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maison pourra sans doute porter à l'usufruitier un grand préjudice; il pourra même être privé d'une partie de son habitation, sans que l'intérêt de l'indemnité accordée pour la portion expropriée suffise pour le replacer dans la situation où il se trouvait avant l'expropriation. Mais c'est là l'effet du droit, en quelque sorte précaire, de l'usufruitier. C'est ainsi qu'en cas de destruction du bâtiment, il perd ses droits sur le sol et sur les matériaux. (Art. 624, code civil.)

813. De son côté, le propriétaire pourrait-il, sans le consentement de l'usufruitier, obliger l'État à acquérir la totalité des bâtimens dont on ne réclame qu'une partie pour l'exécution des travaux? Non. L'art. 599, c. civ., dit qu'il ne peut, par son fait ni de quelque manière que ce soit, nuire aux droits de l'usufruitier. Or, si l'usufruitier préfère conserver le reste des bâtimens, le propriétaire ne peut l'obliger à les échanger contre une indemnité.

Lorsque l'usufruitier n'habitera pas la maison, son intérêt sera généralement le même que celui du propriétaire. Mais s'il l'habite, il peut désirer conserver tout ce qui n'est pas nécessaire aux travaux. Le propriétaire, au contraire, peut préférer une indemnité. Sans doute, jusqu'à la cessation de l'usufruit, il ne jouira pas plus de l'indemnité que des bâtimens ; mais si, pendant la durée de l'usufruit, ces bâtimens se détériorent, le propriétaire pourra bien, quand il rentrera en jouissance, ne pas en obtenir le prix qu'il en aurait touché de l'État. Néanmoins, comme il doit régler ses droits de manière à ne pas nuire à ceux de l'usufruitier, il ne pourrait, sans le consentement de celui-ci, exiger l'acquisition de la totalité des bâtimens.

814. Le père, tuteur de son fils et usufruitier légal de ses biens, ne pourrait, malgré la réunion des qualités d'usufruitier et de tuteur, faire seul une pareille option relativement à une maison appar

tenant au mineur. Il n'est pas propriétaire, et ne peut aliéner. Il n'est qu'administrateur. (Code civ. 389).

815. L'estimation de la valeur des arbres qui existent sur un terrain, est ordinairement comprise dans l'évaluation du terrain même. Cependant le prix de ces arbres doit quelquefois être fixé séparément, soit parce que l'on ne prend qu'une partie de la propriété, soit parce que les arbres ont été plantés depuis l'époque de l'acquisition dont le contrat a servi de base pour l'évaluation du terrain. Le propriétaire doit recevoir la valeur de ces arbres, sauf à l'administration à les revendre ensuite, ou à les employer comme elle le jugera convenable. On ne pourrait obliger le propriétaire à les garder; l'administration doit acquérir le terrain avec tout ce qui en fait partie.

816. Nous avons vu ci-dessus (Introduction), qu'en Angleterre, le propriétaire conservait la propriété des arbres. Cette disposition est juste en ce que l'on ne déduit alors de l'indemnité que la somme que le propriétaire pourra retirer du bois. Cependant, elle est moins avantageuse que celle qui a lieu en France, en ce que la vente des arbres peut causer de l'embarras au propriétaire.

817. Il faut remarquer que le propriétaire ne serait pas toujours indemnisé si on ne lui payait que la valeur du bois que produirait l'arbre abattu. C'est ordinairement un arbre sur pied, et en état de croissance que perd l'exproprié. Or, un arbre qui n'a pas encore acquis toute sa grosseur, gagne chaque année. S'il s'agissait d'arbres fruitiers, il faudrait évaluer la perte de l'exproprié d'après la privation des fruits pendant un certain nombre d'années.

818. La loi du 12-19 novembre 1790 porte que « l'estimation des arbres fruitiers plantés sur les rues ou les chemins publics, que les propriétaires riverains voudront racheter, sera faite au capital au

denier dix du produit commun annuel desdits arbres, formé sur les quatorze dernières années, déduction faite des deux plus fortes et des deux moindres, sauf les déductions que les experts pourront admettre sur ledit capital, d'après les localités, l'âge et l'état des arbres qu'il s'agira d'estimer. »

Cette base pourrait être adoptée, par analogie, en matière d'expropriation; mais elle ne s'applique pas aux arbres récemment plantés.

