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considérent que le commerce et l'industrie retireront de grands avantages de cet établissemt, particulièrement pour le transport de la houille que fournissent en abondance les contrées qu'il doit traverser; qu'un chemin de fer destiné au public est, comme un canal de navigation, un ouvrage d'utilité générale ; qu'ainsi le gouvernement peut conférer aux concessionnaires la faculté d'acquérir les terrains sur les quels il devra être établi, moyennant une indemnité préalable, et à charge de se conformer aux règles prescrites par la loi du 8 mars 1810; considérant cependant que la demande tendante à obtenir l'autorisation d'établir un chemin de fer sur le versant du Rhône n'est présentée que d'une manière conditionnelle, et ne saurait, par conséquent, être accueillie quant à présent; Art. 1er. Les sieurs de Lur

Saluces et consorts sont autorisés à établir un chemin de fer de la Loire au pont de l'Ane sur la rivière de Furens, par le territoire houiller de Saint-Étienne. - 2. La compagnie du chemin de fer sera tenue de se conformer à la loi du 8 mars 1810, relative aux expropriations pour cause d'utilité publique. A cet effet, le projet de la direction de ce chemin sera remis au préfet du département, qui le transmettra à notre directeur-général des ponts et chaussées et des mines avec son avis. Ce projet sera soumis à notre approbation par notre ministre de l'intérieur. 5. Lorsque la direction du chemin de fer aura été approuvée, la compagnie fera lever le plan terrier indiqué dans l'art. 5 de la loi du 8 mars 1810. Les autres formalités prescrites par cette loi, seront pareillement observées. »

CHAPITRE III. De l'utilité privée.

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code civil, portant: « Tout propriétaire joignant un mur a la faculté de le rendre mitoyen en tout ou en partie, en remboursant au maître du mur la moitié de sa valeur, ou la moitié de la valeur de la portion qu'il veut rendre mitoyenne, et moitié de la valeur du sol sur lequel le mur est bâti. »

Mais si l'on se reporte aux motifs qui ont fait adopter une pareille disposition, on reconnaît qu'elle est fondée bien plus sur l'utilité publique que sur celle des particuliers. Si elle a pour résultat d'économiser å ceux-ci quelques frais de construction, elle a surtout en vue l'embellissement des

villes, dont les rues, au moyen de cette mesure, présentent un aspect plus agréable, puis l'économie du terrain, qui est souvent un objet important, surtout dans le centre de certaines villes. (M. Pardessus, Traité des Servitudes, n. 143; M. Toullier, t. III, n. 196; M. Locré, Esprit du Code civil, t. VII, p. 428.)

146. Le second cas est le retrait successoral établi par l'art. 841 du code civil, ainsi conçu ; « Toute personne, même parente du défunt, qui n'est pas son successible, et à laquelle un cohéritier aurait cédé son droit à la succession, peut être écartée du partage, soit par tous les cohéritiers, soit par un seul, en lui remboursant le prix de la cession. »

L'acquéreur qui, par suite de la cession, se trouvait avoir des droits dans un ou plusieurs immeubles, peut en être évincé, contre son gré, par le fait d'un simple particulier. Nous ne considérons pas, malgré cela, ce retrait comme d'utilité privée. Quoiqu'il soit exercé au nom d'un particulier, il a été établi par des motifs d'utilité publique, proclamés par l'autorité souveraine dans une loi formelle. Voici les motifs de l'art. 841:

« Les étrangers qui achètent des droits successifs apportent presque toujours la dissension dans les familles et le trouble dans les partages. Le projet de loi donne le moyen de les écarter............ » Cette disposition, infiniment sage, est conforme aux lois per diversas et ab Anastasio, qui avaient été généralement admises dans notre jurisprudence. Il est de l'intérêt des familles qu'on n'admette point à pénétrer dans leurs secrets, et qu'on n'associe point à leurs affaires, des étrangers que la cupidité ou l'envie de nuire ont pu seules déterminer à devenir cessionnaires, et que les lois romaines dépeignaient si énergiquement par ces mots : Alienis fortunis inhiantes. » M. Chabot de l'Allier. Motifs du Titre des Successions.

