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tion de M. Jacqueminot, on ajouta à l'art. 14 la disposition qui dit qu'aucune troupe étrangère ne pourra être admise au service de l'État qu'en vertu d'une loi. Les mots des départements furent supprimés dans l'art. 15.-La proposition des lois, dans la nouvelle charte, fut attribuée au roi et aux deux chambres, et les art. 16, 17, 19, 20 durent être, les uns modifiés, les autres supprimés. Toute réunion de la chambre des pairs, hors du temps de la session de la chambre des députés, interdite par l'art. 26, si ce n'est de l'ordre du roi, fut déclaré illicite et nuile, sauf le seul cas où elle siégerait comme cour de justice.-Les princes du sang firent seuls partie de la chambre des pairs, et, comme ceux-ci, siégèrent avec voix délibérative à trente ans, avec voix consultative à vingt-cinq; en conséquence l'art. 31 fut supprimé.

Les séances de la chambre des pairs sont publiques (art. 32). -L'art. 56 est supprimé. Les députés sont élus pour cinq ans; la chambre se renouvelle intégralement (art. 37). Les conditions d'éligibilité sont modifiées : l'àge de trente ans seulement, au lieu de quarante, est exigé; celles de cens ne sont pas fixées par la charte; elles sont laissées à la loi. L'àge des électeurs est abaissé de trente ans à vingt-cinq (art. 40). Les présidents des colléges électoraux, jadis nommés par le roi, sont nommés par les électeurs. De même, le président de la chambre des députés est élu par elle à l'ouverture de chaque session (art. 43). Les art. 46 et 47 sont supprimés; ils ne pouvaient s'accorder avec l'initiative parlementaire. L'art. 56 déterminait les cas de responsabilité ministérielle; il fut supprimé. Toute création de commissions et de tribunaux extraordinaires est prohibée, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce puisse être, et, par suite, les cours prévotales, autorisées par l'art. 63 supprimées; cet article est modifié dans ce sens. Les colonies ne sont soumises qu'au régime des lois et non à celui des règlements (art. 73). Le sacre des rois étant supprimé, c'est devant les chambres réunies qu'ils doivent jurer, à leur avénement, d'observer fidèlement la charte constitutionnelle. L'art. 75 confie la charle ainsi modifiée et les droits qu'elle consacre au patriotisme et au courage des gardes nationales et de tous les citoyens français. Par l'art. 76, la cocarde blanche est remplacée par la cocarde tricolore.

leurs descendants. Ainsi, la chambre des députés accomplissait entièrement son œuvre de rénovation politique: après avoir défait un roi et brisé un trône, elle en refaisait et en élevait un nouveau. Quelques députés, retenus par un scrupule de légalité, voulaient que l'élection du roi fût confiée à des députés investis d'un mandat spécial; d'autres voulaient que l'élection fût soumise, comme elle l'avait été dans les constitutions antérieures, à l'acceptation du peuple; mais la chambre des députés ne s'arrêta pas à ces opinions isolées, et M. Dupin, rapporteur de cette chambre, supposa la nation consultée ou le mandat spécial donné aux députés, en disant : « C'est une nation en pleine possession de ses droits, qui dit, avec autant de dignité que d'indépendance au noble prince auquel il s'agit de déférer la couronne: à ces conditions écrites dans la loi, voulez-vous régner sur nous? >> En conséquence, ces conditions remplies et la charte acceptée et jurée, S. A. R. le duc d'Orléans devait être invité à prendre le titre de roi des Français. La chambre des députés prit les graves résolutions que nous venons d'analyser et les vota le 7 août 1830. Elles furent acceptées à la chambre des pairs par quatrevingt-neuf voix sur cent quatorze votants, sauf en ce qui concernait l'exclusion de leurs collègues nouvellement nommés; elle déclara s'en rapporter sur ce point à la haute sagesse du lieutenant général du royaume.

64. La chambre des députés ne borna pas ses modifications à la charte; elle voulut tout à la fois porter la main sur le passé et assurer l'avenir. Elle annula ainsi toutes les nominations et créations de pairs faites par Charles X. Ces nominations eussent été un grave embarras pour le nouveau gouvernement. On essaya de justifier cette mesure du reproche de rétroactivité, en disant que ces promotions avaient eu lieu pour préparer la ruinedes libertés publiques (V. le discours de M. Dupin). Mais la chambre, qui avait chassé une dynastie, modifié la charte, n'avait pas besoin de justifier une semblable mesure, autrement que par la force des choses. M. Bérard, le promoteur et le principal rédacteur de la charte nouvelle, faisait remarquer avec raison, que, quand la légitimité n'existe plus, quand le trône a été brisé, il est impossible de se renfermer dans les règles ordinaires. L'art. 27 de la charte, qui avait été maintenu, fut déclaré devoir être soumis à un nouvel examen dans la session de 1831. La chambre des députés déclara qu'il était nécessaire de pourvoir, dans le plus bref délai, à l'application du jury aux délits de presse et aux délits politiques,à la responsabilité des ministres et des autres agents du pouvoir, à la réélection des députés promus à des fonctions publiques,-au vote annuel du contingent de l'armée, à l'organisation de la garde nationale, avec intervention des gardes nationaux dans le choix de leurs officiers, — à l'état des officiers de tout grade de terre et de mer,-aux institutions départementales et municipales, fondées sur un système électif, à l'instruction publique et à la liberté d'enseignement,-à l'abolition du double vote et à la fixation des conditions électorales et d'éligibilité,à ce que toutes les lois et ordonnances, en ce qu'elles ont de contraire aux réformes de la charte, soient dès à présent et demeurent annulées et abrogées. La charte étant ainsi modifiée et complétée, la chambre des députés déclara que, moyennant l'acceptation de ces modifications et propositions, l'intérêt universel et pressant du peuple français appelait au trône S. A. R. LouisPhilippe d'Orléans, duc d'Orleans, lieutenant général du royaume, et ses descendants, à perpétuité, de mâle en mâle et par ordre de primogéniture, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de TOME XVIII.

