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car, sans cela, la publicité du chemin n'étant pas constante, on ne pourrait en induire son imprescriptibilité, qui n'est établie que sur son caractère de chemin public.

199. Nous devons rappeler ici une distinction très sage qui a été énoncée dans la circulaire ministérielle de l'an xin, et d'après laquelle « on doit distinguer les usurpations manifestes des empiétemens douteux ou très anciens; » ajoutant que <«<lorsqu'il ne serait pas évidemment prouvé qu'un terrain a dù, de mémoire d'homme, faire partie d'un chemin auquel il s'agira de rendre sa largeur, il sera de la justice d'obliger les communes à dédommager les propriétaires. »

M. Robion, n. 70, fait à ce sujet les observations suivantes : « Il ne faut pas que ces recherches dégénèrent en une sorte d'inquisition; il ne faut pas surtout qu'elles portent l'incertitude dans des propriétés possédées, de temps immémorial, comme propriétés privées, et qui ont été reçues comme telles et transmises de bonne foi, quoiqu'à une époque reculée, elles aient pu faire partie des chemins communaux. Telle n'est point l'intention de la loi, et la circulaire ministérielle destinée à en assurer l'exécution, prescrit, au contraire, de ne pas être trop rigoureux dans les investigations. Cette recommandation est sage; elle met en action la maxime qu'une justice rigoureuse serait souvent une injustice. Summum jus, summa injuria.

200. Ainsi les préfets, en recherchant et constatant les anciennes limites des chemins vicinaux, doivent se baser sur des titres anciens. Si ces titres indiquent seulement quelle est la largeur que le chemin avait autrefois, sans faire connaitre quel est le riverain qui a pratiqué l'emprise, ils doivent se borner à proposer aux communes d'acquérir le terrain nécessaire pour` rendre au chemin son ancienne largeur. Si, au contraire, les préfets reconnaissent

par les titres quel est le propriétaire qui a commis l'usurpation sur la voie publique, ils doivent prendre des informations sur l'époque présumée de l'anticipation, et la convenance de la revendication à former, et s'il y a lieu, faire poursuivre le riverain devant le conseil de préfecture pour la restitution de l'emprise. Là, si le propriétaire prétend avoir acquis la propriété du terrain par prescription, le conseil renverra devant le tribunal civil; mais celui-ci n'aura aucun égard à l'allégation de prescription, parce que la preuve de possession devant être sans résultat, il est inutile d'admettre à la faire. Si, au contraire, le riverain soutient que le titre invoqué par la commune n'est pas valable, s'il soutient qu'à la date du titre le chemin n'était pas public, ces questions de propriété seront jugées d'après les règles ordinaires.

Ces contestations ne font naître que des questions de revendication et non d'expropriation.

SECTION II.

Des alignemens.

201. En parcourant nos anciennes routes et les rues de nos vieilles cités, on est frappé des sinuosités qui s'y rencontrent, et de l'incohérence des constructions qui s'y trouvent. Presque toutes nos villes donnent plus ou moins lieu aux mêmes réflexions. On voit que chacun a bâti à sa fantaisie, sans aucun ordre, sans aucune uniformité, sans s'occuper de l'effet que ses constructions produiraient sur la voie publique. Cette indifférence se conçoit facilement chez les constructeurs, qui devaient envisager, avant tout, leur utilité personnelle, mais on s'étonne de la longue insouciance de l'administration en présence d'un tel abus.

A fur et mesure que l'on reconnut les inconvéniens, et, nous pouvons le dire, l'absurdité de l'ancienne tolérance, des

administrateurs éclairés employèrent tous leurs soins à remédier aux abus introduits et à en empêcher le renouvellement. Leur attention se porta d'abord sur les rues des grandes villes, puis sur les routes royales. Successivement, la même prévoyance s'étendit aux routes moins importantes et aux rues des petites villes. Aujourd'hui on veut l'appliquer aux chemins de halage, aux rues des bourgs et villages, aux chemins vicinaux.

202. On a dit souvent que l'obligation de prendre des alignemens était établie dans l'intérêt même des propriétaires, afin de ne pas les exposer au reproche d'avoir anticipé sur la voie publique, et aux inconvéniens que pourrait leur occasioner une contestation de cette nature. Sans doute la crainte de pareilles conséquences engagerait les propriétaires prudens à solliciter un alignement de l'administration, et à ne construire qu'après l'avoir obtenu. Mais lorsqu'un propriétaire a construit sans avoir nullement anticipé sur la voie publique, est-ce dans son intérêt qu'il est condamné à 300 fr. d'amende et à la démolition du nouvel édifice? Certes, c'est pour des motifs d'utilité publique que l'on impose aux propriétaires l'obligation de prendre un alignement, avant de faire aucune construction ou reconstruction le long de la voie publique. L'administration veut, non seulement éviter toute emprise, mais se réserver le droit de faire avancer ou reculer les constructions, de manière à donner à la voie publique la direction qu'elle juge la plus avantageuse.

