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par suite n'était aucunement propriétaire des biens que cette loi réservait aux communes. Telle est aussi l'opinion de M. de Cormenin, t. Ier, p. 123, 2o édit. Ce principe paraît reconnu par un arrêt du conseil du 23 octobre 1816 (Sirey, t. III, p. 417). A la vérité, il existait un arrêté du préfet antérieur à la vente qui déclarait le paquis inaliénable; mais le conseil d'état se base aussi sur ce que le bien vendu était, de sa nature, non susceptible d'être cédé à la caisse d'amortissemeut.

1416. Si le bien vendu comme domaine national avant la charte, avait été revendu depuis la charte, par voie de folle-enchère, le nouvel acquéreur serait-il propriétaire irrévocable au préjudice du tiers à qui le bien appartenait réellement? M. de Cormenin dit sur cette question : « Le tiers doit se reprocher de n'avoir, ni lors de la vente, ni depuis la reprise de possession, ni lors de la revente, réclamé ses droits, quoique la publicité de ces divers actes l'ait suffisamment averti. La revendication tardive de ce tiers négligent ne saurait prévaloir contre la bonne foi de l'aquéreur sur folle-enchère qui, après tant d'épreuves successives, a dû compter fermement sur Ja purgation complète de son titre, et sur la solidité de sa possession. D'ailleurs, on peut dire que la vente et la revente après déchéance, forment un tout indivisible régi par le même principe et ayant les mêmes effets. Toutefois, je propose ceci comme un doute, plutôt que comme une solution. » (T. II, p. 89, 2e édition.)

1417. Nous partageons cette opinion pour le cas où il n'y aurait eu aucune opposition à la vente; le maintien des ventes nationales est une mesure toute politique, dont l'application ne doit pas être tout-àfait assujettie aux règles ordinaires du droit.

1418. Mais si le légitime propriétaire avait formé opposition, la vente ne pourraît être maintenue. Le respect des pro

priétés consacré par l'art. 10 de la charte est aussi puissant que le maintien des ventes nationales prononcé par l'art. 9. Nul n'a dù penser que le gouvernement légitime pût et voulut vendre un bien qui appartenait à un tiers. L'acquéreur a d'ailleurs une action en dommages-intérêts; le propriétaire évincé n'aurait aucun recours. Si cependant le propriétaire avait réclamé et obtenu une indemnité, en vertu de la loi du 27 avril 1825, il aurait reconnu à l'État le droit d'aliéner sa propriété, et ne pourrait pas plus attaquer la revente que la vente primitive.

SECTION II.

De l'autorité qui doit décider si le bien a été ou non compris dans la vente nationale.

1419. Une multitude d'arrêts du conseil d'état ont consacré sur ce point la compétence du conseil de préfecture.

M. de Cormenin, 2e édition, tome Ier, p. 366, dit que les motifs de cette attribution aux conseils de préfecture ont été principalement, 1o de placer la vente des biens nationaux sous la tutelle politique du gouvernement lui-même, tutelle plus active, plus éclairée, plus uniforme, plus forte et plus rassurante pour les acquéreurs que celle des tribunaux; 2o de ne pas laisser ces sortes de contestations s'agiter entre les acquéreurs et les émigrés, avec scandale et fureur peut-être, devant le public, et parmi les solennités des audiences judiciaires; 3o l'irrégularité des contrats de vente qui a été si étrange et si commune dans le tumulte de la révolution, que les tribunaux, avec les règles inflexibles de leur justice distributive, auraient annulé la plupart de ces actes informes; 4o qu'il est naturel que l'administration déclare le sens des actes qu'elle a passés; 5o les inconvéniens de la diversité de jurisprudence qui pourrait s'établir parmi les cours roya

les; 6o la non-promulgation d'une foule de décrets conservés dans les archives de l'administration, mais qui ont fondé une multitude de droits acquis, et ont servi de base à la jurisprudence du conseil d'état depuis nombre d'années.

