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M. Démeunier, membre du comité de constitution. M. le garde des sceaux nous a fait remettre un mémoire relatif à l'article 2 d'un décret du 20 mars, qui n'a pas été sanctionné. Cet article est ainsi conçu : « Les administrateurs, trésoriers et receveurs qui n'ont pas encore rendu compte de la gestion des affaires de chaque province ou du maniement des deniers publics, ne pourront, avant l'arrêté de leurs comptes, être élus membres des administrations de département ou de district. » Le ministre représente que cet article peut donner lieu à beaucoup d'embarras dans les élections. En se servant du mot administration, on ne distingue pas ceux qui ont été membres, soit des assemblées provinciales, soit des Etats provinciaux. Il est nécessaire que des hommes instruits dans la connaissance des affaires puissent être admis dans les nouvelles assemblées. Le législateur, en général, doit être avare des exceptions: il faut que le peuple use avec la plus grande liberté possible du droit de choisir les citoyens auxquels il veut donner sa confiance.

M. Démeunier lit un projet de décret.

M. de Saint-Martin. Il me paraît nécessaire d'indiquer dans le projet de décret que les procureurs syndics y sont compris.

M. Démeunier. Le mot administrateurs comptables renferme le procureur-syndic.

M. le marquis de Digoine. Le trésorier des États de Bourgogne ne rend ses comptes que tous les deux ans; il serait injuste de l'exclure.

L'Assemblée délibère, et le projet de rédaction présenté par le comité de constitution est adopté

en ces termes :

« Art. 2. Les administrateurs comptables, trésoriers ou receveurs des anciens pays d'État, qui n'ont pas encore rendu compte de ia gestion des affaires de chaque province, ou du maniement des deniers publics, ne pourront, avant l'arrêté de leurs comptes, être élus membres des administrations de département ou de district.

Il en sera de même des trésoriers ou comptables des autres parties du royaume, lesquels ne seront admissibles aux administrations de département ou de district, qu'après l'arrêté de leurs comptes. >>

M. Le Chapeller, au nom du comité de constitution et de la députation de Bretagne, propose un projet de décret pour distraire quelques paroisses du district de Saint-Brieuc en Bretagne afin de les rattacher à celui de Guingamp. Il se fonde sur la convenance et sur la proportion de population que ce changement établirait entre les deux districts.

M. Fréteau dit qu'il serait dangereux d'admettre en ce moment de semblables réclamations; ce serait favoriser les retards dans la formation des districts et des départements et accréditer les bruits qui circulent jusque dans la capitale, que l'Assemblée cherche à ajourner la constitution de ces districts et départements, afin de pouvoir cacher l'immensité des impôts dont est grevé le

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M. Chasset, rapporteur, n'étant pas présent et se trouvant retenu chez lui par indisposition, l'Assemblée passe à d'autres objets.

M. le marquis de Vaudreuil donne lecture des 12 articles qui terminent son rapport du 15 avril sur les classes de la marine.

L'article 1er, mis en discussion, est ainsi conçu :

Tous les Français qui ont embrassé ou qui embrasseront la profession de navigateur sur la mer et sur les rivières, et tous ceux qui exercent des professions maritimes seront, à l'âge de dixhuit ans, inscrits sur la matricule des classes, et tenus dès lors de servir à tour de rôle dans l'armée navale ou dans les ports ou arsenaux jusqu'à cinquante-six ans, à moins qu'ils ne se trouvent dans un état d'infirmité qui ne leur permette pas les voyages de long cours. Cette obligation cessera pour eux lorsqu'ils auront renoncé à la navigation ou à la pêche, sauf le temps de guerre, pendant lequel ces renonciations ne seront pas admises. >>

M. D'André. L'objet des classes est de procurer des sujets à la marine en aussi grand nombre qu'il est possible. Les patrons-pêcheurs ont des bateaux à eux leur équipage est depuis quatre jusqu'à vingt-cinq et trente hommes. En temps de guerre, on prend cet équipage. Si vous classez les patrons, ils sont obligés d'abandonner les bâtiments; si au contraire vous ne les emmenez pas en temps de guerre, ils formeront de nouveau leur équipage, et feront ainsi une pépinière de matelots. Je demande qu'on exempte de la classification tous les patrons-pêcheurs ayant un bateau au moins de quatre hommes.

