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tion du prix des ventes et des achats. Elle s'acquittait en nature. Et qui ne sait qu'une gerbe de blé, qui repose encore sur le champ où elle a été récoltée, est un léger sacrifice pour le pauvre cultivateur, tandis que le prix de cette même gerbe, converti en argent, lui occasionne une multitude de frais accessoires qui en double la valeur ?

Qu'on ne prétende pas non plus m'opposer ici les premiers siècles de l'Église, ils rappellent le temps des persécutions; l'Église alors, en proie à ses persécuteurs, gémissait sur les cendres de ses martyrs. Dans ces jours de deuil et d'affliction elle n'avait pas encore pu établir ses solennités; son indigence ne lui permettait pas de les porter au degré de splendeur et de majesté qui leur convenait, et auquel elles se sont élevées depuis qu'elles ont appartenues au monde devenu chrétien. Eh quoi chez une grande nation dont tous les établissements, dont toutes les dépenses pu. bliques portent le caractère de la grandeur et de la magnificence, la parcimonie ne serait réservée que pour les établissements, que pour les dépenses qui appartiennent à la religion! On calcuferait avec l'Etre suprême pour l'honorer d'une manière plus ou moins solennelle! Bientôt on voudrait réduire les hommages qui lui sont dus à la simple adoration du cœur ; et, sous le prétexte de soulager les peuples, on retrancherait toute la partie extérieure du culte religieux! Hommes imprudents, ne savez-vous pas que l'empire des sens s'étend jusques sur la religion! C'est par l'organe de leurs sens, frappés de l'éclat et de la majesté des cérémonies religieuses, que les esprits les plus simples, les cœurs les plus corrompus, les personnes les plus indifférentes en matière de religion, sont souvent ramenées à cette grande et précieuse communication qui doit exister entre la créature et le créateur, et c'est ainsi que ces mêmes sens qui nous éloignent trop souvent de l'Etre suprême, nous rappellent lui par un juste retour. Demandez à ces peuples qui ont été séduits par l'erreur et par une apparence trompeuse de perfection; demandez-leur si, dans leurs temples dépouillés d'ornements, dans leurs cérémonies religieuses dépourvues de toute pompe extérieure, ils n'éprouvent pas une sécheresse, une aridité de cœur qui les retiennent courbés vers la terre, tandis que lorsqu'ils entrent dans nos temples, qu'ils assistent à nos cérémonies, à nos solennités, leur âme est transportée vers le ciel ! Voulez-vous réduire vos peuples au seul culte intérieur? Voulez-vous en faire autant de philosophes? Ah! craignez que cette prétendue philosophie ne retombe sur vous et n'accable de malheurs la génération présente et les générations futures. La dépouille des églises a toujours été la suite ou le précurseur d'un changement dans la foi. Rappelez-vous ce qui s'est passé chez un peuple voisin, qui, dans son envahissement des propriétés ecclésiastiques, a su au moins respecter un grand nombre de ces propriétés, et qui, après avoir détruit une partie de ce que vous voulez détruire, éprouve peut-être aujourd'hui des regrets et porte le fardeau de ce qui a été mis à la place. Une taxe établie pour les pauvres ne lui coûte pas moins de 60 à 80 millions par an.

Voudriez-vous donc renoncer à la foi de nos pères? Non, Messieurs, vous ne le voulez pas. Les peuples ont mis entre vos mains la défense de cette foi antique qui seule peut assurer leur bonheur. Vos mandats, vos opinions, votre sagesse,