1420. L'attribution des conseils de préfecture se borne à prononcer sur la validité de la vente, et sur les objets qui y ont été compris, et encore lorsque cette détermination doit et peut se faire par les énonciations de l'acte d'adjudication; car si elle ne pouvait avoir lieu que par l'examen des titres anciens ou de la possession, ou par l'application des usages locaux ou des moyens et maximes du droit civil, la contestation rentrerait dans les attributions des tribunaux.

1421. La distinction que nous avons faite dans la section précédente [1411] fait déjà présumer que la compétence des conseils de préfecture ne s'étend pas aussi loin en matière de vente de biens de la caisse d'amortissement, qu'en matière de vente de domaines nationaux. Elle se borne alors aux contestations existant entre l'adjudicataire et l'État, et non aux revendications faites par des tiers.

SECTION III.

De l'indemnité à reclamer par les tiers regnicoles expropriés de biens vendus

comme domaines nationaux.

1422. La nécessité d'une indemnité envers les tiers regnicoles dont les biens avaient été vendus nationalement ne pouvait être contestée. Leur dépossession avec indemnité était déjà une grande injustice. Aussi cette indemnité était-elle reconnue implicitement par l'article 2 de la loi du 24 frimaire an vi, ainsi conçu : « Les citoyens qui ont à réclamer du trésor public des sommes quelconques, soit pour la restitution du prix des domaines nationaux dont les ventes ont été annulées, ou à l'u

tilité desquelles il a été renoncé, soit en remplacement de la valeur des domaines aliénés par la république, et à raison desquels les anciens propriétaires ont été renvoyés à se pourvoir en indemnité, fourniront leurs demandes en indemnité, appuyées de pièces justificatives, pardevant le directeur des domaines du département dans lequel les ventes ont été faites. Ce directeur procédera à la liquidation provisoire des sommes réclamées; ses opérations seront revues par la régie des domaines, à Paris, qui liquidera et arrêtera définitivement sous sa responsabilité. »

1425. Cette indemnité aurait dù être du prix réel du bien aliené. Mais, comme toutes les mesures de cette époque étaient empreintes d'iniquité, on décida que l'indemnité ne serait que du montant du prix effectif reçu dans les caisses de l'État. C'est ce qu'atteste M. de Cormenin (t. II, p. 92, 2e édition).

1424. D'après les explications dans lesquelles nous sommes entrés, [tit. VII, 561 et suiv.] sur les déchéances, on reconnaîtra d'ailleurs que presque toutes les réclamations de cette nature sont frappées de déchéance. Voir M. de Cormenin, t. II, p. 85, 86 et 264, 2o édit.

1425. Le conseil d'état admet d'ailleurs

que l'époque de la créance se détermine toujours par l'époque des ventes, mème dans le cas où le propriétaire réclamant aurait été dans l'impossibilité de faire reconnaître son droit ou d'obtenir sa liquidation. Or, comme la plupart des ventes nationales sont antérieures à l'an Ix, il y a déchéance complète de toute action en indemnité, puisqu'on n'admet aucune réclamation pour créances antérieures à l'an Ix.

1426. Il cût donc été avantageux aux propriétaires qui ont été ainsi dépouilles, de pouvoir invoquer la loi d'indemnité du 27 avril 1825. Cette faculté leur avait été reconnue par le ministre des finances,

mais elle leur a été refusée par le conseil

d'état.

Voici cet arrêt qui est du 26 février 1826 (Macarel, t. VIII, p. 105), et que nous rapportons avec détail, à cause de son impor

tance.

En 1807, un domaine appartenant à la dame Gail, fut compris, par erreur, dans une vente de biens nationaux opérée dans la commune de Bischoffsheim (Haut-Rhin). Malgré les réclamations de ses héritiers, la vente fut confirmée, et ils furent renvoyés vers le trésor pour en recevoir le prix. Une décision ministérielle du 5 juin 1822 les reconnut créanciers de l'État, de la somme pour laquelle lesdits biens avaient été compris dans la vente, et ordonna que cette somme serait liquidée par l'administration des domaines, et payée conformément au § 1er de l'art. 4 de la loi du 25 mars 1817.

