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TITRE DOUZIÈME.

DES DIVERSES INDEMNITÉS QUI PEUVENT ÊTRE RÉCLAMÉES PAR SUITE DE L'EXPROPRIATION.

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780. Un arrêt de la cour de cassation du 23 février 1825, porte, dans un de ses considéraus, que le gouvernement n'a pu se mettre en possession d'un droit de péage qu'il avait antérieurement vendu, qu'en vertu des motifs d'utilité publique exprimés dans la loi de 1810, sur la navigation intérieure, « mais que, par cela même, le gouvernement devait une indemnité aux conjoints Bonneville, aux termes de l'art. 545 du code civil, lequel n'a fait que proclamer un principe d'éternelle rérité, et que pour la fixation de cette in

demnité, la cour de Paris ne pouvait pas adopter une base plus juste que celle açcordée par la loi en cas d'éviction, »

Certes, l'obligation d'accorder une indemnité à tout propriétaire exproprié, est, comme le dit la cour suprême, un principe d'éternelle vérité. Mais, comme il se présente beaucoup de difficultés pour la fixation de cette indemnité, il serait heureux de trouver des règles précises dans les principes adoptés en cas d'éviction. Les dispositions de la loi sur l'éviction pouvaient fort justement s'appliquer à l'espèce

des exemples, l'équité devant seule servir de règle dans tous les cas qui ne sont pas formellement prévus par la loi.

Les circonstances particulières de chaque affaire influant sur la fixation de l'indemnité, les bases indiquées dans ce titre ne peuvent être considérées comme invariables; nous avons 2 Dalloz, 1825, p. 123; J. du 19e s., 1825, 1, moins voulu donner des règles que présenter 297; Journal du Palais, t. LXXII, p. 149.

soumise à la cour de cassation, parce que le gouvernement, qui avait exproprié, avait lui-même vendu, peu d'années auparavant, le droit qu'il expropriait; ce qui faisait naturellement appliquer les principes de la garantie en cas d'éviction. Mais, dans les expropriations ordinaires, l'application de ces dispositions devient impossible.

781. En effet, l'art. 1650 du code civil, dit qu'en cas d'éviction, l'individu évincé peut réclamer 1° la restitution du prix; 2o celle des fruits lorsqu'il est obligé de les rendre au propriétaire qui l'évince; 5o les frais faits sur la demande en garantie de l'acheteur, et ceux faits par le demandeur originaire; 4° enfin des dommages et intérêts, ainsi que les frais et loyauxcoûts du contrat. Or, il ne peut y avoir lieu à aucune discussion pour les fruits perçus qui restent incontestablement à l'exproprié, ni pour les frais de la demande en garantie, qu'il n'y a pas lieu de former. Quant au prix d'acquisition, il peut quelquefois servir pour fixer l'indemnité, mais il n'est qu'un des élémens de l'évaluation [926], et rarement il y a lieu à s'occuper des frais et loyaux-coûts du contrat de vente [956]. Quant aux dommages et intérêts, ils ne sont pas les mêmes dans les deux circonstances.

782. A la vérité, l'art. 1653 dit que si le bien a augmenté de prix à l'époque de l'éviction, indépendamment même du fait de l'acquéreur, l'indemnité devra comprendre cette plus-value, et cette disposition s'appliquerait à l'exproprié [927]; mais en vertu de l'art. 545 du code civil, qui veut une JUSTE indemnité, et non par suite de l'art. 1653. Car l'art. 1631 prévoit le cas où le bien a, au contraire, diminué de valeur, et décide que l'individu évincé recouvrera cependant le prix par lui paye; et certes,en matière d'expropriation, il ne recevrait que la valeur de sa propriété au moment de l'éviction. Les règles sur l'é

viction seraient donc d'un faible secours en matière d'expropriation.

783. Il est important de remarquer que le tribunal peut bien ordonner la vente d'un terrain, mais qu'il ne pourrait en prononcer l'échange, quelque avantagenx que ce mode parût être pour les deux parties. De même, il ne pourrait allouer en paiement ou par imputation sur l'indemnité, la propriété de parties de route ou de lits de rivières, même quand l'administration les aurait déjà reconnues inutiles au service public. A plus forte raison, ne pourrait-il pas donner à l'exproprié un terrain dépendant du domaine public. De telles allocations ne pourraient résulter que d'arrangemens faits de gré à gré entre l'exproprié et l'administration, et auxquels les tribunaux doivent rester étrangers.

784. Ces principes sont consacrés par un arrêt du conseil du 20 novembre 1815 que nous allons rapporter avec quelque étendue, parce que nous serons encore dans le cas d'invoquer ailleurs ses dispositions.

