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dans la séance du 6 brum. an 11 (28 oct. 1802).· La discussion s'ouvrit dans la même séance et fut continuée dans celle du 20 brum, an 11. Enfin, dans la séance du 4 frim. suivant (25 nov. 1802), le conseil d'Etat adopta une nouvelle rédaction (la neuvième), qui devint définitive.

la mort civile est encourue jusqu'à l'expiration du délai pendant lequel le jugement de contumace peut être anéanti. La section avait aussi demandé que les effets attachés à la mort civile par le projet relativement au mariage fussent modifiés, conformément à l'ancienne législation française; mais nous verrons plus loin que le conseil d'État a persisté dans son projet à cet égard el que le corps législatif a voté la loi dans ce sens.

Le 22 fruct. an 10, une conférence s'engagea entre la section du tribunat et celle du conseil d'État, sous la présidence du consul Cambacérès, et d'après cette conférence, une nouvelle rédaction du titre de la jouissance et de la privation des droits civils fut présentée au conseil d'État par M. Bigot-Préameneu,

(1) Exposé des motifs de la loi relative à la jouissance et à la privation des droits civils, par le conseiller d'État Treilbard (séance du 14 ventôse an 11).

1. Législateurs,-L'éclat de la victoire, la prépondérance d'un gouver nement également fort et sage, donnent sans doute un grand prix à la qualité de citoyen français; mais cet avantage serait plus brillant que solide, il laisserait encore d'immenses vœux à remplir, si la législation intérieure ne garantissait pas à chaque Français une existence douce et paisille, et si, après avoir tout fait pour la gloire de la nation, on ne s'occupait pas avec le même succès du bonheur des personnes. La sûreté, la propriété, voilà les grandes bases de la félicité d'un peuple: c'est par la loi seule que leur stabilité peut être garantie, et l'on reconnaîtra sans peine que la conservation des droits civils influe sur le bonheur individuel, bien plus encore que le maintien des droits politiques, parce ceux-ci ne peuvent s'exercer qu'à des distances plus ou moins éloignées, et que l'action de la loi civile se fait sentir tous les jours et à tous les instants.. La loi sur la jouissance et la privation des droits civils offre donc un grand intérêt et mérite toute l'attention du législateur.-Le projet qui vous est présenté contient deux chapitres. Le premier, De la jouissance des droits civils; le deuxième, De la privation des droits civils. Celui-ci se divise en deux sections, parce que l'on peut être privé des droits civils ou par la perte de la qualité de Français ou par une suite des condamnations judiciaires.

2. A quelles personnes sera donc accordée la jouissance des droits civils? On sent assez que tout Français a droit à cette jouissance; mais si le tableau de notre situation peut inspirer aux étrangers un vif désir d'en partager les douceurs, la loi civile ne doit certainement pas élever entre eux et nous des barrières qu'ils ne puissent pas franchir. Cependant cette communication facile, établie pour nous enrichir de la population et de l'industrie des autres nations, pourrait aussi quelquefois nous apporter leur écume tout n'est pas toujours bénéfice dans un pareil commerce, et l'on ne trouvera quelquefois que des germes de corruption et d'anarchie où l'on avait droit d'espérer des principes de vie et de prospérité. Cette réflexion si naturelle vous explique déjà une grande partie des dispositions du projet.

3. Tout Français jouit des droits civils; mais l'individu né en France d'un étranger, celui né en pays étranger d'un Français, l'étrangère qui épouse un Français, seront-ils aussi réputés Français ? Voilà les premières questions qui se sont présentées, le projet les décide d'après les notions universellement reçues.

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Le gouvernement arrêta, dans la séance du 30 pluv. an 11, que le projet de loi relatif à la jouissance et à la privation des droits civils serait proposé le 6 ventose suivant au corps législatif; et le premier consul nomma, pour le présenter et en soutenir la discussion, MM. Treilhard, Regnault (de SaintJean-d'Angely) et Petiet. L'exposé des motifs fut fait par M. Treilhard (1), qui fit ressortir les dispositions modérées du bord que l'étranger fixe son domicile en France. Ne perdons pas de vue qu'il ne s'agit pas ici du titre de citoyen français: la loi constitutionnelle règle les conditions auxquelles l'étranger peut devenir citoyen; il faut, pour acquérir ce titre, que l'étranger, âgé de vingt et un ans accomplis, declare l'intention de se fixer en France, et qu'il y réside pendant dix années consécutives. Quand il aura rempli ces conditions il sera citoyen francais. Cependant, quand il aura déclaré son intention de se fixer en France et du moment qu'il y aura transporté son domicile, quel sera son sort dans sa patrie? Dans sa patrie! il n'en a plus depuis la déclaration qu'il a faite de vouloir se fixer en France; la patrie ancienne est abdiquée, la nouvelle n'est pas encore acquise; il ne peut exercer de droits politiques ni dans l'une ni dans l'autre peut-être même a-t-il déjà perdu l'exercice des droits civils dans sa terre natale, uniquement parce qu'il aura transporté son domicile sur le sol français. S'il faut, pour participer à ses droits dans la nouvelle patrie, attendre encore un long espace de temps, comment pourra-t-on supposer qu'un étranger s'exposera à cette espèce de mort civile pour acquérir un titre qui ne lui sera conféré qu'au bout de dix années? Ces considérations motivent assez l'article du projet qui accorde l'exercice des droits civils à l'étranger admis par le gouvernement à établir son domicile parmi nous.

-

La loi politique a sagement prescrit une résidence de dix années pour l'acquisition des droits politiques; la loi civile attache avec la mesagesse le simple exercice des droits civils à l'établissement en France. —Mais le caractère personnel de l'étranger qui se présente, sa moralité plus ou moins grande, le moment où il veut se placer dans nos rangs, la position respective des deux peuples, et une foule d'autres circonstances, peuvent rendre son admission plus ou moins désirable; et, pour s'assurer qu'une faveur ne tournera pas contre le peuple qui l'accorde, la loi n'a dù faire participer aux droits civils que l'étranger admis par le gouverne

ment.

