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qu'elles ont reçues, de parcourir les différentes classes d'ordonnances qui peuvent émaner de la chambre du conseil.

Lorsque la prévention a, en premier lieu, pour objet un fait qualifié crime, la loi a prévu et réglé deux hypothèses : celle où l'ordonnance déclare qu'il y a lieu à suivre, et celle où elle déclare qu'il n'y a pas lieu. Si l'ordonnance déclare que la prévention est suffisamment établie, l'art. 133 veut que les pièces de l'instruction soient immédiatement transmises au procureur général, pour être soumises à la chambre d'accusation. Cette chambre est donc dans ce cas saisie de plein droit de la connaissance de l'instruction: il n'est besoin d'aucune opposition; la transmission est la conséquence de la mise en prévention.

Si l'ordonnance déclare, au contraire, qu'il y a lieu de mettre le prévenu en liberté, soit parce que la prévention n'est pas suffisamment établie, soit parce que le fait ne présente que les éléments d'un délit non passible d'emprisonnement, ou d'une simple contravention, la chambre d'accusation n'est plus saisie de plein droit, mais elle peut l'être par voie d'opposition. Telle est la disposition de l'art. 135, ainsi conçu : « Lorsque la mise en liberté des prévenus sera ordonnée, conformément aux art. 128, 129 et 131, le procureur impérial ou la partie civile pourra s'opposer à leur élargissement. >>

Ainsi, en matière criminelle, les ordonnances de la chambre du conseil, soit qu'elles ordonnent la mise en prévention, soit qu'elles déclarent n'y avoir lieu à suivre, sont portées devant la chambre d'accusation, dans le premier cas, de plein droit, dans le second, par voie d'opposition. Mais faut-il donc que le titre de la prévention soit un crime pour que cette voie de recours soit ouverte aux parties? Et même en matière de crime, les ordonnances autres que celles de mise en prévention ou de non-licu, ne peuvent-elles être frappées d'opposition?

L'art. 135, quelle qu'ait été la pensée du législateur, n'a

point restreint son application au seul cas où le fait incriminé est qualifié crime; il ouvre, en général, la voie de l'opposition dans tous les cas où la chambre du conseil ordonne la mise en liberté du prévenu, soit que la prévention eût pour 'objet un crime ou un délit ; les art. 128, 129 et 131, auxquels il se réfère, s'appliquent, en effet, sans distinction de la qualification primitive du fait, à tous les cas où la mise en liberté est ordonnée, soit à raison de l'insuffisance des charges, soit parce que le délit n'entraîne pas la peine de l'emprisonnement, soit parce que le fait ne constitue qu'une contravention. Ainsi, l'opposition n'est nullement restreinte au cas où le fait a reçu la qualification de crime; elle le serait seulement, si l'on s'attache étroitement aux termes de la loi, au cas où l'ordonnance a prononcé l'élargissement des prévenus.

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L'art. 135, qui a établi la voie de l'opposition, ne l'applique, en effet, que « lorsque la mise en liberté des prévenus sera ordonnée. Faut-il conclure de là que l'opposition n'a eu pour but, dans la pensée du législateur, que de prévenir le dommage que peut causer aux intérêts de la justice la mise en liberté des prévenus? Faut-il conclure que, hors ce cas spécialement prévu par la loi, cette voie de recours doit être interdite ? que, par conséquent, toutes les ordonnances qui ne prononcent aucun élargissement, soit parce qu'elles interviennent contre des prévenus qui n'étaient pas en état de détention, soit parce qu'elles les renvoient en état de mandat de dépôt devant le tribunal correctionnel, soit parce qu'elles ne statuent que sur des exceptions ou fins de non-recevoir opposées à l'action publique, ne sont susceptibles d'aucune opposition?

Ce sont là les questions qui ont été proposées à l'interprétation an moment de la mise à exécution de notre Code, et qui parurent d'abord diviser la doctrine 1. D'une part, on invo

'Legraverend, t. I, p. 385.

quait le texte de la loi, et le système rationnel qui sortait de l'application littérale de ses termes : ce système était la voie de l'opposition, restreinte au seul cas où elle était indispensable, au cas où l'élargissement des prévenus enlevait à la justice sa garantie. Hors de ce cas elle était proscrite, parce qu'elle était inutile. N'était-elle pas inutile lorsque la juridiction correctionnelle était saisie, même par suite d'une appréciation erronée des faits, puisque cette juridiction pouvait se déclarer incompétente ? N'était-elle pas inutile lorsque les prévenus n'avaient pas été mis en état de détention, puisque l'omission de cette mesure attestait la minimité de la prévention? La pensée d'une prompte expédition des affaires, le désir de dégager l'instruction de formes superflues expliquaient les restrictions du Code. D'une autre part, on alléguait les anomalies qu'une application littérale de l'art. 135 ferait naître comment expliquer que la règle des deux degrés de juridiction, qui domine toute notre législation, n'eût pas été étendue à la matière de l'instruction, et que l'art. 135 l'eût expressément restreinte aux ordonnances de mise en liberté? Est-ce que l'intérêt de justice, qui motivait dans ce cas l'opposition, ne se manifestait pas dans les autres cas? Est-ce que l'action publique n'est pas intéressée à ce que le renvoi d'un prévenu en police correctionnelle, qui fait l'objet de l'art. 130, non relaté dans l'art. 135, ne soit pas illégalement prononcé? Est-ce qu'elle n'est pas intéressée à ce que les exceptions et fins de non-recevoir, qui lui sont opposées, ne puissent pas être admises, sans que les décisions qui les admettent soient susceptibles d'un recours? Comment concilier cette dénégation de toute opposition avec l'art. 539, qui révèle l'intention de la loi de porter devant la chambre d'accusation les ordonnances qui prononcent sur des excepttons? De cela seul que les prévenus n'auront pas été arrêtés, que le juge d'instruction n'aura voulu décerner aucun mandat, faut-il induire que les ordonnances seront affranchies de tout appel et revêtues d'une autorité souveraine? N'est-on