intégrité, et je me plais à penser que vous ne serez jamais en arrière de votre devoir, sous ce rapport comme sous tous les autres. Je ne saurais cependant vous dissimuler que le refus que vous avez fait hier de déclarer que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'Etat, et qu'à elle seule appartient la publicité et la solennité du culte, alarme un grand nombre de nos concitoyens. Les diverses interprétations dont est susceptible le décret que vous avez rendu, au sujet de la simple déclaration d'un fait, inspire de grandes inquiétudes. Je ne les partagerais pas, si je ne considérais que vos intentions; sans doute elles sont pures; mais lorsque je réfléchis sur les conséquences de ce décret, sur l'effet désastreux qu'il peut produire dans l'esprit des peuples, sur les dangers dont il environne la religion, lorsque je le mets à côté de celui qui vous est proposé pour l'envahissement de toutes les propriétés ecclésiastiques, ah! Messieurs, je ne peux pas ne pas apercevoir un ensemble effrayant et une combinaison désolante, qui certainement, contre votre vœu, contre votre volonté, ne tiendrait à rien moins qu'à anéantir toute religion en France. L'évangile défend la persécution, et le clergé français n'est point persécuteur. Il rejette la tolérance de l'indifférence,mais il professe hautement la tolérance de charité. Cette dernière présidera toujours à ses enseignements, comme elle a toujours été et sera toujours dans son cœur. L'Etat veut une religion; il n'en veut qu'une publiquement avouée, publiquement exercée. Tout mélange, toute rivalité nous ramèneraient à des excès, à des calamités, que, pour l'honneur de la religion elle-même et de l'humanité, il faut effacer de notre histoire. Le régime adopté en matière de religion, chez quelques-uns des peuples de l'Europe, ne saurait convenir à la France. On aura beau faire, jamais on ne transformera les Français en Anglais, en Hollandais. Encore existet-il en Hollande et en Angleterre une religion dominante, et vous savez avec quelle majorité la proposition d'abroger la loi du test a été rejetée récemment dans le parlement d'Angleterre. Seraitce chez les Anglo-Américains que nous irions chercher un modèle? La maturité, la longue expérience des peuples de l'Europe ne seront donc plus comptées pour rien, et nous serons désormais obligés d'aller nous former à l'école d'un peuple naissant, dont les besoins, les relations, les habitudes diffèrent essentiellement des nôtres; qui, forcé d'appeler des hommes de toutes parts pour accroître sa population et cultiver un territoire immense, n'a pu admettre ceux qui sont venus librement se réunir à sa société qu'avec leurs mœurs et leur croyance religieuse; qui, depuis huit ans, n'a pas encore définitivement posé les bases fondamentales de son gouvernement, et qui peut-être, en ce genre seulement, nous donnera bientôt une grande leçon !

Mais que pourrais-je ajouter aux excellentes discussions que vous ont fait entendre M. l'évêque de Nancy, M. l'archevêque d'Aix et M. l'abbé d'Eymard? Vainement on a tenté de les combatire; quelque efforts qu'on ait faits, ou n'y a pas répondu, parce qu'on ne répond point à l'évidence. Des principes d'hier se détruisent par les principes éternels de la justice et de la vérité. J'adhère pleinement et entièrement à tout ce qu'ils vous ont dit et aux offres qu'ils vous ont faites. Je le répète, le décret que vous avez rendu hier sur la religion, contre lequel un grand nombre de membres de l'Assemblée a protesté, se lie telle

posé aujourd'hui pour l'envahissement de tous les biens ecclésiastiques dans l'universalité du royaume; ils s'appuient tellement l'un et l'autre ; j'en vois sortir de si grands malheurs et surtout de si grandes atteintes contre la foi de nos pères et notre culte religieux, qu'indépendamment des grandes considérations politiques que j'ai eu l'honneur de mettre sous vos yeux, l'intérêt de la religion, supérieur à tout autre, me commande de m'opposer de toutes mes forces à la spoliation des églises, des établissements ecclésiastiques et des titulaires des bénéfices. En conséquence, je demande que le projet de décret soit entièrement rejeté.

Si cependant, contre mon attente et mon vou, si contre celui de mes commettants et d'un grand nombre de nos concitoyens, ce projet de décret, que je ne saurais jamais séparer dans mon opinion de celui que vous avez rendu hier sur la religion, venait à prévaloir dans votre délibération, l'intérêt de cette religion sainte me commanderait encore de réclamer contre lui de tout mon pouvoir; la volonté non équivoque de mon mandat m'en ferait un devoir, et la mission expresse que j'ai reçue de la part d'une partie de mes commettants, de la première église de France, celle du chapitre de Paris, revêtue des pouvoirs de quarante-trois églises métropolitaines, cathédrales et collégiales du royaume, rendrait pour moi ce devoir encore plus pressant. Souffrez que je vous fasse la lecture de la réclamation du chapitre de Paris; elle n'a d'autre objet que celui de la religion; mais, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, la religion est trop essentiellement intéressée à la conservation des propriétés ecclésiastiques, pour que la proposition de leur envahissement n'appartienne pas à la religion elle-même. D'ailleurs, en faisant profession d'un grand respect pour votre Assemblée, en voulant toujours donner l'exemple de ce respect à tous les autres corps ecclésiastiques, de même que les différentes villes et corporations du royaume vous envoient chaque jour des adresses, de même le chapitre de l'église de Paris a le droit de vous adresser la manifestation de ses sentiments sur l'important la religion.

