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elles, sur un grand nombre de points, devenir définitives? Comment la chambre d'accusation, dont leurs pouvoirs émaneraient, serait-elle appelée à juger comme juge d'appel, des actes qui, accomplis par ses délégués, seraient considérés comme ses propres actes? Là où il y a deux degrés de juridiction, est-il possible de les confondre dans une juridiction unique? Par cela seul qu'un juge est subalterne et statue en premier ressort, cesse-t-il d'être un pouvoir distinct, cesse-t-il d'être investi d'une autorité qui lui est propre?

Ce n'est point la chambre d'accusation, comme le dit par erreur M. Mangin, que le législateur voulait constituer le centre d'instruction de toutes les affaires criminelles. Ces paroles, extraites de l'exposé des motifs de la loi du 20 avril 1810, s'appliquaient à la Cour impériale tout entière, elles avaient pour but d'expliquer la portée de l'art. 11 de cette loi. Mais, même en les appliquant à la section de cette Cour qui remplit les fonctions de chambre d'accusation, et dont les pouvoirs en matière de grand criminel dominent, nous le reconnaissons, toute l'instruction, que faudrait-il en induire? C'est que toutes les procédures aboutissent dans chaque ressort à cette chambre comme à un centre commun; c'est qu'elle est appelée à les examiner, à les contrôler, à les diriger; c'est que tous les actes d'instruction, toutes les ordonnances de la chambre du conseil sont soumis à son autorité et peuvent être annulés par elle. Mais cette autorité supérieure, dont elle est investie, loin d'absorber l'autorité des juges inférieurs, la suppose au contraire, puisqu'elle est instituée pour la contrôler; si elle atteint toutes les procédures criminelles, c'est lorsque ces procédures sont instruites et qu'elles ont été déjà appréciées; et si elle peut même les évoquer lorsqu'elles sont commencées, si elle peut par conséquent dessaisir les premiers juges, ce droit du juge supérieur, droit extraordinaire, que la faiblesse du juge de première

Voy. notre t. II, p. 153.

instance justifie quelquefois, ne forme qu'une exception et ne porte aucune atteinte à la règle elle-même.

Il nous a paru nécessaire de rectifier une doctrine qui, ainsi qu'on le verra plus loin, pourrait exercer quelque influence sur la solution de plusieurs questions de procédure. La chambre du conseil est investie d'une juridiction qui lui est propre, quoiqu'elle soit subordonnée; elle statue comme juge de première instance sur les procédures criminelles, et ce n'est que comme juge du deuxième degré, après que la juridiction du premier juge est épuisée, que la chambre d'accusation, sauf le cas d'évocation, est appelée elle-même à statuer sur l'instruction.

$ 405.

I. Attributions de la Chambre du conseil avant de statuer au fond.
II. Elle ne peut faire ou prescrire aucun acte d'instruction. . III.
Elle ne peut donner mainlevée de l'interdiction de communiquer.-
IV. Mais elle peut, si la procédure n'est pas complète, ordonner
qu'elle sera continuée.

I. La chambre du conseil, lorsque le juge d'instruction a terminé son rapport, commence l'examen de la procédure : cet examen peut soulever plusieurs questions.

Il ne faut pas perdre de vue, en premier lieu, que la juridiction de cette chambre n'a d'autre objet que l'appréciation des charges de l'instruction; elle ne s'étend pas à l'appréciation des mesures à l'aide desquelles les charges ont été recueillies; elle s'applique à la procédure pour en déduire les conséquences légales et non pour en contrôler les actes. Nous avons déjà posé cette règle 1.

Il en résulte que la chambre du conseil, n'ayant aucune autorité sur l'instruction, ne peut ni prescrire, ni faire ellemême aucun acte de la procédure. Il est peut-être nécessaire

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d'insister sur ce corollaire de la séparation des pouvoirs de la chambre et du juge, parce que les commentateurs de notre Code ne s'accordent pas sur ce point.

M. Legraverend émet, d'abord, l'opinion que, lorsque le juge d'instruction vient rendre compte de ses opérations à la chambre et provoquer sa décision, cette chambre a nécessairement un droit de censure sur ce qui lui paraît irrégulier'. » C'est là une erreur évidente. La chambre du conseil ne peut exercer aucune censure sur les actes du juge d'instruction : 1o parce que la juridiction de ce juge est indépendante de la sienne; 2o parce qu'elle ne peut statuer sur des actes qui ne rentrent pas dans ses propres attributions; elle ne peut qu'apprécier les faits que la procédure a constatés 2.

