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de la déclarer immédiatement dénuée de fondement. La compétence de la chambre du conseil ne peut donc, dans cette dernière hypothèse, rencontrer aucune difficulté.

La Cour de cassation a jugé, en conséquence, par un premier arrêt « que la prescription est un moyen péremptoire pour faire cesser toute poursuite à raison d'un crime; d'où il suit que la Cour chargée de prononcer sur la mise en accusation est nécessairement compétente pour statuer sur le mérite de la prescription'. » et par un second arrêt : « que la prescription en matière de crime, de délit et de contravention, est un bénéfice de la loi, qui fait obstacle à l'exercice de l'action publique et à toute poursuite qui, en définitive, serait frustratoire et produirait un effet contraire au but que s'est proposé le législateur; d'où il suit que la question de prescription doit être décidée préliminairement, soit par la cham-bre du conseil, que l'art. 128 charge de déclarer, lorsqu'il y a lieu, qu'il n'existe ni crime ni délit punissable, sauf l'opposition autorisée par l'art. 135, soit par la chambre d'accusation, sauf le recours en cassation'.

S 408.

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1. Attributions de la Chambre du conseil pour apprécier et qualifier les faits incriminés. 11. Appréciation des faits justificatifs.-11. Appréciation des excuses.

I. La chambre du conseil, après avoir reconnu sa compétence et la recevabilité de l'action, doit examiner si le fait constitue un crime, un délit ou une contravention; en d'autres termes, s'il est prévu et puni par la loi.

Pour qu'il soit punissable, deux conditions sont nécessaires: il faut que l'une des dispositions de la loi pénale lui soit applicable; il faut qu'il soit imputable à l'agent.

1 Cass 8 nov. 1814, rapp. M. Busschop. J. P., t. IX, p. 683. Cass. 18 juin 1812, rapp. M. Oudart. J. P., t. X, p. 485.

Il n'est pas sans difficulté de reconnaître le véritable caractère d'un fait et de désigner la disposition pénale qui devra lui être appliquée. Cette opération exige l'examen attentif de toutes les circonstances de l'acte et la connaissance complète de tous les textes de la loi. Or d'une part, les actions humaià raison des formes multiples qu'elles revêtent, ne sont pas toujours faciles à caractériser. Tantôt, par le dol dont elles sont empreintes, elles participent de la nature de quelque délit, sans réunir néanmoins tous les éléments qui le constituent; tantôt, placées sur la limite de plusieurs incriminations, elles semblent appartenir à la fois, là par la similitude de l'acte matériel, ici par sa tendance et son but, à l'une et à l'autre. D'une autre part, la loi pénale, qui ne prévoit que des catégories de faits et ne pose que des règles générales, doit nécessairement laisser à l'interprétation l'application de ses incriminations à chaque fait spécial.

De là il suit que la chambre du conseil doit constater avec exactitude chacun des éléments constitutifs du crime ou du délit que présente l'instruction; car il ne peut y avoir de prévention de crime ou de délit qu'autant que toutes les conditions de l'incrimination de la loi peuvent être présumées se trouver dans les faits qui font l'objet de la poursuite; et il suffit que l'une de ces conditious soit écartée, pour que la prévention elle-même doive être déclarée dénuée de fondement. Ainsi, en matière de vol, si la chambre du conseil, tout en constatant une soustraction de la chose d'autrui, ne reconnaît pas de fraude; si, en matière de meurtre, elle n'aperçoit pas la volonté de tuer; si enfin, à l'égard de tout délit moral, elle ne constate pas l'élément intentionnel, il est clair qu'elle doit écarter la prévention; car, en effaçant l'un des caractères essentiels du délit, elle efface le délit lui-même. Ce point a été plusieurs fois confirmé par la jurisprudence.

Ainsi, en matière de faux témoignage, la Cour de cassation a reconnu que la chambre d'accusation, et par conséquent

la chambre du conseil, peut examiner si la fausse déposition a été faite de mauvaise foi et dans une intention criminelle. Cet arrêt porte: « qu'il appartient aux chambres d'accusation et au jury d'examiner les circonstances dans lesquelles le témoin s'est trouvé, d'apprécier sa bonne foi et l'influence qu'il se proposait d'exercer sur le sort de l'accusation à l'occasion de laquelle il a déposé 1. » En matière de faux, la même Cour a déclaré a que les chambres d'accusation, chargées par la loi d'examiner s'il existe des indices suffisants de culpabilité, sont, par cela mème, investies du droit d'apprécier les circonstances qui peuvent dépouiller le fait imputé au prévenu de tout caractère de criminalité; que Catherine Dumoulin était poursuivie pour s'être fait écrouer au greffe de la maison de correction de Valence, sous le nom de sa sœur, afin d'y subir la peine d'un mois d'emprisonnement, à laquelle cette dernière avait été condamnée; qu'après avoir reconnu que ce fait constituait un crime de faux, et conséquemment un faux préjudiciable, la Cour de Grenoble. (chambre d'accusation), en déclarant qu'il n'avait été accompagné d'aucune intention criminelle, et que la prévention ne se trouvait pas suffisamment établie, n'a point excédé les pouvoirs qui lui avaient été confiés par la loi.» En matière de provocation à la désobéissance aux lois, il a encore été reconnu « que s'il appartient à la Cour de cassation d'apprécier, au point de vue légal, les qualifications données par les Cours aux faits par elles déclarés constants, il est vrai aussi que les chambres d'accusation, investies par la loi du droit d'examiner s'il existe des indices suffisants de culpabilité, sont par cela même investies de celui d'apprécier souverainement et sans contrôle les circonstances qui peuvent dépouiller le fait imputé au prévenu de tout caractère de criminalité, et qu'en fait de crime ou de délit, il n'y a pas de