819. Si le gouvernement ne peut obliger l'exproprié à prendre le bois qui est sur la propriété, à compte de son indemnité, le propriétaire, rigoureusement parlant, ne peut, de son côté, prétendre à une indemnité pour ses arbres, s'il veut les conserver. Il faut qu'il enlève les arbres avant la fixation de l'indemnité, ou qu'il déclare qu'il les enlèvera avant que l'administration se mette en possession de son terrain. Mais, dans ces deux cas, il ne lui est dû aucune indemnité pour ces arbres. Pour avoir droit à les faire comprendre dans l'indemnité, il doit les abandonner à l'État avec le terrain, sauf à prendre avec l'administration des arrangemens auxquels, sans doute, elle se prêterait très facilement.

820. Lorsque le terrain exproprié comprend une pépinière ou une collection d'arbres exotiques, l'indemnité doit être fixée d'après des bases particulières, et non d'après la valeur séparée de chaque arbre.

Le conseil d'état a été appelé à fixer l'indemnité due à un pépiniériste lors des travaux de l'aqueduc de ceinture établi autour de Paris, par suite de la construction du canal de l'Ourcq. Voici les dispositions les plus importantes de cet arrêt, qui porte la date du 10 décembre 1817. (Sirey, t. IV, p. 250.)

Relativement aux plantes qui avaient péri par le fait de l'administration, entre la première et la seconde expertise, le

conseil décide qu'on doit admettre leur nombre tel qu'il a été indiqué par la première expertise, sans recourir à d'autres calculs.

Quant au prix des semis de sophora japonica, que les experts avaient porté à 30 francs le cent, le conseil déclare que, d'après de nombreux renseignemens sur la valeur de cet objet, en l'année 1808, il y a lieu à réduire le prix à 4 francs le cent. A l'égard du prix des autres plantes, « Considérant que les rapports d'experts contiennent un grand nombre d'évaluations partielles faites sur certains objets communs; que toutes les plantes étant payées en bloc par l'administration, l'allocation de l'indemnité peut être assimilée à une vente en gros, susceptible d'une forte diminution sur le prix de chacun des objets qui en font partie; - Que sur plus de neuf mille cinq cents plantes en pots ou en caisse, le sieur Tollard a pu, s'il l'a voulu, transporter hors de l'enceinte des travaux un grand nombre des objets les plus chers, et par là les soustraire à la destruction.»

Le conseil dit ensuite qu'il a comparé les prix énoncés dans les rapports d'experts avec ceux qu'indiquent les catalogues de plusieurs pépiniéristes, et c'est d'après toutes ces bases, que l'arrêt fixe l'indemnité due au sicur Tollard. Il lui alloue ensuite une indemnité pour privation d'eau. et les intérêts du tout à compter du jour de l'interruption de sa jouissance.

821. S'il s'agit d'une vigne, on ne doit pas s'arrêter à la valeur de chacun des ceps qui s'y trouvent, mais on doit rechercher le prix que le propriétaire pourrait obtenir de ce terrain. Le nombre, l'âge et la qualité des ceps doivent influer sur cette valeur; mais on doit estimer le tout ensemble. Il en serait de même d'un terrain entièrement planté en oliviers.

822. Quant aux grains, si l'administration veut se mettre en possession du terrain avant qu'ils puissent être récoltés,

nul doute qu'elle ne doive en payer au propriétaire le prix qu'il pourrait en retirer.

Il est donc évident que, lorsqu'il n'y aura pas urgence dans la prise de possession, l'administration laissera aux expropriés le temps d'enlever leurs grains. Mais ceux-ci pourraient-ils exiger que l'État leur payât de suite la valeur de ces récoltes, lorsque l'administration n'a pas immédiatement besoin du terrain? Sachant qu'ils seront indemnisés complètement, ils pourront élever une pareille prétention pour éviter les chances de perte qui existent toujours jusqu'au moment où le grain est entièrement récolté. Si cette prétention était accueillie, elle causerait un préjudice réel à l'administration, qui n'a aucun moyen de faire récolter ces grains, et devrait les revendre avec une grande perte. Cependant les principes seraient en faveur de l'exproprié. Dès l'instant où il perd son terrain, on ne peut l'obliger à en conserver un des accessoires.

823. Mais, si le jugement d'expropriation indique l'époque à laquelle l'administration prendra possession du terrain [608], et que cette époque soit postérieure à celle de la moisson, l'expropriation n'ayant été prononcée qu'avec cette modification, le propriétaire ne pourrait, sous aucun prétexte légitime, demander que l'administration lui payât le prix de cette récolte, que rien ne l'empêche de faire lui-même. C'est ainsi que cela se pratique en Angleterre. (Introduction.)

SECTION III.

Des indemnités accessoires et accidentelles. $ Ier. - des droits DE PÊCHE ET DE PLANTIS. 824. Il est certains droits qui découlent naturellement de la propriété, et qui la suivent en quelque main qu'elle passe, sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation spéciale.

d'un terrain contiguë à un chemin vicinal, l'exproprié perd le droit de plantis. qui lui était accordé comme riverain; il perd le droit de pêche, si on lui enlève le terrain contigu à un ruisseau, ou à une rivière qui n'est ni navigable ni flottable.

