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cutés dans toutes les parties de l'empire, et de la construction d'un canal du Nil à la mer Rouge, qui réunissait l'Europe à l'Asie, la Méditerranée aux vastes mers de l'Inde. La législation des Égyptiens sur la propriété rendait facile l'occupation des terrains nécessaires à ces vastes entreprises. Les terres y avaient été partagées entre le roi, les prêtres et les guerriers, qui étaient les seuls propriétaires; qui possédaient chacun, comme corporation, et héréditairement, le tiers des terres du royaume. Ceux qui les cultivaient n'en étaient que les détenteurs précaires; on leur abandonnait, pour prix de leur travail, une portion du revenu qu'elles produisaient. Le roi n'aurait pu s'emparer d'une partie de la propriété des prêtres ou des guerriers sans leur consentement; le mécontentement de corps aussi puissans eût été trop à craindre pour lui. Avec leur assentiment, tout était facile, et l'on s'occupait peu des pertes des cultivateurs.

VI. On regardait les mines d'or et d'argent comme appartenant au prince. Les Pharaons tiraient de grandes richesses de quelques mines qui se trouvaient aux confins de l'Égypte 3.

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Des Hébreux.

VII. Le pays occupé par les Hébreux leur avait été donné par Dieu même, pour eux, pour leurs enfans, pour leur postérité la plus reculée 4. La propriété devait donc y être spécialement protégée par la législation. D'après le partage fait par Josué, chaque tribu possédait des terres qu'elle devait héréditairement conserver et transmettre; chaque famille devait aussi posséder à jamais la portion qui lui avait été d'abord accordée. L'aliénation de la propriété ne pouvait donc être que temporaire. Il y avait une sorte de substitution perpétuelle établie par la loi. Après quarante-neuf ou cinquante ans (l'on n'est pas d'accord sur ce point), chaque famille rentrait dans ses anciennes possessions. Cette époque était connue sous le nom d'année jubilaire 5.

I Strabon, L. 17, pag. 787; Diodore, liv. 1er, §§ 73 et 74; M. de Pastoret, tom. II, pages 137

et 465.

2 Denisart, vo Mines, No 2.

3 Diodore, I, § 55; III, § 12.

4 Lev. XXV, vers. 23.

5 Voir M. de Pastoret, tom. III, pag. 113.

On est autorisé à conjecturer que les terrains ayant une destination d'utilité générale, ne furent pas compris dans le partage; de même l'année jubilaire ne dut pas s'appliquer à ceux qui furent, par la suite, consacrés à des usages publics. Ni l'Écriture ni l'histoire ne nous donnent aucune lumière suffisante sur cet objet. Mais cette exception devait résulter de la force même des choses. Comment aurait-on, dans l'année jubilaire, détruit une route, une place, une fontaine, etc., que la nécessité aurait obligé à rétablir l'année suivante? Les terrains employés à des usages publics, sortant de la classe des propriétés ordinaires, et étant aliénés à perpétuité, on conçoit que la loi n'ait imposé à personne l'obligation de consentir à une telle cession, puisque la famille qui en aurait été frappée, ne pouvant acquérir aucune autre propriété qui pût lui rester à perpétuité, se serait trouvée dans une situation plus désavantageuse que les autres, lorsque l'année jubilaire serait arrivée. Aussi ne voyons-nous nulle part qu'une cession de cette nature ait été imposée à aucun israélite. Divers faits annoncent assez que les rois n'avaient pas le droit d'exiger le sacrifice d'une propriété, même pour une destination sacrée.

VIII. Lorsque David, pour apaiser la colère céleste, dut établir un autel sur l'héritage du Jébuséen Ornan, il voulut, avant tout, lui en payer la juste valeur. Dixit David ad Ornan: da mihi locum areœ tuæ ut ædificem in eâ altare Domino; ità ut quantum valet argenti accipias, et cesset plaga à populo. Dixit autem Ornan ad David: tolle et faciat dominus meus rex quodcumque ei placet....... Dixitque ei rex David : nequaquàm ita fiet, sed argentum dabo quantum valet: neque enim tibi auferre debeo, et sic offerre Domino holocausta gratuita. Dedit ergò David Ornan pro loco siclos auri justissimi ponderis sexcentos 1.

