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terrain que l'on prend à un propriétaire. Mais faut-il y mentionner les tenans et aboutissans de chaque parcelle? Cela peut être utile, mais n'est pas nécessaire. Si, par exemple, on prend un corps de terre entier, ces désignations suffisent pour que le propriétaire connaisse tout ce qui peut l'intéresser. Toutefois, la loi n'exigeant pas ces détails, leur omission ne pourrait être une cause de nullité, ni même un motif de réclamation. Quant aux édifices, il suffit qu'il en soit fait une désignation très sommaire. On pourrait même se borner à dire que le terrain, de telle grandeur, contient des bâtimens. Le jugement pourrait renfermer beaucoup moins de détails, si le plan restait déposé au greffe du tribunal ou dans un autre lieu ouvert à tous les intéressés [613].

611. Est-il nécessaire que le jugement indique les noms des usufruitiers, usagers, locataires, fermiers et autres qui peuvent avoir des droits sur l'immeuble? Non; l'art. 13 de la loi du 8 mars 1810 dit que le jugement d'expropriation autorisera le préfet à se mettre en possession des terrains désignés. Ce sont donc les terrains que l'on doit désigner; et l'on n'est pas obligé d'indiquer tous ceux qui ont des droits sur ces terrains. Le jugement frappe l'immeuble sans considérer à qui il appartient. On pourra les désigner, si on les connaît; mais on n'y est pas obligé. C'est au propriétaire à les prévenir [730]. On ne désigne le propriétaire que pour mieux désigner l'immeuble.

612. Le jugement et toutes les pièces sur lesquelles il est rendu doivent être enregistrés. Mais cet enregistrement a lieu gratis. (Loi de 1810, art. 26.) Nous croyons que cette disposition s'appliquerait aux expropriations suivies à la requête des départemens, communes ou établissemens publics, quoique les acquisitions par eux faites à l'amiable soient soumises au droit proportionnel, ou au

DELALLEAU.

moins au droit fixe de dix francs [555]. La loi n'ayant pas dit que les pièces seraient dispensées du timbre, ou qu'elles seraient timbrées gratis, le droit de timbre doit être payé.

615. Les pièces sur lesquelles le jugement a été rendu doivent-elles y être annexées? Aucune loi ne l'exige; mais il serait utile de le faire. On pourrait alors se dispenser de mentionner dans le jugement la désignation détaillée des propriétés frappées d'expropriation, puisque les parties pourraient toujours consulter le plan au greffe. D'ailleurs, ce jugement modifie les propriétés de beaucoup d'individus qui, dans un temps plus ou moins éloigné, pourront avoir besoin de vérifier l'étendue des changemens que l'expropriation a apportés dans leurs héritages; quelque détaillé que soit le jugement d'expropriation, il ne suffirait jamais, sans le plan, pour lever toute difficulté à cet égard. Il est vrai qu'il peut y avoir appel du jugement [617]; mais rarement la cour royale aura besoin de voir les pièces pour prononcer sur les points qui lui seront soumis, et si ce cas se présentait, elle ordonnerait l'apport des pièces en son greffe.

614. Si le plan et les autres pièces visées dans le jugement d'expropriation n'y sont pas annexés, comme les parties intéressées ont souvent besoin de les consulter, l'administration devrait indiquer un local ouvert au public, où ces pièces resteraient déposées jusqu'à ce que toutes les contestations soient terminées.

615. Le jugement qui prononce l'expropriation est affiché à la porte du tribunal; il est aussi affiché à la principale porte de l'église et de la maison commune de chacune des communes où sont situés les terrains expropriés. Il est ensuite publié, dans chacune de ces communes, à son de trompe ou de caisse. (Loi du 8 mars art 15.) Ces formalités ont lieu à la diligence du procureur du roi. ( Ib.)

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616. Les publications et affiches peuvent être constatées par des certificats délivrés par les maires de chacune des communes, ou par des procès-verbaux dressés par eux, comme on le fait pour les publications et affiches du plan. (Art. 6.) Quant à l'affiche à mettre à la porte du tribunal, rien n'indique comment son apposition doit être constatée. Nous croyons qu'elle pourrait l'être aussi par un certificat du maire de la ville où siège le tribunal, ou par un procès-verbal de l'huissier qui fe

rait l'affixion.

617. Si le tribunal refuse l'expropriation, soit pour toutes les propriétés, soit même pour quelques-unes, il peut y avoir appel de son jugement. A la vérité, la loi ne parle pas de la faculté d'appeler; mais il est de principe que l'on peut appeler de toute décision qui préjudicie, si la loi n'a pas interdit ce recours. Or, il serait souvent très important pour l'administration de faire réformer un jugement qui refuserait de prononcer l'expropriation des terrains dont elle a besoin pour ses travaux, ou même de quelquesuns de ces terrains seulement.

618. Il serait statué par la cour royale de la même manière qu'en première instance, et sans doute le procureur général présenterait un réquisitoire pour demander la réformation du jugement, ou de la partie du jugement qui préjudicierait à l'État.