objet de la reine d'avance, tant en mon nom,

comme représentant de la nation, qu'en celui de la religion, des pauvres, de mes commettants, du chapitre de l'église de Paris et des différentes églises dont il a les pouvoirs, contre tout ce qui pourrait être délibéré de contraire aux droits imprescriptibles qui leur sont garantis, ainsi qu'aux autres églises et aux titulaires des bénéfices, par une possession légitime autant que par la loi, et je déclare que je ne pourrai prendre aucune part à cette délibération.

Daignez, Messieurs, vous mettre un instant à ma place et considérer combien est amère la position où se trouvent dans cette Assemblée les membres du clergé ; placés entre leurs commettants et vous, entre leurs devoirs les plus sacrés et le désir de ne pas vous déplaire, quelle conduite peuvent-ils tenir qui ne leur attire ou votre animadversion ou celle de leurs concitoyens? S'ils font des réclamations, vous leur en saurez mauvais gré; s'ils n'en font pas, leurs commettants les regarderont comme des prévaricateurs et des traîtres. Ah! laissez, laissez à des hommes honnêtes, aussi zélés que vous pour la prospérité publique et le salut de la patrie, plus particulièrement voués à la défense de la religion, du culte religieux, du patrimoine des pauvres et de tout ce qui appartient à des intérêts aussi grands,

aussi chers; laissez-leur au moins la pénible satisfaction d'échapper aux trop justes reproches que leur feraient les hommes qui les ont envoyés parmi vous; et surtout à ceux qui ne cesseraient de leur faire voir les deux juges les plus redoutables la religion et la conscience.

EXTRAIT DES REGISTRES DES CONCLUSIONS DU CHAPITRE DE L'ÉGLISE DE PARIS (1),

Du lundi 12 avril 1790.

Il a été exposé, par un de Messieurs, que le clergé de France n'était pas seulement menacé d'être dépouillé de ses possessions et de l'administration de ses biens, mais qu'il y avait encore tout lieu d'appréhender que la religion catholique, apostolique et romaine ne fût pas maintenue dans le culte public et solennel qui lui appartient exclusivement à tout autre; que déjà il avait été décrété par l'Assemblée nationale, comme article constitutionnel, que la loi ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels de personne de l'un ni de l'autre sexe; que cependant les vœux solennels de religion, autorisés par l'église universelle, sont reconnus et admis dans tous les Etats catholiques; qu'on en était maintenant à proposer de supprimer tous les titres de bénéfices autres que les archevêchés, évêchés et cures, et de salarier tous les ministres du service divin; que toutes ces destructions entraînent nécessairement la subversion, la ruine et l'anéantissement de la religion constamment professée et défendue par nos pères, malgré les révolutions des temps; que, dans les conjonctures désastreuses où nous nous trouvons, il n'était plus permis à l'église de Paris, dénommée par nos rois la première du royaume, de se renfermer dans le silence qu'elle a jusqu'à présent gardé; que ce serait de sa part manquer à l'obligation de veiller au maintien de la religion qu'elle professe comme la seule vraie, et à la conservation des droits qui lui appartiennent essentiellement; que d'ailleurs, nombre d'églises du royaume ont adressé, sans y être provoquées, pouvoirs et procurations au chapitre de Paris pour défendre en leur nom les intérêts de la religion, contre les atteintes qui leur seraient portées; que ne pas réclamer en faveur de ces corps inhérents à la constitution de l'Église et de l'État, ce serait, dans la crise actuelle, une lâche prévarication; que ces objets lui parraissaient d'une assez grande importance pour être pris en considération; qu'en conséquence il priait la compagnie d'en délibérer. Sur quoi, Messieurs, après en avoir délibéré, ont unanimement arrêté de charger M. Chevreuil, chancelier et chanoine de l'église de Paris, et M. de Bonneval, aussi chanoine de ladite église, tous deux députés du clergé de la ville de Paris à l'Assemblée nationale, d'exprimer de la manière la plus pressante à l'Assemblée nationale, tant au nom de l'église de Paris, qu'en celui des diverses églises (2), qui l'ont

(1) Nota. En rendant mon opinion publique, j'ai pensé qu'il était de mon devoir d'y joindre les délibérations du chapitre de l'église de Paris, des 12 et 14 avril, qui justifient la mission qu'il m'a donnée.