On lit dans le prophète Ézéchiel, chap. 46 : « Non accipiet Princeps de hæreditate populi, per violentiam et de possessione eorum, UT NON

DISPERGATUR POPULUS MEUS UNUSQUISQUE A POSSESSIONE SUA. »

IX. Nous croyons devoir surtout faire remarquer l'histoire d'Achab et de Naboth. Ce dernier possédait une vigne près du palais d'Achab, roi de Samarie. Le roi lui demanda à acheter ce terrain; da mihi vineam tuam, ut faciam mihi hortum olerum, quia vicina est, et propè domum meam, daboque tibi pro eâ vineam meliorem: aut si commodius

1 Paralipomènes, liv. 1er, chap. 21, vers. 21 à 25 ; des Rois, liv. II, chap. 24, vers.21 et suivant.

tibi putas, argenti pretium, quantu dignam est. Cui respondit Naboth : propitius sit mihi Deus, ne dem hæreditatem patrum meorum tibi1. Sans doute, les lois ne donnaient à Achab aucun moyen de vaincre le refus de Naboth, puisque la reine Jézabel, afin de s'emparer de cette vigne, fit accuser Naboth, par de faux témoins, d'un crime imaginaire, pour lequel il fut lapidé.

Voici les réflexions que fait BossUET sur la conduite d'Achab envers Naboth; et l'autorité de cet illustre prélat, qui connaissait si bien l'histoire sacrée, nous paraît du plus grand poids. « Le crime que << Dieu punit avec tant de rigueur, c'est, dans Achab et dans Jézabel, « la volonté de disposer à leur gré, indépendamment de la loi de « Dieu, qui était aussi celle du royaume, des biens, de l'honneur, de << la vie d'un sujet;....... ils voulaient contraindre ce sujet à vendre son « héritage : c'est ce que n'avaient jamais fait les bons rois David et « Salomon, dans le temps qu'ils bâtissaient les magnifiques palais « dont il est parlé dans l'Écriture. La loi voulait que chacun gardât l'héritage de ses pères, pour la conservation des biens des tribus. « C'est pourquoi Dieu compte lui-même, entre les crimes d'Achab, << non seulement qu'il avait tué, mais encore qu'il avait possédé ce << qui ne pouvait lui appartenir. Cependant, il est expressément mar« qué qu'Achab offrait la juste valeur du morceau de terre qu'il « voulait qu'on lui cedat, et même un échange avantageux : ce qui << montre combien était réputé saint et inviolable le droit de la pro« priété légitime, et combien l'invasion était condamnée". >>

L'expropriation pour cause d'utilité publique, telle que nous l'entendons aujourd'hui, n'était donc pas connue des Hébreux. On pourrait citer quelques circonstances où des rois se sont emparés de la propriété d'un sujet, mais ces faits rares sont toujours considérés comme des actes de violence, et non comme l'exercice d'un pouvoir légitime.

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Des Perses.

X. Le gouvernement était despotique chez les Perses, et les pro

Des Rois, liv. 3, chap. 21.

› Politique tirée de l'Écriture Sainte, liv. 8, art. 2, proposition 4e.

3 Platon, des Lois, t. II, p. 693; Hérodote, III, § 31 ; M. de Pastoret, t. IX, p. 324 et 338.

priétaires des terrains sur lesquels les travaux étaient entrepris, osaient bien rarement, sans doute, s'opposer aux volontés du roi ou des satrapes puissans auxquels il avait délégué son immense pouvoir. Si de pareilles oppositions se rencontraient, on y mettait fin probablement par un sacrifice d'argent ou par un acte de violence,

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Des Grecs.

