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prévenus de pareils crimes devant les tribunaux de police correctionnelle pour l'application directe des peines portées par l'art. 236 C. p. contre les prévenus excusables, néanmoins aucune loi n'a défendu auxdites chambres de faire mention, dans leurs arrêts de mise en accusation, de toutes les circonstances qui leur ont paru résulter de l'instruction et être de nature à aggraver ou altérer le crime; que la Cour d'Aix, ayant renvoyé le nommé Piquet devant la Cour d'assises des Bouches-du-Rhône, comme prévenu du crime de meurtre, n'a donc point violé les règles de compétence en faisant mention dans son arrêt de la circonstance atténuante de provocation, qui, d'après les pièces de l'instruction, lui a paru avoir précédé ledit crime; que le renvoi du prévenu à la Cour d'assises a laissé intacte la compétence du jury pour prononcer sur ledit fait d'excuse'. >>

S 409.

I. Attributions de la Chambre du conseil pour examiner les charges de la prévention. II. Elle doit rechercher s'il y a des indices de culpabilité et non des preuves. III. Nécessité de constater, dans tous les cas, qu'il existe ou qu'il n'existe pas d'indicea suffisants. IV. Que faut-il entendre par indices suffisants?

1. Après avoir vérifié que le fait incriminé est prévu et puni par la loi, et qu'il est imputable au prévenu, il ne reste plus à la chambre du conseil qu'à examiner s'il y a des charges suffisantes pour que la prévention puisse être admise.

Cet examen est formellement prescrit par les art. 128 et 133 du C. d'instr. cr. L'art. 128 déclare que: a Si les juges sont d'avis qu'il n'existe aucune charge contre l'inculpė, il sera déclaré qu'il n'y a pas lieu de poursuivre. L'art. 133 ajoute que « Si les juges estiment que la prévention contre

1 Cass. 13 janv. 1820, rapp. M. Busschop, J. P., t. XV, p. 693.

l'inculpé est suffisamment établie, les pièces sercnt transmises au procureur général. » Et la règle que posent ces deux articles à l'égard de la chambre du conseil est étendue à la chambre d'accusation par les art. 221, 229 et 231. L'art. 221 dispose que « les juges examineront s'il existe contre le prévenu des preuves ou des indices d'un fait qualifié crime par la loi, et si ces preuves ou indices sont assez graves pour que la mise en accusation soit prononcée. » L'art. 229 déclare également « que si la Cour n'aperçoit aucune trace d'un délit prévu par la loi, ou si elle ne trouve pas des in-. dices suffisants de culpabilité, elle ordonnera la mise en liberté du prévenu. » Enfin, l'art. 231 ajoute que « si la Cour trouve des preuves suffisantes pour motiver la mise en accusation, elle ordonnera le renvoi du prévenu aux assises. >>

Il résulte de ces textes:

1° Que la chambre du conseil et la chambre d'accusation doivent rechercher dans les pièces de l'instruction des indices de culpabilité et non des preuves;

2o Qu'elles ne peuvent, soit admettre une prévention, soit la rejeter, qu'autant qu'elles reconnaissent qu'il existe ou qu'il n'existe pas des indices suffisants pour l'établir.

Il ne faut que peu de mots pour développer ces deux règles.

II. La chambre du conseil et la chambre d'accusation n'ont point à rechercher si le prévenu est coupable, mais seulement s'il est probable qu'il le soit. Ainsi que nous l'avons précé demment établi, la probabilité est la mesure de la prévention comme la certitude est la mesure du jugement. De là il suit que ce n'est pas des preuves, mais seulement des indices qu'il faut demander à la procédure: ces preuves ne peuvent résulter que d'un débat oral et public; l'instruction écrite ne peut fournir que des probabilités.

A la vérité, l'art. 221 porte que les juges examineront s'il existe contre le prévenu des preuves ou des indices. Mais,

en se reportant à la délibération du conseil d'Etat, on lit dans ses procès-verbaux ce qui suit : « M. Jaubert demande la suppression du mot preuves un arrêt de mise en accusation, motivé sur l'existence de preuves, formerait un préjugé trop puissant. M. Treilhard dit que le mot preuves ne porte ici que sur le fait; qu'au surplus, il est pris dans le même sens que le mot indices. M. Cambacérès propose de dire que les juges se décideront d'après les preuves et les indices. Cette proposition est adoptée . » Les preuves ne sont donc ici, dans le sens de la loi, que les charges de l'instruction.