825. Le droit de plantis ne consiste qu'en une faculté qui a été concédée aux riverains, sans qu'ils y eussent aucun droit positif. On leur a permis de tirer parti d'une chose qui ne leur appartenait pas. Si le gouvernement retire la faculté qu'il avait concédée, ceux qui n'ont fait aucune plantation ne peuvent réclamer aucun dédommagement; les autres n'ont droit qu'à la réparation du préjudice éprouvé par la perte des arbres qu'il devient nécessaire d'abattre.

826. Le droit de pêche est attribué aux riverains, à la charge du curage et sous quelques autres obligations, presque toujours plus onéreuses que la pêche ne peut être profitable. On peut donc évaluer le terrain contigu à la rivière au même taux que les autres propriétés voisines, sans rien ajouter pour privation du droit de pêche; sauf, peut-être, en quelques cas extrêmement rares.

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§ II. DE L'INDEMNITÉ POUR MOINS-VALUE DU SURPLUS DE LA PROPriété.

827. Non seulement l'administration doit payer au propriétaire le prix du terrain qu'elle lui enlève, mais même si elle ne prend qu'une partie de la propriété, et que le surplus diminue de valeur par cette división, elle doit comprendre dans le dédommagement la moins value de ce surplus. Sans cela, le propriétaire ne serait pas indemne.

828. Il paraît cependant que ce principe avait été méconnu devant la cour royale de Bourges, qui s'est empressée de le proclamer par son arrêt en date du 13 février 1827. (Dalloz, 1827, p. 128; Sirey,

Ainsi, s'il y a expropriation de la partie t. XXVII, p. 151.)

La construction du canal latéral à la Loire exigeait l'expropriation pour cause d'utilité publique de partie des propriétés de la dame Fournier. Des experts sont nommés, par jugement du 22 février 1826, pour estimer les terrains qui seront traversés par le canal, eu égard au dommage qui en résulte pour cette dame ; Les experts estiment chaque héritage et accordent ensuite la somme de 600 fr. pour morcellement et dépréciation. A l'auA l'audience, le préfet du Cher décline la compétence du tribunal, en ce qui concerne l'indemnité pour dépréciation des terrains restans, et soutient en outre qu'aucune indemnité n'est due pour cet objet.

18 juillet 1826, jugement par défaut contre la dame Fournier, qui rejette le déclinatoire, homologue le rapport, et ordonne, de plus, l'exécution provisoire, nonobstant appel.

Appel par la dame Fournier, fondé sur ce que ses biens n'ont pas été estimés à leur juste valeur.

D'un autre côté, M. le procureur-général, par des conclusions déposées au greffe, interjette, au nom du préfet du Cher, appel incident, en ce que l'indemnité pour dépréciation ne pouvait être fixée que par l'autorité administrative, ce qui résultait, selon lui, de l'art. 11 de la loi du 8 mars 1810, qui n'investit les tribunaux que du droit d'estimer le fonds à céder; il soutenait aussi le bien jugé, en ce que l'exécution provisoire avait été ordonnée.

L'arrêt suivant retrace suffisamment les moyens de la dame Fournier, qui a, en outre, opposé une fin de non-recevoir, tirée de ce que l'appel incident aurait dù être formé par acte d'avoué à avoué.

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par requête signifiée à avoué, mais qu'aucune loi ne prescrit cette mesure, que le préfet n'a pas d'avoué en cause, et que les conclusions du procureur-général ont été déposées au greffe de la cour.... ;

Considérant, sur la troisième question, que l'indemnité due au propriétaire ne se borne pas seulement au prix nu de la chose, mais encore à tout ce qui peut lui occasionner quelques pertes ou privations pour les parties restantes des objets morcelés ; qu'ainsi, par exemple, si les parties restantes peuvent n'être plus susceptibles de culture, ou du moins exiger une culture plus dispendieuse par leur défaut d'étendue, il résulte de là, pour le propriétaire, une perte véritable, et que le vœu de la loi est qu'il soit indemnisé de tout ce qu'il perd; - Qu'en vain on allègue que cette estimation est réservée aux corps administratifs; que nulle loi n'autorise, ni aucun motif ne peut justifier une telle distinction, et prévaloir contre cette règle salutaire qui veut que le propriétaire soit indemnisé de tout ce qu'il perd, et qui, à défaut d'accord amiable entre le préfet et lui, laisse aux tribunaux le droit de fixer l'indemnité;