(2) Agde, Aix, Alby, Aleth, Amiens, Angers, Auch, Autun, Beziers, Saint-Claude, Dax, Saint-Diez, Digne, Dijon, Evreux, Fréjus, Grasse, Lescar, Lodève, Lombez, Meaux, Mirepoix, Montpellier, Narbonne, Nimes, Noyon, Perpignan, Poitiers, Saint-Pol de Léon, Saint-Pons, Toul, Toulouse, Tulle, Verdun, Viviers, Uzès, Saint-Vulfran

autorisée à cette fin, la profonde consternation du chapitre de Paris, sur tous les malheurs qui investissent l'universalité du clergé de France, comme aussi d'adhérer, esdits noms, à toute réclamation, opposition ou protestation qui serait faite contre les atteintes qui ont été portées à la religion et aux droits essentiels du clergé de France; remettant au surplus, le chapitre, à prendre telle délibération ultérieure qu'il appartiendra, suivant la nécessité des circonstances sur les moyens et formes que lui prescriront d'employer les lois de la religion, de la conscience et de l'honneur, pour manifester et consigner authentiquement ses sentiments, afin qu'ils puissent être transmis à la postérité.

Du mercredi 14 avril 1790.

Le chapitre continuant de délibérer sur les objets pris en considération le 12 de ce mois, après avoir entendu la lecture d'un décret intervenu hier à l'Assemblée nationale, relatif au culte de la religion catholique, apostolique et romaine, et conçu dans des termes qui pourraient donner lieu à des craintes sur le maintien de la religion catholique, apostolique et romaine en France, comme seule religion de l'État, croirait trahir le premier de ses devoirs, s'il ne manifestait pas de la manière la plus authentique et la plus solennelle, son inviolable attachement à cette religion sainte, qui seule est la véritable, seule a toujours été la religion de la monarchie française dont elle a, dans les Gaules, précédé l'établissement; seule doit y avoir le droit d'exercer un culte public et solennel; seule enseigne la doctrine, prescrit le culte, inspire les sentiments, établit les maximes de morale et de conduite le plus intimement liés au vrai bien de l'ordre social dont Dieu est l'auteur, au bonheur et à la tranquillité des peuples dont il est le protecteur et le père; seule enfin peut conduire ceux qui la professent et l'observent, au salut éternel. Tels sont les sentiments profondément gravés dans le cœur de tous les membres qui composent le chapitre de Paris, et il n'en est aucun qui ne fût disposé, moyennant le secours de la grâce de Dieu, à répandre son sang pour le maintien et la défense de cette religion.

Extrait, collationné et certifié conforme à la minute des dites conclusions du chapitre de l'église de Paris, par moi soussigné secrétaire du dit chapitre, ce vingt-cing avril mil sept cent quatrevingt-dix. Signé: BUÉE, secrétaire du Chapitre.

9° ANNEXE

à la séance de l'Assemblée nationale du 14 avril 1790.

Opinion de M. le chevalier de Boufflers (1) sur les affaires du clergé dans la circonstance présente (2).

Messieurs, lorsque l'Assemblée nationale a

d'Abbeville, Saint-Félix de Caraman, Saint-Gilles en Languedoc, Saint-Paul de Narbonne, Saint-Quentin, SaintSermin de Toulouse, Saint-Pierre et Saint-Chef de Vienne. (1) L'opinion de M. de Boufflers n'a pas été insérée au Moniteur.