Les sieurs Badany réclament contre le mode de paiement; ils soutiennent que, ne se trouvant dans aucun des cas prévus par les lois des 25 brumaire, sur les émigrés, et 25 prairial an III, sur les condamnés, ils doivent être indemnisés conconformément à l'art. 16 de la loi du 8 mars 1810, à dire d'experts, avec paiement d'intérêts depuis le jour de la vente. - Seconde décision par laquelle, en confirmant la première, il est déclaré que l'indemnité ne sera pas réglée d'après les prix payés en mandats par les acquéreurs, mais en numéraire. Cette décision ne statuant rien sur le mode de paiement contesté, les sieurs Badany présentent une pétition à la chambre des députés, qui y statue dans sa séance du 26 février 1825, et renvoie à son Exc. le ministre des finances, la connaissance de cette affaire. Les motifs du renvoi sont que la famille Badany ne peut être victime de la collusion qui a eu lieu lors de la vente administrative; que si elle n'a d'autre recours que contre l'État, ses droits doivent être ré

glés, non par les lois sur l'émigration, mais par les règles du droit commun.

Sur ce renvoi, S. Exc. consulte le comité des finances du conseil d'état, qui, le 26 juillet 1825, émet un avis conforme à celui qu'avait émis précédemment le directeur-général de l'enregistrement, et déclare que l'indemmité due aux héritiers Gail, ne doit pas être réglée d'après la loi du 27 avril 1825, mais d'après une expertise préalable: néanmoins le 10 septembre 1823, S. Exc. rend une décision par laquelle elle déclare que la réclamation des sieurs Badany rentre dans l'application de la loi du 27 avril 1825, sur l'indemnité des émigrés.

Recours au conseil contre cette décision. Ils soutiennent que la loi du 27 avril 1825, sur l'indemnité accordée aux émigrés, ne leur est pas applicable; que ce n'est point en qualité d'héritiers d'émigrés, de déportés ou condamnés qu'ils réclament, mais en qualité de propriétaires dépossédés indûment par l'État, dans une vente administrative; que dès-lors, de deux choses l'une ou ils doivent rentrer dans leurs

biens vendus par erreur, conformément aux règles du droit commun (code civ., 1599), ou bien, si on confirme la vente, ils doivent être payés de la valeur de leurs biens, conformément aussi aux règles du droit commun, c'est-à-dire, suivant les dispositions de la loi du 8 mars 1810, de l'art. 545 du code civ., et de l'art. 10 de la charte. En conséquence, ils demandent que la décision attaquée soit annulée, et que l'avis du comité des finances du 26 juillet 1825 soit confirmé.

Le ministre des finances fait observer que la fausse indication portée dans le contrat de vente, ne peut être un motif qui empêche de leur appliquer la loi d'indemnité. Le dommage est le même de quelque manière que la vente ait été faite; il donne droit à la même réparation. « Ce principe a déjà été reconnu dans un cas parfaitement