203. L'obligation, pour les propriétaires, de prendre un alignement de l'administration avant de faire aucune clôture ou construction le long de la voie publique, constitue, selon nous, une SERVITUDE pour cause d'utilité publique, mais non une EXPROPRIATION. Cette mesure n'enlève au riverain aucune partie de sa propriété, ce qui seul pourrait caractériser une expro

priation; mais elle l'assujettità une charge, ce qui caractérise une servitude. A la vérité, ce n'est pas assez d'être obligé de demander un alignement; il faut aussi se conformer à celui qui est donné, et si cet alignement met le propriétaire dans la nécessité de céder une portion de terrain à la voie publique, il en résulte la perte d'une partie de sa propriété, ce qui caractérise une expropriation [12]. Mais on devra convenir aussi que si l'alignement donné autorise à construire sur les limites anciennes du terrain, le constructeur n'éprouve aucune réduction dans sa propriété, et qu'il n'y a pas alors expropriation.

L'obligation de prendre un alignement ne constitue donc pas une expropriation; mais, sur cette demande, l'administration peut prendre une décision qui amène privation d'une partie plus ou moins importante de terrain, et il reste à examiner si elle doit remplir les formalités de l'expropriation.

204. Il nous semble impossible de contester qu'une semblable décision ne soit réellement une mesure d'expropriation [12]; mais nous pensons que c'est là une expropriation tacite [1501], et qu'il n'y a pas lieu à remplir toutes les formalités ordinaires de l'expropriation. Sans doute ces formalités sont généralement obligatoires pour l'administration, mais ne peut-elle se dispenser de les remplir, lorsque leur accomplissement ne serait d'aucune utilité pour celui en faveur de qui elles sont établies? Or, nous croyons que cette hypothèse est celle dans laquelle l'administration est naturellement placée lorsqu'il s'agit d'alignement.

203. Un propriétaire se présente pour prendre l'alignement de la construction qu'il veut rétablir. Il résulte de celui qui lui est donné, que sa propriété doit reculer et céder une partie de terrain à la voie publique. Sans doute ce propriétaire peut réclamer devant l'autorité supérieure contre

l'alignement indiqué, mais s'il n'espère pas de succès de ses réclamations, son intérêt est de se conformer à celui qui lui est donné, et de commencer de suite ses constructions. Prétendra-t-il qu'il ne doit céder sa propriété qu'après que l'expropriation en aura été prononcée? Mais quel serait pour lui le résultat d'une pareille prétention? S'il n'attaque pas l'alignement donné, l'expropriation du terrain que l'on réclame de lui sera nécessairement prononcée, et il n'aura obtenu de son opposition d'autre résultat que d'occasioner quelques frais à la commune, et de retarder le moment où il pourra exiger la fixation et le paiement de l'indemnité qui lui est due. S'il veut réclamer contre l'alignement, c'est devant l'administration qu'il doit se pourvoir, car le tribunal ne peut jamais réformer la décision administrative [607].

206. Nous croyons donc que la force même des choses doit modifier ici le principe de la nécessité de l'expropriation judiciaire, et qu'il est de l'intérêt du propriétaire, ainsi que de l'administration, de considérer la déclaration de l'alignement comme constituant une expropriation tacite; de manière qu'aussitôt que le propriétaire a reçu la notification de l'aligne ment qui l'oblige à céder une partie de son terrain, il peut actionner la commune en fixation et paiement de l'indemnité qui lui est due. Voir tit. XVII, n. 1263. Le conseil d'état a toujours repoussé la prétention des propriétaires soumis à un alignement, d'obliger la commune à acquérir immédiatement leur terrain. Voir notamment les arrêts du conseil du 4 juin 1825, affaires Dudoit et Champfort (Macarel, t. V, p. 406 et 410).

207. Il faut d'ailleurs remarquer que presque toujours cette indemnité est très faible, parce que le terrain enlevé par l'alignement est peu étendu. Le propriétaire ne peut donc pas éprouver un préjudice

bien notable du retard résultant de ce que l'indemnité ne lui est pas payée au moment même où l'alignement est donné. On ne peut exiger que les villes conservent des fonds disponibles pour payer à l'instant l'indemnité de tous les propriétaires auxquels il plaît de requérir un alignement. D'ailleurs cette indemnité est indéterminée, et il faut le temps de la faire fixer.