65. Le 9 août, le duc d'Orléans accepta, sans restriction ni réserve, les clauses et engagements que renfermait la déclaration de la chambre des députés et le titre de roi des Français qu'elle lui conférait, et déclara être prêt à en jurer l'observation, ce qu'il fit dans les termes suivants : « En présence de Dieu, je jure d'observer fidèlement la charte constitutionnelle, avec les modifications exprimées dans la déclaration; de ne gouverner que par les lois et selon les lois; de faire rendre bonne et exacte justice à chacun, selon son droit, et d'agir en toutes choses dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. Les 14-24 aout, la charte nouvelle fut publié par le nouveau roi et contre-signée par le ministre de l'intérieur Guizot et le ministre de la justice Dupont (de l'Eure).

66. La charte de 1830 n'avait pas changé le gouvernement: toutes les parties qui règlent les limites et les attributions des pouvoirs avaient été importées de la charte de 1814 dans la charte nouvelle; elle opérait plutôt un changement de dynastie qu'un changement de gouvernement « La proposition, disait M. Dupin, a pour objet d'asseoir et de fonder un établissement nouveau : nouveau quant à la personne, et surtout quant au mode de vocation. » Le pouvoir royal, à raison même du nouveau mode de vocation, fut toutefois restreint, et le pouvoir parlementaire fut étendu. La charte de 1830 est complétée par plusieurs lois. L'une des plus importantes fut celle qui modifia l'art. 25 de cette charte. On se demanda à cette occasion si le pouvoir législatif pouvait ainsi modifier la constitution; mais la question fut tranchée par cette considération qu'en votant la charte de 1830, on s'était réservé la faculté de modifier cet art. 23 dans la session de 1831. Par la loi du 29 déc. 1831, le choix du roi dans la nomination des pairs fut renfermé dans certaines limites. Nous n'énumérerons pas ici toutes les notabilités entre lesquelles le roi pouvait choisir ; de hautes dignités, des fonctions publiques importantes exercées pendant un certain temps, des services éminents rendus à l'État, une grande fortune, un grand commerce ou une grande industrie, furent les titres reconnus pour constituer la pairie nouvelle, qui continua d'être à la nomination du roi et illimitée quant au nombre des pairs. Mais la dignité de pair fut viagère, l'hérédité de la pairie, établie exclusivement par l'ordonnance du 19 août 1815, fut abolie; par là, la constitution nouvelle rompait entièrement avec l'ancien système monarchique; une aristocratie nouvelle remplaçait l'ancienne aristocratie. Ce fut là peut-être la modification la plus grave faite à l'ancien régime constitutionnel. Il est bien vrai que le roi pouvait nommer, en vertu de l'art. 27 de la charte de 1814, des pairs à vie; mais c'était un moyen pour lui de distinguer la noblesse nouvelle de la noblesse ancienne, de créer deux sortes d'aristocraties, l'une viagère, l'autre, la véritable aristocratie, héréditaire; la première fut laissée de côté, et l'on s'en tint à l'autre. L'ordonnance du 19 août 1815 n'établit donc pas l'hérédité de la pairie; le roi renonça seulement par elle à créer des pairs à vie. Parmi les lois qui se réfèrent au 35

régime constitutionnel de cette époque, nous devons mentionner Ja loi électorale du 19 avril 1831, qui fixe le cens pour l'électorat à 200 fr. et pour l'éligibilité à 500 fr. (art. 1, 59), règle le nombre des députés (459, art. 38), établit le suffrage direct par arrondissement, et supprime le double vote. Le cens est abaissé à 100 fr. dans certains cas (art. 5).—Le 30 août 1842, après la mort prématurée du duc d'Orléans, une loi de régence fut votée. Aucune disposition de la charte de 1814 ni de celle de 1830 ne se rapportait à la régence, et il eût fallu recourir à des constitutions abrogées (à la constitution de 1791 et au décret du 12 sept. 1791 ou à la constitution impériale de l'an 12); mais on dut emprunter quelques principes à ces constitutions. La majorité du roi est fixée par l'art. 1 de cette loi à dix-huit ans, et la régence est attribuée par l'art. 2 au prince âgé de vingt et un ans accomplis le plus proche du trône. La constitution de 1791 et le décret du 12 décembre exigeaient vingt-cinq ans accomplis pour le régent. Le régent doit prêter serment, devant les chambres, 'd'être fidèle au roi des Français, à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume, et d'agir en toutes choses dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français (L. du 30 août 1842, art. 5). Il est investi du plein et entier exercice de l'autorité royale au nom du roi mineur (art. 2). Comme celle du roi, sa personne est inviolable et sacrée (art. 3). La garde et la tutelle du roi mineur appartiennent à sa mère non remariée, cet, bà son défaut, à son aïeule paternelle (art. 6).

La charte de 1830 était incontestablement plus libérale que celle de 1814; elle réalisa un véritable progrès réclamé depuis longemps, dans les diverses parties de celle-ci, par les partisans sincères du régime représentatif. Mais il manqua à l'œuvre de la chambre des députés la sanction du peuple: il lui fallait celle du temps à -défaut de l'autre, et celle du temps devait lui manquer aussi. Après dix-huit ans, charte et dynastie, nées d'une révolution, furent emportées par une révolution, et la France se vit encore, par la faute de ses gouvernants, dans un état de crise anarchique où elle eût pu périr. Nous disons par la faute de ses gouvernants, qui, soit inintelligence des besoins et des vœux de la nation ou du régime représentatif, soit oubli des forces de l'opposition parisienne, lorsqu'elle a triomphé dans les colléges électoraux et dans la garde nationale, soit enfin manque de fermeté dans les moments de crise, ont perdu celui de tous nos gouvernements qui a donné à la France le plus de liberté et de bien-être. Nos hommes d'État n'ont jamais su céder ni résister à propos; et c'est par là seulement que les gouvernements se conservent chez les peuples, l'histoire des constitutions anciennes et modernes est là pour l'attester. Ils ont, au contraire, toujours résisté et cédé à contre-temps: et l'on a pu leur appliquer à tous ce mot désormais historique, que l'on pourrait inscrire à la suite de toutes nos constitutions comme une des principales causes de leur ruine: Il est trop tard. On sait que la réforme électorale fut la principale cause de la révolution de février; l'adjonction 'des capacités aux censitaires et l'incompatibilité des fonctions publiques avec celles des députés étaient vivement réclamées : nous croyons qu'on aurait pu les accorder l'une et l'autre sans de trop grands inconvénients. M. Guizot, sembla même le penser ainsi lorsqu'il promit de s'entendre à cet égard avec les membres de la majorité. Mais on n'eut pas foi dans la parole du ministre. La résistance du gouvernement aux banquets en plein air donna naissance à des agitations politiques, et, de ces agitations dont le foyer était à Paris où l'on sait que les oppositions sont insurrectionnelles dès que le pouvoir tarde trop à leur arriver, naquit la révolution.