6. L'étranger qui ne quitte pas le sol natal jonira-t-il aussi en France de la totalité ou d'une partie des droits civils? L'admettra-t-on sans restrictions, sans conditions? ou plutôt ne doit-on pas, adoptant la règle d'une juste réciprocité, restreindre les droits de l'étranger à ceux dont un Français peut jouir dans le pays de cet étranger? - Celle question a été si souvent et si profondément agitée, qu'il est difficile de porter de nouveaux aperçus dans sa discussion; et quelque parti qu'on embrasse, on pourra toujours s'autoriser sur de grandes autorités, ou sur de grands exemples. Ceux qui veulent accorder aux étrangers une participation totale et absolue à nos droits civils, recherchent l'origine du droit d'aubaine dans celle de la féodalité, et regardent la suppression entière de ce droit comme une conséquence nécessaire de l'abolition du régime féodal. L'intérêt national, suivant eux, en sollicite la suppression aussi puissamment que la barbarie de sa source. L'ancien gouvernement avait luimême reconnu la nécessité de le proscrire dans une foule de traités qui en avaient au moins modifié la rigueur; il avait senti que ce droit ne devait plus subsister depuis que le commerce avait rattaché tous les peuples par les liens d'un intérêt commun. Telle a eté, disent-ils, l'opinion des plus grands publicistes; Montesquieu avait dénoncé le droit d'aubaine à toutes les nations comme un droit insensé, et l'assemblée constituante, ce foyer de toutes les lumières, ce centre de tous les talents, en avait prononcé l'abolition intégrale et absolue, sans condition de réciprocité, comme un moyen d'appeler un jour tous les peuples au bienfait d'une fraternité universelle. Le projet de détruire les barrières qui séparent tous les peuples, de confondre tous leurs intérêts, et de ne plus former, s'il est permis de le dire, qu'une seule nation sur la terre, est sans doute un conception également hardie et généreuse: mais ceux qui en ont été capables ont-ils vu les hommes tels qu'ils sont ou tels qu'ils le désirent? Consultons l'histoire de tous les temps, de tous les peuples, et jetons surtout nos regards autour de nous. Si l'on fit tant d'efforts pénibles et trop souvent inutiles pour maintenir l'harmonie dans une seule nation, dans une seule famille, pouvons-nous raisonnablement espérer la réalisation d'une harmonie universelle, et le mode mode moral doit-il être, plus que le mode physique, à l'abri des ouragans et des tempêtes? Au lieu da se livrer aux illusions trop souvent trompenses des théories, ne vaut-il pas mieux faire des lois qui s'appliquent aux caractères et aux esprits que nous connaissons? L'admission éfinie des étrangers peut avoir quel Supposons d'aques avantages; mais noa: ne savons que trop qu'on ne s'enrichit pas

4. La femme suit partout la condition de son mari: elle devient donc Française quand elle épouse un Français. Le fils a l'état de son père, il est donc Français quand son père est Français: peu importe le lieu où il est né, si son père n'a pas perdu sa qualité. Quant au fils de l'étranger qui reçoit accidentellement le jour en France, on ne peut pas dire qu'il ne nait pas étranger; mais ses premiers regards ont vu le sol français, c'est sur cette terre hospitalière qu'il a souri pour la première fois aux caresses maternelles, qu'il a senti ses premières émotions, que se sont développés ses premiers sentiments: les impressions de l'enfance ne s'effacent jamais; tout lai retracera, dans le cours de la vie, ses premiers jeux, ses premiers plaisirs: poorquoi lui refuserait-on le droit de réclamer, à sa majorité, la qualité de Français, que tant et de si doux souvenirs pourront lui rendre chère? C'est un enfant adoptif qu'il ne faut pas repousser quand il promettra de se fixer en France et qu'il y établira de fait son domicile: c'est la disposition de l'art. 9 du projet. Si nous recevons l'étranger né en France, rejetterons-nous de notre sein celui qui sera ué en pays étranger, mais d'un père qui aurait perdu la qualité de Français? Le traiterons-nous avec plus de rigueur que l'étranger né sur notre sol? Non sans doute: c'est toujours du sang français qui coule dans ses veines; l'inconstance ou l'inconduite du père n'en ont pas tari la source; le souvenir de toute une famille n'est pas effacé par quelques instants d'erreur d'un père; le fils doit être admis à les réparer, et peut-être encore les remords du père ont-ils mieux fait sentir an fils le prix de la qualité perdue; elle lui sera d'antant plus chère, qu'il saura d'avance de combien de regrets la perte en est accompagnée.

5. J'arrive à la question la plus importante et dont la solution pourrait présenter plus de difficultés. L'étranger jouira-t-il en France des droits civils? Ici la question se divise; l'étranger peut établir son domicile en France, ou il peut continuer de résider dans son pays.

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projet avec beaucoup de sagacité et qui insista sur l'utilité | pratique de la plupart de ces dispositions. Le corps législatif

toujours des pertes ou des désertions de ses voisins, et qu'un ennemi peut faire quelquefois des présents bien funestes. On sera du moins forcé de convenir que le principe de la réciprocité, d'après les traités, a cet avantage bien réel, que les traités étant suspendus par le fait seul de la déclaration de guerre, chaque peuple redevient le maître, dans ces moments critiques, de prendre l'intérêt du moment pour unique règle de conduite. Hé! pourquoi donnerions-nous à nos voisins des priviléges qu'ils s'obstineraient à nous refuser? Il sera toujours utile, nous dit-on, d'attirer sur notre sol des étrangers riches de leurs possessions, de leurs talents, de leur industrie; j'en conviens mais viendront-ils sur notre sol, ces opulents et précieux étrangers, si, par leur établissement en France, ils deviennent eux-mêmes tout à coup étrangers à leur sol natal; s'ils ne peuvent aspirer au titre de Français, sans sacrifier tous leurs droits acquis ou éventuels dans leur patrie, parce qu'elle nous refuse les avantages de la réciprocité, et qu'elle persiste à ne voir dans les Français que des étrangers? Encore une fois, méfions-nous des théories, quelque brillantes qu'elles paraissent, et consultons plutôt l'expérience. Lorsque l'ancien gouvernement français annonça l'intention de supprimer, d'adoucir du moins les droits d'aubaine envers les peuples qui partageraient ses principes, plusieurs gouvernements s'empressèrent de traiter avec la France, et de s'assurer, par un juste retour, le bienfait de la suppression ou de la modification du droit d'aubaine; on donna pour acquérir; car l'intérêt est la mesure des traités entre gouvernements, comme il est la mesure des transactions entre particuliers. Mais depuis l'abolition absolue du droit d'aubaine de la part de la France, de tous les peuples qui n'avaient pas auparavan' traité avec elle, il n'en est pas un seul qui ait changé sa législation. Ils n'avaient plus besoin de faire participer chez eux les Français à la jouissance des droits civile pour obtenir la même participation en France; aussi ont-ils maintenu à cet égard, contre les Français, toute la sévérité de leur législation en sorte qu'il est actuellement prouvé que si l'intérêt général des peuples sollicite en effet l'abolition entière du droit d'aubaine, il faut, pour ce même intérêt, établir une loi de réciprocité, parce que seule elle peut amener le grand résultat que l'on désire. Est-il nécessaire actuellement de répondre aux autorités? Montesquieu a qualifié le droit d'aubaine de droit insensé; mais Montesquieu, dans la phrase qu'on cite, plaça sur la même ligne les droits de naufrage et ceux d'aubaine, qu'il appelle tous les deux des droits insensés. Il y a cependant loin du droit barbare de naufrage, qui, punissant le malheur comme un crime, confisquait les hommes et les choses jetés sur le rivage par la tempête, au droit d'aubaine, fondé sur le principe (erroné si l'on veut, mais du moins nullement atroce) d'une jouissance exclusive des droits civils en faveur des nationaux. Montesquieu, d'ailleurs, a-t-il prétendu qu'une nation seule devait se båter de proclamer chez elle la suppression absolue du droit d'aubaine, quand ce droit était établi et maintenu chez tous les autres peuples? Il savait trop bien que certaines institutions qui, en elles-mêmes, ne sont pas bonnes, mais qui réfléchissent sur d'autres nations, ne pourraient être abolies chez un seul peuple, sans compromettre sa prospérité, tant qu'il existerait chez les étrangers une espèce de conspiration pour les main

tenir.