XI. D'après ce que nous savons des lois de Lycurgue, les magistrats de Sparte ne pouvaient éprouver aucune difficulté pour la prise de possession des terrains nécessaires au peu de travaux publics par eux entrepris. Il n'y avait, chez les Lacédémoniens, aucune propriété réelle; Lycurgue fit neuf mille parts du territoire de Sparte, et les distribua aux citoyens qui l'habitaient. Il partagea le reste du pays en trente mille portions, qu'il répartit entre les habitans de la Laconie. On assignait une portion de terre aux nouveaux nés, après les avoir soumis à cet examen corporel qui suivait leur naissance; l'aîné pouvait ensuite réclamer la part que son père avait eue 1; mais ces détenteurs viagers ne pouvaient évidemment refuser d'échanger la portion à eux attribuée, contre une de celles qui étaient à la disposition de l'État, lorsque le bien public réclamait cet échange.

XII. « Chez les Athéniens, dit l'abbé Barthelémy, d'après Démosthènes et Suidas, tout particulier qui, par lui-même ou à la tête d'une compagnie, entreprend une nouvelle fouille, doit en acheter la permission, que la république seule peut accorder. Il s'adresse aux magistrats chargés du département des mines. Si sa proposition est acceptée, on l'inscrit sur un registre, et il s'oblige à donner, outre l'achat du privilége, la vingt-quatrième partie du profit. S'il ne satisfait pas à ses obligations, la concession revient au fisc, qui la met à l'encan '. >>

On ignore entièrement quelle fut la législation des autres peuples de la Grèce, relativement aux matières que nous traitons.

1 Plut. Lyc., §32; M. de Pastoret, tom. V, pag. 495 et 504.

1 Voyage du Jeune Anacharsis, chap. 59.

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Des Romains.

XIII. Le silence que les lois romaines gardent sur les acquisitions de terrains destinés à des travaux publics, a donné lieu de penser que tout ce qui s'y rattachait était dans les attributions des magistrats chargés de l'administration; qu'ainsi les juges et les jurisconsultes n'ayant pas eu à s'en occuper, les rédacteurs du code et du Digeste n'avaient pas dû faire mention, dans leurs recueils, des décisions relatives à ces objets. Cette raison n'est que spécieuse; car on trouve, dans le corps du droit romain, beaucoup de lois, et même des titres entiers, qui traitent d'objets d'administration.

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On a aussi prétendu qu'il était incertain si, chez les Romains, les propriétaires étaient indemnisés des sacrifices fréquens que les travaux publics devaient leur imposer. Nous croyons qu'il est incontestable qu'une indemnité leur était accordée. Le peuple romain était trop pénétré des principes d'équité pour refuser une indemnité à des propriétaires dépouillés pour l'intérêt général. Si cette injustice eût été commise, les plaintes qu'elle aurait occasionées par suite du grand nombre de travaux publics entrepris, seraient mentionnées dans quelque historien. D'ailleurs, nous pensons pouvoir établir qu'une indemnité était toujours accordée à ceux dont les terrains étaient pris pour des travaux d'utilité publique.

XIV. Nous trouvons dans une des lettres de Cicéron à Atticus cette phrase remarquable: « Ut forum laxaremus, et usque ad atrium Libertatis explicaremus, contempsimus sexcenties H-S: cum privatis non poterat transigi minore pecuniâ. Certes, ce passage ne permet pas de douter que les propriétaires des terrains employés à des travaux publics ne fussent remboursés de la valeur de ces terrains.

XV. Nous lisons dans la loi 13, §2, ff. Communia prædiorum: que personne ne peut, soit en son nom, soit au nom du public, tirer des pierres d'un terrain sans le consentement du propriétaire, sauf le cas de servitude ou d'usage ancien, et encore, en ce dernier cas, moyennant une indemnité; « Si constat in tuo agro lapidicinas esse, invito te,

Voir le rapport fait au Corps législatif sur la loi du 8 mars 1810, par M. Riboud.

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