En 1813, un terrain de 30 ares 76 centiares, faisant partie d'une prairie de 69 ares, située à Saint-Loup, sur le bord de la rivière de Drôme et de la grande route de Bayeux à Isigny, et appartenant au sieur Roussel, devint l'objet d'une expropriation pour cause d'utilité publique, comme étant nécessaire à la reconstruction du pont Roch, ordonnée par l'administration.

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le terrain dont il était exproprié, que pour raison de la non-jouissance qu'il devait éprouver par le dépôt, sur sa propriété, des matériaux et des terres, pendant la confection des travaux du pont. - Le ministère public, agissant au nom de l'État, demanda la nomination d'un expert, qui fut désigné par jugement du 1er septembre 1813.

Le 12 novembre, sur le rapport d'un juge-commissaire, il intervint un jugement qui fixa les indemnités à payer au sieur Roussel, à la somme de 4884 fr. 16 cent., ainsi qu'il suit, savoir: 1° Pour le terrain cédé, la somme de 1461 fr. 72 cent.; 2o pour la diminution de valeur des portions restantes, causée par leur division, la somme de 1665 fr. 80 cent.; 3° pour la construction et l'entretien d'un pont nécessaire à l'accès sur la portion de terrains comprise entre les deux bras de rivière, 1636 fr. 64 cent; -4° pour les clôtures à faire aux autres portions du pré, du côté de la nouvelle levée de la grande route et du côté des anciens canaux à supprimer, la somme de 100 fr. Ce jugement accorde, en outre, au sieur Roussel la propriété des anciens cours de la rivière et d'une partie de route, qui servaient de clôture à sa propriété.

Le préfet du Calvados a interjeté appel de ce jugement dans la disposition qui accordait une indemnité de 1,461 fr. 72 cent., pour le terrain dont le sieur Roussel avait été dépossédé, et il a, par arrêté du 26 mai 1814, élevé le conflit d'attribution pour raison des autres dispositions de ce jugement. Les motifs sur lequels est fondé cet arrêté sont :

1° Que le tribunal n'avait pas remarqué que, suivant la loi du 8 mars 1810, il ne devait connaître que de l'expropriation et du prix du terrain cédé, sauf le droit que l'art. 51 de la loi du 16 septembre 1807 donnait au sieur Roussel, de forcer l'administration à prendre la totalité du pré;

que, par suite, le jugement avait accordé évidemment une moins-value pour le terrain qui n'avait pas été cédé, et qu'ainsi le tribunal s'était immiscé dans l'administration, et avait empiété sur les attributions du conseil de préfecture, qui connaissait seul des dommages simples faits pour l'exécution des travaux publics; 2o que le tribunal avait encore excédé ses pouvoirs en estimant et cédant des parties de route et de lits de rivière qui sont des dépendances du domaine public, et qui ne peuvent être aliénés que par l'administration.

Tel est l'arrêté de conflit sur lequel le conseil d'état a statué par l'arrêt suivant: LOUIS, etc.; Sur le rapport du comité du contentieux; Considérant que le préfet du département du Calvados, par l'art. 1er de son arrêté du 26 mai 1814, a interjeté appel sur la partie dudit jugement, qui est relative au premier chef, et qui accorde au sieur Roussel une indemnité de 1,461 fr. 72 cent., pour la portion de terrain dont il a été dépossédé; Considérant que, conformément à la loi du 8 mars 1810, les tribunaux étant compétens pour connaître de l'expropriation pour cause d'utilité publique, la voie de l'appel demeurait également ouverte au préfet du Calvados, pour le second et le troisième chefs énoncés dans le jugement du tribunal de Bayeux; Considérant, sur la partie dudit jugement qui est relative au quatrième chef, que le tribuna la excédé ses pouvoirs en cédant au sieur Roussel des parties de route et de lit de rivière qui sont des dépendances du domaine public, et qui ne peuvent être aliénées que selon les formes prescrites pour l'aliénation du domaine public; Notre conseil d'état entendu, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit Les dispositions du jugement du tribunal civil de Bayeux, en date du 12 novembre 1813, qui sont relatives au quatrième chef énoncé ci-dessus, sont

:

regardées comme non-avenues, etc. » (Sirey, t. III, p. 180.)

783. S'il existait un acte qui, prévoyant le cas d'une expropriation future pour utilité publique, réglât l'indemnité qui serait alors payée, il faudrait nécessairement que les parties contractantes se conformassent à cette convention, lorsque l'expropriation se réaliserait.

faire liquider d'après les bases établies par l'acte de 1725. Le même principe se trouve reconnu, en faveur de l'État, par l'arrêt du conseil du 28 juillet 1820, que nous avons rapporté n. 294.