M. Malouet. Les patrons-pêcheurs ne sont pas toujours classés : si l'administration des classes s'écartait d'une sage mesure, les municipalités s'y opposeraient, on ne peut exempter entièrement les patrons, parce que c'est parmi eux que se trouvent les meilleurs officiers mariniers. Il n'y a point à délibérer sur l'amendement présenté par le préopinant.

M. D'André. J'ai uniquement motivé mon amendement sur l'utilité des patrons-pêcheurs pour élever des matelots. Je crois, au reste, que les officiers mariniers du commerce doivent être meilleurs que les patrons-pêcheurs, qui ne s'éloignent jamais des côtes.

Après quelques discussions, plusieurs membres observent que l'Assemblée ne peut décréter des objets de détail avant qu'on ne lui ait présenté les principes de cette matière, et que d'ailleurs les membres du comité de marine ne sont pas encore d'accord sur ces bases.

L'Assemblée ajourne le projet de décret sur les classes de la marine.

(Voy. plus loin aux annexes de la séance de ce jour: 1° Observations et projet de décret sur les classes par MM. le marquis de Vaudreuil et le chevalier de La Coudraye; 2° Rapport sur les dépenses et le régime économique de la marine, par M. Malouet).

M. Le Chapelier demande la parole, au nom

sur la prolongation des pouvoirs de MM. les dépu

tés.

Plusieurs membres disent que cet objet n'est pas à l'ordre du jour.

D'autres membres demandent que le rapport soit fait tout de suite.

M. le Président consulte l'Assemblée qui décide que le rapport sera entendu séance tenante.

M. Le Chapelier (1). Messieurs, votre comité de constitution doit arrêter vos regards sur un objet de la plus haute importance, parce que c'est là qu'est le dernier espoir des ennemis de la patrie, le terme auquel ils se flattent de porter échec à la constitution, de détruire la liberté publique et de renverser les espérances de bonheur que le peuple français fonde avec raison sur l'ouvrage que l'Assemblée nationale est près d'achever.

Nous voulons parler du projet conçu et publiquement annoncé d'engager les assemblées qui vont se réunir pour composer les départements et les districts, à nommer de nouveaux députés à l'Assemblée nationale. Les auteurs de cette insinuation perfide se servent du prétexte qu'il y a quelques députés dont les pouvoirs ont été limités à un an.

Il est vrai qu'ils ne peuvent employer ce moyen qu'auprés de quelques départements où se trouvent tout ou partie des électeurs qui ont apporté cette limitation à leurs mandats; mais ils espèrent, ou qu'un département voudrait faire ce que ferait un département voisin, ou qu'ils parviendront, à l'aide des passions et des intérêts particuliers, à agiter les esprits et à jeter dans la nation un sujet de discorde et confondant tous les principes, les altérant tous pour essayer de les violer, abusant même de la composition vicieuse de l'Assemblée nationale actuelle qui contient à côté des députés élus par le peuple, des députés des anciens ordres, ils disent au peuple que maître de retirer ses pouvoirs, il lui est utile de les confier à d'autres citoyens et de renouveler l'Assembée nationale.

Notre obligation est d'éclairer ceux qu'on veut égarer, et de fixer les véritables principes auxquels est attaché le sort de l'Empire, et auxquels doivent se rallier tous les amis de la patrie, de l'ordre et de la tranquilité publique.