Cette première erreur conduit le même auteur à décider que la chambre du conseil peut, lorsque le juge d'instruction ne l'a pas fait, décerner elle-même un mandat de dépôt ou d'arrêt. « La loi ne s'explique pas, dit-il, sur l'état dans lequel un prévenu de délit susceptible d'être puni de l'emprisonnement doit être renvoyé par la chambre du conseil devant le tribunal correctionnel, lorsqu'au moment où le juge d'instruction rend compte de l'affaire, le prévenu n'a point été mis sous le coup d'un mandat de dépôt ou d'arrêt; mais, d'après les règles générales, la chambre du conseil est suffisamment autorisée à ordonner, si elle le juge convenable, que le prévenu sera renvoyé en état d'arrestation devant le tribunal correctionnel qui doit le juger. » M. Carnot prévoit la même hypothèse et lui donne la même solution : « Rien ne s'opposerait à ce qu'en prononçant le renvoi de l'affaire à la police correctionnelle, la chambre du conseil ordonnât que le prévenu y serait traduit en état de mandat de dépôt ou d'arrêt, et qu'à cet effet, il en serait décerné un par le juge d'instruc

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tion; car la chambre du conseil aurait pu l'ordonner par un préalable, avant de rendre son ordonnance définitive, et ce qu'elle aurait pu faire par une ordonnance préalable, elle peut également le faire par une ordonnance définitive 1. »

Il est facile de démontrer l'inexactitude de cette doctrine. Aucune disposition de la loi n'attribue à la chambre du conseil le droit de décerner un mandat d'arrestation; ce droit n'appartient, aux termes des art 91, 93 et 94 du Code d'inst. cr., qu'au seul juge d'instruction. Les mandats, en effet, sont des actes d'instruction; comment la chambre du conseil, étrangère à l'instruction, pourrait-elle les décerner? Ils sont placés dans la juridiction du magistrat chargé d'instruire la procédure; c'est à la conscience de ce juge que le législateur a confié le soin d'apprécier les circonstances dans lesquelles ils doivent être délivrés; la chambre du conseil n'empièterait-elle pas sur ses attributions en appréciant elle-même ces circonstances? L'art. 130 est parfaitement conforme à ce système du Code, lorsqu'il déclare que : « Si le délit peut entraîner la peine d'emprisonnement, le prévenu, s'il est en arrestation, y demeurera provisoirement. » Donc ce n'est que lorsqu'il est en état d'arrestation que la chambre du conseil peut l'y maintenir; donc le juge d'instruction est seul appréciateur de la nécessité de la détention préalable, et, s'il n'a pas décerné le mandat, la chambre ne peut lui retirer la liberté qu'il lui a laissée.

La jurisprudence a confirmé cette interprétation. La Cour de cassation a jugé : « que, d'après les art. 91, 130 et 239 du Code d'inst. cr., le mandat d'amener ne peut être décerné que par le magistrat chargé de l'instruction; que le prévenu d'un délit correctionnel qui peut entraîner la peine d'emprisonnement doit rester en liberté, s'il n'est pas en état d'arrestation, et que l'obligation de se représenter ne peut être imposée qu'à celui qui a été mis en liberté sous caution; que, dans l'es

'De l'inst. crim., t. I, p. 512.

pèce, il n'avait été décerné dans le cours de l'instruction aucun mandat d'amener, ni de dépôt, ni d'arrêt contre le prévenu; d'où il suit qu'en ordonnant son renvoi en état de mandat d'amener, l'arrêt attaqué a violé les règles de la compétence et commis un excès de pouvoir'. » Le principe de cet arrêt, rendu dans une espèce où le mandat d'amener avait été décerné par la chambre d'accusation, s'applique à plus forte raison à la chambre du conseil, puisque cette chambre n'a pas, comme la chambre d'accusation, le droit de réformer les actes de l'instruction. Le pouvoir de ces deux juridictions se borne, comme on le verra plus loin, à décerner une ordonnance de prise de corps dans le cas où le fait emporte une peine afflictive ou infamante".

II. Une autre conséquence du même principe est que la chambre du conseil est incompétente pour apprécier si l'interdiction de communiquer prononcée par le juge d'instruction à l'égard d'un prévenu, est utilement ou abusivement appliquée dans chaque procédure. Nous avons précédemment rapporté une circulaire de M. de Serre, laquelle, après avoir posé les règles les plus sages sur l'emploi de cette mesure, place, par une erreur évidente, leur exécution sous la surveillance de la chambre du conseil 4. Les art. 613 et 618 du C. d'inst. cr. ne confèrent qu'au seul juge d'instruction le pouvoir de donner, dans les maisons d'arrêt et de justice, les ordres qu'il croit nécessaires pour l'instruction, et l'art. 539 n'attribue qu'à la chambre d'accusation le droit de statuer sur les recours formés contre les actes du juge d'instruction. La chambre du conseil n'a donc aucune juridictiction, soit pour apprécier l'utilité d'une mesure qui n'est qu'un acte d'instruc

⚫ Cass. 18 fév. 1831, rapp. M. de Ricard, J. P., t. XXIII, p. 1224.

2 Conf. Mangin, n. 9. Duverger, n. 527.

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