Examen des législations spéciales.

619. Il n'est pas possible de douter que les dispositions de ce titre ne s'appliquent aux expropriations des terrains nécessaires pour les travaux militaires, pour la formation des rues et places publiques, ou pour les chemins vieinaux, sauf les cas d'alignement dont nous nous sommes occupés n. 201 et suiv. Nous n'avons donc à examiner ici que la législation sur les mines, les marais et les halles.

Des mines.

620. L'art. 5 de la loi du 21 avril 1810 décide que la concession d'une mine résulte d'une ordonnance royale, et ne soumet nullement l'exécution de cette ordonnance à l'intervention de l'autorité judiciaire. Il y a donc sur ce point dérogation à la loi du 8 mars 1810. On a cru avoir donné aux propriétaires une garantie suffisante en rendant publique la demande en concession, et en autorisant les intéressés à faire valoir leurs réclamations Voir n. 463 et suivans. jusqu'à ce que la concession fùt accordée,

Des marais,

621. Comme nous avons établi ci-dessus [442] que la loi du 8 mars 1810 régissait les expropriations nécessitées par le desséchement des marais, il faut aussi décider que cette expropriation devra être prononcée par l'autorité judiciaire. Cette autorité a été établie surveillante de l'exécution des formalités exigées avant de déposséder un propriétaire, et sa surveillance n'est pas moins nécessaire lorsqu'il s'agit de terrains à dessécher que dans tout autre cas. Peut-être, au contraire, le desséchement des marais est-il une des circonstances où l'on a le plus fréquemment prétendu qu'il se glissait de grands abus.

Des halles.

622. Nous pensons que l'expropriation des halles doit être prononcée par les tribunaux. L'art. 1er de la loi du 8 mars 1810 dit que l'expropriation pour cause d'utilité publique s'opère par l'autorité de la justice; et l'art. 27 de cette même loi abrogeant toutes les dispositions des lois antérieures qui lui sont contraires, nous ne voyons pas de motif pour que l'expropriation des halles puisse avoir lieu sans l'intervention de la justice.

623. M. Favard, qui partage cette opinion (Répertoire de la nouvelle Légista

tion, vo Halle, n. 8), dit que l'arrêt du conseil du 2 juin 1819, que nous rapporterons no 1128, décide qu'aujourd'hui les communes ne peuvent plus obtenir l'expropriation des halles situées sur leur territoire, que par l'intervention de l'autorité judiciaire et dans les formes prescrites par la loi du 8 mars 1810. Nous croyons que cet arrêt a décidé seulement que l'on devait faire régler par les tribunaux le montant de l'indemnité. Il est dit,

dans l'un de ses considérans, que le prix de vente ne peut être réglé que d'après les formes prescrites par la loi du 8 mars 1810, et l'art. 2 du dispositif porte que le prix de vente ou de location des halles sera fixé suivant les formes prescrites par la loi du 8 mars 1810; il nous paraît résulter assez clairement de là, que le conseil n'a pas voulu décider si les formalités de l'expropriation devaient s'appliquer à l'acquisition des halles.

TITRE NEUVIÈME.

DES RÉCLAMATIONS CONTRE LE JUGEMENT QUI PRONONCE L'EXPROPRIATION 1.

624. Il arrive souvent que l'administration cherche à soustraire ses actes à l'investigation de l'autorité judiciaire. Mais, dans la matière dont nous nous occupons, on a reconnu que l'intervention de cette autorité deviendrait une utile protection pour les propriétaires, par le contrôle qu'on pouvait, sans danger, lui donner sur les actes de l'administration. Il serait arrivé rarement sans doute qu'un administrateur aurait enfreint quelqu'une des règles que nous avons ci-devant tracées. Mais, << l'administration, dit M. Berlier, en exposant les motifs de la loi, instruite que les tribunaux peuvent examiner si ses opérations sont revêtues des formes protectrices de la propriété, deviendra encore plus attentive à les observer, et ce nouveau moyen de contrôle ou de censure sera une puissante garantie contre les injustices qui pourraient résulter de trop de précipitation. >>

625. Si un propriétaire croit que la loi n'a pas été exécutée à son égard, rien n'est plus naturel que de l'admettre à faire valoir ses plaintes devant le tribunal qui a prononcé l'expropriation. Si la réclamation est fondée, on doit être charmé d'avoir empèché une injustice. Si, au contraire, la réclamation est rejetée, l'on a prouvé à tous les citoyens combien l'on voulait respecter leurs droits, et celui même qui s'était plaint, revient souvent de son erreur; tandis que ses plaintes eussent été

1 Voyez pour la Belgique les art. 4 et suivans de la loi du 17 avril 1835, n. 204.

continuelles, si on avait refusé de les entendre, ou si on en avait confié le jugement à une autre autorité que celle qui prononce sur tous nos intérêts. Le droit d'opposition au jugement d'expropriation est donc une sécurité pour les propriétaires, sans inconvénient pour l'administration, dès qu'il n'en résulte pas de retard pour les travaux [87].