208. Si l'on décidait que les alignemens ne seront obligatoires qu'après que le tribunal aura prononcé l'expropriation, et que l'indemnité aura été fixée et payée, le propriétaire seul souffrirait de cette marche, parce qu'il devrait attendre la fin de ces procédures pour commencer ses constructions, afin de savoir si l'alignement à lui donné sera ou non déclaré obligatoire. C'est donc dans l'intérêt même des proprié taires que nous proposons l'interprétation que nous venons d'indiquer. Si ces propriétaires sont moins pressés de commencer leurs constructions que de recevoir l'indemnité à eux due, rien ne les empêchera de faire régler cette indemnité avant de construire, et même avant de détruire leurs anciens bâtimens.

209. Lorsque l'alignement donné l'oblige à reculer, le propriétaire ne pourrait-il pas sommer l'administration de faire, dans un délai fixé, mais reconnu suffisant, prononcer l'expropriation du terrain dont elle a besoin, d'en faire fixer l'indemnité et de la payer dans ledit délai, sinon qu'il serait autorisé à construire sur ses anciennes limites? Sans doute cette marche serait conforme aux principes généraux. Mais nous croyons qu'en pareil cas, le plus grand intérêt du propriétaire est de pouvoir exécuter ses constructions, et non de toucher son indemnité. Avec la marche que nous venons d'analyser, beaucoup de propriétaires aimeraient mieux abandonner gratuitemunt et volontairement le terrain demandé, que requérir une expropriation, et attendre, pour commencer

leurs travaux, la fin de toutes les procédures que l'expropriation rendrait nécessaires.

210. Qu'on fasse attention aux plaintes des propriétaires qui sont forcés de céder une partie de terrain par suite d'alignement, et l'on reconnaîtra qu'elles naissent bien moins de ce que ce terrain leur est enlevé sans l'intervention des tribunaux, que de ce que l'indemnité qui leur est allouée est inférieure au préjudice qu'ils éprouvent. Nous croyons qu'aucun d'eux ne penserait à se plaindre du défaut d'intervention des tribunaux, si l'indemnité était basée, non sur le prix du terrain cédé, comme le veut la loi [ 1348], mais sur la moins-value qu'éprouve la propriété. Or, commme cette indemnité ne peut changer, quel que soit le mode que l'on adopte pour prononcer la dépossession, il est à présumer qu'on ne ferait pas cesser les plaintes des propriétaires en rendant une expropriation formelle nécessaire; et nous pensons d'ailleurs avoir démontré qu'elle serait presque toujours impraticable.

211. Nous croyons cependant que l'article 10 de la charte peut, et par suite doit recevoir ici son application; c'est-à-dire que le propriétaire doit conserver la possession de son terrain jusqu'à ce que l'indemnité qui lui est due ait été payée. A la vérité, il ne pourrait élever de constructions sur ce terrain, mais il pourrait empêcher que l'administration n'y fit aucun travail, et ne l'employât à aucun usage, avant d'avoir préalablement acquitté l'indemnité.

212. Si cette manière de voir est fondée en général, elle ne cesse pas de l'être parce que l'administration a fait dresser un plan qui indique, à l'avance, l'alignement qui sera donné, lorsque le propriétaire sera dans le cas d'en réclamer un. En vain, l'on opposerait que, par la confection de ces plans, l'administration fait connaître que telle maison est menacée d'une destruction

partielle plus ou moins prochaine, et que cette connaissance ôte ainsi à cette propriété une partie de sa valeur 1. Faire dresser des plans est une mesure fort sage, qui a pour effet d'empêcher l'arbitraire dans la fixation des alignemens. La publicité qui leur est donnée, a pour but d'appeler les réclamations des intéressés; comment pourrait-il résulter de là pour l'administration la nécessité de payer des indemnités qu'elle n'aurait pas dues, si elle se fût réservé le droit de donner arbitrairement les alignemens, ou si les plans étaient restés secrets?