:

Le régime des douanes a aussi été jugé sévèrement par des hommes graves qui désireraient la chute de toutes les barrières; en conclura-t-on qu'un peuple seul ferait un grand acte de sagesse en supprimant tout à coup et absolument le régime des douanes? et n'est-il pas au contraire plus convenable d'engager les autres nations à nous faciliter l'usage des productions de leur sol qui peuvent nous être utiles, par la libre commumunication que nous pouvons leur donner des productions françaises dont ils auront besoin?-Tout le mode convient qu'un état militaire excessif est un grand fardeau pour les peuples; mais lorsque cet état militaire, quelque grand qu'il puisse être, n'est que proportionné à l'état militaire des nations rivales, donnerait-il une grande opinion de sa prudence le gouvernement qui, sans consulter les dispositions de celles-ci, réduirait cet état sur le pied où il devrait être, s'il n'avait ni voisins ni rivaux ?Une institution peut n'être pas bonne, et cependant sa suppression absolue peut être dangereuse; et c'est ici le cas de rappeler cette maxime triziale, que le mieux est souvent un grand ennemi du bien.

L'assemblée constituante prononça l'abolition du droit d'aubaine! Je sens tout le poids de cette autorité mais qui osera dire que l'assemblée constituante, que de si grands souvenirs recommanderont à la postérité, ne fut pas quelquefois jetée au delà d'une juste mesure par des idées philanthropiques que l'expérience ne pouvait pas encore régler? Et sans sortir de l'objet qui nous occupe, l'appel que l'assemblée constituante fit aux antres nations, a-t-il été entendu d'elles? En est-il une seule qui ait répondu? N'ont elles pas, au contraire, conservé toutes leurs règles sur le droit d'aubaine? Concluons de la que si l'assemblée constituante a voulu preparer l'abolition totale du droit d'aubaine, le plus sur moyen de réaliser cette conception libérale, c'est d'admettre la règle de la réciproc té, qui peut amener un jour les autre peuples, par la considération de leurs intérets, à consentir aussi l'abolition de ce droit. Ces motifs puissants ont déterminé la disposition du projet qui n'assure en France, à l'étran

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ger, que les mêmes droits civils accordés aux Français par les traités de la nation à laquelle les étrangers appartiennent. Voilà la seule règle qu'on doive établir dans un code civil, parce qu'en préparant pour l'avenir la suppression totale du droit d'aubaine, elle n'exclut d'ailleurs aucune des concessions particulières qui pourraient être dans la suite sollicitées par les circonstances et pour l'intérêt du peuple français. crois pas devoir m'arrêter à quelques autre articles du premier chapitre ; la simple lecture en fait sentir assez la sagesse ou la nécessité, et je passe au deuxième chapitre de la privation des droits civils.

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7. On peut être privé des droits civils par la perte de la qualité de Français, et par une suite des condamnations judiciaires; la première section de ce chapitre a pour objet la perte de la qualité de Français. Il serait superflu de rappeler qu'il ne s'agit pas ici de droits politiques et de la perte du titre de citoyen, mais du simple exercice des droits civils, droits acquis à un grand nombre de Français qui ne sont pas, qui ne peuvent pas être citoyens; ainsi toute cause qui prive du titre de citoyen, ne doit pas nécessairement priver des droits civils et de la qualité de Français. Cette qualité ne doit se perdre que par des causes qui supposent une renonciation à sa patrie.

8. L'art. 17 du projet en présente quatre: 1° la naturalisation acquise en pays étranger; 2° l'acceptation non autorisée par le gouvernement de fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger; 3° l'affiliation à toute corporation étrangère qui exigera des distinctions de naissance; 4° tout établissement fait en pays étranger sans esprit de retour. L'art. 19 assigne une cinquième cause: c'est le mariage d'une Française avec un étranger. Enfin l'art. 24 place aussi au nombre des causes qui font perdre la qualité de Français, l'entrée sans autorisation du gouvernement, au service militaire de l'étranger, ou l'affiliation à une corporation militaire étrangère. Il est assez évident que, dans tous ces cas, la qualité de Français ne peut plus se conserver: on ne peut pas avoir deux patries. Comment celui qui s'est fait naturaliser en pays étranger, celui qui a accepté du service ou des fonctions publiques chez une nation rivale, celui qui a abjuré le principe le plus sacré de notre pacte social en courant après des distinctions incompatibles avec l'égalité, celui enfin qui aurait abandonné la France sans retour, aurait-il pu conserver le titre de Français ? Cependant, dans le nombre des causes qui détruisent cette qualité, on doit faire une distinction. H en est quelquesunes qui ne sont susceptibles d'aucune interprétation favorable, celles, par exemple, de la naturalisation en pays étranger, et de l'abjuration du principe de l'égalité; mais il en est d'autres, telles que l'acceptation de fonctions publiques ou de service chez l'étranger, qui peuvent quelquefois être excusées; un peuple ami peut réclamer auprès du gouvernement français des secours que notre intérêt même ne permet pas de refuser. Aussi n'a-t-on dû attacher la perte de la qualité de Français qu'à une acceptation, non autorisée par le gouvernement, de services ou de fonctions publiques chez l'étranger.

9. Mais les Français même qui ont perdu leur qualité par l'une des causes déjà expliquées, ne pourront-ils jamais la recouvrer? Ne peut-on pas supposer qu'en quittant la France, ils ont uniquement cédé à l'impulsion d'un caractère léger, qu'ils ont voulu surtout améliorer leur situa tion par leur industrie, pour jouir ensuite au milieu de leurs concitoyens de l'aisance qu'ils se seront procurée? Ne doit-on pas supposer du moins que leur désertion a été suivie de vifs regrets? et leurs frères pourront-ils être toujours insensibles, quand ces transfuges viendront se jeter dans leurs bras? Vous supposer, citoyens législateurs, cette rigoureuse inflexibilité, ce serait mal vous connaître. Une mère ne repousse jamais des enfants qui viennent à elle. Que les Français qui ont perdu cette qualité reviennent se fixer en France, qu'ils renoncent à toutes distinctions contraires à nos lois, et ils seront encore reconnus Français. pendant l'indulgence ne doit pas être aveugle et imprudente; le retour de ces Français ne doit être ni un moyen de trouble dans l'État ni un signal de discorde dans leurs familles : il faut que leur rentrée soit autorisée par le gouvernement, qui peut connaître leur conduite passée et leurs sentiments secrets, et ils ne doivent acquérir que l'exercice des droits ouverts à leur profit depuis leur réintégration.