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67. Constitution de 1848. Les faits qui ont précédé et suivi la révolution de Février 1848 sont trop rapprochés de nous pour que nous ayons besoin de les rappeler; nous devons nous borner à en indiquer les résultats constitutionnels. C'est d'abord la nomination d'un gouvernement provisoire dans l'enceinte de la chambre, sinon par la chambre elle-même, le 24 fév. 1848. Nomination d'un ministère par arrêté de ce gouvernement du 'même jour; la dissolution de la chambre des députés; la défense faite à celle des pairs de se réunir. Les fonctionnaires publics sont déliés de leur serment. Le gouvernement provisoire, deux jours après son installation, le 26 fév. 1848, déclare enfin que le gouvernement actuel de la France est républicain et que la nation

sera appelée immédiatement à ratifier par son vote la résolution du gouvernement provisoire. En même temps qu'il procédait à ces réformes politiques, le gouvernement provisoire s'occupait de réformes sociales, et dès le 25 il s'engageait à garantir l'existence de l'ouvrier par le travail et à garantir du travail à tous les citoyens. Il reconnaissait enfin que les ouvriers devaient s'associer pour jouir du bénéfice de leur travail et il leur acordait le million échu de la liste civile. Puis une commission dite des travailleurs fut créée sous la présidence de deux membres du gouvernement provisoire (28 fév. 1848). Le 29 un nouveau système d'impôl était promis, tous les titres de noblesse étaient abolis, toutes les qualifications qui s'y rattachaient interdites. Le 1er mars le serment des fonctionnaires publics était supprimé ; la liberté de la presse déjà proclamée reçoit un nouveau gage par la suppression du timbre: les crimes en matière de presse sont déférés au jury (6 mars 1848). Le 5 mars 1848, le gouvernement provisoire convoque les assemblées électorales, le 9 avril, pour élire les représentants du peuple à l'assemblée nationale qui doit décréter la constitution. Le nombre des représentants à nommer est de neuf cents; il est fixé pour chaque département en prenant pour base la population; le suffrage est direct et universel. Sont électeurs tous les Français âgés de vingt et un ans résidant dans la commune depuis six mois, pourvu qu'ils ne soient pas judiciairement suspendus de l'exercice des droits civiques. Sont éligibles tous les Français âgés de vingt-cinq ans et non privés ni suspendus de l'exercice des droits civiques. Le vote à lieu par scrutin secret au chef-lieu de canton et par scrutin de liste. Le minimum des suffrages nécessaires pour être élu re.. présentant est fixé à deux mille. L'indemnité des représentants est rétablie et réglée à 23 fr. par jour (5 mars 1848). Ce décret du gouvernement provisoire, en ce qu'il établit le suffrage universel est très-libéral et ressemble beaucoup à celui de l'assemblée législative convoquant la convention nationale, avec cette différence toutefois que, dans celui-ci, on exigeait un an de domicile et que l'élection devait avoir lieu à deux degrés de vote. Le scrutin de liste avec le suffrage direct est-il préférable au vote à deux degrés ? Nous ne le pensons pas ; le scrutin de liste donne lieu souvent à des nominations hasardées ou imposées. Les électeurs d'un département ne connaissent pas tous les éligibles, et les comités imposent en quelque sorte leurs choix, de telle sorte que ce mode d'élection, qui paraît le plus libre, l'est en réalité moins que tous les autres. On avait abusé sans doute du double vote sous l'empire et sous la restauration; mais il ne faut pas oublier que ce fut le seul mode usité sous l'ancienne république, la constitution de 1793 qui seule établissait le suffrage direct n'ayant pas été appliquée. Nous ne nous occuperons pas de l'instruction du 8 mars 1848 pour l'exécution du décret du 5 mars 1848, nous mentionnerons seulement le décret qui retarde les élections jusqu'au 23 avril 1848, à la suite de la fameuse journée du 16 avril, et convoque l'assemblée nationale constituante qui devra se réunir, dit-il, le 4 mai. Quoique le gouvernement provisoire eût annoncé qu'il soumettrait à l'acceptation du peuple l'établissement du gouvernement républicain, il considéra cet établissement comme définitif; et par le trèslouable sentiment sans doute de vouloir faire jouir le peuple français, bon gré, mal gré, de ce qu'il considérait comme le meilleur gouvernement, il ne négligea rien pour que son établissement ne fût plus contestée; aussi l'assemble nationale le ratifia-t-elle comme un fait accompli, et ne fut-il plus question de le soumettre, suivant la théorie de Rousseau, et les anciennes traditions démocratiques et constitutionnelles, à l'acceptation du peuple.

68. La constitution de 1848 ne ressemble à aucune des constitutions antérieures, quoiqu'elle ait emprunté quelque chose à chacune d'elles. Elle n'a pas de déclaration de droits proprement dite, mais un préambule où se trouvent résumés les principes des anciennes déclarations de 1791, 1795 et de l'an 5 qui servent de base à la constitution nouvelle. L'art. 1 proclame la souveraineté du peuple, dans des termes peu différents de ceux des autres constitutions; elle est inaliénable et imprescriptible, aucun individu, aucune fraction du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice. Suit la garantie des droit individuels et politiques: liberté individuelle, inviolabilité du domicile, abolition de la peine de mort en matière politique et de l'esclavage (art. 5, 6);

liberté et égalité des cultes, sauf en ce qui concerne le traitement accordé à ceux qui sont ou seraient reconnus par l'État; liberté d'association, de réunion et de pétition; liberté de la presse; liberté d'enseignement sous la surveillance de l'État; égalité des citoyens, leur égale admissibilité à tous les titres et fonctions publiques; abolition de tout titre nobiliaire, de toute distinction de naissance, de classe et de caste; inviolabilité de la propriété; liberté du travail et de l'industrie; enseignement primaire gratuit, éducation professionnelle, institutions de prévoyance et de crédit, institutions agricoles, établissements de travaux publics, assistance, dette publique, favorisés, encouragés ou fournis, impôt réparti proportionnellement..... De ces principes, les uns sont reproduits de nos ancienne constitutions, les autres des chartes de 1814 et de 1830, un très-petit nombre sont entièrement nouveaux; tels sont les art. 5, 6, 8, 9, 13.

