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matières particulièrement délicates et dans lesquelles il était plus utile de régler l'action de la justice pénale, qu'elle en a fait une sévère et habituelle application.

Elle l'a appliquée aux délits de la presse. Il n'est point de classe de délits dont les éléments matériels soient plus facilement et plus exactement constatés, et qui soient soumis néanmoins à une appréciation plus diverse et plus variable. Tout le délit est renfermé dans l'écrit ou dans les propos incriminés. Si la chambre d'accusation a reconnu que cet écrit ou ce discours émanait du prévenu, et si elle n'a point écarté l'intention criminelle de celui-ci, la Cour de cassation a sous les yeux, non-seulement la constatation du fait, mais le fait luimême. Elle a donc tous les éléments nécessaires pour apprécier la régularité de la qualification; mais cette tâche est délicate il ne s'agit point d'apprécier la criminalité de l'écrit, puisque cette criminalité est étroitement liée à celle de l'agent, et que la Cour ne pourrait apprécier celle-ci sans apprécier le fait lui-même; il s'agit uniquement d'examiner si, dans l'appréciation que la chambre d'accusation a faite de cet écrit, elle lui a donné la qualification pénale dont il renfermait les éléments, si cette qualification est exacte et conforme à la loi. La Cour doit donc se borner à rapprocher les déclarations de l'arrêt et les textes de la loi et à apprécier si ces textes se rapportent aux écrits ou aux paroles qui sont imputés au prévenu. Restreinte dans ces termes, la jurisprudence, qui a été fondée par la nécessité même des circonstances, peut avoir les effets les plus utiles: elle contient par des règles fixes l'entraînement journalier des passions qui, en matière de délits de presse, sont trop disposées à prèter aux lois leur propre langage; elle modère les poursuites inconsidérées; elle maintient la puissance et l'unité de l'interprétation légale.

Cette nouvelle règle a été appliquée aux délits qui résultent du dol et de la fraude. La Cour de cassation, après avoir pendant longtemps abandonné à la juridiction correctionnelle, l'appréciation souveraine des manœuvres frauduleuses qui sont l'un des

éléments de l'escroquerie, s'est attribuée, à la suite de l'innovation introduite dans sa jurisprudence relative aux délits de presse, le pouvoir d'examiner si les faits incriminés présentent les caractères des manœuvres prévues par la loi. En cette matière, comme en matière de presse, cette innovation paraît présenter à la justice la plus utile garantie. Les actes d'escroquerie, en effet, par la variété de leurs moyens et de leurs formes, donnent lieu aux incriminations les plus arbitraires, parce que, d'une part, les termes vagues et flexibles de la loi sont facilement étendus à des faits qui n'ont pas le caractère du délit, et que, d'une autre part, il est difficile de discerner avec sûreté les faits qui sont empreints d'un dol purement civil et ceux qui sont entachés d'un dol criminel. La loi n'a pas voulu atteindre toutes les fraudes, parce qu'elle n'a pas voulu apporter une entrave perpétuelle aux transactions civiles; elle n'a punique les plus graves, celles qui peuvent inquiéter la sécurité de ces transactions. Il importe donc que l'appréciation des faits d'escroquerie soit soumise à des règles précises, et ces règles ont été clairement posées par la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette jurisprudence, en obligeant les tribunaux à énoncer dans leurs jugements les faits qu'ils qualifiaient ou refusaient de qualifier d'escroquerie, et en soumettant toutes ces qualifications à un contrôle efficace, a puissamment contribué à restituer au délit ses vrais éléments.

Enfin, dans toutes les matières où son contrôle lui a semblé nécessaire, dans tous les cas où la loi lui a paru avoir été faussement interprétée, la Cour de cassation, s'est réservée d'examiner si les qualifications appliquées par les chambres d'accusation aux faits dont elles déclarent l'existence, étaient régulières et constituaient une légale application de la loi pénale. Ainsi, soit que les éléments des crimes et des délits soient ou ne soient pas définis par la loi pénale, l'autorité souveraine des chambres d'accusation s'arrête à leur constatation matérielle; elle cesse d'ètre souveraine lorsqu'elle s'applique à la relation

de ces faits avec la loi pénale, à leur caractère légal, en un mot, à leur qualification.

Il faut donc considérer comme une règle générale que la Cour de cassation est investie, en matière de grand criminel, du droit d'examiner la régularité des qualifications appliquées aux faits incriminés, et par conséquent que toute qualification fausse ou inexacte de ces faits peut donner ouverture à cassation contre les arrêts des chambres d'accusation qui l'ont consacrée. Cette règle, toutefois, admet deux restrictions: 1° lorsque l'erreur de la qualification n'ôte pas au fait son caractère de crime; 2° lorsque l'erreur, quelle qu'elle soit, est couverte par une déclaration qui écarte en fait toute intention criminelle.