215. Avouons que si l'on considérait les plans comme entraînant une expropriation qui dut donner lieu à des indemnités immédiates, l'importance de ces indemnités empêcherait certainement d'en adopter aucun; car les villes auraient des sommes énormes à payer, et cependant elles ne retireraient nulle utilité de cette dépense, puisque les rues ne seraient pas élargies, que les habitans continueraient de jouir de leur propriété comme précédemment, et qu'il s'écoulerait peut-être des siècles avant que tous les alignemens dont l'indemnité aurait été payée, reçussent leur exécution. Il faut donc proscrire entièrement les plans, ou admettre qu'ils ne constituent qu'un avertissement des intentions de l'administration, qui est même toujours maîtresse de modifier ses projets, en remplissant de nouveau les formalités voulues par la loi.

214. Sans doute, il peut résulter de cette mesure un préjudice pour les propriétaires des maisons, celles qui doivent subir un reculement éprouvant une moinsvalue plus ou moins considérable. Mais ce préjudice est généralement peu marqué pour les maisons qui ne sont pas dans le cas d'être reconstruites de long-temps.

1 Voir M. Sirey, du Conseil d'état selon la Charte, p. 424.

Quant à celles qui ont plus de vétusté, leur valeur peut se trouver diminuée; mais il n'a jamais été admis que l'administration dût réparer le préjudice qu'elle causait indirectement. Comme les particuliers, elle n'est tenue de réparer que le préjudice qui est la suite immédiate et directe de ses actes (831). Or, en pareil cas, la moinsvalue nait tout à la fois de l'état de vétusté de la maison, et de la mesure prise par l'administration. Donc, l'indication des alignemens que l'on veut établir ne doit donner lieu à aucune indemnité en faveur des propriétés qu'atteignent ces alignemens. Si l'on changeait l'emplacement d'une grande route, le propriétaire d'une auberge située sur cette route ne pourrait demander d'indemnité pour la moins-value de sa maison, par suite de la transformation de l'ancienne route en chemin vicinal. De même, on doit supporter sans indemnité le préjudice résultant de la confection des plans. On suppose d'ailleurs que les propriétaires des maisons atteintes par l'alignement, trouvent quelque compensation dans les avantages qu'ils partagent avec tous les habitans, par suite de la beauté, de la salubrité, et de la facilité de communication, que les mesures adoptées procurent à la ville.

215. Il existe une troisième hypothèse. Si l'alignement donné au propriétaire l'oblige à avancer sur la voie publique ; il est tenu d'acquérir le terrain sur lequel il devra avancer, et s'il refuse de l'acquérir, l'administration peut le déposséder de l'ensemble de sa propriété. Loi du 16 septembre 1807, art. 55 [124]. Mais l'administration devra-t-elle pour cette acquisition recourir à une expropriation? La dépossession du propriétaire qui refuse d'avancer, est certainement une expropriation [12], et le propriétaire qui doit en être atteint serait en droit, selon nous, d'exiger que l'on remplit à son égard toutes les formalités de l'expropriation, car la loi du 8 mars

DELALLEAU,

1810 les exige généralement, et sans aucune exception, pour le cas qui nous occupe ici. Mais si le propriétaire est tenu d'attendre que l'administration municipale poursuive cette expropriation, il est possible qu'il soit fort long-temps avant de la voir ordonner; car de semblables acquisitions sont ordinairement très onéreuses pour les villes, qui, en outre, ont rarement des fonds disponibles pour de pareilles dépenses.

216. Le propriétaire ne peut pas non plus considérer l'alignement qui lui est donné comme entraînant une expropriation tacite, car, ainsi que nous l'établissons ci-après [1281], il n'y a d'expropriation tacite que lorsque l'acte administratif dont on la fait résulter doit entrainer nécessairement la dépossession du propriétaire. Or, l'art. 53 autorise bien la ville à déposséder, mais ne lui en fait pas une obligation. Il est donc libre à l'autorité municipale de renoncer à cette faculté et d'autoriser à reconstruire sur les anciennes limites.

217. Ainsi, le propriétaire qui refuse d'avancer ses constructions devra, avant tout, mettre l'administration dans la nécessité de déclarer si elle veut ou non user de la faculté à elle concédée par l'article 53. Si l'administration renonce à cette faculté, le propriétaire conserve la libre disposition de son bien. Si, au contraire, elle déclare vouloir en profiter, il peut considérer cette décision comme entraînant l'expropriation tacite de sa maison, et requérir la fixation et le paiement de l'indemnité qui lui est due. Voir tit. XVII.

SECTION III.

Des mines et forges.

218. Un arrêt du 11 août 1808 permet de supposer que le conseil d'état a pensé qu'il y avait dispense d'expropriation lorsqu'il s'agissait de l'exploitation des mines. Voici cet arrêt tel qu'il est rapporté par M. Sirey, t. 1o, p. 181.

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