placé la fortune des créanciers de l'Etat, sous la sauvegarde de la loyauté française, elle savait que ce qui est juste est toujours possible, et que l'économie exécuterait ce que l'honneur avait prononcé déjà, par vos soins, les charges publiques, également distribuées, paraissent plus supportables; tout ce que l'injustice ou l'ignorance y ajoutait d'accablant en est retranché; une pieuse parcimonie essaie chaque jour de les alléger encore, et chaque jour l'esprit vital de la liberté prête au moindre citoyen de nouvelles forces pour les soutenir: mais bientôt des secours inattendus se joindront à ces moyens par euxmêmes infaillibles, ils aplaniront toutes les difficultés qu'on se préparait à surmonter, et ne laisseront au peuple français que le mérite d'une si généreuse résolution. Ainsi vous avez dépassé les vœux de vos concitoyens, lorsqu'un zèle impérieux vous a pressés de combattre des préjugés presque aussi anciens que le monde, de chercher les droits sacrés de l'homme dans les principes éternels des choses et dans leurs convenances immuables, d'examiner ensuite les premiers con. trats des sociétés naissantes, et de fouiller, pour ainsi dire, dans les archives du genre humain pour y découvrir les titres imprescriptibles de cette nation qui croyait n'avoir que des dettes et à qui vous rendez un superbe patrimoine.

Telles sont les fructueuses méditations à la suite desquelles il a été déclaré que l'immense domaine jusqu'ici possédé par le clergé de France est tout entier à la disposition de la grande communauté des Français, et qu'une portion de ces biens peut, dès à présent, faire face à la partie la plus menaçante de la dette nationale.

Permettez aujourd'hui, Messieurs, qu'en m'associant plus particulièrement à ces grands travaux, je mesure avec vous l'étendue réelle de nos ressources, et que je vous soumette quelques idées sur les moyens d'accélérer et de faciliter l'exécution de vos décrets.

Vous avez décrété qu'il serait vendu pour 400 millions de biens de l'Eglise, et le succès de cette opération, aussi simple qu'utile, est attaché à deux conditions: elle doit commencer promptement, ou elle serait douteuse; elle doit se faire lentement, ou elle serait impolitique. Si elle ne commence promptement, on ne fera qu'entretenir ces soupçons, si peu mérités, mais si répandus contre le patriotisme des membres du clergé, et leur honneur et leur intérêt, et le bon ordre et le crédit public en souffriront nécessairement. D'un autre côté, si l'on y procède avec une sage lenteur, la quantité de terres actuellement exposées en vente diminuera l'affluence des acquéreurs des autres biens; or, ces deux intérêts opposés, en agissant l'un sur l'autre, nuiraient à tout, car il en résulterait sur-le-champ, des deux côtés, une désastreuse émulation à qui vendrait à meilleur marché, et, dès lors, le taux des ventes baisserait à chaque instant; mais le taux de ces ventes est l'indication de toutes les valeurs, il sert de mesure à toutes les fortunes dont celle de l'Etat se compose, et cette mesure a été consultée de

sont écrites depuis longtemps; il est aisé de s'en apercevoir à quelques articles sur lesquels on a déjà délibéré qui deviennent en ce moment inutiles, mais que je n'aurais pu supprimer qu'en changeant entièrement l'ordre et la forme de mon travail; j'espère au moins que l'on rendra justice à mes intentions et que, dans aucun cas, on ne me supposera le projet insensé d'élever mon opinion particulière contre les décrets de l'Assemblée natio

manière ou d'autre dans toutes les transactions des particuliers. Vous craindrez sans doute, en la changeant tout à coup, d'appauvrir tous les propriétaires, vous ne vous permettrez pas de tromper ainsi tous leurs créanciers et des législateurs ne croiront point libérer l'Etat en ruinant tous les citoyens? Evitez donc, Messieurs, le double danger du retard et de la précipitation. Ne perdez pas un moment, mais ne faites pas tout dans un moment, et que le temps, qui rend tout facile. le temps sans qui rien n'est parfait, le temps qui manque rarement à se venger de ceux qui ont dédaigné son secours soit aussi votre coopérateur dans une aussi grande entreprise.

