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Une sixième exception concerne les grands-officiers de la Légion d'honneur, les généraux commandant une division ou un département, les archevêques, les évêques, les présidents de consistoire, les membres de la Cour de cassation, de la Cour des comptes et des Cours impériales, et les préfets. L'art. 18 de la loi du 20 avril 1810 porte que la connaissance des faits emportant peine afflictive ou infamante, dont ces personnes seraient accusées, est attribuée à la Cour d'assises du lieu où siége la Cour impériale. Cette dérogation aux règles de la compétence peut être étendue, suivant les termes de l'art. 160 du décret du 15 novembre 1811, aux membres de l'Université et étudiants, prévenus de crimes.

Enfin, les art. 214, 230, 427, 428, 429, 542 et suiv. autorisent encore, par les renvois qu'ils prévoient, des déviations aux règles communes de la compétence ratione loci.

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II. à raison de l'indivisibilité III. à raison du concours de plusieurs préven

I. De la prorogation de juridiction, des procédures;

tions contre le même prévenu.

I. Lorsque nous avons exposé les règles de la compétence pour la poursuite et l'instruction', nous avons déjà vu que ces règles fléchissaient, 1° lorsque des poursuites sont exercées contre plusieurs agents, à raison d'un même délit; 2o lorsque plusieurs poursuites sont exercées contre le même agent, à raison de délits différents. Dans ces deux hypothèses, les diverses procédures, soit parce qu'elles se rattachent à un même fait, soit parce qu'elles concernent un même prévenu, doivent, en général, n'en former qu'une seule, et il en résulte, dans certains cas, pour les tribunaux qui en demeurent saisis, une prorogation de leur juridiction légale. Cette

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exception s'applique nécessairement au jugement comme à l'instruction elle-même.

II. La règle qui veut que tous les complices d'un même délit soient enveloppés dans une même procédure et soumis à un même jugement, est plus qu'une règle de procédure, c'est une règle de justice. Une action, par cela qu'elle a été commise par plusieurs personnes à la fois, ne se divise pas en autant de parties qu'elle a d'auteurs, elle conserve son unité; la part de chacun des adhérents peut être différente, mais le fait auquel ils ont participé ne peut avoir qu'un seul et même caractère. De là la nécessité de réunir tous ces agents dans un même débat; car comment constater avec certitude la nature du délit, si tous ses auteurs ne sont pas mis en présence les uns des autres pour en débattre les circonstances? comment constater le degré de la participation de chacun d'eux sans connaitre la défense de tous? Le débat commun, c'est la manifestation complète de la vérité, autant du moins qu'il est donné à la justice humaine de la produire; le débat divisé, c'est l'appréciation du fait dans une seule de ses faces, c'est le jugement successif du même fait sous des aspects nécessairement divers. Chaque prévenu, en effet, quelle que soit sa défense dans une prévention, peut être considéré, vis-à-vis de ses coprévenus, soit en leur faveur, soit contre eux, comme un élément de preuve; il apporte dans le débat ses appréciations, ses contradictions, ses réticences; il peut dénier ce que ses complices affirment, il peut déclarer ce qu'ils dénient. Qu'est-ce donc que séparer les co-auteurs d'un mème fait, sinon diviser les preuves d'un même procès et le juger d'après une instruction incomplète? a Divisez la procédure, instruisez-la en divers tribunaux, isolez les accusés, le débat n'a plus d'intérêt, les incertitudes se multiplient, les lumières s'affaiblissent et la vérité reste obscurcie. » Et combien cette indivisibilité ne doit-elle pas

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Requis. présenté le 19 vend, an V, devant la haute Cour nationale.

être considérée comme la loi impérieuse d'une procédure qui, devant les juges du fond, est essentiellement orale, et ne garde, par conséquent, devant le jury comme devant les juges correctionnels de première instance, aucune trace des témoignages, des confrontations et des défenses?

