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dans la contestation. Cependant, si le litige était connu de la partie qui suit l'instance en indemnité, il serait peut-être prudent à elle d'assigner aussi ce dernier; parce que si le débat était terminé avant le jugement sur la fixation de l'indemnité, le revendiquant à qui la propriété serait adjugée pourrait prétendre que la procédure en fixation d'indemnité a été suivie contre quelqu'un qui n'avait pas qualité pour y défendre, et demander à recommencer l'instance.

719. De même, si le bien exproprié avait été vendu à réméré, et qu'il fallut procéder au réglement de l'indemnité, avant l'expiration du délai accordé pour le réméré, on devrait assigner l'acquéreur, puisqu'il est le possesseur actuel, et qu'il était l'unique propriétaire au moment de l'expropriation. Mais le vendeur pouvant, d'un moment à l'autre, exercer le réméré et reprendre l'instance en réglement d'indemnité, sans qu'on puisse lui opposer les aveux, les reconnaissances de l'acquéreur à réméré, il serait peut-être prudent de l'assigner également. D'ailleurs, sa mise en cause serait presque toujours demandée par l'acquéreur, car la circonstance de l'expropriation, souvent partielle, du bien vendu, peut faire naître entre eux des débats sur la manière dont s'opérera le réméré du surplus.

720. Il peut arriver que le propriétaire du bien soit tout-à-fait inconnu, soit parce qu'il est mal désigné sur les rôles, soit parce que, le propriétaire étant décédé, aucun héritier ne s'est encore fait connattre. Il faut cependant qu'il existe un moyen d'obtenir promptement la possession du terrain. La loi anglaise dit qu'en pareil cas, la somme doit être déposée. (Introduction.) Il nous semble que, dans le silence de la loi, ce parti est le plus convenable. Le poursuivant présenterait requête au tribunal et exposerait l'impossibilité où il se trouve de connaître la partie à assi

gner, et demanderait alors au tribunal de déclarer, qu'en consignant préalablement la somme de... ou telle autre qu'il lui plairait fixer, il pourra être pris possession du terrain. Le tribunal pourrait fixer l'indemnité à toute autre somme que celle offerte par l'administration. Mais il devrait accorder la mise en possession demandée. Seulement, s'il n'y avait pas eu d'expertise préparatoire [ 490] qui fit connaître l'état et la valeur du terrain, il pourrait en ordonner une qui, constatant l'état des lieux avant qu'il soit changé, donnerait à l'exproprié, lorsqu'il se présenterait pour exercer ses droits, les moyens de prouver l'étendue du préjudice par lui éprouvé. Ce jugement n'aurait jamais la force de chose jugée, mais il serait suffisant pour régulariser la prise de possession de la propriété. Lorsque le propriétaire se présenterait, il pourrait demander qu'il soit procédé contradictoirement à la fixation de l'indemnité; et ses droits à cet égard ne se prescriraient que par trente ans à compter de la prise de possession.

721. S'il s'agissait de faire régler l'indemnité due pour des biens grevés de restitution, il faudrait assigner non-seulement le grevé, mais encore le tuteur nommé à la substitution, en vertu des art. 1033 et 1056 du code civil, afin que celui-ci put veiller à l'emploi des deniers.

722. L'art. 64 du décret du 1er mars 1808 dit que le contrat de vente des biens faisant partie d'un majorat, doit être passé en présence du commissaire du roi près la commission du sceau des titres, à peine de nullité, dit l'art. 65 [544]. Si la commission du sceau n'avait émis aucun avis sur l'indemnité due pour un terrain exproprié et affecté à un majorat, il semble que l'on devrait assigner le commissaire du roi, sur la demande en fixation d'indemnité, ou que du moins on devrait lui dénoncer l'assignation donnée au titulaire du majorat.

723. Le gouvernement a suivi le mode de requête pour la fixation des indemnités dues pour les terrains nécessaires aux fortifications de Vitry-le-Français (Gazette des Tribunaux du 29 septembre 1827); cette procédure a été critiquée devant la cour royale de Paris, qui, toutefois, n'a pas eu à se prononcer sur cette question.

724. Cette marche ne nous paraît pas régulière. Le tribunal devrait alors fixer l'indemnité sur les seules pièces produites par l'administration, et l'on conçoit que, n'entendant pas les observations des propriétaires, il pourrait souvent être induit en erreur. Les parties auxquelles le jugement préjudicierait, devraient donc y former opposition, ce qui ramènerait, sous une autre forme, les procédures que l'on voudrait éviter.

