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lieu, qu'aucune prévention ne peut être admise ou rejetée, si ce n'est en constatant qu'il existe ou qu'il n'existe pas dans l'instruction des indices suffisants de culpabilité.

Telle est la condition imposée à toute décision émanée des chambres du conseil ou d'accusation. Elle est fondée sur le texte formel des art. 128, 133, 221 et 229 du C. d'instr. crim. Il résulte, en effet, de ces articles, qu'il est nécessaire que ces chambres déclarent, soit qu'il n'existe aucune charge contre l'inculpé ou qu'elles ne trouvent pas des indices suffisants de culpabilité, soit que la prévention est suffisamment établie ou qu'il existe des charges suffisantes pour qu'elles puissent ordonner, soit sa mise en liberté, soit son renvoi devant les juges compétents pour le juger.

Il suit de là que l'ordonnance ou l'arrêt qui statuerait sur la prévention sans énoncer qu'il y a ou qu'il n'y a pas d'indices suffisants, serait nécessairement frappé de nullité; car c'est là l'élément essentiel de la décision, soit qu'elle admette ou qu'elle rejette la prévention. La Cour de cassation a jugé dans ce sens : « Que l'arrêt de la chambre d'accusation qui ordonne le renvoi du prévenu devant la juridiction compétente, pour être jugé sur le fait dont il est inculpé, doit nécessairement être motivé, non-seulement sur l'existence d'une loi pénale applicable au fait et sur la juridiction qui doit être saisie de la poursuite, mais aussi sur l'existence de charges suffisantes contre le prévenu '. »

Il ne suffirait donc pas de déclarer qu'il existe des indices qu'il a commis tel ou tel fait; il faut qualifier ces indices en ajoutant, suivant l'expression de la loi, qu'ils sont suffisants pour servir de base à la mise en prévention. La Cour de cassation a confirmé cette règle en déclarant « qu'il résulte du rapprochement et de la combinaison des art. 221, 229, 230 et 231, que des indices ne suffisent pas pour motiver la mise

1 Cass. 10 mai 1822, rapp. M. Busschop, J. P., t. XVII, p. 340.

en accusation et le renvoi d'un prévenu devant la Cour d'assises; que la chambre des mises en accusation doit encore apprécier et par suite déclarer explicitement que les indices ou charges résultant de l'instruction sont suffisants pour servir de base à la mise en accusation et au renvoi devant la Cour d'assises; que, contrairement à ces principes, l'arrêt attaqué a déclaré qu'il y avait lieu à accusation contre le prévenu, en se bornant à déclarer qu'il existe contre ce prévenu des indices du crime d'incendie volontaire de bâtiments habités, sans exprimer que ces indices sont suffisants pour motiver la mise en accusation; que ledit arrêt, en prononçant ainsi, a formellement violé l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810, puisque le seul motif afférent à un arrêt de mise en accusation est la déclaration de la suffisance des indices ou des charges résultant de l'instruction contre le prévenu '. »

IV. Quand les indices doivent-ils être réputés suffisants pour faire prononcer la mise en prévention? Cette appréciation est abandonnée aux lumières et à la conscience des juges. On peut toutefois puiser dans les divers textes de la loi quelques indications qui peuvent servir à les guider.

En premier lieu, la chambre du conseil ne doit statuer que sur les indices qui sont actuellement sous ses yeux et qu'elle peut apprécier elle-même. Il importe peu qu'elle puisse présumer que ces indices prendront dans le débat un caractère différent, qu'ils pourront ou s'aggraver ou disparaître; c'est leur existence actuelle qui fonde la prévention, ce n'est pas la discussion publique et contradictoire à laquelle ils seront soumis. Ce point a été reconnu dans une espèce où la chambre du conseil avait cru devoir écarter les dépositions de plusieurs témoins reprochables à cause de leur parenté, en se fondant sur ce qu'il était probable que le prévenu s'opposerait à l'audition de ces témoins. La chambre d'accusation de la Cour d'Angers a annulé cette ordonnance, « attendu que les

* Cass. 13 nov, 4845, rapp. M. Dehaussy, Bull. n. 340.