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10. Il est même une classe pour qui l'on a dû être plus sévère : c'est celle des Français qui ont pris du service militaire chez l'étranger, sans l'autorisation du gouvernement. Cette circonstance a un caractère de gravité qui la distingue; ce n'est plus un simple acte de légèreté, une démarche sans conséquence; c'est un acte de dévouement particulier à la défense d'une nation, aujourd'hui notre alliée, si l'on veut, mais qui demain peut être notre rivale, et même notre ennemie. Le Français a dû prévoir qu'il pouvait s'exposer, par son acceptation, à porter les armes contre sa patrie. En vain dirait-il que dans le cas d'une rupture entre les deux nations, il n'aurait pas balancé à rompre ses nouveaux engagements quel garant pourrait-il donner de son assertion? La puissance qui l'a pris à sa solde a-t-elle entendu cette restriction? L'aurait-elle laissé maître du choix? On a pensé que dans cette circonstance, une épreuve plus rigoureuse était indispensable, que l'individu qui se trouve dans celte position ne pouvait rentrer, comme de raison, sans l'autorisation

bunat vota aussitôt l'adoption du projet.

arrêta ensuite que ce projet serait, avec l'exposé des motifs, communiqué officiellement au tribunat. Le tribun Gary fit le rapport dans la séance du 14 vent. an 11 (3 mars 1803), et le tri

du gouvernement, mais qu'il ne devait encore recouvrer la qualité de Français qu'en remplissant les conditions imposées à l'éiranger pour devenir citoyen.

11. Je passe actuellement à la seconde section, à la privation des droits civils par suite de condamnations judiciaires. Le projet qui vous est présenté n'a pas pour objet de déterminer celles des peines dont l'effet sera de priver le condamné de toute participation aux droits civils; c'est dans un autre moment, dans un autre code, que ces peines seront indiquées il suffit, quant à présent, de savoir qu'il doit exister des peines (ne fût-ce que la condamnation à mort naturelle) qui emporteront de droit, et pour jamais, le retranchement de la société, et ce qu'on appelle mort civile.

Qu'est-ce que la mort civile? me dira-t-on : pourquoi souiller notre code de cette expression proscrite et barbare? Citoyens législateurs, celui qui est condamné légalement pour avoir dissous, autant qu'il était en lui, le corps social, ne peut plus en réclamer les droits; la société ne le connait plus, elle n'existe plus pour lui; il est mort à la société : voilà la mort civile. Pourquoi proscrire une expression usitée, qui rend parfaitement ce qu'on veut exprimer, dont tout le monde connait la valeur et le sens, et que ceux même qui l'improuvent n'ont encore pu remplacer par aucune expression équivalente? Ce n'est pas du mot qu'il s'agit, c'est de la chose. Quelqu'un peut-il prétendre que l'individu légalement retranché de la société doive encore être avoué par elle comme un de ses membres? Peut-on dire que la faculté et la nécessité de ce retranchement n'ont pas été reconnues par tous les peuples dans des cas rares, est vrai, mais qui cependant ne se représentent que trop souvent?

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12. Le principe une fois admis, les conséquences ne sont plus douteuses. La loi civile ne reconnait plus le condamné: donc il perd tous les droits qu'il tenait de la loi civile; il n'existe plus aux yeux de la loi: donc il ne peut participer encore à ses bienfaits. Il est mort enfin pour la société il n'a plus de famille, il ne succède plus, sa succession est ouverte, ses héritiers occupent à l'instant sa place; et si sa vie physique vient à se prolonger, et qu'au jour de son trépas il laisse quelques biens, il meurt sans héritiers, comme le célibataire qui n'a pas de parents. Vous sentez, citoyens législateurs, que l'une des conséquences de la mort civile doit être la dissolution du mariage du condamné quant aux effets civils: car la loi ne peut le reconnaître en même temps comme existant et comme n'existant pas : elle ne peut lui enlever une partie de ses droits civils comme mort, et lui en conserver cependant une partie comme vivant. Il pourra bien se prévaloir du droit naturel, tant qu'il existera physiquement; mais il ne pourra réclamer l'exercice d'aucun droit civil, puisqu'il est mort en effet civilement. Toute autre théorie ne produirait que contradictions et inconséquences. Je n'ai pas besoin, sans doute, d'observer que l'on n'a dû considérer le mariage que comme un acte civil, et dans ses rapports civils, abstraction faite de toute idée religieuse et de toute espèce de culte, dont le code civil ne doit point s'occuper.

13. A quelle époque commencera la mort civile ? C'est un point sur lequel on ne peut s'expliquer avec trop de précision, parce que c'est l'instant de la mort qui donne ouverture aux droits des héritiers, et qui détermine ceux à qui la succession doit appartenir. Quand le jugement de condamnation est contradictoire, la mort civile commence au jour de l'exécution réelle ou par effigie.

14. Cette règle peut-elle s'appliquer aux jugements de contumace? Le condamné n'a point été présent, et ne s'est par conséquent point défendu; la loi lui donne cinq ans pour se représenter: s'il meurt, ou s'il paraît dans cet intervalle, le jugement est anéanti, il meurt alors dans l'intégrité le son état; ou s'il vit et s'il est présent, l'instruction recommence comme 'il n'avait pas été jugé. Dans l'ancienne jurisprudence, on s'attachait ervilement au principe qui fait commencer la mort civile du jour de P'exécution. Par une conséquence rigoureuse de cette maxime, si le condamné décédait après les cinq ans, et sans s'être représenté, il était réputé mort civilement au moment de cette exécution. Mais que d'embarras, de contradictions et d'inconséquences découlent de ce principe!-L'époux condammé pouvait avoir des enfants dans l'intervalle des cinq années : il aurait donc fallu, pour être conséquent, déclarer ces enfants légitimes, si le père mourait ou se représentait dans cet intervalle, et les déclarer illégitimes, si leur père mourait après les cinq ans sans s'être représenté. Ainsi leur état eût dù dépendre d'un fait évidemment étranger à leur naisDes successions pouvaient s'ouvrir au profit du condamné dans l'intervalle des cinq années à qui appartenaient-elles? Le condamné devait être héritier, s'il mourait ou s'il se représentait dans les cinq ans; il ne devait pas être héritier, s'il mourait après les cinq ans sans s'être représenté. Ainsi son droit, le droit des appelés après lui, cût dù dépendre d'un fait absolument étranger aux règles des successions: le titre d'héritier restait incertain; et comme l'héritier, à l'instant du décès, pouvait ne pas se trouver l'héritier à l'expiration des cinq années, c'est par la volonté du condamné, qui pouvait se représenter ou ne pas se représen

sance.