723. L'orateur du gouvernement n'a pas non plus expliqué, en ce sens, la procédure à suivre. Il dit que le dissentiment devant le tribunal pourra naître de l'insuffisance des indemnités qui auront été proposées, et ne dit pas des indemnités fixées. M. Riboud s'explique dans le même sens. En parlant du jugement qui prononce l'expropriation, et qui est rendu sur requête, il dit : « Ne cédons pas à la première impression que peut produire la célérité d'un jugement rendu sans la présence du propriétaire et sans la fixation préalable de l'indemnité. Considérons...... que ce premier jugement est rendu sommairement et par défaut; que le propriétaire condamné peut recourir, et qu'ainsi ses droits sont encore entiers. Quant à l'indemnité, IL EST ÉVIDENT QU'ELLE NE PEUT ÊTRE FIXÉE DANS UN JUGEMENT DE CETTE ESPÈCE, il suffit qu'il renferme une réserve expresse sur ce point. Le tribunal ne peut, en le rendant, fixer un dédommagement sur lequel il n'a point de base, puisque les parties sont discordantes sur ses conditions. » Ce n'est donc pas sur requête, mais contradictoirement, que le tribunal doit fixer l'indemnité.

726. Nous avons rappelé ci-dessus [386], la discussion qui a eu lieu au conseil d'État, relativement aux procédures en expropriation et en réglement d'indemnité, et l'on y a reconnu que, quand le tribunal prononçait sur les débats d'intérêt, il devait être saisi par la voie ordinaire.

727. Mais ce qui prouve que ce n'est pas par un jugement rendu sur requête que l'indemnité doit être fixée, c'est que l'art. 18 de la loi du 8 mars 1810 dit que s'il y a des tiers intéressés à titre d'usufruitier, de fermier ou de locataire, le propriétaire sera tenu de les appeler avant la fixation de l'indemnité, pour concourir, en ce qui les concerne, aux opérations y relatives. Pour pouvoir les appeler à la procédure en indemnité, il faut que le propriétaire y ait été appelé lui-même. Ce même article suppose encore que ces tiers peuvent intervenir dans la procédure, et il n'y a pas lieu à intervenir dans une affaire qui se juge sur requête.

Ce n'est donc pas sur requête que le tribunal doit fixer les indemnités, mais après une instance ordinaire, à laquelle tous les intéressés doivent être appelés.

D'abord, la justice le veut ainsi, et certes il serait difficile que l'évalualion fut faite dans une juste proportion, si l'on n'entendait pas chacun des propriétaires et des autres intéressés. Si l'on admettait que le tribunal doit fixer l'indemnité sans entendre les intéressés, ceux-ci trouveraient certainement ce mode de procéder très préjudiciable à leur intérêts. Ainsi, une pareille marche n'a pu être dans l'esprit de la loi de 1810, faite dans le but de protéger la propriété.

728. Ne pourrait-on pas poursuivre l'estimation en masse, par un jugement collectif, comme celui qui prononce l'expropriation [595]?

Cette marche est indiquée par quelques jurisconsultes, comme devant diminuer les frais, parce qu'elle n'exigerait qu'un

seul jugement et une seule expertise; mais elle ne s'accorderait, selon nous, ni avec le texte, ni avec l'esprit de la loi du 8 mars 1810. Elle serait, d'ailleurs, contraire aux principes généraux, qui ne permettent pas de réunir, dans une même procédure, des parties dont les intérêts sont tout-à-fait différens. D'ailleurs, nous croyons qu'une pareille procédure offrirait les plus grands inconvéniens, par sa complication et par la multiplicité des incidens qui pourraient retarder la décision.

Il est facile de faire prononcer, par un même jugement, l'expropriation d'un grand nombre de propriétés différentes, parce que le jugement doit être rendu sans que les intéressés y soient appelés [606]. Mais nous venons de voir qu'il faut appeler, dans la procédure en réglement d'indemnité, tous ceux qui y sont intéressés, tant à titre de propriétaires évincés, qu'à titre d'usufruitier, d'usager, de fermier ou locataire, etc.

Or, quels ne seraient pas les embarras et les lenteurs d'une procédure dans la quelle tant de monde figurerait à la fois? Souvent on est dans l'erreur sur les véritables intéressés, et pour faire tout régler par un seul jugement, par une seule expertise, il faudrait réassigner ceux dont on viendrait à connaître les droits. Pendant ce temps là, quelqu'un des autres assignés pourrait mourir, et il faudrait attendre, pour suivre contre ses représentans, l'expiration des délais pour faire inventaire et délibérer. Avant la fin de ces délais, de nouveaux décès amèneraient de nouvelles lenteurs. Des mineurs, à leur tour, deviendraient majeurs, et devraient être réassignés personnellement.