Il vous a été dit, Messieurs, que dans Paris seul on pourrait vendre pour plus de 100 millions de bâtiments et terrains possédés par le clergé, et je désire, avec tous les amis du bien public, que cette assertion soit plutôt affaiblie qu'exagérée ; mais, dans tous les cas, il faut commencer, l'instant et le lieu sont favorables, car l'instant de la plus grande crise (et nous y sommes) doit être celui du plus grand effort; et le lieu où cet effort rencontrera le moins d'obstacle, est sans doute celui où les esprits sont le plus éloignés de toute superstition, celui où les lumières en tout genre sont le plus répandues, où les principes d'administration sont le plus développés, où enfin le cri de la détresse publique est plus impérieux; or, ce lieu, c'est Paris. Je propose donc que, dès aujourd'hui, en attendant la formation et l'activité des nouvelles administrations, la commune de Paris soit chargée de prendre connaissance de ces bâtiments et terrains désignés par le premier auteur de ce conseil sous le nom de biens stériles, et qu'elle s'informe en détail de leur valeur, de leur emploi, de leur utilité, des charges dont ils peuvent être grevés, ainsi que de l'étendue et de la sûreté des offres qui pourraient être faites pour l'acquisition de telle ou telle partie de ces biens. Je demande, Messieurs, que ce travail soit commencé dans la première Ville et sous les yeux de la première Assemblée de l'Univers, pour que vous puissiez vous procurer à temps une connaissance suffisante des facilités, des obstacles, des détails et de tous les rapports sur cette vaste opération, et pour que, d'après les conseils de l'expérience, vous puissiez établir une manière de procéder qui puisse servir de fil conducteur à toutes les assemblées administratives à qui vous confierez l'exécution de vos décrets. Le succès d'une première épreuve ainsi faite sous vos auspices n'est point douteux, vous pourrez le continuer dans les principales villes du royaume, et l'étendre bientôt après aux villes d'un ordre inférieur; mais il sera prudent de la suspendre dans celles de la dernière classe, et particulièrement dans ces contrées retirées où une privation presque totale de commerce et d'industrie rend pour quelque temps encore la présence des religieux plus intéressante et leurs secours plus nécessaires.

Cet ordre graduel à établir dans la vente des biens morts et de quelques autres fonds du clergé pourrait faire entrevoir dès ce moment même à la France une ressource égale à ses besoins; mais une grande partie de cette ressource est pour l'avenir, et les besoins sont pressants; ainsi l'espérance ne suffit point, il faut des réalités qui permettent d'attendre et des certitudes qui donnent les moyens d'anticiper. On trouverait ce double avantage dans une contribution extraordinaire que la nation affecterait aux seuls biens de l'Eglise; les assemblées administratives la per

cevraient sous le nom de cens national, et ce tribut s'élèverait en tout temps au huitième du produit net de tous les revenus ecclésiastiques, toutes impositions civiles acquittées.

La somme totale de ces revenus est maintenant évaluée à environ 180 millions, dont le huitième, en laissant les choses comme elles sont, serait environ 22 millions 500,000 livres; mais il ne faut compter que sur 20 millions, plus ou moins, à cause d'une diminution qu'il est juste de prononcer en faveur des curés à portion congrue; et dans les premières années seulement cette contribution serait doublée, ce qui la porterait au quart de la totalité des revenus actuels, c'est-àdire à une somme d'environ 40 millions.

La première de ces deux redevances, ou le cens proprement dit, éternellement attaché à toutes les possessions ecclésiastiques, les marquerait à jamais du sceau de la propriété nationale. La geconde imposition, au contraire, ou le double cens, éprouverait une diminution annuelle mesurée à chaque époque sur l'intérêt de la somme que la vente aurait produite, en sorte que d'une part l'imposition rendrait la vente moins pressée pour la nation, et que de l'autre le progrès de la vente rendrait à chaque année l'imposition moins onéreuse pour les contribuables, et cette vente, ainsi combinée avec l'impôt, nous offre encore deux grandes utilités : l'une, de démontrer par le fait que les possessions du clergé sont à la disposition de la nation; l'autre, de conserver à chacune de ces possessions l'utile surveillance de l'intérêt personnel, jusqu'au moment où elles trouveraient un véritable maitre; et je ne sais si un tel arrangement ne serait pas plus simple et plus sage que la proposition de tout livrer en même temps, à des mains étrangères, dont les soins moins actifs, moins éclairés, enlèveraient journellement à ces biens une partie de leur valeur, et à l'Etat une partie de ses ressources. Considérons en ce moment les maux inévitables qui se répandraient à la fois dans presque toutes les provinces du royaume si l'on éloignait sur-le-champ les religieux de ces lieux sauvages qu'ils ont rendus à la société en les habitant, et de ces déserts qu'ils ont couverts de moissons. Je crois savoir tout ce qu'on peut dire contre les monastères, et je sais aussi combien quelques reproches mérités leur en ont attiré d'injustes; mais d'ici à ce qu'une raison amie de tous les hommes ait distribué, dans toutes les parties du corps politique, une santé, une force, un bien-être qu'il n'a jamais connus, les campagnes souffriront longtemps encore de beaucoup de misères auxquelles l'existence des religieux est au moins un soulagement; et dans quel moment ce trop faible soulagement pourrait-il être plus nécessaire que dans celui-ci, où tous les maux se font sentir et où les remèdes ne sont que préparés?

