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conseil dans l'exercice d'un pouvoir considéré par la loi comme secondaire, et que la chambre d'accusation peut toujours exercer elle-même lorsqu'elle est saisie par une ordonnance de prise de corps'. »

Il était impossible d'établir le droit des chambres d'accusation d'une manière plus explicite : il résulte, en effet, de ces arrêts qu'elles ont le droit et le devoir de réparer les qualifications insuffisantes, de relever les circonstances omises, de qualifier elles-mêmes les faits qui ne l'étaient pas ou qui l'étaient inexactement, enfin de compléter, de modifier ou de réformer toutes les qualifications des chambres du conseil. Elles exercent à cet égard, suivant l'expression d'un autre arrêt, un droit d'appréciation supérieure des faits, lorsqu'elles jugent qu'ils ont été mal qualifiés par l'ordonnance de prise de corps; et elles trouvent ce droit, non dans les réquisitions du ministère public, mais dans leur propre compétence. Elles l'exercent d'office; car, ainsi que l'ont reconnu plusieurs arrêts, « il ne saurait dépendre des conclusions du ministère public, qui ne peuvent jamais lier les juges sur l'appréciation des faits dont ils sont saisis 3. »

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Ce droit reçoit-il une exception dans la poursuite des délits commis par la voie de la presse? L'art. 6 de la loi du 26 mai 1819, qui prescrit de qualifier le délit dans le réquisitoire ou dans la plainte, a-t-il restreint le droit de la chambre d'accusation de modifier ou d'étendre ultérieurement cette première qualification? La chambre d'accusation de la Cour de Paris avait décidé qu'il n'y avait lieu de s'arrêter aux conclusions du ministère public, tendant à ce que le prévenu fût renvoyé devant la Cour d'assises, non-seulement à raison d'un délit d'offense envers le président de la République, mais encore à raison du délit d'excitation à la haine et au mépris du gou

1 Cass. 27 août 1852, rapp. M. Jacquinot-Godard. Bull. n. 300. Cass. 6 nov. 1851, rapp. M. Dehaussy. Bull. n. 465.

* Cass. 16 août 1S32, 21 mai 1835, 17 sept. 1836, cités suprà.

vernement, en se fondant sur ce que ce dernier délit n'avait pas été qualifié dans le premier réquisitoire du ministère public. Cet arrêt a dû être annulé: « Attendu qu'en principe général, les chambres du conseil et les chambres d'accusation sont investies du droit de modifier et de compléter les qualifications données aux faits incriminés dans la première instruction; que cette attribution, qui tient à la compétence même de ces deux chambres, n'a point été restreinte, en ce qui concerne la poursuite des délits commis par la voie de la presse, par l'art. 6 de la loi du 26 mai 1819, qui dispose que la partie publique, dans son réquisitoire, ou le plaignant, dans sa plainte, sont tenus de qualifier les faits à raison desquels la poursuite est intentée; qu'en effet, cette première qualification, qui n'a d'autre objet que d'avertir le prévenu de la nature de la poursuite dirigée contre lui, est nécessairement soumise, comme tous les autres actes judiciaires de la première instruction, à l'examen de la juridiction qui est appelée à statuer sur cette instruction, et qui peut réformer ces qualifications s'il y a lieu; que, d'ailleurs, l'art. 15 de la même loi réserve formellement aux chambres du conseil et d'accusation le droit d'articuler et de qualifier les faits à raison desquels la prévention et le renvoi sont prononcés 1. »

Mais il importe de remarquer que le droit d'apprécier les faits et le droit de les qualifier ne sont pas identiques et n'ont pas les mêmes conséquences. L'appréciation des faits, attribuée à la chambre d'accusation, n'est sujette à aucun contrôle ; elle est souveraine tant qu'elle se borne à déclarer s'ils existent et quelle est leur moralité. En est-il ainsi de leur qualification? Cette qualification, qui n'est pas autre chose que l'indication de la loi applicable à un fait, n'emporte-t-elle pas, au moins dans certains cas, la déclaration de la portée et de la signification de cette loi? Etablir le rapport des faits avec la loi pénale, n'est-ce pas déterminer à quels faits elle

⚫ Cass. 20 déc. 1850; à notre rapport. Bull, n. 429.

doit être appliquée? N'est-ce pas décider un point de droit, et cette décision ne peut-elle pas renfermer une contravention expresse à la loi? Comment donc étendre à la qualification des faits une irrefragabilité qui ne doit protéger que leur seule appréciation? C'est d'après cette distinction que la Cour de cassation a été amenée à déclarer « que si les déclarations en fait données par les tribunaux et par les Cours sont irrefragables, il n'en est pas de même des qualifications qu'ils donnent aux faits par eux déclarés et des conséquences qu'ils en ont tirées; que l'examen de ces qualifications et de ces conséquences rentre dans les attributions de la Cour de cassation; que cette Cour, étant chargée de réprimer les violations qui seraient commises contre la loi, a nécessairement qualité pour juger l'appréciation desdits faits et leurs conséquences, puisque ce jugement devient la base de l'application de la loi pénale '. » Nous ne faisons qu'énoncer ici cette solution sans l'examiner encore: nous la reprendrons plus loin en recherchant dans quels cas les arrêts des chambres d'accusation peuvent être attaqués par la voie du recours en cassation".