147. Les deux dispositions que nous venons de rappeler consacrent de véritables expropriations; mais bien qu'établies dans des vues d'intérêt général, elles ne sont pas du nombre de celles désignées aujourd'hui sous le nom d'expropriations pour cause d'utilité publique, puisque celles-ci n'ont lieu que pour faciliter l'exécution de travaux publics [31]. Tous les débats qui peuvent s'élever sur l'acquisi→ tion de la mitoyenneté d'un mur ou sur l'exercice du retrait successoral, ne concernant que l'intérêt privé, l'autorité publique ne devait intervenir que pour déclarer qu'en cas de refus du voisin ou de l'acquéreur des droits successifs, on pourrait les contraindre à la cession. Toute contestation relative à ces deux objets doit donc être instruite et jugée comme tout autre procès entre particuliers, et nous n'avons point à nous en occuper dans le cours de cet ouvrage.

148. On a quelquefois indiqué comme un exemple d'expropriation pour cause d'utilité particulière, le droit de passage accordé par l'art. 682 du code civil, portant: « Le propriétaire dont les fonds sont enclavés, et qui n'a aucune issue sur la voie publique, peut réclamer un passage sur les fonds de ses voisins pour l'exploitation de son héritage, à la charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasioner. »

On peut même remarquer que M. Pardessus dit à cette occasion : « L'obligation qu'impose cet article est une nouvelle dérogation au principe général, qui ne permet pas que qui que ce soit puisse être contraint à vendre son bien malgré lui. » Traité des Servitudes, n. 217.

On pourrait conclure de ce passage isolé que, dans l'opinion de ce savant magistrat, le propriétaire du fonds enclavé peut exiger la vente du terrain nécessaire au passage dont il a besoin. Mais telle n'a pu être sa pensée, car dans le même aliéna, il

qualifie le droit dont il s'agit, de servitude légale de passage. Dans les numéros suivans, sa pensée se développe encore plus clairement, notamment dans le n. 220,où il dit que le passage peut n'être pas permanent, et dans le n. 225,où il décide que ce passage doit cesser d'exister s'il n'est plus nécessaire.

M. Toullier, t. III, n. 317, dit : « Ce n'est pas seulement pour cause d'utilité publique qu'on peut être forcé d'aliéner; on peut l'être quelquefois pour une nécessité particulière. Nous en trouverons un exemple dans l'art. 682 du code, qui oblige un voisin de vendre un passage pour l'exploitation des fonds voisins, lorsqu'ils se trouvent enclavés de manière à n'avoir aucune issue sur la voie publique. C'est l'obligation de vendre une servitude. » Ces derniers mots expliquent suffisamment la pensée de ce profond jurisconsulte, et l'on voit qu'il ne considère le droit de passage à accorder que comme une servitude à concéder et non une propriété à céder. Voir aussi son n. 547, et M. Isambert, n. 295 du Traité de la Voirie.

Nous croyons donc pouvoir considérer le droit de passage forcé, comme ne donnant pas lieu à une expropriation en faveur du propriétaire enclavé, mais seulement à une servitude légale [41].

149. Les cas d'expropriation prévus par les art. 661 et 841 du code civil, sont les seuls où l'intérêt d'un particulier puisse amener l'expropriation d'une partie de la propriété d'un tiers. Le dommage considérable que le premier pourrait éprouver et le faible préjudice que ressentirait le second, ne peuvent autoriser les tribunaux à consacrer une expropriation, même minime.

Comme des considérations d'équité pourraient entraîner des magistrats à méconnaître ce principe, nous croyons devoir rappeler ici quelques affaires où les motifs les plus puissans ont inutilement été invoqués contre les droits de la propriété.

150. Les sieurs Hellot et Leclerc sont

propriétaires de deux maisons contiguës, situées à Rouen, et séparées par un mur mitoyen. En 1819, le sieur Leclerc démolit le mur mitoyen et élève un nouveau bâtiment (31 janvier 1820), et lorsque le bâtiment du sieur Leclerc n'avait que huit ou neuf pieds d'élévation, le sieur Hellot lui fait sommation de cesser ses travaux, attendu qu'il empiète sur son fonds. Nonobstant cette sommation, le sieur Leclerc continue et achève les constructions. Le sieur Hellot l'assigne devant le tribunal de Rouen. Il allègue en fait, 1o qu'au moyen de la nouvelle construction, Leclerc a commis un empiètement de quatorze pouces et neuf lignes; 2o qu'il a coupé un escalier et un sommier du bâtiment de lui Hellot; 5o qu'il a, par suite, ébranlé ce bâtiment. Il conclut à ce que Leclerc soit tenu de démolir la nouvelle construction et à consolider le bâtiment ébranlé, à peine de 3,000 francs de dommages-intérêts.