Considérant, sur la quatrième question, qu'aux termes de la charte, en cela conforme au code civil, nul ne peut être exproprié, pour cause d'utilité publique, que moyennant une juste et préalable indemnité; que le sens de ce mot préalable n'est pas douteux, et que le préfet s'étant borné à offrir l'estimation du fonds, avec les intérêts pour le retard, et ayant refusé l'indemnité fixée pour les démembremens, les premiers juges n'ont pu, sans violer la loi, ordonner l'exécution provisoire de leur jugement; qu'au surplus, l'appelante n'a pris à cet égard aucunes conclusions dans son intérêt personnel; — sans avoir égard à la nullité et aux fins de non-recevoir proposées contre l'appel incident, dit qu'il a été bien jugé aux chefs qui fixent

l'indemnité, pour le terrain nécessaire au canal, à 16,411 fr. etc.; plus, 600 fr. pour indemnité résultant du morcellement, etc.; dit qu'il a été mal jugé dans les autres dispositions, etc.

829. Dans une multitude d'autres circonstances, l'administration a, sans difficulté, alloué des indemnités pour moinsvalue. Nous avons même vu ci-dessus [794] que la loi avait été plus loin relativement aux maisons, et qu'elle avait admis le propriétaire qui trouverait que la destruction d'une partie de sa maison détériore trop le surplus, à exiger que l'administration lui achète la maison entière. Certes, c'est bien reconnaître que ce propriétaire doit être indemnisé de tout le préjudice qu'il souffre.

850. La moins-value des propriétés rurales naît souvent de ce qu'à raison du peu d'étendue de la parcelle restant au propriétaire, il ne peut presque plus en tirer d'utilité, ou ne peut plus l'employer qu'à un usage bien moins profitable que celui qu'elle avait précédemment.

851. Il nous semble que le moyen le plus simple d'apprécier cette moins-value est de comparer la valeur de la partie restante de la propriété avant l'expropriation, avec celle qu'aura cette partie restante après l'exécution des travaux entrepris, et la différence entre ces deux valeurs indiquera l'indemnité due pour moins-value. Pierre est exproprié des trois quarts d'un terrain de la contenance d'un hectare; le terrain entier est évalué 2000 fr., et par suite les trois quarts expropriés valent 1500 fr. Mais il est reconnu que le quart restant qui, d'après la même base, valait 500 fr., ne vaudra plus que 200 fr., Ce restant éprouve donc une moins-value de 500 fr., et l'indemnité doit être portée à 1800 fr.; car, bien que le propriétaire ne perde qu'un terrain valant en réalité 1500 fr.,il éprouve un préjudice de 1800 fr., et il doit être indemnisé sur cette base. DELALLEAU.

852. Il faut toutefois rechercher si l'exproprié n'est pas propriétaire d'un terrain contigu auquel la parcelle pourrait être réunie; car alors, en opérant cette réunion, la moins-value pourrait ne pas exister ou être beaucoup moins considérable.

855. La moins-value peut encore naître de la difficulté des communications qui rend les frais de culture plus considérables, de la privation d'une eau nécessaire à la propriété, etc. Relativement à ce dernier objet, voir un arrêt du conseil du 10 décembre 1817 [827] qui a reconnu qu'il résultait de là une cause d'indemnité.

834. Sur la manière d'apprécier la moins-value, on peut consulter un autre arrêt du conseil, du 3 décembre 1817 (Sirey, t. IV, p. 203). Le sieur de Lablanchetais était propriétaire d'un moulin situé sur la rivière du Blavet. La communication avec ce moulin était établie par un pont de pierre qui fut démoli, en 1808, pour l'avantage de la navigation du Blavet, et dèslors il devint impossible d'exploiter cette usine autrement que par un bateau dit va et vient. L'on reconnut que le moulin loué précédemment 945 fr. ne pouvait plus l'être au-delà de 800 fr.; que sur cette somme, il faudrait encore déduire celle de 200 fr. pour le traitement d'un ouvrier spécialement affecté au service dudit bateau, et celle de 60 fr. pour l'entretien annuel du bateau, de son câble et de son guindeau. D'un autre côté, on déduisit du revenu de 943 fr. la somme de 13 fr. 35 c. que le sieur deLablanchetais pouvait avoir à payer annuellement pour l'entretien de l'ancien pont, et la différence entre l'ancien revenu net de 931 fr. 67 c., et le revenu net actuel de 340 fr. forma la moinsvalue éprouvée par le moulin.

On devrait opérer de même dans d'autres cas semblables.

855. Nous devons rappeler ici la disposition de l'art. 54 de la loi du 16 septembre 1807 portant: « Lorsqu'il y aura lieu

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