Vous ne le savez que trop, Messieurs, après les calamités mémorables dont la nature ellemême avait aussi frappé ce beau royaume, une moisson insuffisante a laissé encore un vide effrayant dans nos greniers absolument épuisés des anciennes provisions. Nos besoins sont connus des Etats voisins, et c'est par des refus malveillants, et c'est par des enlèvements frauduleux de la denrée prête à nous manquer que l'on répond à nos demandes, tandis que notre numéraire, presque évanoui, nous permet à peine de faire au loin les achats nécessaires à notre subsistance, et que les provinces, trompées sur leur intérêt commun, suspendent encore, malgré nos décrets,

la circulation de ce grain qui soutient, qui représente, qui est, pour ainsi dire, la vie du peuple. Parcourez aujourd'hui l'intérieur de ces contrées, vous y verrez les villes, les bourgs, les villages se montrer les uns aux autres dans des dispositions plutôt hostiles que fraternelles. Partout les paysans fascinés, irrités au seul mot d'accaparement, regardent et poursuivent indistinctement, comme accapareurs, tous ceux qui s'occupent du soin de leur subsistance, et leurs fureurs découragent à la fois le zèle et l'intérêt; enfin tout parle de disette, tout la ressent, tout la prédit, et cependant d'un bout du royaume à l'autre l'ébranlement et la subversion des fortunes ont commandé de funestes réformes; et cependant chaque jour l'inaction, la désertion ou le renvoi d'ouvriers et de mercenaires de toute espèce inondent les villes et les campagnes d'une nouvelle foule d'hommes sans état, sans ressources, et qui seront bientôt sans mœurs et sans frein; et cependant partout les riches sont moins riches, partout les pauvres sont plus pauvres et de ces pauvres un grand nombre est en armes. Est-ce là, Messieurs, le moment que nous choisirons pour éloigner de leurs asiles respectés des hommes qui répandent au moins autour d'eux la paix et la sécurité, des hommes dont la résidence continuelle occupe et vivifie les campagnes qu'ils ont défrichées, des hommes dont le luxe même qu'on leur reproche est un bienfait pour les lieux circonvoisins, des hommes chez qui le paysan oisif est sûr de trouver du travail, l'étranger un hospice, le malade du secours, et l'affamé du pain? Refuserons-nous aux champs les soins de leurs meilleurs cultivateurs? Rejetterons-nous les secours de ces anciennes richesses qui, toujours dues et rendues à la terre, ne cessent d'entretenir et de ranimer la fécondité? Et qui pourra la dédommager cette terre de la présence assidue des religieux, de leur vigilance directe et continuelle sur tous les travaux champêtres, de leur habileté à tirer parti des sols le plus ingrats, soit par eux-mêmes, soit par des fermiers toujours surveillés, toujours traités avec modération, toujours secourus à propos et sagement conseillés? Enfin, Messieurs, embrassons d'un coup d'œil tout ce qui va dans les premiers temps manquer aux récoltes, et tout ce que les pauvres auront à réclamer, car il ne faut pas se le dissimuler, la récolte est le vrai trésor du pauvre; si nous y touchons nous en sommes comptables. Pensons, encore une fois, que la disette commençait à nous menacer pendant la moisson. Pensons que, malgré tous nos efforts, la mendicité couvre toute la France, et nous frémirons d'un décret qui, ne fût-ce que pour peu d'années, condamnerait la plus belle partie de nos champs à moins de fertilité et tarirait les principales sources dé l'aumône.