La chambre d'accusation, lorsqu'elle est saisie en vertu de l'art. 133, est-elle compétente pour examiner, en dehors de l'appréciation et de la qualification des faits, si l'ordonnance qui lui est déférée est régulière, si les formes prescrites par la loi ont été strictement observées?

En thèse générale, la compétence de cette chambre est resserrée dans certaines limites; elle se borne 1°, aux termes de l'art. 221, à rechercher s'il existe contre le prévenu des indices d'un fait qualifié crime par la loi, et si ces indices sont assez graves pour que la mise en accusation soit prononcée; 2o, aux termes des art. 230 et 231, à procéder au réglement de la compétence.

Mais il serait difficile de renfermer dans ce cercle étroit ses

Cass. 2 avril 1825, rapp. M. de Bernard. J. P., t. XIX, p. 373.

2 Voy, infrà notre ch. 10.

attributions. Nous venons déjà de voir que si l'ordonnance de la chambre du conseil contient une qualification fausse ou incomplète des faits, la chambre d'accusation doit la réformer sur ce chef. Or, ce droit de réformation doit-il être restreint aux dispositions qui sont relatives à la qualification des faits et aux éléments de la mise en prévention? Supposons que l'ordonnance n'énonce pas les faits sur lesquels elle statue, qu'elle soit dénuée de motifs, qu'elle ne soit pas rendue par le nombre de juges prescrit par la loi; la chambre d'accusation ne pourra-t-elle donc relever ces irrégularités? N'est-elle pas le juge supérieur, le juge d'appel de la chambre du conseil ? N'est-elle pas en conséquence chargée de réprimer toutes les violations de la loi qu'elle aperçoit dans l'acte qui lui est soumis? Ces violations de la loi, qui peuvent entraîner l'inobservation des garanties les plus utiles à la manifestation de la vérité, doivent-elles donc demeurer hors de l'atteinte de la juridiction spécialement investie du droit de contrôler les ordonnances qui les contiennent?

Tels sont les motifs qui ont amené la Cour de cassation à décider, dens un arrêt rendu à notre rapport, qu'il appartient à la chambre d'accusation de relever toutes les violations de la loi qui peuvent entacher les ordonnances, et d'en prononcer, s'il y a lieu, l'annulation. Cet arrêt dispose : « Que l'ordonnance de la chambre du conseil de Bar-sur-Aube, qui avait décerné une ordonnance de prise de corps contre le prévenu, avait été déférée à la chambre d'accusation en vertu de l'article 133; que la chambre d'accusation avait dès lors le droit et le devoir, non-seulement de prononcer sur la mise en prévention, mais d'examiner si l'ordonnance qui lui était déférée était régulière et conforme à la loi; que les chambres d'accusation, en effet, investies par les art. 133, 218, 222 et suivants du Code d'intr. cr. du pouvoir de confirmer ou de réformer les ordonnances des chambres du conseil, sont les juges d'appel de ces chambres; qu'il rentre dès lors dans leurs attributions de relever les violations de la loi qui peuvent en

tacher les ordonnances, et d'en prononcer, s'il y a lieu, l'annulation sous ce rapport; que, dans l'espèce, l'ordonnance de la chambre du conseil de Bar-sur-Aube constatait qu'elle n'avait été rendue que de l'avis d'un seul des juges qui composaient la chambre du conseil ; que cette mention était une infraction au principe général qui prescrit le secret des délibérations des tribunaux ; qu'elle devait avoir pour conséquence d'invalider la décision dans laquelle était révélé un élément de la délibération intérieure de la chambre du conseil; qu'il appartenait donc à la chambre d'accusation d'apprécier cette violation de la loi et de prononcer l'annulation de l'ordonnance qui en était entachée 1. »

S 428.

I. Attributions de la chambre d'accusation quand elle est saisie d'une opposition; - II. Contre les ordonnances de la chambre du conseil. - III. Contre les ordonnances du juge d'instruction.

I. Nous venons d'exposer les règles qui régissent la compétence de la chambre d'accusation lorsqu'elle est saisie en vertú de l'art. 133 du C. d'inst. crim., c'est-à-dire lorsque la chambre du conseil a déjà admis la prévention, et que le fait est de nature à être puni de peines afflictives ou înfa

mantes.

La chambre d'accusation est investie, en second lieu, du droit de statuer sur les oppositions formées contre les ordonnances rendues, soit par les chambres du conseil, soit par les juges d'instruction.

Elle prononce dans ce cas comme second degré de juridiction, comme juge d'appel des chambres du conseil et des juges d'instruction; elle n'est saisie que par l'appel ou l'opposition formée contre leurs ordonnances; elle ne peut statuer qu'au

1 Cass. 1er avril 1858; à notre rapport. Bull. n. 146.

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