Telle est aussi l'interprétation que la Cour de cassation a consacrée en déclarant : « Que les chambres d'accusation sont chargées d'examiner seulement s'il existe contre le prévenu des preuves ou des indices assez graves pour prononcer la mise en accusation, et que ce n'est que lorsqu'elles ne trouvent pas des indices suffisants de culpabilité qu'elles peuvent ordonner sa mise en liberté; qu'il n'appartient qu'au jury, de jugement de juger si le fait est constant et si l'accusé est convaincu ; que le Code du 3 brumaire an IV faisait un devoir au directeur du jury d'avertir les jurés d'accusation qu'ils n'avaient pas à juger si le prévenu était coupable ou non, mais seulement s'il y avait des preuves suffisantes à l'appui de l'acte d'accusation; que, malgré cet avertissement, les jurés ayant trop souvent cherché dans une instruction encore incomplète des preuves dont ils n'avaient pas besoin pour se déterminer, ayant jugé eux-mêmes et acquitté les prévenus malgré les indices, au lieu de les renvoyer pour être jugés, le Code d'instr. crim. a remplacé les jurés d'accusation par les cours impériales; que les magistrats de ces cours ne doivent donc pas exiger qu'une procédure muette, qu'une instruction lue et examinée sans solennité, en l'absence du prévenu et des témoins, établisse suffisamment que le prévenu a commis ou non le crime qui lui est imputé *. »

* Locré, t. XXV, p. 431.

* Cas.. 27 fév. 1812, rapp. M. Oudart, J. P., t. X, p. 155.

Dans une autre espèce, la même Cour a appliqué le même principe en cassant un arrêt de chambre d'accusation : « Attendu que, dans le considérant de l'arrêt dénoncé, la Cour dit qu'il n'est pas suffisamment justifié que les signatures des témoins instrumentaires apposées à l'acte de vente soient fausses; qu'il s'ensuit bien de cette déclaration que, dans l'opinion de la Cour, la fausseté de ces signatures n'est pas prouvée, mais qu'il n'en résulte nullement qu'il n'existe pas des indices graves de leur fausseté; que les considérants des arrêts ayant avec leur dispositif une corrélation intime et nécessaire, la mise en liberté du prévenu, dans l'espèce, est réputée avoir pour fondement le défaut de preuve du faux qui était l'objet de la prévention; mais que, si le défaut de preuve du crime est pour les jurés un motif légitime de déclaration de non-culpabilité, il ne saurait être pour les chambres d'accusation le motif d'une ordonnance de mise en liberté, dès qu'aux termes des art. 221 et 229 du C. d'instr. crim. des indices graves suffisent pour que le renvoi du prévenu à la Cour d'assises doive être prononcé 1. »

Enfin, dans une 3' espèce, dans laquelle la chambre d'accusation avait déclaré n'y avoir lieu à suivre parce qu'il n'existait pas dans l'instruction d'éléments suffisants pour produire la conviction de la culpabilité, la cassation a encore été prononcée : « Attendu que, d'après les principes qui sont une des bases de la législation criminelle, l'instruction écrite ne peut, en aucun cas, produire la conviction des inculpés, mais tout au plus motiver leur renvoi devant le tribunal qui doit procéder à l'examen de la prévention ou de l'accusation, et que les preuves de la culpabilité ne peuvent jamais résulter que d'un débat oral et public, qui a lieu devant le tribunal chargé de statuer au fond sur l'objet de la poursuite; que la loi ne confère aux chambres d'instruction et d'accusation que

'Cass, 2 août 1821, rapp, M. Dumont, J. P., t. XVI, p. 822.

le droit et le pouvoir d'apprécier les charges et les indices que peut présenter l'instruction écrite ; qu'il ne saurait lui appartenir de décider qu'il existe ou non des preuves de culpabilité; que ce droit n'appartient qu'au juge appelé à prononcer définitivement sur le fait qui peut donner lieu à la prévention ou à l'accusation. »

Toutefois, il ne faudrait pas sans doute s'attacher trop strictement aux formules employées par les ordonnances ou les arrêts des chambres du conseil et d'accusation s'il résultait de l'ensemble de ces actes qu'elles n'ont entendu par éléments de conviction que des indices de culpabilité, leur validité ne serait pas subordonnée à l'usage qu'elles auraient fait d'expressions irrégulières. S'il est utile de préserver de toute atteinte la règle qui sépare, dans le cours de l'instruction et plus tard dans le cours des débats, les indices et les preuves, il serait dangereux d'apercevoir la violation de cette règle dans toute application de l'un de ces mots à la place de l'autre. La valeur des termes juridiques n'est pas assez connue, même des praticiens, pour qu'il soit possible d'apporter dans son emploi une rigueur aussi grande. Ainsi, la chambre d'accusation de la Cour de Bourges avait déclaré qu'il n'y avait lieu à suivre contre le gérant d'un journal, « parce qu'il n'y avait pas d'indices suffisants que dans ses diatribes il eût atteint les divers degrés de culpabilité prévus par la loi. » Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté : « Attendu que, s'il n'appartient pas aux chambres d'accusation d'apprécier les divers degrés de culpabilité, et si elles ne sont compétentes que pour rechercher s'il existe des indices suffisants de la culpabilité prévue par les lois, les expressions de l'arrêt attaqué sont, dans l'espèce équipollentes à celles dont se sert l'art. 229 *.

III. Cette première règle posée, il faut tenir, en second

'Cass. 17 nov. 1826, rapp. M. Chantereyne, J. P., t. XX, p. 936.
* Cass. 21 juillet 1832, rapp. M. Isambert, J. P., t. XXIV, p. 14345.

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