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C'est le tribun Gary qui fut chargé d'apporter au corps legislatif le vœu du tribunat. Il s'acquitta de ce soin dans la séance du 17 vent. an 11 (1) en

ter, que se trouvait déféré le titre d'héritier dans la succession d'une tierce personne. - La femme du condamné pouvait se remarier; il eût fallu la déclarer adultère, si le condamné mourait ou se représentait dans les cinq ans ; elle eût dû être épouse légitime, s'il plaisait au condamné de ne pas se représenter. - Voilà une partie des embarras que présente l'attachement trop scrupuleux à la règle qui fait commencer, même pour le contumax, la mort civile au moment de l'exécution.

Ces considérations, et une foule d'autres qu'on supprime, nous ont fait adopter une règle différente, et qui ne traîne après elle aucune difficulté. Puisque le condamné par contumace a cinq ans pour se repre senter, que sa mort ou, sa comparution dans l'intervalle a l'effet de dé truire son jugement, il est, sans contredit, plus convenable de ne fixet qu'à l'expiration des cinq années l'instant où la mort civile commencera . alors seulement la condamnation aura tout son effet; ainsi s'évanouiront tous les embarras du système contraire. Le condamné a vécu civilement jusqu'a ce moment: il a pu succéder; il a été époux et père; mais à cet instant fatal commence sa mort civile.

En vain dirait-on qu'il y a de la contradiction à exécuter le jugement de condamnation par effigie, et à reculer cependant jusqu'au terme de cinq années le commencement de la mort civile. Cette contradiction, si elle était réelle, serait bien moins choquante que celle qui résulte dans l'autre système d'une mort provisoire suivie d'une résurrection réelle, qui, présentant successivement la même personne comme morte et comme vivante, peuvent laisser dans une incertitude funeste, et même porter de violentes atteintes aux droits de plusieurs familles. Mais la regle adoptée par le projet ne se trouve en contradiction avec aucune autre. Un jugement peut ne pas recevoir dans le même moment toute son exécution; un tribunal suspend quelquefois cette exécution en tout ou en partie par des motifs très-légitimes: la loi peut, à plus forte raison, en maintenant pour l'exemple l'exécution par effigie au moment de la condamnation, reculer cependant l'époque de la mort te à l'expiration des cinq ans donnés au contumax pour se présenter: le condamné n'est encore qu'un absent; ce terme arrivé, sa condamnation devient définitive, et produit tout son effet. Le contumax peut néanmoins se représenter, même après le terme de cinq années. Quelques fortes présomptions que puisse élever contre lui sa longue absence, quoiqu'on ait droit de soupConner qu'une comparution si tardive n'est due qu'à l'éloignement des témoins à charge, au dépérissement des preuves que le temps amène toujours après lui, à cet affaiblissement des premières impressions qui, disposant les esprits à l'indulgence et à la pitié, peut faire entrevoir au coupable son impunité, l'humanité ne permet cependant pas qu'on refuse d'entendre celui qui ne s'est pas défendu. Il sera jugé, il pourra élre absous, il sera absous; mais il ne rentrera dans ses droits que pour l'avenir seulement, et à compter du jour où il aura paru en justice. pourra commencer une nouvelle vie, mais sans troubler l'état des familles ni contester les droits acquis pendant la durée de sa mort civile. Ainsi se trouveront conciliés les intérêts du contumax et les intérêts non moins précieux de toute la société. Voilà, citoyens législateurs, voila les principaux motifs du projet de loi sur la jouissance et la privation des droits civils.

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(1) Discours (a) prononcé au corps législatif, par le tribun Gary, l'un des orateurs chargés de présenter le vœu du tribunat, sur la loi relative à la jouissance et à la privation des droits civils. (Séance du 17 vent. an 11.) 15. Législateurs,- Nous venons vous apporter le vœu du tribunat en faveur du projet de loi relatif à la jouissance et à la privation des droits civils. Le projet de loi, ainsi que l'annonce son titre, se divise naturellement en deux parties. L'une traite de la jouissance des droits civils, l'autre s'occupe de leur privation.

CHAP. 1. De la jouissance des droits civils.

16. Le projet de loi commence par déclarer que l'exercice des droits civils est indépendant de la qualité de citoyen, laquelle ne s'acquiert et ne se conserve que conformément à la loi constitutionnelle.-Trois espèces de droits régissent les hommes réunis en société; le droit naturel ou général qui se trouve chez toutes les nations: c'est celui qui établit la sûreté de personnes et des propriétés, et qui est la source de tous les contrats entrevifs, sans lesquels il est impossible de concevoir qu'une association quelconque puisse se former ou se maintenir. Le droit civil, qui est le droit propre à chaque nation et qui la distingue des autres, c'est celui qui règle les successions, les mariages, les tutelles, la puissance paternelle, et généralement tous les rapports entre les personnes. Enfin le droit politique, qui n'est pas moins propre à une nation que son droit civil, mais qui, s'occupant d'intérêts plus relevés, détermine la manière dont les citoyens concourent plus ou moins immédiatement à l'exercice de la puissance pu

(a) Le rapport au tribunat n'a pas été imprimé, parce qu'il avait été fait par le

méme orateur,

dans la séance du 14. Ce travail est un exposé complet des prín

reproduisant le rapport qu'il avait prononcé devant le tribunat

blique. Il était nécessaire de séparer les règles de ce droit de celles du droit civil, de rappeler que les premiers appartiennent à l'acte constitutionnel, tandis que les autres sont l'objet de la loi civile, afin que ce qui est établi pour un ordre de choses ne pût jamais s'appliquer à l'autre.