pas amené dès lors à considérer la disposition de l'art. 135 comme purement démonstrative, et comme portant en ellemême une règle générale dont elle ne fait que prévoir un cas d'application? Tels sont les principaux arguments qui furent opposés dans cette question.

Lorsqu'elle fut soumise à la Cour de cassation, M. Merlin porta la parole devant la chambre criminelle : « Quoi ! disait ce magistrat. la chambre du conseil déclarera qu'il n'y a pas lieu à poursuivre un prévenu de crime contre lequel s'élèveront les commencements de preuve les plus graves, et, parce que le juge d'instruction, devançant l'erreur de la compagnie, aura omis de décerner contre ce prévenu, avant son rapport, un mandat de dépôt ou d'arrêt, le procureur du gouvernement ne pourra pas former opposition à l'ordonnance de ce tribunal ! il sera forné de la respecter ! il n'aura aucun moyen pour en faire prononcer la réformation ! Mais si, pour échapper au reproche de prêter au législateur une intention aussi choquante, on est obligé de convenir que, dans cette hypothèse, l'opposition est recevable, il faudra bien que l'on convienne aussi que le procureur du gouvernement peut former opposition à une ordonnance qui, en laissant le prévenu d'un crime en état d'arrestation, le renvoie, comme prévenu de simple délit, devant le tribunal correctionnel. Car, d'un côté, il n'y a pas plus mise en liberté dans le premier cas que dans le second; et d'un autre côté, si, dans le premier cas, il importe à l'ordre public que le prévenu soit poursuivi, il ne lui importe pas moins, dans le deuxième, que l'on ne réduise pas à une simple amende, à un simple emprisonnement, la peine afflictive et infamante qu'a encourue un grand coupable '. >>>

La Cour de cassation déclara, conformément à ces conclusions: « que le droit d'opposition aux ordonnances des chambres d'instruction, accordé par l'art. 135 au ministère

Rép. v Oppos. à une ordonnance.

public et aux parties civiles, n'est pas exclusivement borné au seul cas où la mise en liberté du prévenu aura été ordonnée par la chambre d'instruction; que ce cas n'est énoncé dans cet article que dans un sens démonstratif et non pas dans un sens limitatif; que l'opposition à une ordonnance de mise en liberté ne peut, en effet, être jugée que par l'appréciation des charges et de la qualification donnée au fait qui lui a servi de base; que si le législateur a voulu que cette appréciation put être ainsi faite par les chambres d'accusation, dans le cas de mise en liberté des prévenus, il l'a voulu, à plus forte raison, dans le cas où le prévenu n'aurait pas été arrêté, ou que sa mise en liberté n'aurait pas été prononcée; que l'opposition aux ordonnances des chambres d'instruction doit donc être reçue et jugée devant les chambres d'accusation, soit que le prévenu ait êté arrêté ou ne l'ait pas été, soit que sa mise en liberté ait été prononcée par la chambre d'instruction ou qu'elle ait été par elle refusée 1. »

Cet arrêt qui, en expliquant l'art. 135, étendait visible-ment ses dispositions, rencontra dans le sein des chambres d'accusation une forte résistance. Six arrêts successifs durent dans un court intervalle confirmer sa doctrine. Enfin la question fut portée devant les chambres réunies. « Le Code, considéré dans son ensemble, dit de nouveau M. Merlin nous présente les chambres du conseil comme des juridictions essentiellement subordonnées, pour tous les actes qui émanent d'elles sur le rapport du juge d'instruction, à la chambre d'accusation. C'est ce qui résulte clairement de la dénomination de premiers juges, qu'attribuent à ces chambres, en les envisageant dans leurs rapports avec la chambre d'accusation, les art. 229, 231, 233 et 235; et telle est l'idée qu'en a donnée M. Treilhard, dans l'exposé des motifs du

Cass. 25 oct. 1811, rapp. M. Bauchan. (S. V, 12, 1, 230. C. n. 3. D. A. q. 510.)

2 Cass. 19 mars 1812, 20 juin 1842, 8 octobre 1812, 28 janvier 1813, 19 mars 1813, 8 avril 1813, cités infra.

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