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lui appartenait pas dans l'un et l'autre cas, la qualification est illégale; dans l'un et l'autre, il y a préjudice, et ce n'est point le degré de ce préjudice qui peut fonder une distinction dans la disposition générale de la loi.

La Cour de cassation n'a fait que maintenir cette interprétation en déclarant : « qu'il appartient à la Cour de cassation d'annuler les arrêts des chambres d'accusation pour fausse interprétation de la loi pénale, quant à la qualification légale des faits; que le n° 1 de l'art. 299 n'est pas limitatif à cet égard; que cet article doit s'interpréter par les attributions ordinaires de la Cour de cassation, et qu'ainsi il ouvre au ministère public le recours de droit quand le fait n'a pas été qualifié conformément à la loi 1. »

Mais ici s'élève une difficulté grave. La chambre d'accusation a l'appréciation souveraine des faits sur lesquels a porté l'instruction. Or, cette appréciation souveraine ne doit-elle pas s'étendre, non-seulement à l'existence même de ces faits, mais encore à leur caractère légal? La qualification, qui n'est que l'appréciation juridique du fait, ne doit-elle pas se trouver à l'abri de la censure de la Cour de cassation? Cette difficulté, qui met en débat les attributions de la Cour de cassation et les attributions des Cours impériales, a été souvent agitée et a reçu diverses solutions.

M. le président Barris, dans une note rédigée en 1822 et qui résume la doctrine que la chambre criminelle professait à cette époque, en matière d'appréciation des outrages et injures, s'exprimait en ces termes : « La Cour de cassation n'est instituée que pour réprimer les violations de la loi; elle ne peut connaître du bien ou du mal jugé; elle sortirait de ses attributions si elle exerçait son examen et sa censure sur des décisions rendues par les tribunaux ordinaires sur des matières ou des cas qui, n'ayant été réglés par aucune disposition de la loi, n'ont été soumis qu'à leur discernement et à leur con

*Cass. 20 janv. 1843, rapp. M. Dehaussy. Bull. n. 6.

Voy, supra, p. 285,

science. Or les propos et les imputations qui produisent l'injure et la diffamation sont une de ces matières qui n'ont pas été et qui n'ont pas pu être l'objet de dispositions législatives. Variables à l'infini, sans caractère fixe et absolu, leur moralité dépend toujours des circonstances d'intention, de temps et de lieu, et même du rang et de l'existence dans la société de ceux à qui ils ont été adressés ou qui les ont proférés. L'ap préciation de tous ces éléments était au-dessus de la prévoyance du législateur, et il les a abandonnés aux tribunaux qui, placés auprès des parties, peuvent seuls déterminer le caractère qui doit appartenir aux discours et aux imputations qui ont été le sujet des poursuites. Dans cette détermination, les tribunaux n'ont pas de loi à appliquer, ils ne peuvent donc en violer aucune; ils ne peuvent donc pas donner ouverture à cassation; ils peuvent sans doute se tromper; mais un mal jugé, qui est un moyen d'appel, ne peut jamais être un moyen de cassation. Mais, a-t-on dit souvent, si les tribunaux ont fait une juste application de la loi en prononçant la peine sur la qualification qu'ils ont cru devoir donner aux faits, l'erreur qu'ils ont commise dans cette qualification les a seule induits à cette juste qualification, elle en a été l'unique base; cette erreur étant prouvée, il s'ensuivra que l'application de la loi pénale, qui n'était juste que par elle, sera ainsi trouvée fausse; donc cette erreur doit pouvoir être employée comme moyen de cassation. Ce raisonnement et cette conséquence peuvent être appuyés, on en convient, de quelques arrêts anciens'. Mais ces arrêts furent une déviation des règles de l'institution de la Cour. Si cette jurisprudence erronée avait continué, elle se serait bientôt étendue; la Cour de cassation aurait ajouté à son autorité d'annulation. celle de réformation. Elle se serait ainsi constituée en Cour souveraine et universelle d'appel. Dès qu'en effet il serait devenu de principe qu'elle avait le droit d'entrer dans l'exa

Arr, cass, 13 fruct, an x, 24 avril et 3 déc. 1807, 1er oct, 1814, etc.

men de la moralité et de la qualification de faits que la loi n'a pas réglés, elle n'aurait pas tardé à exercer ce pouvoir dans toutes les matières criminelles et même dans les matières civiles. — Les juges sont de véritables jurés dans la décision de tout ce qui n'a pas été réglé par la loi. Forcément ils n'ont qu'à suivre leur conviction, et ce qu'ils ont déclaré n'est soumis à d'autre révision que celle des tribunaux d'appel, quand il y a lieu. Ces tribunaux prononcent aussi comme jurés; mais devant eux se forme la vérité judiciaire, qui en sort affranchie de toute autre épreuve. La loi ne reconnaît que deux degrés de juridiction. »

Cette doctrine a été longtemps la règle exclusive de la Cour elle distinguait, en conséquence, entre les déclarations en fait et les qualifications légales données aux faits reconnus par les juges; l'examen de ces qualifications ne rentrait dans les attributions de la Cour que lorsque, la loi ayant déterminé les éléments constitutifs des délits, il pouvait en résulter une violation expresse de cette loi : lorsque ces éléments n'étaient pas légalement définis, la qualification était abandonnée aux lumières et à la prudence des juges.

