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XXXVI. La loi du 17 février 1800 (28 pluviôse an vIII) en réglant les attributions des diverses autorités, dit, art. 4, que « Le conseil de préfecture prononcera sur les demandes et contes<< tations concernant les indemnités dues aux particuliers, à raison a des terrains PRIS ou fouilles pour la confection des chemins, canaux <<< et autres ouvrages d'arts. » Mais il ne fut rien statué sur la fixation de l'indemnité et le mode de la dépossession.

XXXVII. Le tit. II du livre second du projet de code civil traitait de la propriété. Il était donc naturel d'y parler des expropriations pour cause d'utilité publique. Les art. 558 et 559 de ce projet s'occupaient de cette matière. Ils furent, au conseil d'état, l'objet d'une discussion assez étendue, qui se termina par l'adoption de la disposition qui forme aujourd'hui l'article 545 du code civil, et qui est ainsi conçue : « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. » M. Portalis fut chargé de développer au corps législatif les motifs de cette loi, et il traita avec beaucoup de soin la question relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique. Ce projet ayant été communiqué au tribunat, M. Faure en fit le rapport, au nom de la section de législation, et M. Grenier fut chargé de porter au corps législatif le vœu du tribunat pour l'adoption du projet.

La discussion du conseil d'état et les discours des orateurs que nous venons de nommer, présentent beaucoup d'intérêt; mais l'étendue de ces documens ne permettait pas de les rapporter ici et nous ne les donnerons même que par extraits dans l'Appendice.

XXXVIII. Ce n'était pas assez d'avoir proclamé le principe d'une juste et préalable indemnité; il eût fallu qu'une loi spéciale réglât cette partie de la législation. C'est ce que l'on ne fit pas, et il régna, dans les opérations de cette nature, une incertitude, un désordre, dont on ne pourrait se faire d'idée si les affaires que nous allons rappeler, n'en fournissaient des exemples bien tristes pour les propriétaires que ces débats intéressaient.

On voulut sortir de ce chaos, et la loi du 16 septembre 1807 vint tracer plusieurs règles en matière d'expropriation pour utilité publique. Elle est principalement relative au desséchement, des marais; mais, pour arriver à ce desséchement, elle autorise, dans

b.

certains cas, la dépossession des propriétaires de ces marais. D'ailleurs, le titre VII traite de ce qui concerne les travaux de navigation, les routes, les ponts, les rues, places et quais dans les villes; les digues et les travaux de salubrité dans les communes; et le titre XI s'occupe des indemnités aux propriétaires pour occupations de terrains.

Cette loi trop confuse ne remédia à aucun des inconvéniens que l'on avait précédemment éprouvés. Les débats occasionés par les expropriations étaient interminables. Comme la jurisprudence du conseil d'état tend à perpétuer, parmi nous, l'exécution de cette loi (voir Tit. XVI, chap. 1er), nous croyons devoir signaler les résultats de cette législation incomplète et mal combinée.

XXXIX. Le sieur Niogret fut exproprié d'une maison située à Lyon, et n'ayant pu s'accorder avec le maire de cette ville sur l'indemnité due pour la dépossession, les débats élevés à cette occasion donnèrent lieu à quatre expertises, cinq arrêtés du préfet, une décision du ministre de l'intérieur, deux arrêtés du conseil de préfecture, cinq jugemens du tribunal de première instance, un arrêt de la cour royale, et cinq arrêts du conseil d'état. Encore aucune de ces décisions n'était-elle définitive, et les parties ont dû terminer leurs différends par une transaction '.

XL. Le sieur Devenat ayant été exproprié d'immeubles jugés nécessaires à l'établissement de l'école militaire spéciale de Fontainebleau, les débats élevés à l'occasion de l'indemnité à lui due donnèrent lieu à cinq expertises, quoique les experts aient quelquefois été d'accord, à deux arrêtés du préfet, trois décisions ministérielles, deux jugemens et un arrêt du conseil d'état 2.

XLI. Dans l'affaire du sieur Charles, dont nous parlerons titre XVI, l'administration fit procéder à six expertises différentes, puis renvoya l'affaire au tribunal de la Rochelle; après un arrêt de la cour de Poitiers, le préfet éleva le conflit qui fut maintenu par le conseil d'état, et les parties furent renvoyées devant le conseil de préfecture 3. XLII. Nous ne pouvons qu'indiquer ici rapidement les principaux

Voir M. Sirey, Jurisp. du Conseil d'état, tom. 1er, pag. 371; tom. III, pag. 133; tom. IV, pag. 347.

2 Ibid., tom. 1er, pag. 78. 3 Ibid., tom. II, pag. 135.

incidens survenus dans ces contestations; l'on peut consulter le texte même de ces décisions pour en connaître les détails, et l'on verra qu'il n'existait aucune règle certaine sur la matière ; que les particuliers, les tribunaux, l'administration invoquaient tour à tour des principes dont l'application était ensuite méconnue par la partie qui y avait intérêt. Des experts étaient toujours nommés, mais l'administration ne se croyait pas obligée d'ajouter confiance à leur rapport, et nous voyons le conseil d'état lui-même fixer, en définitive, l'indemnité due au sieur Devenat à une somme différente de celles indiquées par les experts. Nous voyons le ministre de la guerre reconnaître la compétence des tribunaux, sans doute à cause de l'art. 19 du titre Ier de la loi du 8 juillet 1791; les tribunaux se déclarer incompétens, et le conseil d'état statuer définitivement, sans que l'affaire eût été portée au conseil de préfecture et sans décider quelle autorité avait le droit de prononcer. Quel est le propriétaire qui ne tremblerait s'il savait qu'une expropriation pour cause d'utilité publique peut encore aujourd'hui l'exposer aux embarras et aux frais qu'occasionent tant de procédures diverses.