Quant à l'organisation des pouvoirs publics, la constitution proclame d'abord qu'ils émanent tous du peuple, qu'il ne peuvent être délégués héréditairement, et doivent être séparés. Une assemblée unique, comme dans les constitutions de 1791 et de 1793, est investie du pouvoir législatif. Nous ne rappellerons pas au sujet de cette création, ce que nous avons dit à propos des constitutions précédentes, des inconvénients et des dangers d'une chambre unique; la question fut longuement discutée à l'assemblée constituante (V. D. P. 1848, 4. 225 et 226). M. Dupin se prononça pour une chambre unique, par cette considération qu'il fallait plutôt pourvoir au présent que songer à l'avenir, et qu'il serait imprudent de diviser les forces et les talents entre deux assemblées. Ainsi, les fondateurs de la République ou les républicains de la veille se trouvèrent d'accord sur ce point avec quelques républicains du lendemain. Le nombre des représentants du peuple fut fixé, en prenant pour base la population, à sept cent-cinquante pour les assemblées ordinaires, à neuf cents pour celles de révision. Le suffrage est direct et universel, tous les Français âgés de vingt et un ans, sans condition de cens, sont électeurs, tous les électeurs âgés de vingt-cinq sont éligibles sans condition de domicile. Le système suivi pour la réunion de l'assemblée constituante est ainsi définitivement adopté ; la constitution est, sous ce rapport, aussi démocratique que les constitutions les plus démocratiques des peuples anciens ou modernes. L'assemblée nationale est élue pour trois ans et se reDouvelle intégralement; c'est là encore un grand inconvénient (V. n° 52). On songeait trop au présent, comme le voulait M. Dupin, en faisant la constitution, et pas assez à l'avenir. Toutefois, pour prévenir tout entraînement de l'assemblée, les projets de loi, sauf le cas d'urgence, sont soumis à trois délibérations, mais l'exception peut devenir la règle. Point de mandat impératif, indemrité, inviolabilité des représentants, telles sont encore quelquesunes des dispositions empruntées à nos anciennes constitutions. Le pouvoir exécutif est confié à un président responsable; le président doit être né Français, âgé de trente ans au moins et n'avoir jamais perdu la qualité de Français; il est directement elu par le peuple, au scrutin secret et à la majorité absolue des Voix, pour quatre ans, et n'est rééligible qu'après un intervalle de quatre années. Il est logé aux frais de la République et reçoit un traitement de 600,000 fr., outre les frais de représentation, dont le chiffre devait, d'après le rapport de M. Marrast, dépasser celui du traitement lui même, et s'est récemment élevé à la somme de 2,400,000 fr. (V. D. P. 48. 4. 198 et 235).

Le président n'a aucune partie du pouvoir législatif, qui appartient tout entier à l'assemblée. Il promulgue les lois dans un délai déterminé, et peut seulement demander à l'assemblée une seconde délibération; il n'a pas la sanction de la loi, mais il peut faire présenter à l'assemblée des projets de loi, et doit, par un message annuel, présenter à l'assemblée nationale l'exposé de l'état général des affaires de la République; tous les actes du président, autres que ceux par lesquels il nomme ou révoque les ministres, doivent être contre-signés par des ministres responsables dont le nombre et les attributions sont fixés par une loi. Le pouvoir du président, moins étendu que celui du roi dans nos chartes, l'est, sous d'autres, plus que celui accordé à Louis XVI par la constitution de 1791; le président a, en effet, le droit de faire grâce. L'institution du président de la République est empruntée à la constitution des États-Unis de l'Amérique.

Comme dans cette dernière, un vice-président est egalement nommé, mais il n'est pas élu par le peuple et ne remplace pas le président dans le cas de démission ou de décès, comme aux États-Unis. On n'a pas assez tenu comple, ce nous semble, dans l'institution de la présidence, des différences essentielles des deux républiques et des deux constitutions de France et des ÉtatsUnis. La centralisation, ou, si l'on préfère, l'unité et l'indivisibilité de l'une rend nécessaire un pouvoir fort et stable : l'expérience l'a assez prouvé; force et stabilité dont l'autre, composée de provinces et de gouvernements distincts, n'a pas besoin; ajoutons à cela des mœurs et des traditions différentes, et l'on comprendra les embarras que rencontre chez nous la présidence qui fonctionne si bien au contraire aux États-Unis (V. infrà, § 3). Or si on ne donne pas à un pouvoir la force qui lui est nécessaire, il est réduit, comme disait Benjamin Constant, à prendre ce qu'on ne lui donne pas; il envahit et finit par usurper.

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Un conseil d'État emprunté aux constitutions de l'an 8, de l'an 10 et de l'an 12, mais nommé par l'assemblée pour six ans, et renouvelé par moitié tous les trois ans, prépare les règlements d'administration publique, examine les projets de lois, et exerce à l'égard des administrations publiques des pouvoirs de contrôle et de surveillance. Cette attribution pour la confection des lois conférée à un corps spécial pourrait être éminemment utile, si l'on sait l'employer à cette fin (V. Lois. V. aussi les observations de M. A. Dalloz, placées en tête du suppl., à son Dict. gén., p. 3). La constitution de 1848 emprunte encore aux anciennes constitutions une haute cour nationale et quelques articles relatifs à la révision de la constitution. Il faut toutefois reconnaître qu'elle a mis moins d'entraves à cette révision que les constitutions de 1791 et de l'an 3; mais il ne faut pas oublier non plus que pas une constitution n'a été, en France, régulièrement revisée; les événements n'ont jamais attendu le terme qu'elles avaient fixé, ne nous ont pas même laissé le temps nécessaire à une expérience des divers régimes par lesquels nous avons passé. Aujourd'hui même, après un an et demi à peine écoulé depuis la promulgation de la constitution nouvelle, plusieurs lois l'ont modifiée, sinon dans son texte littéral au moins dans l'esprit de quelques-unes de ses dispositions. On demande une révision, et l'on cherche les moyens de l'opérer sans être astreint aux délais et aux formes qu'elle a prescrits. Quand pourrons-nous, comme les autres peuples, nous reposer de nos agitations révolutionnaires et constitutionnelles, et marcher enfin dans la voie calme et régulière du progrès que nos impatiences et nos folles expérimentations retardent sans cesse ? « Il est dur, dirons-nous en finissant, avec Chateaubriand, de voir toujours remettre en question le sort de notre malheureuse patrie » (V. Monarchie selon la charte, postscriptum). → MM. Thiers, Dupin, Dufaure et Vivien, ont le plus contribué à purger la constitution de 1848, de la plupart des dispositions inconciliables avec l'établissement de la propriété, ou destructives soit de cet établissement, soit même de notre société, que l'esprit d'aventure et de désorganisation avait cherché à y introduire. V. le texte de cette constitution et de tous les éléments qui l'ont préparée dans notre Rec. pér., 48. 3. 195 et suiv.