C'est sans doute une vérité trop longtemps mise en oubli, mais désormais très reconnue, que la souveraineté réside dans la nation; que tous ceux qui exercent une autorité quelconque, l'exercent en son nom et pour elle, et qu'elle peut retirer les pouvoirs qu'elle a délégués; mais ce principe sacré est sans application à la question que nous forcent d'examiner les adversaires de la constitution qui s'établit.

Ce serait détruire cette constitution que de renouveler, avant qu'elle fût fixée, l'Assemblée chargée de la former.

Qu'est-ce en effet qu'une constitution? C'est la convention qui établit une forme de gouvernement le mot seul annonce qu'elle ne doit pas varier; que s'il est salutaire de l'examiner quelquefois, ce doit être ou à des époques déterminées, ou suivant des formes convenues; mais que, pour la tranquillité publique, elle doit, dans tous les autres temps, être fixe et à l'abri des atteintes de

(1) Le rapport de M. Le Chapelier est incomplet au Mo

tous les pouvoirs, même du pouvoir législatif.

Vous avez, Messieurs, déjà consacré cette doctrine qui est à la fois le garant et du repos de l'empire et de la liberté des citoyens.

Dans le décret constitutionnel sur l'armée, vous avez, au nom de la nation dont vous exprimez la volonté, interdit aux législatures qui vous succéderont la faculté d'établir aucune distinction quelconque entre tous les citoyens pour l'admissibilité aux emplois.

Cette maxime s'étend sur toutes les parties de la constitution.

Il en résulte que l'Assemblée, qui forme ou qui examine la constitution, a des pouvoirs différents de celui dont les législatures seront investies; elles existeront par la forme du gouvernement, elles feront les lois, elles établiront les contributions publiques, et ne toucheront jamais à la constitution, à laquelle elles seront soumises comme tous les délégués du peuple et comme tous les citoyens.

La nature des pouvoirs qu'exerce l'Assemblée actuelle n'est sûrement pas douteuse.

Chargés par tous nos mandats d'examiner la constitution, d'en réformer les abus, nous avons dès ce moment été créés, par le peuple, Assemblée constituante. Nous avons travaillé à la cons titution, nous en avons fait la plus grande partie; notre devoir est de l'achever. La nation a donné son assentiment aux établissements qui sont notre ouvrage, aux décrets qui fixent la forme du gouvernement français; tous les citoyens ont, d'une voix unanime et par un serment individuel, promis fidélité à la constitution, et se sont engagés à la maintenir de tout leur pouvoir.

La nation a donc de plus en plus consacré le caractère d'Assemblée constituante que nous avions reçu par nos mandats.

Si, avant la fin de ce travail, nous étions remplacés par d'autres députés, ou si même, sans être remplacés, nous étions confirmés par une élection nouvelle, il est évident que l'Assemblée formée alors sur des éléments différents, et devant avoir des pouvoirs essentiellement distincts de ceux dont nous sommes revêtus, aurait pourtant les mêmes, et que par conséquent la constitution serait livrée à toutes les législatures, qui, au grand détriment public, pourraient la changer ou la modifier.

Car si l'Assemblée qui prendrait la place de celle qui existe maintenant n'avait pas les mêmes pouvoirs, la constitution resterait imparfaite, ou plutôt elle ne serait pas établie. Une constitution n'est pas le rassemblement de quelques principes, ou l'arrangement de quelques-unes des parties du gouvernement : c'est une machine qui doit être complète et avoir un ensemble.

Si cette Assemblée avait les mêmes pouvoirs, elle pourrait faire sur tous les objets déjà décrétés, comme sur ceux à décréter, toutes les modifications; elle pourrait prendre toutes les résolutions qui lui paraîtraient convenir au système qu'elle adopterait.

Voilà, nous le savons, Messieurs, ce qu'on se promet de l'insinuation funeste qu'on essaye de donner au peuple; mais aussi, c'est précisément parce que nous savons que tel est le projet conçu, que nous devons, d'une main ferme, mettre pour barrière à de semblables tentatives, et la patrie qu'elles menacent, et les principes sur lesquels la constitution est établie.