On à parlé d'ateliers de charité, et j'y applaudis du fond de mon cœur; mais ces établissements, en offrant partout un sage et utile emploi à des forces qui pourraient être dangereuses, ne font rien pour la faiblesse et pour l'infirmité; le malade, la veuve, l'orphelin n'y trouvent point de consolation. Ah! croyez-moi! la charité politique ne sera jamais assez active, assez prévoyante, assez universelle pour ne pas laisser longtemps du moins une tâche énorme à remplir à la charité particulière; et quoiqu'on en dise, les devoirs de cette charité ne peuvent être mieux acquittés que par des hommes dont elle est essentiellement la profession, et dont elle deviendra la sauvegarde.

Quoique l'existence des simples bénéficiers semble moins utile, au premier aspect, que celle

des religieux, leurs intérêts n'en sont pas moins sacrés aux yeux du législateur. De puissants motifs, sans doute, intéressent en faveur des réguliers, mais les séculiers ont de véritables titres; les uns sont nécessaires aux biens qu'ils administrent, les autres ont droit aux concessions qui leur ont été accordées. D'un côté, c'est la terre qui réclame les cultivateurs; de l'autre, c'est la loi qui parle pour des citoyens. Si les religieux n'avaient pour eux que la faveur méritée que leur donne le bien qu'ils font dans les campagnes, jointe à l'impossibilité de les y remplacer d'une manière satisfaisante pour les peuples et consolante pour les pauvres, la société ne leur devrait qu'une subsistance honnête, au lieu de la conservation de leurs anciens domaines. Les ecclésiastiques séculiers, au contraire, peuvent contracter, acquérir, donner, prêter, emprunter relativement à la somme et à la nature des biens dont le souverain leur a donné la jouissance. Considérez-les donc comme des possesseurs légalement investis, dont les épargnes, dont les revenus, dont les espérances doivent demeurer sous la protection du corps social; considérez-les comme des citoyens dont les intérêts ont pu entrer dans la circulation, et devenir communs à tous leurs concitoyens; considérez-les comme des tenanciers avec lesquels la société ne peut annuler son contrat, sans annuler en même temps tous les contrats qu'ils ont faits avec elle, et sans faire banqueroute, en leur nom, à tous leurs co-intéressés. Je sais que le clergé, en qualité d'être moral et fictif, était dans une dépendance absolue de la nation, qui, sous ce rapport, pouvait à son gré le conserver ou le détruire. Mais croit-on que ce droit de vie et de mort, exercé arbitrairement, s'étende jusque sur les êtres vivants et sensibles, dont l'être fictif était composé. Ne sont-ce point des hommes? et ces hommes ne jouissent-ils point sous la garantie des lois suivant lesquelles leurs biens leur ont été conférés? Chacun deux ne possède-t-il point ces biens comme un don que la nation lui a fait? Ce don n'est-il point énoncé dans un titre authentique, et sous telles ou telles conditions? Et, d'après la connaissance du don, du titre et des conditions, tout citoyen n'a-t-il pas cru pouvoir, en surête, transiger avec le donataire, parce qu'on a regardé le titre comme la caution de la loi, et les conditions comme des articles de l'acte de cautionnement? Si une de ces conditions était que le bénéfice pût être retiré à la volonté du souverain, elle serait entrée pour beaucoup, sans doute, dans les calculs du titulaire, ainsi que des hommes avec lesquels il a contracté, et nul d'entre eux n'aurait droit de s'en plaindre, au moment d'en éprouver la rigueur; mais si jusqu'à présent une telle condition n'a été attachée à aucun bénéfice il s'ensuit que le titulaire doit rester pourvu jusqu'au terme prescrit, c'est-à-dire jusqu'à la fin de sa vie ou jusqu'à une libre abdication. En vain se prévaudrait-on contre ces bénéficiers d'une nouvelle législation opposée à l'ancienne. Une législation ne peut prononcer de dispositions actuelles que sur des objets actuellement disponibles, et nul objet concédé n'est disponible que dans les cas exprimés dans l'acte légal qui en a disposé. La législation peut changer, oui sans doute; mais un tel changement doit être l'espérance et non la terreur de tout citoyen à qui la loi n'avait rien à reprocher. La législation peut changer, mais c'est pour substituer de nouvelles lois sociales aux anciennes, et non pour violer la loi naturelle. La législation peut changer, mais la justice ne change point: elle veille sans relâche,

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