Nous joignons à cet historique de notre droit constitutionnel, un tableau chronologique des constitutions et des lois, décrets et autres actes qui s'y rapportent.

TABLEAU DES CONSTITUTIONS ET DES LOIS ET ACTES CONSTITUTIONNELS. 5 juill. 1788. Arrêt du conseil d'Etat du roi concernant la comvocation des états généraux du royaume.

Le roi ayant fait connaître, au mois de novembre dernier, son intention de convoquer les états généraux du royaume, sa majesté a ordonné aussitôt toutes les recherches qui peuvent en rendre la convocation régulière et utile à ses peuples. Il résulte du compte que sa majesté s'est fait rendre des recherches faites jusqu'à ce jour, que les anciens procès-ver- . baux des états présentent assez de détails sur ieur police, leurs séances et leurs fonctions, mais qu'il n'en est pas de même sur les formes qui doivent précéder et accompagner leur convocation; que les lettres de convocation ont été adressées, tantôt aux baillis et sénéchaux, tantôt aux gouconvoqués par bailliages, mais qu'il paraît aussi que cette méthode n'a pas verneurs des provinces; que les derniers états, tenus en 1614, ont été été commune à toutes les provinces; que depuis, il est arrivé de grands changements dans le nombre et l'arrondissement des bailliages; que plusieurs provinces ont été réunies à la France, et qu'ainsi on ne peut rien

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9. Aussitôt que lesdits mémoires, renseignements et éclaircissements seront parvenus à M. le garde des sceaux, sa majesté s'en fera rendre compte, et se mettra à portée de déterminer, d'une manière précise, ce qui doit être observé pourla prochaine convocation des états généraux, et pour rendre leur assemblée aussi nationale et aussi régulière qu'elle doit l'étre, 3 août 1788. Arrêt du conseil d'État du roi qui fixe au 1er mat

prochain la tenue des états généraux, et suspend jusqu'à cette époque le rétablissement de la cour plénière.

23 sept. 1788. - Déclaration du roi qui ordonne que l'assemblée des états généraux aura lieu dans le courant de janvier 1789.

d'une assemblée de notables au 3 novembre prochain.
5 oct. 1788. Arrêt du conseil d'Etat du roi pour la convocation

déterminer par l'usage à leur égard; qu'enfin, rien ne constate, d'une facon positive, la forme des élections, non plus que le nombre et la qualité des électeurs et des élus. à M. le garde des sceaux tous les renseignements et mémoires sur les objets Sa majesté a cependant considéré que, si ces contenus au présent arrêt. préliminaires n'étaient pas fixés avant la convocation des états généraux, on ne pourrait recueillir l'effet salutaire qu'on en doit attendre; que le choix des députés pourrait être sujet à des contestations; que leur nombre pourrait n'être pas proportionné aux richesses et à la population de chaque province; que les droits de certaines provinces et certaines villes pourraient être compromis; que l'influence des différents ordres pourrait n'être pas suffisamment balancée; qu'enfin, le nombre des députés pourrait être trop ou trop peu nombreux; ce qui pourrait mettre du trouble et de la confusion, ou empêcher la nation d'être suffisamment représentée. - Sa majesté cherchera toujours à se rapprocher des formes anciennement usitées; mais lorsqu'elles ne pourront êté constatées, elle ne veut suppléer au silence des anciens monuments, qu'en demandant, avant toute détermination, le vœu de ses sujets, afin que leur confiance soit plus entière dans une assemblée vraiment nationale par sa composition comme par ses effets. En conséquence, le roi a résolu d'ordonner que toutes les recherches possibles soient faites dans tous les dépôts de chaque province et sur tous les objets qui viennent d'être énoncés; que le produit de ces recherches soit remis aux états provinciaux et assemblées provinciales et de district de chaque province, qui feront connaître à sa majesté leurs vœux, par des mémoires ou observations qu'ils pourront lui adresser.--Sa majesté recueille avec satisfaction un des plus grands avantages qu'elle s'est promis des assemblées provinciales: quoiqu'elles ne puissent pas, comme les états provinciaux, députer aux états généraux, elles offrent cependant à sa majesté un moyen facile de communiquer avec ses peuples, et de connaître leur vœu sur ce qui les intéresse. ainsi procurer à la nation la tenue d'états la plus régulière et la plus conLe roi espère venable; prévenir les contestations qui pourraient en prolonger inutilement la durée, établir, dans la composition de chacun des trois ordres, la proportion et l'harmonie qu'il est si nécessaire d'y entretenir; assurer à cette assemblée la confiance des peuples, d'après le vœu desquels elle aura été formée; enfin, la rendre ce qu'elle doit être, l'assemblée d'une grande famille, ayant pour chef le père commun. A quoi voulant pourvoir; oui le rapport, le roi étant en son conseil, a ordonné, etc.