Après avoir établi cette distinction, également sage et nécessaire, le projet de loi règle quels sont ceux qui sont appelés à jouir des droits civils. 17. Il distingue à cet effet les individus nés en France, de ceux nés en pays étranger. On conçoit facilement pourquoi il ne s'occupe point de ceux nés en France de Français. C'est bien pour ceux-là qu'est essentiellement faite la loi française, et que sont établis les droits civils. Mais il y a eu plus de difficulté pour l'individu né en France d'un étranger. Un premier système tendait à déclarer cet individu Français, sans s'embarrasser de sa destinée et de sa volonté ultérieure. Puisqu'un heureux hasard, disait-on, l'a fait naître sur notre territoire, il faut que ce bonheur s'étende sur toute sa vie, et qu'il jouisse de tous les droits des Français. A l'appui de cette opinion, on citait l'exemple de l'Angleterre, où tout individu né sur le sol anglais est sujet du roi. Les vues généreuses qui avaient produit ce système, ont cédé à des motifs d'un ordre supérieur. On a reconnu qu'il serait trop injuste et trop peu convenable à la dignité nationale, que le fils d'une étrangère, qui lui aurait donné naissance en traversant le territoire français, et qui, emmené aussitôt par ses parents dans le lieu de leur origine, n'aurait ni résidé, ni manifesté le désir de s'établir en France, y pût jouir de tous les bienfaits de la loi civile. Ces bienfaits ne sont dus qu'à ceux qui se soumettent aux charges publiques, et dont la patrie peut à chaque instant réclamer les secours et l'appui. C'est un devoir pour quiconque est adopté par la loi d'un pays, de se montrer digne de cette faveur, et d'associer sa destinée à celle de sa patrie adoptive, en y établissant sa résidence. Certes, on ne peut attribuer plus d'effet au basard de la naissance, qu'on n'en accordait autrefois aux lettres de naturalité, sollicitées par l'étranger, accordées par le souverain, et enregistrées avec la solennité des lois dans les tribunaux dépositaires de son autorité. Or, la condition expresse et nécessaire des lettres de naturalité, était la résidence en France; condition si absolue, que son inobservation faisait perdre au naturalisé les droits et la qualité que ces lettres lui conféraient. Quant à la loi anglaise, elle ne fait que consacrer une maxime féodale, dont le motif n'a rien de commun avec celui de la disposition que nous discutons.

et

On a donc établi en principe dans l'art. 9, qu'il faut que celui qui est né en France d'un étranger, réclame la qualité de Français, qu'il forme cette réclamation dans l'année de sa majorité, afin que la patrie dans le sein de laquelle il a vu le jour, ne reste pas plus longtemps incertaine sur sa détermination; et ici l'on distingue : ou bien il réside en Fersone alors il joint à sa réclamation la déclaration qu'il entend y fixer son domicile; ou il réside en pays étranger, et, dans ce cas, il fait sa soumission de fixer en France son domicile, et il doit l'y établir dans l'année, à compter de l'acte de sa soumission. Ainsi le bonheur de sa naissance n'est pas perdu pour lui; la loi lui offre de lui assurer le bienfait de la nature; mais il faut qu'il déclare l'intention de le conserver.

18. Le projet de loi s'occupe ensuite de ceux nés en pays étranger. C'est l'objet des art. 10, 11 et 15. Trois hypothèses s'offrent ici à votre examen, ou c'est un individu né en pays étranger d'un Français ayant conservé cette qualité, ou bien c'est le fils d'un Français l'ayant perdue, ou bien enfin c'est un individu né de parents étrangers. Point de dificulté quant à l'enfant du Français, quoique né en pays étranger. La qualité de Français lui est assurée par la volonté de ses parents et par le vœu de sa patrie. Celui né d'un Français qui a perdu cette qualité pourra toujours la recouvrer en remplissant les conditions imposées par l'art. 9 à l'individu né en France d'un étranger, c'est-à-dire en accompagoant d'une résidence effective sa déclaration ou sa soumission de s'établir en France. Observez cependant qu'il est plus favorablement traité que cet étranger né en France; car celui-ci n'a qu'une année, à compter de sa majorité, pour manifester sa volonté, tandis que l'autre le peut toujours, et dans toutes les époques de sa vie. Les motifs de cette dinereace rentrent dans ceux de la disposition elle-même. Ils sont fondés sur la faveur due à l'origine française, sur cette affection naturelle, sur cet amour ineffaçable que conservent à la France tous ceux dans les veines desquels coule le sang français. Vainement un père injuste ou malheureux leur a ravi l'inestimable avantage de leur naissance; la patrie est prête à le lear rendre; elle leur tend les bras; elle leur ouvre son sein; elle répare à leur égard l'injustice de leurs parents ou les rigueurs de la fortune. -La disposition qui vous est proposée, citoyens législateurs, est d'ailleurs conforme à ce qui s'observait dans l'ancienne jurisprudence. Les enfans de Français qui avaient abdiqué leur patrie recouvraient leurs droits et leur qualité en vertu de simples lettres de déclaration, tandis que les étrangers n'acquéraient cette qualité et ces droits qu'avec des lettres de naturalité.

19. Je passe à la troisième classe d'individus nés en pays étranger; ce sont ceux qui y sont nés de parents étrangers, et c'est là véritablement ce qu'on appelle étrangers. Leur sort est réglé par deux dispositions du projet de loi que je crois devoir mettre en même temps sous vos yeux.

L'une est celle de l'art. 11, l'autre est celle de l'art. 15.- L'art. 11 est

ainsi concu: « L'étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux Français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra. » L'art. 15 s'énonce dans ces termes « L'étranger qui aura été admis par le gouvernement à établir son domicile en France, y jouira de tous les droits civils, tant qu'il continuera d'y résider. »

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Vous voyez, citoyens législateurs, que dans la première de ces dispositions il est question de l'étranger qui reste et veut rester étranger à la France; et dans la seconde, de l'étranger qui veut devenir Français. Je ne sépare pas encore une fois ces deux articles, parce que le dernier me fournit la solution de l'unique objection contre le premier. J'établis d'abord la justice de l'art. 11, et je demande qu'il me soit permis de rappeler une distinction fondée sur la nature des choses, et consacrée par l'histoire de tous les peuples. Il faut distinguer le cas où une nation règle les intérêts de ses propres citoyens, de celui où elle statue sur ses rapports avec les nations étrangères. Quand elle s'occupe de ses propres citoyens, quand elle travaille sur elle-même, elle peut, sans péril, s'abandonner aux vues les plus libérales. Plus elle élève l'âme de ses citoyens, plus elle s'élève elle-même; tout ce qu'elle fait pour les porter à la grandeur et à la gloire, elle le fait pour sa propre grandeur et pour sa propre gloire. Mais quand elle règle ses rapports avec les autres peuples, sa générosité avec eux serait souvent ou danger pour elle-même, ou injustice pour les habitants de son territoire. Le droit civil qui régit les nations entre elles est dans leurs traités. Si l'une ne veut s'affaiblir ou se nuire, elle doit considérer ce que les autres font pour elle avant de se prescrire ce qu'elle doit faire à leur égard. C'est sur ce principe que se fondent toutes les précautions auxquelles tiennent la streté et l'indépendance des peuples. L'orateur du gouvernement en a fait sentir la vérité et la nécessité quant au système de défense militaire, quant à celui des douanes, et il en a fait ensuite une juste application à la question qui nous occupe. - C'est déjà un beau mouvement, un grand pas vers le bien de l'humanité, vers le rapprochement universel des peuples, que de leur assurer d'avance tous les avantages qu'ils nous accorderont par leurs traités. Puisse cette déclaration solennelle faire disparaitre la barrière que la paix même laisse encore entre quelques nations civilisées! Mais jusqu'à co qu'elles aient répondu à cet appel, nous n'immolerons pas les intérêts do notre propre famille à ceux d'une famille étrangère. Il est une bienveillance au-dessus de cette bienveillance générale, qui embrasse le genre humain c'est celle que nous devons à notre patrie, à nos concitoyens. Nous réglerons sur la faveur et la protection qu'on leur accordera celles qu'on aura à espérer de nous.