analogue (dit S. Exc.); celui où des biens
vendus par des propriétaires, avant leur
émigration, ont été séquestrés comme ap-
partenant à l'émigré et vendus au profit
de l'État. On n'a fait aucune difficulté,
jusqu'à présent, de reconnaître que les
acquéreurs des biens dont il s'agit, avaient
droit à l'indemnité accordée par la loi du
27 avril 1823. Ces propriétaires n'étaient
pas dans une autre position que les héri-
tiers Gail; leurs biens avaient aussi été
vendus par erreur, comme propriété na-
tionale; ils étaient en droit de réclamer,
en vertu de toutes les lois invoquées par
les héritiers Gail; ils étaient en droit de
réclamer, quand même la loi du 27 avril
ne fût pas intervenue; et cependant cette
loi leur a été appliquée sans contestation.
CHARLES, etc. Sur le rapport du co-
mité du contentieux, vu l'art. 94 de
l'acte du 15 décembre 1799 (22 frimaire
an VIII); considérant que la loi du 27
avril 1825 ne s'applique qu'aux biens qui
ont été confisqués et aliénés en exécution
des lois sur les émigrés, les déportés et les
condamnés révolutionnairement;
sidérant que la loi du 8 mars 1810 n'est
relative qu'aux cas d'expropriation pour
cause d'utilité publique ; considérant
que les biens dont la vente a donné lieu
aux réclamations des héritiers Gail, ne se
trouvent ni dans l'une ni dans l'autre de
ces deux catégories; mais qu'ils ont été
compris, par erreur, dans une vente de
biens nationaux faite administrativement;
art. 1er. La décision prise par notre
ministre des finances, le 10 septembre
1825, est annulée. Art. 2. Les con-
clusions des héritiers Gail tendant à être
indemnisés conformément à la loi du 8
mars 1810, sont rejetées.

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con

compétent pour prononcer sur l'application de la loi d'indemnité, du 27 avril 1825, à l'espèce dont il s'agit; mais pouvait-il, sans que l'affaire eût été portée au conseil de préfecture, statuer sur une question d'expropriation? La loi du 8 mars 1810 n'était pas, il est vrai, applicable à une expropriation tacite opérée en 1807, mais l'art. 343 du code civ. voulait aussi qu'il fùt accordé une juste indemnité.

SECTION IV.

Du recours à exercer par les tiers dont les biens auraient été vendus par l'État dans la forme des ventes nationales.

1427. La revendication du bien ainsi vendu par l'État par erreur, est presque toujours dirigée d'abord contre l'acquéreur en sa qualité de détenteur, et celui-ci peut mettre l'État en cause. Si, au contraire, il représente son contrat de vente et défend lui-même à l'action dirigée contre lui, il s'expose, s'il succombe, à ce que l'administration lui oppose que, si elle avait été appelée au procès, elle eùt fait écarter la revendication.

1428. L'adjudicataire peut aussi soumettre directement sa réclamation à l'autorité administrative, qui, si elle reconnait les droits du revendiquant, annulle la vente, sauf à l'adjudicataire à se faire restituer le prix par lui payé. Toutefois celui-ci peut former opposition à l'arrêté d'annulation. Ces conséquences résultent de l'arrêt du conseil, du 16 juin 1824. rendu entre le sieur Chalret et madame de Lur-Saluces. (Macarel, t. VI, p. 510.)

L'État, outre la restitution du prix, peut aussi, selon nous, être condamné à des dommages-intérêts envers l'acquéreur

Le conseil d'état était, sans nul doute, évincé. ( Code civ., 1630. )

TITRE DIX-HUITIÈME.

DES DÉPOSSESSIONS OPÉRÉES SANS QUE L'EXPROPRIATION AIT ÉTÉ PRONONCÉE.

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1450. Nous avons tracé ci-dessus (titres IV, VI et VIII) les règles à suivre pour faire constater la nécessité de l'expropriation pour utilité publique dans les cas ordinaires. Nous avons vu aussi (titre XV) que, dans certains cas d'urgence, les tribunaux peuvent, en vertu de l'art. 19 de la loi du 8 mars 1810, mettre provisoire ment l'administration en possession des terrains qui lui sont nécessaires, sans que l'indemnité due au propriétaire soit payée ni même fixée. Mais il peut se présenter des cas d'urgence tellement grande qu'il

DELALLEAU,

soit tout-à-fait impossible de remplir, avant la prise de possession de la propriété, aucune des formalités indiquées par la loi; tel serait le cas où il s'agirait de s'opposer à la dévastation d'une contrée par l'irruption des eaux, de rétablir une communication indispensable, d'arrêter les progrès d'un incendie et autres semblables.

1451. Dans de pareilles circonstances la prise de possession pourrait avoir lieu sans accomplir aucune formalité, d'après le principe : salus populi suprema lex esto. Mais, comme cette urgence qui contraint

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