé envers elle d'un mauvais vouloir.

Cependant M. Maurat-Ballange, rapporteur, crut devoir en demander la reprise (20 février).

Le ministre de l'intérieur répondit que le gouvernement regardait la discussion de la proposition comme inopportune, au milieu des grandes questions qui agitaient la Chambre et le pays.

M. Maurat-Ballange objecta que la Chambre se contredirait elle-même si elle repoussait la discussion d'une matière qu'elle avait précédemment prise en considération.

M. de Remilly intervint également dans le débat, mais pour répudier l'œuvre de la commission. Au reste, dans la position actuelle de la France vis-à-vis de l'Europe, il n'eût pas demandé sa reprise; une discussion de cette nature veut le calme partout.

Combattu par M. de Salvandy, M. Odilon Barrot essaya

à plusieurs reprises de persuader à la Chambre qu'elle ne pouvait étouffer ainsi une proposition qui avait, l'année dernière, si vivement ému la législature et le pays, et qui avait pris sa source dans un sentiment d'honnêtetési élevé. Notre position vis-à-vis de l'étranger ne pouvait en aucun cas nous empêcher d'introduire dans notre organisation intérieure des améliorations nécessaires.

La clôture fut ensuite prononcée et la reprise mise aux Voix. Deux épreuves successives furent déclarées douteuses (tous les membres de la dernière administration, moins M. Jaubert, avaient voté pour); on dut en conséquence recourir au scrutin, dont le résultat donna 178 boules noires contre 160.

Mais cette proposition annuellement reproduite ne pouvait manquer de l'être encore sous une forme quelconque, En effet, en même temps qu'elle est un moyen d'opposition, elle semble dénoter un mal dont le ministère du 12 mai a lui-même avoué l'existence. A peine la Chambre avait-elle repoussé la reprise du projet de M. de Remilly, que M. Pagès (de l'Ariège), de concert avec M. Mauguin, en reproduisit l'esprit sous une autre forme. (11 mars). Les bureaux en autorisèrent la lecture, et le 18 mars l'auteur en saisit la Chambre; elle était conçue dans les termes qui suivent:

«L'art. 64 de la loi du 19 avril 1831 sur les élections sera » ainsi modifié :

>> Il y a incompatibilité entre les fonctions de député et » celles de préfet et sous-préfet;

» Receveurs généraux et receveurs particuliers des fi»nances payeurs;

» Officiers généraux et supérieurs de terre et de mer en » activité de service;

» Magistrats remplissant les fonctions du ministère public »près les Cours royales et les tribunaux;

>> Chefs de division et de bureau dans les ministères.

>> Nul fonctionnaire salarié ne pourra être élu député par » le collége électoral de l'arrondissement compris, en tout » ou en partie, dans le ressort de ses fonctions.

» Sont exemptés, les ministres, sous-secrétaires d'État, >>secrétaires généraux des ministères, directeurs généraux, >> membres de la Cour de Cassation, de la Cour des Comptes » et les conseillers d'État.

» Si, par démission ou autrement, les fonctionnaires cidessus quittaient leurs emplois, ils ne seraient éligibles » dans les ressorts où ils auraient exercé leurs fonctions » qu'après un délai de six mois à dater du jour de la cessa>>tion de leurs fonctions. »

La Chambre entendit le développement de cette proposition le 5 avril, et, après deux séances de débats empreints de l'animosité ordinaire des partis, elle vota au scrutin secret le rejet de la prise en considération (203 boules noires contre 170 boules blanches).

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