Vous rétablissez, nous dit-on, le droit d'aubaine qu'abolit l'assemblée constituante. - Est-ce donc à nous qu'il faut faire ce reproche, et le poids tout entier ne doit-il pas en retomber sur ces nations qui, sourdes à l'appel généreux que leur a fait l'assemblée constituante, ont laissé subsister dans leur législation un droit que nous avions retranché dans la nôtre? Le peuple français a eu la gloire de proposer au monde entier cette grande résolution. Douze ou treize ans se sont écoulés sans qu'un si bel exemple ait été imité. Rentrons dans le droit commun des nations, puisqu'on nous y oblige, mais rentrons-y de manière que notre législation contienne d'avance le germe de toutes les améliorations auxquelles elles voudront consentir par leurs traités.

20. Mais combien le reproche est injuste, lorsqu'on voit dans l'art. 13 les facilités données à l'étranger d'acquérir les droits civils des Français! Il ne lui faut, à cet effet, que déclarer qu'il établit son domicile en France, et continuer d'y résider. Est-ce la repousser les étrangers? Est-ce lever entre eux et nous une barrière insurmontable? Est-ce faire revivre enfin un droit fondé (suivant les expressions du plus grand de nos publicistes), sur l'absence, à l'égard des étrangers, de tout sentiment de justice et de pitié? Nous opposera-t-on, après une pareille disposition, que nous détournons les étrangers de nous apporter leur capitaux ? Nous leur donnons au contraire des facilités telles que n'en donne aucune autre nation; nous les invitons se fixer eux-mêmes sur notre territoire avec les fonds qu'ils voudront nous apporter, et qui dès lors se confondront à jamais avec la richesse nationale. Nous n'exigeons d'eux, pour les rendre Français et les faire jouir de tous les droits attachés à cette qualité, qu'une simple déclaration qu'ils veulent le devenir, et une résidence continue qui prouve la vérité de cette déclaration. Et pourquoi ne le dirions-nous pas? le nom français a été porté une assez grande hauteur pour qu'on ne le prodigue pas à ceux qui ne croient pas devoir le solliciter. Sans doute la richesse est une partie de la puissance; sans doute les nombreux capitaux excitent et fécondent l'industrie; mais il nous faut aussi des cœurs francais; et l'honneur d'appartenir à la grande nation vaut bien la peine qu'on daigne le mériter et déclarer qu'on y aspire.

Avant de terminer la discussion des art. 11 et 15, j'observe, sur l'art. 11, qu'on avait manifesté le désir que sa disposition ne portât point atteinte aux priviléges accordés aux étrangers dans certains lieux et dans certaines circonstances pour notre propre intérêt. Ce vœu se trouve rempli par la déclaration faite par l'orateur du gouvernement, que la dispo

cipes proclamés dans la discussion; les objections faites au sys

sition de l'art. 10 n'exclut aucune des concessions dictées par les circonstances et pour l'intérêt du peuple français. J'observe, sur l'art. 13, qu'il n'y a eu aucune objection contre là disposition qui veut que l'étranger ne puisse établir son domicile en France, s'il n'y est admis par le gouvernement. C'est une mesure de police et de sûreté autant qu'une disposition législative. Le gouvernement s'en servira pour repousser le vice et pour accueillir exclusivement les hommes vertueux et utiles, ceux qui offriront des garanties à leur famille adoptive. Enfin, vous avez remarqué, citoyens législateurs, dans ce même article 13, une amélioration du sort de l'étranger qui veut se fixer parmi nous. Suivant un premier sytème, il ne pouvait jouir des droits civils qu'après une année de résidence postérieure à sa déclaration, ce qui le plaçait dans une disposition telle qu'il n'appartenait, pendant cette année, à la loi civile d'aucun pays. La nouvelle disposition de l'art. 15 le fait jouir des droits civils aussitôt après qu'il a été admis à établir son domicile en France. En vérité, plus on se pénètre de cette disposition, plus on la trouve hospitalière, généreuse et conforme enfin à l'intérêt national.

21. L'art. 12 du projet porte que « l'étrangère qui aura épousé un Français, suivra la condition de son mari. » Cela est sans difficulté. Les art. 14 et 15, qui déterminent la compétence des tribunaux français dans les contestations qui s'élèvent entre des Français et des étrangers pour l'exécution des obligations contractées entre eux, soit en France soit en pays étranger, n'ont donné lieu à aucune critique. L'art. 16 conserve une précaution salutaire qu'imposait la jurisprudence à l'étranger demandeur, de donner caution pour le payement des frais et dommagesintérêts résultant du procès par lui intenté. Deux exceptions seulement à cette règle l'une lorsqu'il s'agit d'affaires de commerce dont la prompte expédition importe trop à la fortune publique pour qu'on puisse les environner de difficultés ou de formalités nouvelles; l'autre exception a lieu lorsque l'étranger demandeur possède en France des immeubles suffisants pour assurer le payement des condamnations qui pourraient être prononcées contre lui. Cette dernière exception met à découvert le motif de la disposition principale. On a fait la remarque que ces trois derniers articles auraient pu trouver leur place dans le code judiciaire; mais, d'un autre côté, on a senti l'avantage de présenter aux étrangers, dans un cadre étroit et unique, leurs droits et leurs obligations.

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23. L'art. 17 porte ; « On abdique la qualité de Français ou expressément ou tacitement. C'est une abdication expresse, quand on se fait naturaliser en pays étranger. Celui qui se donne une nouvelle patrie renonce à la première. L'abdication est tacite 1° Lorsqu'en acceptant, sans l'autorisation du gouvernement, des fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger, on contracte avec ce gouvernement des engagements incompatibles avec la subordination et la fidelité qu'on doit à celui de son pays; -2° Quand on s'aflilie à une corporation étrangère qui exige des distinctions de naissance, car on blesse alors la loi fondamentale de son pays, celle de l'égalité ; - 3° Enfin, lorsqu'en formant un établissement en pays étranger sans esprit de retour, on a rompu tous les liens qui attachaient à sa patrie. Le tribunat a applaudi à la disposition qui ne permet point de regarder les établissements de commerce comme ayant été faits sans esprit de retour. C'est une disposition tout à la fois utile et conforme au caractère national; utile, puisqu'elle tend à multiplier les entreprises commerciales, en conservant à ceux qui les forment, quelle que soit leur durée et dans quelques lieux éloignés qu'elics les portent, une qualité dont ils sont si jaloux; conforme au caractère national, car, de tous les peuples de l'univers, le Français est celui qui reste le plus fidelement attaché à sa patrie. Si des vues de fortune l'entrainent loin d'elle, il ne chérit ses succès que par l'espérance de retourner en jouir dans son sein. Toujours ses regards se dirigent vers elle; c'est pour elle que sont ses plus tendres souvenirs. Le Français a surtout besoin d'espérer et le bonheur de passer ses dernières années et la consolation de mourir sur le sol qui l'a vu naître.