Ainsi la Cour de cassation a déclaré, en matière de délits de presse, « que les explications en fait données devant la Cour, et qui tendent à l'interprétation favorable de l'écrit incriminé, ne pouvaient être présentées utilement par le demandeur que devant les premiers juges et ceux d'appel; qu'elles sont inconcluantes devant la Cour de cassation, qui, en matière criminelle ordinaire, n'est point appréciatrice des faits, et ne l'est pas davantage du sens et de l'interprétation des écrits dénoncés, lorsqu'il s'agit des délits de la presse; que la Cour de cassation ne peut rechercher si la loi a été violée dans la qualification des crimes ou délits que dans le cas où la loi détermine les éléments constitutifs et nécessaires de ces crimes et délits; que, dans tous les autres cas, la qualification en est abandonnée à la prudence et aux lumières 'Notes manuscrites de M. le président Barris, n. 288.

des magistrats composant les tribunaux qui en connaissent 1. »

En matière d'escroquerie : « Que la loi n'ayant pas déterminé quels seraient les faits qui pourraient être réputés manœuvres franduleuses, il ne pourrait résulter de moyens de cassation d'une erreur des tribunaux sur cette qualification; que l'énonciation des faits qui auraient été considérés comme manœuvres frauduleuses ne peut donc être requise dans les jugements des tribunaux correctiounels, et que son omission ne peut constituer, une violation de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1810. »-« Que lors même que l'appréciation (faite par les juges du fait) serait erronée, elle constituerait seulement un mal jugé, mais ne donnerait point ouverture à cassation; qu'en effet, les manoeuvres frauduleuses dont il est question dans l'art. 405 du C. p., n'ayant été ni définies, ni précisées par le législateur leur appréciation a été nécessairement abandonnée à la conscience des juges auxquels la loi n'a fixé à cet égard aucune régle, et que c'est aux juges seuls qu'il appartient,dans ce cas, de juger la moralité des faits qui leur sont soumis, et de décider si, de l'ensemble et de la nature desdits faits, résulte le délit qu'ils sont appelés à caractériser et à punir '.

En matière de tentative de crime: « Que la loi n'a point déterminé les circonstances constitutives du commencement d'exécution formant un des éléments de la tentative criminelle; que conséquemment si, en ne reconnaissant pas dans les circonstances de l'escalade et de l'effraction opérées dans l'objet de commettre un vol, le commencement d'exécution de ce crime, la chambre d'accusation de la Cour de Nancy paraît ne pas avoir attribué à ces circonstances le caractère qu'elles doivent avoir et l'effet qu'elles doivent produire dans les préventions de tentative de vol, néanmoins elle n'a point commis de violation de loi donnant ouverture à cassation *. »

Cass. 15 oct. 1825, rapp. M. de Bernard, J. P., t. XIX, p. 942. * Cass. 17 août 1821, rapp. M. Ollivier. J. P., t. XVI, p. 856, Cass. 25 nov. 1826, rapp. M. de Cardonnel. J. P., t. XX, p. 960. ▲ Cass. 14 juin 1818, rapp. M. Ollivier, J. P,, t. XIV, p, 856; 4 oct, 1827, rapp. M. Gary. J. P., t. XXI, p, 812,

En matière d'outrage : « Que l'outrage à la religion n'a point été défini par la loi, qui n'en détermine point les éléments, et que la Cour ne peut rechercher si la loi a été violée dans la qualification des crimes ou délits, que dans le cas où la loi détermine les éléments constitutifs et nécessaires de ces crimes ou délits '. » D

En matière d'attentat aux mœurs : « que la loi n'a point déterminé les faits élémentaires au moyen desquels peut se constituer le délit prévu par l'art. 334 du C. p. ; qu'elle les a donc abandonnés à la conscience et à l'appreciation des tribunaux ordinaires ; que la Cour royale ayant déclaré qu'il résultait de l'instruction que le prévenu était évidemment coupable d'avoir pendant un assez long espace de temps, excité, facilité ou favorisé l'inconduite et la débauche d'une fille mineure de 21 ans, la Cour ne peut voir sur ce fait général qu'une juste application de l'art. 334. »

Cette jurisprudence, dont il est inutile de reproduire tous les monuments, n'a pas tardé à recevoir quelques atteintes. La Cour de cassation, soit qu'elle ait été amenée par les circonstances à étendre sa haute surveillance, soit qu'elle ait compris, après une longue hésitation, que sa mission avait été trop étroitement circonscrite, a franchi le cercle dans lequel M. le président Barris avait enfermé ses attributions, et la règle que ses arrêts avaient longtemps consacrée a fléchi.

Un arrêt du 2 avril 1825, intervenu dans un procès d'injures, avait déjà posé la distinction qui est devenue la base de cette nouvelle jurisprudence, en décidant, contrairement à la déclaration de l'arrêt attaqué, que l'injure avait été proférée contre un magistrat à l'occasion de ses fonctions. On lit dans cet arrêt « que si les déclarations en fait données par les tribunaux et par les Cours, jugeant correctionnellement, sont irréfragables, il n'en est pas de même des qualifications données

'Cass. 17 mars 1827, rapp. M. Chantereyne. J. P., t. XXI, p. 262. Cass. 9 août 1816, rapp. M. Ollivier. J. P., t. XIII, p. 584.

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