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Art. 1. Tous les officiers municipaux des villes et communautés du royaume, dans lesquelles il peut s'être fait quelques élections aux états généraux, seront tenus de rechercher incessamment dans les greffes desdites villes et communautés, tous les procès-verbaux et pièces concernant la convocation des états et les élections faites en conséquence, et d'envoyer sans délai lesdits procès-verbaux et pièces, savoir: aux syndics des états provinciaux et assemblées provinciales, dans les provinces où il n'y a pas d'assemblée subordonnée auxdits états provinciaux ou aux assemblées provinciales; et dans celles où il y a des assemblées surbordonnées, aux syndics desdites assemblées subordonnées ou à leurs commissions intermédiaires.

2. Seront tenus, les officiers des juridictions, de faire la même recherche dans les greffes de leur juridiction et d'en envoyer le résultat à M. le garde des sceaux que sa majesté a chargé de communiquer ledit résultat auxdits syndics et commissions intermédiaires.

3. Sa majesté invite, dans chacune des provinces de son royaume, tous ceux qui auront connaissance desdits procès-verbaux, pièces ou renseignements relatifs à ladite convocation, à les envoyer pareillement auxdits syndics.

4. L'intention de sa majesté est que, de leur côté, lesdits syndics et commissions intermédiaires fassent, à ce sujet, les recherches nécessaires; et seront, lesdites recherches, mises sous les yeux desdits états et assemblées, pour être, par elles, formé un vou commun, et être adressé un mémoire sur les objets contenus auxdites recherches, lequel sera envoyé par lesdits syndics, à M. le garde des sceaux.

5. Dans les provinces où il y a des assemblées subordonnées, le vœu desdites assemblées sera remis, avec toutes les pièces qui y seront jointes, à l'assemblée supérieure, qui remettra pareillement son veu, et l'enverra, comme il est dit, à M. le garde des sceaux, avec le vou, les mémoires et les pièces qui lui auront été remis par les assemblées subordonnées.

6. Au cas ou toutes lesdites recherches ne seraient pas parvenues auxits syndics avant la tenue prochaine des états et assemblées, sa majesté, oulant que les résultats qu'elle demande lui parviennent au plus tard dans es deux premiers mois de l'année prochaine, entend, qu'à raison du défaut esdites pièces et renseignements, lesdites assemblées, tant subordonnées ue supérieures, ne puissent se dispenser de former un voru et de dresser n mémoire sur les objets relatifs au présent arrêt, sauf aux syndies et ommissions intermédiaires à envoyer, après la séparation desdites assem*blées, les pièces nouvelles et intéressantes qui pourraient leur parvenir.

7. Si dans quelques-unes desdites assemblées il y avait diversité d'avis, l'intention de sa majesté est que les avis différents soient énoncés avec les raisons sur lesquelles chacun pourrait être appuyé; autorise même, sa majesté, tout député desdites assemblées à joindre au mémoire général de l'assemblée tous mémoires particuliers en faveur de l'avis qu'il aura adopté.

8. Sa majesté invite, en même temps, tous les savants et personnes instruites de son royaume et particulièrement ceux qui composent l'Académie des inscriptions et belles-lettres de sa bonne ville de Paris, à adresser

Le roi, occupé de la composition des états généraux, que sa majesté se propose d'assembler dans le cours du mois de janvier prochain, s'est fait rendre compte des diverses formes qui ont été adoptées à plusieurs époques de la monarchie, et sa majesté a vu que ces formes avaient souvent differé les unes des autres d'une manière essentielle.-Le roi aurait désiré que celles suivies pour la dernière tenue des états généraux eussent pu servir de modèle en tous les points; mais sa majesté a reconnu que plusieurs se concilieraient difficilement avec l'état présent des choses, et que d'autres avaient excité des réclamations dignes, au moins, d'un examen attentif; que les élections du tiers état avaient été concentrées dans les villes principales du royaume, connues alors sous le nom do bonnes villes, en sorte que les autres villes de France, en très-grand nombre, et dont plusieurs sont devenues considérables depuis l'époque des derniers états généraux, n'curent aucun représentant; que les habitants des campagnes, excepté dans un petit nombre de districts, ne paraissent pas avoir été appelés à concourir par leurs suffrages à l'élection des députés aux états généraux; que les municipalités des villes furent principalement chargées des élections du tiers état; mais, dans la plus grande partie du royaume, les membres de ces municipalités, choisis autrefois par la commune, doivent aujourd'hui l'exercice de leurs fonctions à la propriété d'un office acquis à prix d'argent; que l'ordre du tiers fut presque entièrement composé de personnes qualifiées nobles dans les procès-verbaux de la dernière tenue, en 1614; que les élections étaient faites par bailliages, et chaque bailliage avait à peu près le même nombre de députés, quoiqu'ils différassent considérablement les uns des autres en étendue, en richesse et en population; que les états généraux se diviserent, à la vérité, en douze gouvernements, dont chacun n'avait qu'une voix; mais cette forme n'établissait point une égalité proportionnelle, puisque les voix, dans chacune de ces sections, étaient recueillies par bailliage, et qu'ainsi le plus petit et le plus grand avaient une même influence; qu'il n'y avait même aucune parité entre les gouvernements, plusieurs étant de moitié au-dessous des autres, soit en étendue, soit en population; que les inégalités entre les bailliages et sénéchaussées sont devenues beaucoup plus grandes qu'elles ne l'étaient en 1614, parce que, dans les changements faits depuis cette époque, on a perdu de vue les dispositions appropriées aux états généraux, et l'on s'est principalement occupé des convenances relatives à l'administration de la justice; que le nombre des bailliages ou sénéchaussées, dans la scule partie du royaume soumise, en 1614, à la domination française, est aujourd'hui considérablement augmenté; que les provinces reunies au royaume depuis cell: époque, en y comprenant les trois évêchés, qui n'eurent point de députés aux états généraux, représentent aujourd'hui près de la septième partie da royaume; qu'ainsi, la manière dont ces provinces doivent concourir aux applicable, que dans la seule province de Lorraine, il y a trente-cinq élections pour les états généraux ne peut être réglée par aucun exemple; et la forme usitée pour les autres provinces peut d'autant moins y étro posées; que les élections du clergé eurent lieu d'une manière très-diffébailliages division qui n'a aucune parité avec le petit nombre de bailliages ou sénéchaussées, dont plusieurs généralités du royaume sont comrente, selon les districts et selon les diverses prétentions auxquelles ces élections donnèrent naissance; que le nombre respectif des députés des differents ordres ne fut pas déterminé d'une manière uniforme dans chaque bailliage, en sorte que la proportion entre les membres du clergé, do la noblesse et du tiers état ne fut pas la même pour tous ; qu'enfin, uno multitude de contestations relatives aux élections consumèrent une grande jesté, frappée de ces diverses considérations et de plusieurs autres partie de la tenue des derniers états généraux, et qu'on se plaignit fréquemment de la disproportion pour la répartition des suffrages. — Sa maattention, a cru ne devoir pas resserrer dans son conseil l'examen d'une moins importantes, mais qui, réunies ensemble, méritent une sérieuse des plus grandes dispositions dont le gouvernement ait jamais été appelé à s'occuper.