juges réunis en la chambre du conseil, en vertu de l'art. 127, ne peuvent prononcer qu'il n'y a lieu à poursuivre contre l'inculpé, qu'autant qu'ils ont déclaré qu'il n'existait aucunes charges contre lui; que cette déclaration doit avoir pour objet les charges telles qu'elles existent à l'instant où le juge d'instruction fait son rapport, abstraction faite de ce que lesdites charges, soumises à un débat public, devraient y éprouver pour les aggraver, les diminuer, ou même les anéantir; que le tribunal de Beaugé, au lieu de se renfermer dans les termes et le motif consacrés par l'art. 128, a fondé son ordonnance de renvoi sur l'éventualité d'une opposition à l'audition de certains témoins; qu'il lui appartenait de statuer d'après l'impression que ces déclarations produisaient sur sa conscience dans l'état présent du procès, mais non d'établir contre elles à futur une proscription que la loi n'établit d'une manière absolue, ni à l'audience de la police correctionnelle, ni à celle de la Cour d'assises. » Il est clair, au surplus, que la chambre du conseil peut dénier au témoignage des parents de l'inculpé toute force probante, si elle s'aperçoit que ce témoignage est entaché de partialité; mais c'est en l'appréciant qu'elle écarte ce moyen de preuve; ce n'est pas parce qu'il est reprochable qu'elle n'ajoute pas foi à la déposition du témoin, c'est parce que cette déposition ne lui paraît pas digne de créance. Car nous avons précédemment établi que la prohibition d'entendre certains témoins, à raison de leur parenté, ne s'applique pas à l'instruction écrite '.

Il faut, en second lieu, que les indices actuellement existants soient graves en eux-mêmes. Nous avons vu, en effet, que, pour opérer l'arrestation d'un inculpé, il fallait, suivant les termes de l'art. 40 du C. d'instr. cr., qu'il existât contre cet inculpé des indices graves, et nous avons défini

Angers, 22 oct. 1825, Ch. d'acc. J. P., t. XIX, p. 919.

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ce qu'il fallait entendre par cette formule légale. Elle ne s'applique ni aux indices violents, qui faisaient, dans notre ancien droit, preuve entière du fait, ni aux indices légers, qui n'étaient qu'une simple conjecture; elle désigne les indices qui forment dans l'esprit du juge une présomption considérable. Or, s'il faut une présomption considérable pour ordonner la détention d'un inculpé, à combien plus forte raison n'est-il pas nécessaire qu'elle ait ce caractère pour ordonner sa mise en prévention? N'y a-t-il pas lieu, en effet, de demander aux indices une gravité plus grande lorsqu'il s'agit de prescrire une mesure plus rigoureuse, et dont les effets sont plus préjudiciables? N'est-il pas évident que plus l'acte est important, plus les garanties qui l'entourent doivent être efficaces?

il

C'est là la pensée qu'expriment les art. 133 et 221. Assurément il faut des indices graves, car s'ils doivent avoir ce caractère pour opérer l'arrestation, à plus forte raison pour décréter la mise en prévention. Mais ce n'est pas assez ; faut, en outre, suivant les termes de l'art. 133, que la prévention soit suffisamment établie, ou, suivant l'art. 221, que les indices soient assez graves pour que la mise en accusation soit prononcée, c'est-à-dire qu'il faut, non-seulement que les indices soient graves en eux-mêmes, mais encore qu'ils aient pour effet de faire présumer la culpabilité. C'est, en effet, la probabilité de cette culpabilité qui est la condition de la mise en prévention; et c'est là ce qui constitue la légitimité de cette mesure. Si les juges n'avaient pas la conviction, non pas que le prévenu est coupable, mais qu'il est probable qu'il l'est, son renvoi devant le tribunal correctionnel ou les assises ne serait qu'une mesure vexatoire, car ce serait mettre en jugement un individu qu'on ne croit pas coupable; ce serait infliger à un individu la flétrissure d'une mise en accusation inutile, et dont l'acquittement ne peut pas

Voy. notre t. V, p. 761.

toujours effacer les traces. Telle est, au surplus, la doctrine enseignée par les rédacteurs mêmes de notre Code : « Aussitôt que la Cour, dit l'exposé des motifs, a reconnu sa compé– tence, elle examine s'il existe des présomptions suffisantes contre le prévenu. Ces présomptions sont-elles vagues ou légères, n'existe-t-il aucun moyen d'en acquérir de plus fortes; elle doit mettre le prévenu en liberté ; une rigueur plus longue ne serait pas seulement inutile, elle serait encore injuste à l'égard de la personne poursuivie et alarmante pour la société entière 1. >>>>

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I. Attributions de la Chambre du conseil pour le réglement de la compétence. II. La matière de police en matière correctionnelle et criminelle. III. Elle ne peut prononcer aucune condamnation, ni prendre aucune mesure pénale ou disciplinaire.

I. Lorsque la chambre du conseil a reconnu que le fait est punissable et qu'il existe contre l'inculpé des indices suffisants, elle prononce sa mise en prévention. Mais, après l'avoir déclaré prévenu du fait qui lui est imputé, un point reste encore à régler.

Il ne suffit pas, en effet, d'établir une prévention, il faut déterminer la marche qu'elle doit suivre, il faut fixer le cours de la procédure. De là la nécessité de renvoyer l'affaire devant les, juges qui doivent la juger, et d'en faire l'indication expresse. C'est par ce renvoi que la juridiction compétente est saisie et qu'elle devient apte à statuer.

II. Si la chambre du conseil est d'avis que le fait n'est qu'une simple contravention de police, elle doit, aux termes

1 Locré, t. XXV, p. 566.

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