Les faits allégués par Hellot sont établis par une expertise: aussi Leclerc ne cherche pas à les contester; mais il s'attache à prouver que le bâtiment d'Hellot tombait en ruine, qu'il ne pouvait être réparé, attendu qu'il était compris dans l'alignement de la ville de Rouen ; qu'ainsi Hellot n'avait éprouvé qu'un dommage très minime; qu'au contraire, l'obligation de démolir causerait à lui Leclerc un préjudice considérable; qu'il convenait, par conséquent, de rejeter la demande en démolition, et d'accorder seulement au sieur Hellot une indemnité propre à réparer le dommage par lui souffert.

1er décembre 1820, jugement du tribunal de Rouen, qui déclare le sieur Hellot non recevable dans sa demande en démolition, et ordonne qu'il sera procédé par un expert à l'estimation du dommage à lui causé (3 janvier 1821); arrêt de la cour royale qui confirme.

Pourvoi en cassation de la part du sieur Hellot, pour violation des art. 545 et 555

du code civil, en ce que l'arrêt dénoncé a jugé qu'un propriétaire pouvait être contraint à souffrir un empiétement sur son terrain, de la part d'un voisin, moyennant une indemnité, contrairement au vœu précis de l'art. 545 ; et en ce que l'arrêt dénoncé a jugé que des constructions faites sur le terrain d'autrui pouvaient être maintenues, nonobstant l'opposition du propriétaire du fonds, contrairement à

l'art. 555.

Dans l'intérêt du défendeur, on répond que l'arrêt n'a point décidé qu'un propriétaire peut être obligé de céder sa propriété, hors le cas d'utilité publique, ou qu'il n'a pas le droit de faire enlever les constructions faites sur son terrain par un tiers; que seulement il a considéré que ces constructions n'avaient causé au sieur Hellot qu'un faible préjudice ; qu'on ne pouvait les regarder comme une atteinte à sa propriété, tandis qu'au contraire l'obligation de démolir imposée à Leclerc lui causerait un dommage immense; que dès-lors il convenait de concilier les droits respectifs des parties, en accordant seulement au sieur Hellot une indemnité égale au dommage souffert; qu'il était donc impossible de voir dans l'arrêt de la cour royale une violation des articles précités.

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vu les

Le 22 avril 1823, la cour, art. 545 et 555 du code civil; attendu que les dispositions contenues dans ces articles sont un hommage rendu au droit sacré de la propriété, lequel toujours, hors le cas d'utilité publique, doit être d'autant plus scrupuleusement respecté, qu'y porter atteinte c'est non seulement troubler, mais même ébranler la société dont il est le fondement ; attendu qu'il est constant, en fait, que c'est contre le consentement du sieur Hellot, et malgré son opposition formellement exprimée par la sommation du 31 janvier 1820, que le sieur Leclerc a, pour son intérêt privé, bâti sur le terrain dudit Hellot; qu'ainsi la cour

DELALLEAU.

royale, en rejetant la demande en démolition intentée par ce dernier, a violé les articles sus-référés ; — casse, etc. (Dalloz, 1823, p. 203; Sirey, t. XXIII, p. 381; J. Pailliet, t. LXVII, p. 188.)

151. La dame veuve Delathe et les sieurs Boucher et Lenoël possédaient chacun une maison sur le pont appelé du Moulin du Roi, à Amiens. Les trois maisons étaient séparées par un mur mitoyen; celle du sieur Lenoël tombant en ruine, il s'adressa au préfet de la Somme pour qu'il indiquât de quelle manière le mur mitoyen devait être reconstruit. La dame Delathe et le sieur Boucher adressèrent leur demande dans les mêmes vues.

Le 29 octobre 1811, le préfet prit un arrêté dont le premier article portait que, par mesure de sûreté publique, le mur mitoyen ne pourrait être reconstruit sur les retombées de la voûte du pont. Par l'art. 2, comme il n'était pas juste d'obliger l'une des parties plutôt que l'autre à céder son terrain, il les invitait à s'arranger amiablement sur le point de savoir laquelle des deux céderait à l'autre tout ou portion de son terrain pour que les dispositions de l'article 1er pussent être exécutées. L'article 3 portait : « Faute par les parties de s'entendre entre elles sur cette concession, il sera fait une estimation de leurs terrains respectifs, eu égard à leur valeur intrinsèque et relative, par experts convenus ou nommés d'office, et elles seront admises à enchérir les unes sur les autres ; à l'effet de quoi elles se pourvoiront devant qui de droit. »

La dame veuve Delathe réclama au conseil d'état contre cet arrêté. En reconnaissant que le 1er article avait été rendu dans les limites de la compétence du préfet, elle reprochait aux deux autres articles d'avoir violé les différentes dispositions de l'article 345 du code civil, et de la loi du 8 mars 1810.