L'accusé, dans une accusation de parricide, avait fondé son pourvoi sur ce que les éléments du parricide n'existaient pas dans l'espèce la Cour de cassation a déclaré, après avoir reconnu la vérité de cette assertion : « que néanmoins, indépendamment de la qualification de parricide donnée par l'arrêt de mise en accusation à la tentative de meurtre, cette tentative étant un fait qualifié crime par la loi, le pourvoi, d'après l'art. 299, était mal fondé, et que, sans approuver Ja qualification de parricide donnée à la tentative de meurtre, il y avait lieu de le rejeter. » Un autre arrêt a également déclaré « qu'il était sans objet d'examiner si les faits sur lesquels le renvoi devant la Cour d'assises avait été ordonné par l'arrêt de mise en accusation, y avaient été légalement qualifiés de faux en écriture publique; qu'il suflisait que ces faits constituassent un crime pour que l'arrêt fût sous ce rapport en dehors de toute atteinte 2. » Un arrêt plus récent porte encore : « sur le moyen tiré, d'une part, de ce que les faits constituant l'usage de la pièce fausse ne seraient pas suffisamment signalés; et de ce que, d'autre part, il ne s'agi

Cass. 26 mars 1812, rapp. M. Oudart. J. P., t. X, p. 253.

2 Cass. 5 fév. 1819, rapp. M. Giraud. J. P., t. XV, p. 68; et Conf, Cass. 8 mars 1838, rapp, M. Dehaussy, Bull, n. 59.

rait, dans l'espèce, que d'un simple faux en écriture privée et non d'un faux en écriture de commerce : attendu qu'il

appartient au jury de jugement seul de rechercher et constater définitivement les faits incriminés, et à la Cour d'assises de déclarer le caractère légal de ceux de ces faits constatés ; que les faits à raison desquels le demandeur a été mis en accusation sont qualifiés crimes par la loi : — rejette1.

Dans ces trois espèces, la qualification avait aggravé les proportions du crime; mais, en écartant cette aggravation, le crime existait encore, et cela a paru suffire pour le maintien de l'arrêt. On pourrait, à la vérité, faire remarquer que cette aggravation, dénuée de fondement, en élevant d'injustes préventions contre l'accusé, peut lui nuire, et que, dans la première espèce surtout, où il s'agissait, non d'une circonstance aggravante irrégulièrement admise, mais d'une accusation substituée à une autre accusation, le préjudice pouvait être très grave. La réponse de la jurisprudence est que l'erreur peut dans tous les cas être réparée; qu'il n'existe aucun obstacle à ce que la défense la relève dans le cours des débats et la fasse écarter; que l'accusation, si elle n'est pas fondée dans quelques-uns de ses termes, peut être modifiée par la déclaration ultérieure du jury.

La décision serait la même 1o dans le cas où une circonstance aggravante aurait été, non pas écartée, mais omise dans l'arrêt de renvoi. La raison en est « que, lorsqu'une circonstance aggravante, résultant de l'instruction, n'a pas été appréciée par la chambre d'accusation, cette prétérition ou son appréciation erronée en fait n'empêcherait pas le président de la Cour d'assises, si les débats venaient à l'établir, d'en faire la matière d'une question à soumettre au jury; que, sous ce rapport, l'arrêt incomplet de la chambre d'accusation n'en serait pas moins régulier, puisqu'il aurait saisi la Cour d'assises de la connaissance du crime, avec toutes les circonstances

Cass, 20 sept, 1851, rapp. M. Jacquinot. Bull. n. 401.

qui l'ont accompagné, soit que l'instruction les ait révélées, soit qu'elle ne les ait pas fait connaître '. »

2o Dans le cas où l'arrêt aurait admis une circonstance aggravante fondée sur l'âge de la victime, et que la production de l'acte de naissance de celle-ci ferait disparaître ; car la chambre d'accusation et la Cour d'assises sont seules compétentes pour vérifier cet acte et en faire l'application'.

Mais il n'en serait plus ainsi si l'arrêt de la chambre d'accusation, après avoir reconnu le fait qui constituerait légalement une circonstance aggravante du crime, avait écarté cette circonstance par une décision fondée sur un motif de droit. Dans ce cas, en effet, la décision de l'arrêt aurait pour conséquence d'enlever définitivement à l'accusation, par une interprétation erronée de la loi, l'un des éléments constitutifs de l'acte incriminé. C'est ce que la Cour de cassation a reconnu en déclarant « que, dans ce cas, le procureur général qui, aux termes de l'art. 271, ne doit pas porter devant la Cour d'assises une accusation autre que celle admise par un arrêt de renvoi, ne pourrait introduire cette circonstance aggravante dans le résumé de l'acte d'accusation sans violer ledit art. 271 et l'autorité de la chose contre lui contradictoirement jugée; mais qu'il appartient à la Cour de cassation d'annuler les arrêts des chambres d'accusation pour violation des règles de la compétence, en vertu de l'art. 408, et pour fausse interprétation des lois pénales, quant à la qualification légale des faits; que le n° 1 de l'art. 299 n'est pas limitatifà cet égard; que cet article doit s'interpréter par les attributions ordinaires de la Cour de cassation, et qu'ainsi cet art. 299 ouvre au ministère public le recours de droit quand le fait n'a pas été qualifié conformément à la loi '. >>>>

C'est en vertu de cette doctrine que la Cour de cassation a

Cass. 14 juin 1841, rapp. M. Isambert. Bull. n. 174.
Cass. 1er mars 1838, rapp. M. Dehaussy. Bull. n. 53,
Cass. 11 juin 1844, cité p. 484.

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