Nous disons les principes sur lesquels la constitution est établie : en effet, après avoir déterminé qu'il y aurait une Assemblée unique et permanente,

il faut bien que la constitution ne puisse être changée que suivant les formes prescrites.

Si on nous disait que dans un pays voisin du nôtre, l'Assemblée nationale exerce toujours les pouvoirs d'une Assemblée constituante, nous répondrions d'abord que c'est une question parmi les Anglais; nous montrerions ensuite les entraves très convenables au despotisme, dont ce peuple s'est entouré pour donner de la stabilité à sa constitution.

Nous avons commencé à prendre, et nous déterminerons dans la fin de notre travail des moyens plus simples, plus conformes aux droits du peuple, plus rassurants pour la liberté.

Il est sans doute possible que, malgré nos réflexions et nos soins, il nous soit échappé quelques erreurs dans l'établissement d'une constitution qui repose sur les principes les plus vrais de la monarchie l'expérience éclairera sur les imperfections de notre ouvrage; et à une époque donnée, ou par des formes convenues, l'examen sera porté sur ce travail.

Ce n'est pas dans le premier moment où des institutions politiques s'établissent, qu'on peut en juger tous les avantages ou en apercevoir les défauts; il faut que le cours de quelques années ait fait taire les passions, ait calmé tous les regrels.

Que l'Assemblée nationale n'hésite donc pas à avertir les citoyens de chacun des départements, que les homines qui pourraient leur conseiller d'élire des députés pour remplacer ceux qui composent l'Assemblée nationale actuelle, veulent essayer de détruire la constitution, et de ruiner la liberté publique; qu'ils voudraient voir renaître les ordres, les distinctions, la prodigalité des revenus publics, tous les abus enfin qui marchent à la suite du despotisme ou de l'anarchie; que s'ils n'osent pas parler de la destruction du corps législatif, ils voudraient du moins lui donner une organisation telle qu'il lui fût impossible d'exercer la puissance qui doit lui être confiée...

M. l'abbé Maury. Il faut envoyer ces gens-là au Châtelet. (Extrême agitation des voisins de M. l'abbé Maury; grands cris; menaces du geste et de la voix.)

M. le Président. Quand on se permet d'interrompre un opinant, de l'interrompre avec violence, ce n'est pas à cet opinant que l'on manque, mais à toute l'Assemblée: M. l'abbé, je vous rappelle à l'ordre.

M. Le Chapeller. Nous parlons dans ce moment d'après la connaissance des mouvements qui se font dans les provinces.

Ne craignons pas que l'on dise que nous voulons perpétuer notre mission; au zèle que nous mettons dans nos travaux, à la fréquence de nos séances, à l'attention que nous apportons à éloigner tout ce qui n'est pas intimement lié à la constitution et aux finances, le public ne se laisse pas tromper sur nos intentions; il sait assez qu'il n'est pas un de nous pour qui un si long séjour à Versailles et à Paris, un éloignement de plus d'un an de sa famille, de ses affaires, de ses habitudes, n'entraînent quelques sacrifices, et que si, dans notre situation, il nous était possible de nous isoler de la chose publique, nous demanderions pour nous-mêmes la fin de notre mission. Mais ce n'est ni à soi, ni aux calomnies de quelques détracteurs qu'il faut songer, c'est à l'Etat.

titution soit achevée, et que, quand elle sera achevée, elle ait cette fixité sans laquelle on ne connaît pas de gouvernement. Il est impossible qu'une constitution ne soit pas faite par une seule Assemblée; il est impossible d'imaginer deux assemblées successives, toutes deux constituantes, dont l'une n'aurait pas le pouvoir de changer ce qu'aurait fait la première; et si elle a ce pouvoir, les maux qui peuvent en résulter sont incalculables.

Mais quand cette constitution sera-t-elle finie? Faut-il laisser la nation incertaine sur le moment où elle n'aura plus besoin que d'une Assemblée législative, et où elle pourra en nommer les membres ?