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10 avril 1812, arrêt. << Considérant que le préfet de la Somme avait le droit et

de justes motifs de défendre la construction d'un mur sur les retombées de la voûte du pont dont il s'agit, puisque cette construction pouvait avoir des effets dangereux à la sûreté publique ; mais que, dans des vues d'intérêt privé et d'arrangement entre voisins, le préfet n'avait pas le droit d'ordonner que la veuve Delathe achèterait la maison de son voisin, ou qu'elle lui vendrait la sienne, — L'art. 1er de l'arrêté du préfet de la Somme, sous la date du 29 octobre 1811, est maintenu. Les autres articles du susdit arrêté sont annulés. » (Sirey, t. II, p. 37.)

152. Des arrêtés du préfet des Bouchesdu-Rhône, des 9 et 16 mai 1812, portaient autorisation aux sieurs André père et fils, de reconstruire un moulin à farine au quartier de Gratian, sur le bord de la rivière d'Are. Un arrêté du conseil de préfecture du même département, du 20 janvier 1818, portait, entre autres dispositions, que les sieurs Rigaut et Ferry-Lacombe seraient tenus de n'apporter aucun obstacle aux travaux du moulin, et de céder 124 mètres de longueur sur 6 mètres de largeur de terrain pour l'ouverture du canal dudit moulin, moyennant une juste indemnité. Un autre arrêté du conseil de préfecture du 6 mars 1818, sur le refus du sieur Ferry-Lacombe de convenir d'experts, nomma des experts d'office, à l'effet d'estimer l'indemnité qui pourrait être due à ce propriétaire.

Celui-ci se pourvut au conseil d'état, et sa requête fut admise par arrêt du 24 décembre 1818. << Vu l'art. 543 du code civil, l'art. 10 de la charte constitutionnelle, et la loi du 8 mars 1810, sur les expropriations forcées pour cause d'utilité publique; - Considérant que nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité; Considérant qu'à nous seul appartient le droit de constater et d'admettre les causes d'utilité

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publique, et qu'alors l'expropriation forcée ne peut être prononcée que par les tribunaux ordinaires; Notre conseil d'état entendu, Nous avons ordonné et ordonArt. 1er. L'arrêté du nons ce qui suit : conseil de préfecture des Bouches-duRhône, du 20 janvier 1818, est annulé pour cause d'incompétence et excès de pouvoir. - 2. Est également annulé, et pour les mêmes motifs, l'arrêté dudit conseil, du 6 mars 1818, ainsi que tout ce qui l'a suivi. 3. Les sieurs André père et fils sont condamnés aux dépens. » (Sirey, t. V, p. 42).

153. Le principe que l'on ne peut exproprier pour un intérêt privé est formellement reconnu par un arrêt du conseil du 7 mars 1821.

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Le sieur Delucq était propriétaire, dans la commune de Cauneille (Landes), d'un terrain séparé d'un chemin vicinal par une place publique. Il a demandé au préfet un alignement sur ce chemin, qu'il indiquait comme bornant sa propriété. — L'alignement a été accordé le 2 septembre 1809. En conséquence, Delucq a fait enclore de murs ce terrain servant de place publique, qui se trouvait aussi renfermé dans l'alignement donné. Sur les vives réclamations de la commune, le préfet a d'abord ordonné la suspension des travaux du sieur Delucq; puis il a, par un troisième arrêté, du 27 juillet 1818, rapporté celui du 2 septembre 1809, et renouvelé la défense faite au sieur Delucq, sous peine de démolition. - Durant le laps de temps écoulé entre le premier et le troisième arrêté, le sieur Delucq avait presqu'entièrement achevé sa construction. La commune a demandé qu'elle fut démolie, et que le sieur Delucq restituât le terrain qu'elle prétendait avoir été usurpé sur elle.

Saisi de la question, le conseil de préfecture a rendu, le 26 novembre 1819, un arrêté dont voici les motifs : « Considérant que le sieur Delucq a fait observer

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