24. C'est encore un hommage rendu au caractère national, que d'avoir rouvert l'entrée du territoire français au Français même qui a perdu sa qualité. C'est l'objet de l'art. 18. Mais comme par son inconstance ou par sa première faute il a mis ses concitoyens en défiance de sa fidélité, il ne rentrera en France qu'avec l'autorisation du gouvernement; il déclarera qu'il veut s'y fixer, et abjurera toute distinction contraire à la loi de son pays.

23. L'autorisation du gouvernement, la déclaration de se fixer en en France, sont aussi exigées par l'art. 19, de la part de la femme irançaise qui sera devenue étrangère en épousant un étrangèr.

36 Une amélioration de l'ancienne législation, contenue dans l'art. 20,

tème que le projet avait embrassé sur les points les plus deli

a obtenu un assentiment unanime. Suivant cette législation, comme j'ai eu l'honneur de vous le rappeler, on distinguait les lettres de naturalité qui donnaient à un étranger la qualité de Français, des lettres de déclara tion qui rendaient cette qualité ou à un Français qui l'avait perdue, ou a ses enfants; et ces lettres de déclaration avaient un effet rétroactif, c'eà-dire que celui qui les obtenait était considéré comme n'ayant jamais quitté le territoire, et revenait, comme s'il eût été présent, sur tous les partages faits pendant son absence. C'était un abus que l'art. 20 fait cesser. Il déclare que les individus qui recouvreront la qualité de Français ne pourront s'en prévaloir que pour l'exercice des droits ouverts à leur profit depuis qu'ils l'auront recouvrée.

27. L'art. 21 assimile à l'étranger et soumet à toutes les conditions qui lui sont imposées le Français qui, sans autorisation du gouvernement, prendrait du service militaire chez l'étranger, ou s'affilierait à une corporation militaire étrangère. Le tribunat a applaudi à cette juste sévérite. La politique, l'intérêt de la nation, celui de nos alliés peuvent exiger que des Français aillent servir dans leurs armées. Ceux qui partent avec l'autorisation du gouvernement sont irréprochables; mais ceux-là sont coupables qui n'ont point cette autorisation; ils se placent dans une position qui peut devenir hostile envers leur pays; ils s'exposent à porter les armes contre leur patrie. Il n'y a que des cœurs ingrats et dénaturés qui bravent un pareil danger.

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28. Avant de nous livrer à l'examen de cette partie du projet de loi, nous nous sommes fait une première question; l'effet des condamnations judiciaires, quant à la privation des droits civils, qui est une peine ou une partie de la peine, doit-il être réglé par la loi civile ou par la loi criminelle? Une distinction naturelle et facile entre les objets de ces deux espèces de lois a bientôt fait cesser toute difficulté. La loi criminelle détermine la forme de l'instruction, celle des jugements, les peines, l'effet de ces peines quant à la personne; la loi civile détermine cet effet quant aux droits civils. Puisque c'est elle qui confère es droits, qui en regle l'exercice, c'est à elle aussi de s'occuper de l'effet des causes qui emportent privation de cet exercice. Cette première question résolue, il s'en est élevé une seconde sur l'art. 22, ainsi conçu: « Les condam nations à des peines dont l'effet est de priver celui qui est condamné de toute participation aux droits civils ci-après exprimés, emporteront la mort civile. » On s'est demandé, sur cet article, s'il devait y avoir une mort civile. Mais comme on reconnaissait de toutes parts la nécessité d'ex clure de la participation aux droits civils ceux contre lesquels certaines condamnations seraient prononcées, on s'est bientôt accordé sur le nom qu'on donnerait à cette exclusion; et il a été reconnu que les termes de mort civile consacrés par l'ancienne législation française et par les lois de tous les peuples civilisés, étaient les plus propres à rendre la pensée du législateur et à caractériser le retranchement du sein de la société prononcé contre les coupables. Celui qui est exclu de toute participation aux droits civils est hors de la societé. Les lois civiles et politiques de cette société ne sont donc plus pour lui. Il ne peut ni recueillir les bienfaits ni exercer les actions qui n'émanent que d'elles. Seulement, tant que son existence pesera sur la terre qu'il a souillée et troublée par ses excès, l'humanité pourra réclamer en sa faveur ce qu'elle accorde à tous les êtres vivants, le droit de pourvoir à sa subsistance, celui d'être secouru s'il est menacé ou frappé : c'est l'effet de la pitié générale due à tout ce qui respire dans la nature; mais voilà tout ce qu'il peut prétendre. Tout ce qui vient de la lor ne peut plus éire réclamé par celui qui est mort à ses yeux.

29. L'art. 25 porte: «Que la condamnation à la mort naturelle empertera la mort civile. » Ce serait, en effet, une contradiction bien étrange, si la loi regardait comme vivant celui qui n'existe que parce qu'il a dérobé sa tète coupable à sa juste vengeance. -- C'est une sage amélioration que celle proposee dans l'art. 24. qui veut qu'il n'y ait que des peines afflictives perpétuelles auxquelles la loi puisse attacher l'effet d'emporter la mort civile. Cette mort devant êre, en effet, aussi perpétuelle, aussi irrévocable que celle prononcée par l'arrêt de la nature, ne peut être attachee qu'à des peines qui aient elles-mêmes ce caractère de perpétuité. L'art. 25 décrit les effets de la mort civile (V. le texte de cet article.) Nous n'avons eu que deux difficultés à nous proposer sur les effets attribués par cet article à la mort civile; mais leur importance a excité toute notre attention. L'incapacité de transmettre à titre de succession les biens acquis postérieurement à la mort civile encourue, a donné lieu à la première de ces diflicultés; la dissolution, quant aux effets civils du mariage précédemment contracté, a fait naître la seconde. Je les examine séparément. — A la disposition qui veut que le mort civilement ne puisse transmettre à titre de succession les biens par lui postérieurement acquis et dont il se trouvera en possession au jour de sa mort naturelle, se rattache la disposition de l'art. 55, qui règle le sort de ces biens, en déclarant qu'ils appartiendront à la nation par droit de déshérence, en laissant néanmoins au gouvernement la faculté de faire, au profit de la veuve, des enfants ou parents, telles dispositions que l'humanité lui suggérera. - On a. eu con

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