Elle sait quels sont encore les devoirs que nous avons à remplir; elle mesure comme nous l'espace qui nous reste à parcourir. Lorsqu'on a beaucoup de travaux à faire, il n'est pas possible de fixer précisément l'époqué à laquelle ils seront terminés; mais nous sommes désormais sûrs que dans bien peu de mois nous serons à même d'indiquer le moment où la nation pourra nommer sa première Assemblée législative.

Après les principes que nous venons d'établir, il est peut-être inutile de dire qu'il y aurait une impossibilité physique à ce que les départements fissent actuellement des élections pour l'Assemblée nationale; aucun d'eux n'est en état de calculer le nombre de députés qu'il aura à envoyer; il faut un travail préliminaire, qui apprenne à chaque département combien la population, sa richesse et sa contribution lui donnent de voix dans l'Assemblée législative.

Une seconde question se présente; elle se résout par un petit nombre de réflexions: il y a quelques députés dont les pouvoirs ne devaient dans le principe durer qu'un an.

Nous croyons, Messieurs, que la clause limitative est sans effet; que ces députés doivent demeurer dans l'Assemblée, qu'ils n'ont point besoin d'une élection, qu'il est impossible que cette élection ait lieu, et que si quelques-uns d'eux quittaient le travail qu'il est de leur devoir d'achèver, l'Assemblée ne devrait pas s'en apercevoir; elle n'en serait ni moins complète, ni moins obligée de continuer ses opérations.

En effet, d'après la maxime consacrée par un décret, que chacun de nous est le représentant de la nation entière et non de tel ou tel bailliage, la retraite de quelques députés ne peut d'aucune manière influer sur la légalité de l'Assemblée.

Mais cette retraite aurait cela de fâcheux, qu'elle nous priverait de membres éclairés. Nous voyons avec plaisir, dans l'application des principes et des faits, les moyens de les conserver.

Les mandats qui limitent à un an le pouvoir de quelques députés, ont été donnés dans un temps où l'on ne pouvait calculer que très imparfaitement les travaux qu'entraînait l'établissement d'une constitution; on n'imaginait pas les difficultés qui nous seraient suscitées, on ne prévoyait point les embarras qui retarderaient notre marche. La crainte du despotisme fut la cause de cette limitation; ceux qui l'imposèrent à leurs mandats croyaient donner un temps plus que suffisant pour terminer la constitution, car il n'a pas pu être dans leur esprit de nommer des députés pour ne faire qu'une partie de cet ouvrage, et pour l'abandonner avant qu'il fût consommé. Tous les députés ont reçu la mission de réformer la constitution. Voilà l'objet spécial de leur mandat, c'est à cette clause intégrale que toutes les autres sont soumi

dat subsiste; donc il ne faut pas considérer le calcul par approximation du temps qu'on croyait nécessaire pour terminer ce travail.

Objecterait-on que le mot constitution n'est pas dans tous les mandats? Nous avons observé que quand on voudrait chercher à persuader que l'Assemblée nationale réunie pour réformer tous les abus, chargée par la nation de tout corriger dans toutes les parties, n'avait pas, dans le principe, le caractère d'Assemblée constituante, elle l'aurait certainement reçu par l'adhésion de toutes les provinces du royaume: chaque citoyen a fait le serment de soutenir la constitution de tout son pouvoir; il y a donc une constitution commencée, et, pour la faire, un pouvoir existant et

reconnu.

Ce n'est pas tout, les représentants de la nation, menacés par le despotisme, ont juré de ne pas se séparer que la constitution ne fût achevée; ce serment a été approuvé par toute la nation; des louanges universelles l'ont consacré; cet engagement solennel et l'approbation qu'il a reçue, auraient sans doute l'effet d'effacer la clause du mandat, si elle avait eu besoin de l'être.

Enfin, il serait impossible de faire procéder à un remplacement ou à une confirmation des députés porteurs des mandats dont nous parlons.