Cass. 17 mars 1827, rapp. M. Mangin. J. P., t. XXI, p. 261.

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criminalité possible, là où le fait matériel poursuivi est dépouillé de toute intention de nuire; qu'ainsi, en fondant surtout sa décision sur l'absence de toute intention criminelle, la Cour n'a fait qu'user du droit d'appréciation qui lui appartenait ..

Il y a peut-être lieu de remarquer que ces deux derniers arrêts n'ont pas déterminé assez nettement dans leurs motifs la règle qu'ils appliquent. Le pouvoir des chambres du conseil et d'accusation de rejeter la prévention lorsqu'elles ne trouvent dans les faits aucune intention coupable, dérive, non, comme le disent ces arrèts, du droit d'examiner s'il existe des indices suffisants, mais du droit d'examiner si le fait, tel qu'il est constaté par l'instruction, a les caractères d'un crime ou d'un délit. L'intention criminelle, en effet, est un des éléments de l'infraction, et non une charge de la procédure; à la vérité, il y a lieu d'examiner s'il y a ou s'il n'y a pas des indices suffisants de cette intention; mais lorsque ces indices n'existent pas, ce n'est que par suite du droit que la chambre du conseil a d'examiner le caractère général du fait, qu'elle peut déclarer que ce fait, manquant de l'élément intentionnel, n'est pas un délit.

Il est dès lors nécessaire que la décision qui rejette la prévention, en se fondant sur l'absence d'une intention criminelle, déclare nettement que cette intention ne résulte pas des faits établis par l'instruction; il ne suffirait pas d'invoquer, par exemple, les antécédents favorables du prévenu ou des faits qui peuvent modifier sa culpabilité sans la détruire; car s'il appartient à la chambre du conseil d'écarter une prévention dénuée de fondement, il ne lui appartient pas d'écarter une prévention fondée, par cela seul que le prévenu lui semblerait mériter quelque intérêt. C'est le sens d'un arrêt de la Cour de cassation, qui prononce l'annulation d'un arrêt de la chambre d'accusation de Poitiers : « Attendu que la cham

Cass. 20 déc. 1844, rapp. M. Romiguières. Bull. n. 408.

bre d'accusation a déclaré, en fait, dans l'arrêt attaqué. qu'il paraissait constant qu'un faux matériel avait été commis par Geoffroy, qui de la sorte a manqué au devoir de sa profession d'huissier, et s'est au moins rendu coupable d'un fait indélicat et fort répréhensible; que, cependant, après une telle déclaration en fait et ainsi qualifiée, elle a confirmé l'ordonnance de la chambre du conseil et ordonné la mise en liberté du prévenu, et ce par le motif qu'il n'existait pas assez d'indices pour penser que l'altération qu'avait subie la pièce arguée de faux n'avait pas été autorisée tacitement ou expressément par le garde champêtre signataire de ladite pièce; duquel motif il pourrait être induit seulement qu'au lieu d'un seul prévenu, il aurait pu y en avoir deux par le résultat des poursuites; et par cet autre motif que dans une contestation purement civile, l'inculpé a pu croire que des changements opérés sur un procès-verbal non contradictoire n'avaient aucune importance réelle, ne pas influer sur l'opinion du juge de paix saisi du litige, et encore d'après les antécédents favorables de l'inculpé; en quoi faisant, la chambre d'accusation a usurpé les fonctions réservées au jury de jugement'. »

Il importe donc de distinguer, pour régler la compétence de la chambre du conseil, entre les faits qui constituent l'un des éléments du délit et les faits accessoires qui ne font qu'en modifier la criminalité. La chambre du conseil peut apprécier les premiers, puisqu'elle est chargée de constater l'existence même du délit; elle ne peut apprécier les autres, puisqu'elle n'est point chargée de déterminer le degré de sa criminalité.

II. Mais il ne suffit pas, pour constituer une prévention, que le fait, considéré en lui-même, ait les caractères d'un crime, d'un délit ou d'une contravention; il faut qu'il soit imputable à l'agent. Car il importerait peu qu'il fut en général punissable, s'il ne l'était pas dans la personne de l'individu

* Cass. 25 avril 1833, rapp. M. Brière, J, P., 1. XXV, p. 407.

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