626. Le tribunal doit, d'après l'art. 13, avant de rendre le jugement d'expropriation, vérifier s'il n'existe aucune infraction aux règles tracées par la loi [599], et, en prononçant l'expropriation demandée, il semblerait avoir décidé que toutes les formalités exigées par la loi, ont été rigoureusement remplies; d'où l'on pourrait conclure qu'il est inutile de demander au tribunal d'annuler une expropriation qu'il a jugée régulière, et qu'il vaudrait mieux appeler de ce jugement. Mais le jugement d'expropriation peut être considéré comme rendu par défaut; car, personne n'était chargé de faire valoir les droits des propriétaires; le tribunal a donc pu facilement être induit en erreur, et il n'hésiterait certainement pas à réformer lui-même sa première décision, si on lui prouvait qu'elle a été mal rendue. Dans tous les jugemens par défaut, les conclusions ne doivent être adjugées qu'autant que le tribunal les trouve justes et bien vérifiées (code de pr., art. 150), et jamais l'on n'a remarqué que la crainte de se réformer ait influé en rien sur la décision que les juges avaient à rendre par suite de l'opposition formée à un jugement par défaut.

Dans l'examen des pièces pour obtenir le jugement d'expropriation, et qui se rattachent souvent à un grand nombre de propriétés, les erreurs, les omissions ont pu échapper facilement à l'attention des juges. Il est donc naturel que les parties intéressées signalent ces omissions aux magistrats mêmes qui ont rendu le jugement, plutôt que de prendre de suite la voie de l'appel. Ce dernier mode de recours n'est nécessaire que quand les premiers juges ont rejeté la prétention que l'on veut faire admettre; or, ici le tribunal n'a émis aucune opinion, puisque l'irrégularité alléguée ne lui a pas encore été signalée.

627. Nous avons établi, dans le titre précédent [619], que, sauf en matière de mines, toute espèce d'expropriation devait être prononcée par les tribunaux, quelle que fut la destination de l'immeuble exproprié. Par suite, le recours dont nous nous occupons ici est, dans tous les cas, ouvert aux intéressés. Mais, en matière de mines, il n'est accordé aucun recours devant les tribunaux [620].

628. L'art. 14 de la loi du 8 mars 1810 porte: «Si, dans les huit jours qui suivront les publications et affiches faites en la commune, les propriétaires ou quelquesuns d'entre eux prétendent que l'utilité publique n'a pas été constatée, ou que leurs réclamations n'ont pas été examinées et décidées, le tout conformément aux règles ci-dessus, ils pourront présenter requête au tribunal, lequel en ordonnera la communication au préfet par la voie du procureur du roi, et pourra néanmoins prononcer un sursis à toute exécution. »>

jugement d'expropriation peuvent naître, 1o de ce qu'il n'y a pas d'ordonnance qui prescrive les travaux [279]; 2o de ce que le réclamant n'a pas été légalement appelé à présenter ses réclamations; soit parce que le plan n'est pas resté pendant huitaine entre les mains du maire [388], soit parce que les publications et affiches n'ont pas eu lieu régulièrement [591]; 3o de ce qu'il n'a pas été statué sur la réclamation qu'il avait faite devant l'administration, dans les délais utiles [405]; 4o de ce que l'expropriation du terrain du réclamant résulte d'un changement fait au plan primitif, sans qu'il ait été appelé à s'expliquer sur ce changement.

630. Dans le cas où le jugement d'expropriation ne porterait que sur une partie de l'immeuble, si l'exproprié voulait prétendre que l'administration doit acquérir la propriété entière, il pourrait former opposition au jugement et demander que l'expropriation soit étendue à toute la pro priété. Rappelons ici toutefois qu'une semblable prétention ne peut être accueillie que lorsqu'il s'agit d'une maison ou bâtiment [807].

631. Mais le tribunal ne serait pas compétent pour connaître des oppositions qui seraient formées contre les travaux mêmes. C'est ce qui résulte de l'arrêt du conseil du 24 mars 1824.

Le sieur Lefebvre et autres propriétaires de moulins situés à Amiens (Somme), ont éprouvé des dommages dans leurs usines par suite des travaux nécessaires à l'établissement du canal d'Angoulême aux abords d'Amiens. Ils ont intenté, devant «Dans la quinzaine qui suivra cette le tribunal civil de cette ville, une action communication, le tribunal jugera, à la tendant, 1o à ce que l'administration fùt vue des écrits respectifs, ou immédiate- tenue de faire, au moulin de la Plaine ment après l'expiration de ce délai, sur les appartenant actuellement à l'État, les barseules pièces produites, si les formes pres- rages et autres ouvrages propres à donner crites par la présente loi ont été ou non à l'eau son ancien niveau et son ancienne observées. » direction; 2o à faire cesser les remblais 629. Les motifs de réclamation contre le commencés dans la rivière de Somme, å

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