Où prendrait-on les électeurs? Les anciens n'existent plus, les ordres sont supprimés, et ce sont, pour la plus grande partie, des députés de ces anciens ordres qui ont reçu des pouvoirs avec cette limitation.

L'ancienne division par bailliages n'existe pas davantage que les anciens ordres; une partie des électeurs d'un bailliage ou d'une sénéchaussée se trouve dans un département, et l'autre partie va dans un autre département. Faudrait-il qu'il se fit au même moment des assemblées en sens contraire, et que, tandis que la division du royaume et la représentation s'établissent conformément aux règles sages de la constitution actuelle, on suivit encore très inutilement les formes inégales et vicieuses de l'ancienne représentation?

Non, Messieurs attachons-nous aux principes; la confirmation des pouvoirs limités est inutile; la clause limitative est devenue sans valeur; l'élection nouvelle est impossible, elle serait contraire à la constitution; que les députés porteurs de ces mandats restent donc sans scrupule parmi nous; leur serment les y oblige, l'intérêt public le leur commande.

Par ces considérations, nous vous présentons le projet de décret suivant :

PROJET DE DÉCRET.

« L'Assemblée nationale déclare que les assemblées qui vont avoir lieu pour la formation des corps administratifs dans les départements et dans les districts ne doivent point, dans ce moment, s'occuper de l'élection de nouveaux députés à l'Assemblée nationale; que cette élection ne peut avoir lieu que lorsque la constitution sera près d'être achevée, et qu'à cette époque, qu'il est impossible de déterminer précisément mais qui est très rapprochée, l'Assemblée nationale suppliera Sa Majesté de faire proclamer le jour où les assemblées électorales se formeront pour élire la première législature.

« Déclare aussi qu'attendu que les commettants de quelques députés n'ont pu leur donner le pouvoir de ne travailler qu'à une partie de la

constitution; qu'attendu le serment fait le 20 juin par les représentants de la nation, et approuvé par elle, de ne se séparer que lorsque la constitution serait achevée, elle regarde comme toujours subsistants jusqu'à la fin de la constitution, les pouvoirs de ceux dont les mandats porteraient une limitation quelconque, et considère la clause limitative comme ne pouvant avoir aucun effet.

« Ordonne que son président se retirera dans le jour par devers le roi, pour présenter le présent décret à l'acceptation, et supplier S. M. de donner les ordres nécessaires pour qu'il soit le plus promptement possible envoyé aux commissaires qu'elle a nommés pour l'établissement des départements, afin qu'ils en donnent connaissance aux assemblées électorales. >>

M. l'abbé Maury (1). Messieurs, s'il existe dans le royaume un complot formé contre la liberté publique (2); s'il est vrai que les ennemis de la constitution se permettent de criminelles manœuvres pour renverser ce monument sacré que nous élevons à la gloire et au bonheur de la nation; si les chefs et les complices de cette conspiration sont connus, je demande hautement qu'ils soient traduits au Châtelet comme coupables du crime de lèse-nation. Si le rapporteur qui vient de nous dénoncer cette conjuration refuse de nommer à l'Assemblée les auteurs d'un délit si effrayant, je le dénonce lui-même aux représentants de la France; et je l'accuse d'abord de nous avoir insidieusement environnés de vaines terreurs, pour nous arracher un décret également injurieux au Corps législatif et attentatatoire aux droits de la nation.

C'est un stratagème coupable de l'art oratoire, que de supposer ainsi des dangers chimériques, pour obtenir des injustices réelles, en les sollicitant comme des précautions nécessaires au salut public.