. Supposons qu'enfin l'on parvienne à faire rendre le jugement qui ordonne l'expertise, car une expertise serait alors inévitable; n'est-il pas probable que quelqu'un des experts serait récusé, les causes de récu

DELALLEAU.

sation étant très étendues [1002]? Nouvelles difficultés pour obtenir un nouveau jugement, et pour trouver des experts à l'abri de toute récusation, à moins de les prendre loin des lieux où se trouvent les biens expropriés ; ce qui les priverait des connaissances de localité souvent importantes dans un pareil travail. Pour que ces experts procédent avec soin à une opération si compliquée, il leur faudra un certain laps de temps, pendant lequel de nouveaux incidens pourront amener de nouvelles procédures, de nouveaux retards.

Après avoir surmonté tous ces obslacles, il s'agira de faire statuer par le tribunal. Or, au milieu de tant de faits et d'allégations contraires, de tant de titres produits et contestés, les juges n'éprouveront-ils pas le plus grand embarras pour démêler la vérité, et pour appliquer à chaque intéressé les circonstances qui devraient faire augmenter ou diminuer son indemnité particulière?

Ainsi, on obligerait l'État à une procédure qui, sans qu'on suppose aucun événement extraordinaire, pourrait durer plus d'un an, et dont les frais pourraient être énormes; et cette procédure bizarre serait probablement, malgré tous les soins des magistrats, terminée par un jugement fort peu équitable.

Nous nous croyons donc fondés à dire que ce n'est pas là la marche que l'on doit suivre. Il faut nécessairement qu'il y ait une procédure distincte à l'égard de chaque propriétaire.

729. Le jugement qui fixe l'indemnité doit indiquer particulièrement combien il alloue pour chaque cause d'indemnité invoquée.

En effet, s'il y avait un usufruitier, l'allocation pour privation de jouissance lui appartiendrait exclusivement, et il ne serait tenu de restituer, à la fin de l'usufruit, que la somme accordée pour indem

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de ce retranchement. Cependant il est plus commode de faire connaitre ceux que l'on doit mettre en cause, que de les appeler soi-mème. Les propriétaires doivent donc regretter que la première rédaction ait été changée,

nité du fonds [897]. Le prix de l'immeuble dans la loi, sans qu'on connaisse le motif appartient aux créanciers hypothécaires / [1158], s'il en existe; les intérêts appartiendraient à l'exproprié ou à ses créanciers chirographaires, s'ils les avaient saisis. Le mari est tenu de faire emploi du capital alloué pour un bien appartenant à sa femme; il peut, au contraire, disposer des intérêts. D'un autre côté, l'indemnité due pour l'immeuble produit des intérêts de plein droit [863], tandis qu'il n'en est pas de même de toutes les indemnités accessoires, notamment de celle qui serait allouée pour frais de remploi [863], ou pour travaux rendus indispensables par F'expropriation [845].

SECTION II.

De la mise en cause, ou de l'intervention des usufruitiers, locataires, etc.

730. Si l'exproprié assigné en réglement d'indemnité reconnait que toutes les formalités indiquées par la loi ont été remplies, ou s'il croit n'avoir pas intérêt à réclamer contre les irrégularités qu'il reconnaîtrait exister dans la procédure en expropriation, il doit examiner s'il est seul intéressé à la fixation de l'indemnité; car dans le cas où il y aurait des tiers intéressés à titre d'usufruitier, de fermier ou de locataire, le propriétaire serait tenu, d'après l'art. 18 de la loi du 8 mars 1810, de les appeler avant la fixation de l'indemnité, pour concourir, en ce qui les concernerait, aux opérations y relatives; sinon, il resterait seul chargé envers eux des indemnités que ces derniers pourraient réclamer.

751. L'art. 12 de la première rédaction du projet de cette loi portait que le propriétaire serait tenu d'appeler les usufruitiers et les fermiers, ou de les faire connaître avant l'expertise (M. Locré, t. IX, p. 668). Cette dernière disposition ne s'est plus retrouvée dans les projets suivans, ni

732. Néanmoins la mise en cause est une formalité si simple pour le propriétaire, qu'on pourrait facilement croire qu'il y a eu, de sa part, mauvaise volonté, ou intention de tromper, s'il ne l'effectuait pas. Quelquefois le propriétaire aurait laissé régler l'indemnité, et l'aurait touchée sans faire connaitre à l'administration qu'il existait des usufruitiers, locataires on fermiers qui avaient droit aussi à être indemnisés, et avec lesquels l'administration aurait dù ultérieurement traiter. C'est pour parer à cet inconvénient qu'on a décidé que, quand il ne les aurait pas fait connaitre, le propriétaire resterait seul chargé envers ces tiers du paiement des indemnités qu'ils seraient en droit de réclamer.

755. Mais cette décision, toute dans l'intérêt du Trésor, est-elle équitable à l'égard de l'usufruitier et du fermier? Aucune faute ne leur est imputable, et cependant, si le propriétaire est insolvable, ils pourront se trouver privés des indemnités qui leur sont dues.