:

Le roi veut que les états généraux soient composés d'une manièrs constitutionnelle; que les anciens usages soient respectés dans tous les règlements applicables au temps présent, et dans toutes les dispositions conformes à la raison et aux voux légitimes de la plus grande partie de la nation. Le roi attend avec confiance des états generaux de son royaume, la régénération du bonheur public et l'affermissement de la puissance de l'empire français. L'on doit donc être persuadé que son unique désir

est de préparer, à l'avance, les voies qui peuvent conduire à cette barmoDie, sans laquelle toutes les lumières et toutes les bonnes intentions deviennent inutiles. Sa majesté a donc pensé qu'après cent soixante-quinze ans d'interruption des états généraux, et après de grands changements survenus dans plusieurs parties essentielles de l'ordre public, elle ne pouvait prendre trop de précautions, non-seulement pour éclairer sûrement ses déterminations, mais encore pour donner au plan qu'elle adoptera la sanction la plus imposante. Animée d'un pareil esprit, et cédant uniquement à cet amour du bien qui dirige tous les sentiments de son cœur, sa majesté a considéré comme le parti le plus sage d'appeler auprès d'elle, pour être aidée de leurs conseils, les mêmes notables, assemblés par ses ordres, au mois de janvier 1787, et dont le zèle et les travaux ont mérité son approbation et obtenu la confiance publique. Ces notables ayant été convoqués, la première fois, pour des affaires absolument étrangères à la grande question sur laquelle le roi veut aujourd'hui les consulter, le choix de sa majesté manifeste encore davantage cet esprit d'impartialité qui s'allie si bien à la pureté de ses vues. Le nombre des personnes qui composeront cette assemblée ne retardera pas leurs délibérations, puisque ce nombre même affermira leur opinion par la confiance qui naît du rapprochement des lumières; et sans doute qu'elles donneront leur avis avec la noble franchise que l'on doit naturellement attendre d'une réunion d'hommes distingués, et comptables uniquement de leur zèle pour le bien public. Sa majesté aperçoit, plus que jamais, le prix inestimable du concours général des sentiments et des opinions; elle veut y mettre sa force; elle veut y chercher son bonheur; et elle secondera de sa puissance les efforts de tous ceux qui, dirigés par un véritable esprit de patriotisme, seront dignes d'être associés à ses intentions bienfaisantes.

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A quoi voulant pourvoir; ouï le rapport, le roi étant en son conseil, a ordonné et ordonne que toutes les personnes qui ont formé, en 1787, l'assemblée des notables, seront de nouveau convoquées pour se trouver réunies en sa ville de Versailles, le 3 du mois de novembre prochain, suivant les lettres particulières qui seront adressées à chacune d'elles, pour y délibérer uniquement sur la manière la plus régulière et la plus convenable de procéder à la formation des états généraux de 1789; à l'effet de quoi, sa majesté leur fera communiquer les différents renseignements qu'il aura été possible de se procurer sur la constitution des précédents états généraux, et sur les formes qui ont été suivies pour la convocation et l'élection des membres de ces assemblées nationales, de manière qu'elles puissent présenter un avis dans le cours dudit mois de novembre; et sa majesté se réserve de remplacer, par des personnes de même qualité et condition, ceux d'entre les notables de l'assemblée de 1787 qui sont décédés, ou qui se trouveraient valablement empêchés.

1er nov. 1788. -— Arrêt du conseil d'Etat du roi portant convocation d'une assemblee des anciens États de Franche-Comté.

27 déc. 1788. Rapport fait au roi, dans son conseil, par le ministre de ses finances (a).

Sire, les notables, convoqués par vos ordres, se sont livrés avec application à l'examen des diverses questions sur lesquelles ils avaient été consultés par votre majesté, et à mesure qu'ils ont avancé dans leurs recherches, ils ont découvert plusieurs difficultés qu'il était important de résoudre. Leur travail a donc répandu un grand jour sur divers détails essentiels; et, en fixant ainsi beaucoup d'incertitudes, en dissipant plusieurs obscurités embarrassantes, ils ont éclairé la marche de l'administration. Votre majesté, qui a pris connaissance du procès-verbal des différents bureaux, a pu juger par elle-même de la vérité de ces observations. Elle a vu, en même temps, que trois questions importantes avaient donné lieu à un partage d'opinions; et, puisque l'une, surtout, fixe aujourd'hui l'attention et l'intérêt de tout le royaume, il est indispensable de les soumettre particulièrement à la décision de votre majesté.

Les trois questions dont je viens de parler sont celles-ci: 4° Faut-il que le nombre des deputés aux états généraux soit le même pour tous les bailliages indistinctement, ou ce nonibre doit-il être different, selon l'étendue de leur population? 2o Faut-il que le nombre des députés du tiers elat soit égal à celui des deux autres ordres réunis, ou ce nombre ne doit-il composer que la troisième partie de l'ensemble? 3o Chaque ordre doit-il être restreint à ne choisir des députés que dans son ordre?