On appelle vos regards dans ce moment, Messieurs, vers les plus grands intérêts. Il s'agit de déterminer les droits des représentants de la nation, les droits du Corps législatif, les droits des législatures suivantes, les droits du serment, ou plutôt les obligations qu'il impose, enfin les droits de nos commettants sur la limitation ou la durée de nos pouvoirs. Il s'agit surtout de tracer, d'une main ferme, la ligne de démarcation de tous ces droits divers entre l'Assemblée nationale et la nation elle-même. Aucune de ces discussions ne nous a été annoncée, et l'on nous accorde à peine un instant pour délibérer.

Je vais parcourir avec vous, Messieurs, toutes ces importantes questions de droit public. Je vais présenter à votre sagesse et à votre patriotisme, l'hommage soudain de mes premières pensées; et vous déciderez ensuite si vous pouvez défendre par un décret, aux corps administratifs, d'élire dès ce moment les députés qui doivent nous remplacer dans une seconde législature.

Voici l'état de la question.

Plusieurs bailliages ont limité les pouvoirs de

(1) Le Moniteur ne donne qn'une analyse du discours de M. l'abbé Maury.

(2) Je n'avais pas prévu le projet de décret qui vient de nous être présenté par le comité de constitution. Après avoir entendu la lecture très rapide qui nous en a été faite par M. Le Chapelier, j'ai demandé la parole pour le combattre et je dicte, à la hâte, cette réfutation imprévue, dont on me demande la plus prompte publi cité. (Note de M. l'abbé Maury.)

leurs députés à une seule année. L'expiration de ce terme approche, et les départements vont s'assembler. La forme des nouvelles élections va devenir plus régulière qu'elle ne l'a jamais été, puisqu'elle est déterminée par nos propres décrets. On nous dit que nous ne sommes plus simplement des députés de nos bailliages; que nous sommes devenus les représentants de la nation; qu'à ce dernier titre, la liberté politique de la nation nous est subordonnée; que nous avons fait, le 20 du mois de juin dernier, le serment solennel de ne nous séparer qu'après avoir décrété la constitution; que nos commettants n'ont pas eu le droit de restreindre nos pouvoirs à une époque fixe, qui ne nous laisse pas le temps d'achever cet ouvrage; que l'Assemblée doit suppléer, par la plénitude de sa toute-puissance, à la mission des députés dont les pouvoirs vont expirer; que les législatures prochaines n'auront pas le droit de s'occuper de la constitution, quoiqu'elle soit encore incomplète; que les Assemblées nationales ne seront investies du pouvoir constituant, qu'à des époques déterminées par la constitution elle-même; qu'elles formeront alors une Convention nationale; et que nous avons, par conséquent, le droit de suspendre les élections de nos successeurs, jusqu'à ce que nous invitions les départements à les choisir, lorsque nos travaux constitutionnels seront entièrement achevés. Tel est, Messieurs, l'étrange système que vous propose votre comité.

Au moment où le roi convoqua les États généraux de son royaume, les assemblées électorales se formèrent pour procéder à l'élection des députés et à la rédaction des cahiers. Nous fùmes tous revêtus alors de l'honorable mission que nous exerçons dans cette Assemblée. Mais avant la vérification réciproque de nos pouvoirs, nous n'étions encore que les députés de nos bailliages, et aucun bailliage particulier ne pouvait nous autoriser à représenter la nation tout entière. Dès que l'universalité des délégués de chaque bailliage fut rassemblée, dès que nos mandats furent reconnus, nous ne fùmes plus de simples mandataires de nos provinces, nous primes un plus grand caractère; nous formâmes, par notre simple réunion, le corps des représentants de la nation française. Mais ce titre auguste supposait en nous le pouvoir radical que nous avions reçu de nos commettants; et nous eussions été frappés d'une incapacité légale de représenter la nation, si nous n'avions été d'abord les délégués de nos bailliages. Nul citoyen n'a le droit d'être admis dans un corps de représentants, sans le titre primitif qui le constitue lui-même mandataire de sorte, Messieurs, qu'au moment où nous cessons d'être les députés de nos bailliages, nous ne saurions plus être les représentants de la nation; nous n'appartenons plus au Corps législatif; nous rentrons dans la classe commune des citoyens, pour être soumis comme eux à toutes les lois que nous avons décrétées.