Aussi prétend-on que cette disposition a été tacitement abrogée à l'égard de l'usufruitier par l'article 10 de la charte. Nul ne peut aujourd'hui, dit-on, être privé de sa propriété que moyennant une juste et préalable indemnité. Or, l'usufruitier a des droits réels dans le bien exproprié, lui seul en a la jouissance; il ne peut donc être tenu d'abandonner cette jouissance que moyennant une indemnité préalable. La charte est violée si, au lieu de lui assurer cette indemnité préalable, vous le renvoyez à réclamer une indemnité contre le nu-propriétaire, et à s'en faire payer par

ce dernier comme il le pourra. S'il s'agit d'une maison, l'usufruitier peut l'occuper par lui-même; l'en expulsera-t-on avant qu'il ait touché aucune indemnité?

754. Ces raisons sont très puissantes. Nous inclinons à penser que l'usufruitier peut, comme le nu-propriétaire, invoquer l'art. 10 de la charte. Nous ne croyons pas que l'on doive admettre légèrement l'abrogation tacite d'une disposition formelle de loi. Il faut, selon nous, qu'il y ait impossibilité absolue de donner effet à la nouvelle disposition en même temps qu'à l'ancienne; mais cette impossibilité se rencontre dans cette circonstance, du moins à nos yeux. L'usufruit est un démembrement de la propriété, une partie du domaine, puisque le domaine cesse d'être plein et entier. entre les mains du nu-propriétaire. Ce dernier ne peut donc céder à l'État plus de droits qu'il n'en a luimême; il ne peut céder une propriété pleine et entière, lorsqu'il ne possède qu'une propriété démembrée. En vendant son bien à un tiers, le nu-propriétaire n'cut pu nuire aux droits de l'usufruitier; celui-ci est fondé à soutenir que ces droits ne doivent rien perdre de leur force, quoique ce soit l'Etat qui ait acquis l'immeuble, même par voie d'expropriation. L'État, comme le dit Montesquieu, est comme un particulier qui traite avec un autre particulier [73]. La charte a voulu que l'État n'eut d'autre privilége que celui de contraindre à la cession; pour tout ce qui tient à l'indemnité, il est soumis aux mêmes lois que les particuliers.

735. Par suite du principe admis par notre législation, que le droit d'usufruit est assimilé au droit de propriété, l'art. 2118 du Code civil déclare qu'il est, comme le droit de propriété, susceptible d'hypothèque. Or, le créancier qui a hypothèque sur l'usufruit d'un bien exproprié, pourrait se trouver privé de l'effet de son hypothèque, si l'Etat pouvait disposer du bien, sans

payer aucune indemnité à l'usufruitier. Nous croyons donc que tous les principes s'accordent pour autoriser l'usufruitier à soutenir que l'art. 18 de la loi de 1810 ne peut plus aujourd'hui être invoqué contre lui.

756. Le droit de l'usufruitier consiste à jouir de l'indemnité [890]. L'État serait donc obligé de lui payer les intérêts légaux du capital de l'indemnité, jusqu'à la cessation de l'usufruit, sauf son recours contre le nu-propriétaire.

737. L'État pourrait alors user contre le nu-propriétaire de la voie de la contrainte par corps. Il y a stellionat, dit l'art. 2059 du code civil, lorsqu'on vend ou qu'on hypothèque un immeuble dont on sait n'être pas propriétaire; lorsqu'on présente comme libres des biens hypothéqués, ou que l'on déclare des hypothèques moindres que celles dont ces biens sont chargés; à plus forte raison y a-t-il stellionat lorsque l'on vend, comme libre, un bien grevé d'usufruit.

738. Nous pensons toutefois que l'art. 18 doit rester dans toute sa force à l'égard des fermiers et locataires; ils n'ont aucun droit de propriété, ils n'ont qu'un jus ad rem, une action pour réclamer la jouissance ou des dommages-intérêts, si on ne peut les faire jouir; ils ne peuvent donc, sous aucun rapport, invoquer la disposition de l'art. 10 de la charte.

759. La loi du 8 mars 1810 ne fixe pas le délai dans lequel le propriétaire sera tenu d'effectuer la mise en cause des intéressés au réglement des indemnités. L'art. 18 déclare seulement qu'elle devra avoir lieu avant la fixation de l'indemnité. Il nous semble cependant qu'il est tenu de le faire dans la huitaine, outre un jour par trois myriamètres. C'est le délai fixé par la loi pour appeler en garantie. (Code de procéd., art. 175.) Cette mise en cause est une formalité très facile à remplir, plus facile encore qu'un appel en garantie; le

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