787. Si on détournait, à dessein, le lit d'un fleuve ou d'une rivière, on ne pourrait pas donner pour indemnité aux propriétaires du terrain servant au nouveau lit,

786. C'est ce qui a été jugé dans l'espèce le lit abandonné. A la vérité, l'art. 563 du suivante.

En 1725, le directeur-général des fortifications de France, concéda au sieur Vasse un terrain situé sur le port de Calais, et il stipula que, dans le cas où le gouvernement viendrait à déposséder le sieur Vasse ou ses descendans, il leur serait alloué une indemnité de 46,000 liv., avec intérêt à dater de la dépossession, sans qu'on put augmenter ni diminuer cette somme.

En l'an xr, le sieur Duhamel de Manin, descendant du sieur Vasse, fut dépossédé par le gouvernement. Il réclama une indemnité, qui fut fixée par le ministre de la guerre à 59,000 fr. Le sieur Duhamel, ayant retrouvé l'acte de 1723, demanda que son indemnité fut portée à 46,000 liv., avec intérêt à dater de la dépossession. Le ministre de la guerre combattit cette réclamation par plusieurs moyens qu'il est inutile de rapporter ici. Mais, par arrêt du conseil du 2 juillet 1825 (Macarel, t. V, p. 472), le sieur Duhamel fut admis à se

code civil porte: «Si un fleuve ou une rivière navigable, flottable ou non, se forme un nouveau cours, en abandonnant son ancien lit, les propriétaires des fonds nouvellement occupés prennent, à titre d'indemnité, l'ancien lit abandonné, chacun dans la proportion du terrain qui lui a été enlevé. » Mais le texte mème de cet article prouve que sa disposition n'a lieu que lorsque c'est de lui-même que le fleuve se forme un nouveau lit; alors la perte qu'éprouvent les propriétaires dont les terrains servent au nouveau lit, est un événement de force majeure dont ils doivent supporter les conséquences; l'État diminue leur perte, autant que possible, en leur abandonnant l'ancien lit; mais, presque jamais, ils ne trouvent dans cet abandon une indemnité complète. Si le nouveau lit était formé par la main de l'homme, on devrait agir comme dans tous les cas d'expropriation, et indemniser entièrement ceux qui céderaient leur terrain.

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788. L'indemnité du propriétaire peut provenir de beaucoup de causes différentes.

L'indemnité principale se rattache à la valeur même du terrain que doivent occuper les travaux. Elle donne lieu à diverses questions que nous examinerons dans la section Ire.

Il faut ensuite fixer des indemnités pour ce qui peut se trouver sur le terrain, bâtimens, arbres ou récoltes; nousen traiterons dans la section II.

La section III sera consacrée à toutes les indemnités accessoires et accidentelles, telles que moins-value du surplus de la propriété, travaux à faire, dommages, éprouvés, frais de remploi, intérêts, etc. Dans la section IV, nous examinerons les législations spéciales.

SECTION PREMIÈRE.

De l'indemnité due pour le sol.

789. La principale indemnité due au propriétaire est la valeur même du sol que doivent occuper les travaux, mais la fixation de cette valeur présente beaucoup de difficulté. Nous verrons ci-après, tit. XIII, n. 924 et suivans, que les contrats de vente, les baux et autres titres, ne peuvent servir que de renseignemens, et n'offrent aucune base positive.

790. Bien des personnes pensent qu'en pareil cas, il est dû au propriétaire exproprié une indemnité en sus du prix du ter

rain dont il est privé. Il paraît que cet usage existait autrefois dans le ressort du parlement de Provence. On lit dans le Répertoire de jurisprudence de M. Merlin, vo Retrait d'utilité publique, « Duperrier, avocat au parlement de Provence, et son annotateur, ajoutent qu'il est d'un usage constant, en pareil cas, d'ordonner que le prix de la vente forcée sera augmenté d'un cinquième en sus de la valeur réelle du bien. Cette jurisprudence est pleine d'équité il est fâcheux, pour un particulier, d'ètre scul obligé de s'exproprier pour le bien public; le juste prix de sa chose ne suffit pas pour l'indemniser; en y ajoutant un cinquième en sus, on allége sa perte. »

791. Cette jurisprudence ne peut plus être admise aujourd'hui. L'art. 49 de la loi du 16 septembre 1807 porte : « Les terrains nécessaires pour l'ouverture des canaux et rigoles de desséchement, des canaux de navigation, de routes, de rues, la formation de places et autres travaux reconnus d'une utilité générale, seront payés à leurs propriétaires, et à dire d'experts, d'après leur valeur avant l'entreprise des travaux, et sans nulle augmentation du prix d'estimation. » Les derniers termes de cet article ont certainement pour but de proscrire la jurisprudence que nous venons de rappeler. Or, cette disposition n'est pas abrogée par la loi de 1810, dont l'art. 27 n'abroge que les articles de la loi de 1807 qui lui sont contraires. Tel est

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