Or, Messieurs, il y a, dans cette Assemblée, plusieurs de nos collègues, dont les pouvoirs doivent expirer le premier du mois de mai prochain. A cette époque, tous les mandataires dont la mission est ainsi limitée cesseront d'être les organes de leurs commettants. Ils ne seront plus alors, aux yeux de la loi, les députés de leurs bailliages; ils se verront privés de tous leurs pouvoirs, par le titre même qui les en a investis; et il est par conséquent démontré que, loin d'être ensuite les représentants de la nation, ils ne représente

Nous avons incontestablement le droit d'examiner les pouvoirs de tous les membres du Corps législatif; mais avons-nous également le droit de les conférer, le droit de les suppléer? Je ne pense pas qu'on ose soutenir sérieusement un paradoxe si antinational. Comme députés de nos bailliages nous ne sommes que de simples délégués, et il est de principe qu'un délégué n'a pas le droit de déléguer. Comme membres du Corps législatif, nous ne pouvons reconnaître pour véritables représentants de la nation que les mandataires d'une portion de la nation elle-même.

Il résulte du développement de ces principes, que nul de vous ne doit oublier son premier titre de député d'un bailliage. Si cette qualité indispensable ne nous appartient plus, nous sommes sans pouvoirs et sans mission. En matière de pouvoirs, il faut toujours remonter au titre ; c'est donc à la seule autorité de nos cahiers que nous devons croire; c'est la seule volonté de nos commettants que nous devons interroger.

Nous ne serions plus que des prévaricateurs, des usurpateurs et des parjures, si nous osions siéger en leur nom, dans une Assemblée où nous ne sommes plus ni leur organe, ni leurs mandataires, ni leurs représentants. La religion du serment et toutes les lois de l'honneur repoussent les vains sophismes par lesquels on tenterait d'obscurcir ces maximes, et de travestir les devoirs de la probité la plus commune en autant de scrupules d'une conscience trop timorée.

:

Je pars maintenant de tous ces principes, et je dis s'il y a dans le royaume des bailliages, et même des provinces entières, dont les députés soient ici sans pouvoirs, ces provinces ont évidemment le droit d'être représentées dans l'Assemblée nationale; elles ont par conséquent le droit d'élire, comme elles ont le droit de confirmer ou de révoquer leurs députés. Cette Assemblée ne peut, sous aucun prétexte, les priver d'une prérogative nationale; et si elles cessent d'être représentées parmi nous, elles cessent également d'être soumises à nos décrets. Voilà donc le droit d'élection bien établi pour tous les commettants qui n'ont accordé à leurs mandataires que des pouvoirs limités. Je demande à présent, si les autres départements du royaume, qui vont s'assembler, n'ont pas le même droit de rappeler leurs mandataires et d'élire de nouveaux députés? La permanence des Assemblées nationales n'emporte pas la permanence de leurs membres, et il me semble qu'il est digne de tous les bons citoyens de reconnaître comme un point fondamental de notre droit public que chaque député de la nation doit être subordonné à la portion de la nation, dont il est le représentant. J'ose douter que l'on parvienne jamais, par de subtiles déclamations, à persuader au peuple que ces principes sont antipatriotiques. S'il restait encore à cet égard quelques nuages dans les esprits, mon respect pour cette Assemblée ne me permettrait pas de lui développer des dangers qui ne sont pas vraisemblables; mais mon zèle pour la nation m'obligerait de lui rappeler l'époque lamentable du long parlement d'Angleterre.

Nos commettants, nous dit-on, n'ont pu nous enjoindre de nous retirer avant que la constitution fût faite et la constitution n'est pas encore achevée; et nous devons d'autant moins abandonner ce grand ouvrage, que nous nous sommes engagés par un serment public à le terminer avant la fin de cette session.

D'abord, Messieurs, un serment ne confère au

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