Si les propriétaires se plaignaient des procédés de l'administration, les administrateurs, à leur tour, se plaignaient « de la funeste prépondérance de l'intérêt privé sur l'intérêt public, et des nombreux exemples d'estimations scandaleusement préjudiciables au trésor public 1. >>

XLIII. Deux ans après la promulgation de la loi du 16 septembre 1807, les abus étaient parvenus à un tel point, que le chef du gouvernement reconnut la nécessité d'y porter un prompt remède, et ordonna qu'il lui fût présenté un projet de loi sur cette matière. Il lui en fut envoyé deux successivement qui ne le satisfirent pas, et, de son quartier-général, il adressa, en 1809, au conseil d'état, une note contenant ses vues sur les nouvelles bases à donner à cette partie de la législation.

Un nouveau projet fut rédigé d'après ces données, et soumis, en 1810, à une discussion très soignée dans le sein du conseil d'état, présidé par le chef du gouvernement lui-même. Le projet subit six rédactions différentes, et fut communiqué à la commission de légis

Voir le Discours de M. le conseiller-d'état Berlier.

lation du corps législatif avant d'être transmis officiellement au corps législatif même. On peut voir, dans le nouvel ouvrage de M. le baron Locré, tous les détails de l'intéressante discussion à laquelle a donné lieu cette loi du 8 mars 1810. Lorsque la loi fut présentée au corps législatif, M. le conseiller d'état Berlier fut chargé d'en développer les motifs; le rapport, au nom de la commission de législation, fut fait par M. Riboud, qui proposa l'adoption de la loi. Nous aurons souvent occasion de citer ces discours, rapport et discussions, pour faire connaître quels ont été, sur chaque article, les motifs et le but des rédacteurs de la loi.

Cette loi fait encore aujourd'hui la base de notre législation en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, et ce sont principalement ses dispositions que nous aurons à développer dans le cours de cet ouvrage.

XLIV. Les inconvéniens de la loi de 1791 sur les mines se faisaient également sentir chaque jour. Les propriétaires de la surface, abusant du droit qui leur était donné d'extraire à cent pieds de profondeur, criblaient le terrain de trous, creusaient des puits qu'ils étaient forcés d'abandonner après une extraction modique, se bornaient à des travaux peu dispendieux, pour jouir promptement du minerai répandu à peu de profondeur, et par des ouvrages mal entendus, ruinaient l'exploitation future. D'un autre côté les concessionnaires anciens dont les droits avaient été maintenus par la loi de 1791, éprouvaient, pour les exercer, des difficultés insurmontables de la part des propriétaires de la surface. Ces discussions continuelles ralentissaient nécessairement les exploitations.

Le gouvernement s'occupa de remédier à ces abus, et le résultat de longues discussions fut la loi promulguée le 21 avril 1810, qui régit encore cette partie importante de notre législation, et dont nous aurons à examiner plusieurs dispositions.

XLV. En 1814, les Bourbons nous furent rendus, et Louis XVIII publia cette charte immortelle, œuvre du génie comme de la pru— dence, qui semble avoir prévu tous les besoins de la France, et établi une barrière contre tous les abus. Ceux qui pouvaient naître de l'expropriation pour cause d'utilité publique, ne furent pas oubliés,

I Législation civile, commerciale et criminelle de la France, par M. le baron Locré,

tom. IX.

XXVII

et l'art. 10 de la Charte porte : « L'État peut exiger le sacrifice d'une propriété, pour cause d'intérêt public légalement constaté, mais << avec une indemnité préalable. »

Cette disposition fondamentale de notre droit public exigeant, d'une manière absolue, que l'indemnité soit préalable à la dépossession, il en résulte qu'elle a tacitement modifié quelques dispositions des lois antérieures. Car l'art. 68 de cette même charte porte: « Le «< code civil et les lois actuellement existantes, qui ne sont pas con« traires à la présente charte, restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y soit « légalement dérogé. » Donc les dispositions des lois antérieures, contraires à celles de la charte, ont cessé d'avoir force de loi du jour de la promulgation de celle-ci. Nous examinerons quelles modifications l'art. 10 de la charte a pu apporter à la législation, en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique.

Il nous paraît que la loi du 8 mars 1810, modifiée par l'art. 10 de la charte, offre aux citoyens toutes les garanties qu'ils peuvent désirer, et à l'administration toutes les facilités qu'elle peut justement réclamer pour l'exécution des travaux qui lui sont confiés.

XLVI. Depuis 1814, il est intervenu plusieurs lois et ordonnances dont nous aurons à nous occuper dans la suite de cet ouvrage. Telles sont, notamment, les lois du 17 juillet 1819, sur les servitudes imposées à la propriété pour la défense de l'État, et du 28 juillet 1824, sur les chemins vicinaux.

CHAPITRE III.

NOTIONS SUR LES LÉGISLATIONS ÉTRANGÈRES.

XLVII. Il est difficile de se procurer des notions complètes sur la législation des peuples étrangers en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. Mais, grâce surtout aux recherches suivies de M. Charles Dupin, nous avons des documens très précis sur la législation anglaise, et ils sont d'autant plus importans, que la loi du 8 mars 1810 a beaucoup d'analogie avec la législation de l'Angle

terre.

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