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Sur la première question, la majorité des notables a été d'avis que le nombre des députés devait être le même pour chaque bailliage; mais plusieurs bureaux paraissent avoir adopté cette opinion, parce qu'on n'avait pas pu mettre sous leurs yeux des connaissances suffisantes sur la population comparative de chaque bailliage. Un trava: très-étendu, que la orièveté du temps n'avait pas permis de finir, avait été presente aux notables dans un état d'imperfection; il est complet actuellement, et je suis persuadé que, sous celle nouvelle forme, il aurait changé le cours des reflexions de la plupart des notables. Un respect rigoureux pour les formes zuivies en 1614, a fixé l'opinion de ceux qui ont pensé que les grands bailliages devaient avoir le même nombre de députés, sans égard à la diversité de leur étendue et de leur population. Cependant il est imposible de douter qu'en 1614 on n'eût fait de plus fortes réclamations contre la grande inégalité de la représentation entre les provinces, si la force de Thabitude, l'ignorance où l'on était de la population respective du royaume, (a) Ce rapport ne porte aucune date dans la collection du Louvre.

et quelquefois un défaut d'intérêt pour les objets qui devaient être traités aux états généraux, n'avaient pas distrait l'attention de ces disparités; mais aujourd'hui que les lumières se sont étendues et perfectionnées. aujourd'hui qu'on est attaché davantage aux règles de l'équité proportionnelle, on exciterait les réclamations de plusieurs provinces, sans en contenter aucune, si l'on consacrait de nouveau des inégalités contraires aux règles les plus communes de la justice. Ces inégalités sont grandes, ainsi qu'on a déjà eu occasion de le faire remarquer. La sénéchaussée de Poitiers contient 692,810 âmes. Le bailliage de Gex, 15,032. — Le bailliage de Vermandois, 674,504. — Celui de Dourdan, 7,462.-Il n'y a qu'une seule opinion dans le royaume sur la nécessité de proportionner, autant qu'il sera possible, le nombre de députés de chaque bailliage à sa population; et puisque l'on peut, en 1788, établir cette proportion d'après des connaissances certaines, il serait évidemment déraisonnable de délaisser ces moyens de justice éclairée pour suivre servilement l'exemple de 1614.-Je ne m'arrêterai pas aux raisonnements trop métaphysiques dont on s'est servi pour soutenir que les intérêts généraux de la nation seraient aussi bien représentés par les députés d'un petit bailliage que par les députés d'un grand; et qu'ainsi, les représentants de ces deux bailliages pouvaient rester en nombre égal sans inconvénient, et jouir ainsi d'une influence pareille dans l'assemblée des états généraux. Il suffit, pour faire sentir l'imperfection de ce raisonnement, de le pousser à l'extrême, et de demander si le député d'une paroisse devrait, dans une province, avoir le même suffrage, le même degré d'influence que les représentants de deux ou trois cents communautés. Les esprits ne se prétent point à des distinctions subtiles, quand il est question des plus grands principes et des plus grands intérêts. On peut observer, à la vérité, que, si, dans chaque ordre, aux états généraux, on opine par bailliages, et non par tétes, l'ancienne disparité, à laquelle on propose au roi de remédier, subsisterait également; mais tout ce que votre majesté peut faire, c'est de mettre les états généraux à portée d'adopter l'une ou l'autre délibération. D'ailleurs, en supposant même que les opinions se réglassent par bailliages, les plus considérables d'entre ces districts ayant une grande diversite d'intérêts à faire connaitre, il serait encore raisonnable de leur accorder plus de représentation qu'aux bailliages dont l'étendue et la population seraient infiniment moins importantes.

Sur la seconde question: Faut-il que le nombre des députés du tiers état soit égal à celui des deux autres ordres réunis, ou ce nombre doit-il composer simplement la troisièine partie de l'ensemble ?- Cette question, la plus importante de toutes, divise en ce moment le royaume. L'intérêt qu'on y attache est peut-être exagéré de part et d'autre; car, puisque l'ancienne constitution ou les anciens usages autorisent les trois ordres à délibérer et voter séparément aux états généraux, le nombre des députés, dans chacun de ces ordres, ne paraît pas une question susceptible du degré de chaleur qu'elle excite. Il serait sans doute à désirer que les ordres se réunissent volontairement dans l'examen de toutes les affaires où leur intérêt est absolument égal et semblable; mais cette détermination même dépendant du vœu distinct des trois ordres, c'est de l'amour commun du bien de l'État qu'on doit l'attendre. Quoi qu'il en soit, toute question préliminaire qui peut être considérée sous divers points de vue," et semer ainsi la discorde entre les trois ordres de l'Etat, est, sous co rapport seul, de la plus grande importance; et votre majesté doit découvrir avec peine qu'elle ne pourra prendre aucun parti sur le nombre des députés du tiers état, sans mécontenter une partie des trois ordres de la nation; et vos ministres, que l'on aime souvent à juger avec sévérité, ne doivent pas se dissimuler les difficultés qui les attender!: mais leur devoir n'est pas moins d'exprimer leurs sentiments avec la plus parfaite vérité. - C'était sans doute une grande tâche que d'avoir à présenter aux. états généraux l'embarras des affaires et les divers moyens qui pouvaient rétablir les finances; mais, avec de l'harmonie, cette tâche s'allégeait à mes yeux. Faut-il, à l'aspect des désunions qui s'élevent, commencer à perdre courage! non, sans doute, il s'en faut bien; mais il est permis d'etre péniblement affecté de ces nouveaux obstacles.

On compte ea faveur de l'opinion qui réduit le nombre des député du tiers état à la moitié des représentants des deux autres ordres réunies 1o la majorité décidée des notables; 2 une grande partie du clergé et de la noblesse; 5o le vœu prononcé de la noblesse de Bretagne; 4° le sentiment connu de plusieurs magistrats, tant du conseil du roi que des cours souveraines; 5° une sorte d'exemple tiré des états de Bretagne, de Bourgogne et d'Artois, assemblées divisées en trois ordres, et où cependant le tiers état est moins nombreux que la noblesse et le clergé; 6 enfin, plusieurs princes du sang dont les sentiments se sont manifestes d'une manière positive. On voit, d'un autre côté, en faveur de l'admission du tiers état dans un nombre égal à celui des deux autres ordres réunis: 1° l'avis de la minorité des notables, entre lesquels on compte plusieurs personnes distinguées par leur rang dans la noblesse et dans le clergé; 2 l'opinion de plusieurs gentilshommes qui n'étaient pas dans l'assemblée des notables; 5° le vœu des trois ordres du Dauphiné; 4 la demande formée par diverses commissions ou bureaux intermédiaires des administrations provinciales, demande que ces administrations auraient vraisemblablement appuyée, si elles avaient tenu leurs séances cette année; 5° l'induction qu'on peut tirer de l'ancienne constitution des états du Languedoc, et de la formation récente des états du

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