Cette règle, née de la nature mème des choses, a été appliquée à toutes les époques de la législation. On la trouve appliquée, à la vérité, aux matières civiles seulement, dans la loi romaine: Nulli prorsus audientia præbeatur qui causæ continentiam dividet, et ex beneficii prærogativa, id quod in uno eodemque judicio poterat terminari, apud diversos judices voluerit ventilare. Mais il ne paraît pas qu'en matière criminelle, le privilége pût, plus qu'en matière civile, diviser la procédure. Ayrault pose en conséquence en principe, que « qui est juge d'un accusé, l'est par conséquent des complices, sinon qu'ils fussent de telle qualité que, naturellement, il n'en peust cognoistre .. Muyart de Vouglans indique également que le juge par devant lequel est portée l'accusation d'un crime, peut connaître de tous les complices de l'accusé, et cela sur le fondement de la maxime: Ne dividatur continentia causa '.» Jousse dit encore: « Le juge qui connaît du crime d'un accusé, connaît aussi de ses complices, participes, fauteurs et adhérents. Ainsi, le juge qui connaît d'un vol, connaît de ceux qui ont conseillé de le faire, ou qui ont recelé les effets volés, quoique ce recel ait été commis hors son ressort, que même le recéleur ne soit point domicilié dans le ressort de ce juge.» Enfin, cette règle, formulée par la doctrine, se trouve, après avoir été implicitement écrite dans les art. 5 du tit. 1er et 23 du tit. II de l'ord. de 1670, nettement confirmée par l'art. 20 de la Déclaration de 1731 : « Si, dans

* Constantin, l. x. Cod. de judiciis.

2 Part. 2, liv. 3, n. 17.

Lois cr., p. 486.

et

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le mème procès criminel, il y a plusieurs accusés dont les uns soient poursuivis pour un cas ordinaire, et dont les autres soient chargés d'un crime prévotal, la connaissance des deux accusations appartiendra à nos baillis et sénéchaux. »

Notre législation moderne a dû nécessairement recueillir cette doctrine. Les art. 5 et 6 du C. pén. militaire du 30 sept. 19 octobre 1791 portent: Si, parmi deux ou plusieurs prévenus du même délit, il y a un ou plusieurs militaires, et un ou plusieurs individus non militaires, la connaissance en appartient aux juges ordinaires. Si, dans le même fait, il y a complication de délit commun et de délit militaire, c'est aux juges ordinaires d'en prendre connaissance. » A la vérité, l'art. 233 du C. du 3 brumaire an IV porte: « Lorsque plusieurs prévenus sont impliqués dans la même procédure, le directeur du jury peut dresser un ou plusieurs actes d'accusation, suivant ce qui résulte des pièces relatives aux différents prévenus. Mais il est évident que ces derniers mots voulaient dire suivant que les pièces de la procédure établissent ou non entre eux un lign de complicité, et le doute que ce texte pouvait faire naître sur l'application du principe de l'indivisibilité de la procédure, fut d'ailleurs immédiatement levé par une loi du 18 germinal an IV, portant, art. 1, el 3 lorsqu'il aura été formé, à raison du même délit, plusieurs actes d'accusation contre différents accusés, les accusateurs publics seront tenus d'en demander la jonction, etle tribunal criminel ordonnera que tous les accusés du même délit seront présentés à un seul et même débat. » Et la loi du 24 messidor an IV, après avoir établi comme motif « que l'intérêt public et l'intérêt particulier de chaque accusé ont également consacré cette maxime inviolable que tous les accusés d'un même délit doivent être jugés par le même tribunal, » déclare que : « tous prévenus mis en état d'arrestation pour complicité dans un crime à raison duquel un représentant du peuple est mis en accusation par le corps législatif, seront traduits à la Haute-Cour de justice et jugés

conjointement avec le représentant du peuple accusé du même délit. »

Notre code suppose ce principe plutôt qu'il ne l'exprime : ses textes l'admettent, mais sans le formuler avec netteté. L'art. 226 dispose que la Chambre d'acusation statuera, par un seul et même arrêt, sur les délits connexes, dont les pièces se trouveraient en même temps produites devant elle. » D'où il suit qu'à plus forte raison elle doit juger par un même arrêt, c'est-à-dire renvoyer devant les mêmes juges les prévenus du même délit, dont les pièces auront été produites devant elle. Et l'art. 307 ajoute que « lorsqu'il aura été formé, à raison du même délit, plusieurs actes d'accusation contre différents accusés, le procureur général pourra en requérir la jonction, et le président pourra l'ordonner, même d'office. » On retrouve une application de la même règle: 1° dans l'art. 501, relatif à l'instruction spéciale établie en faveur des membres de l'ordre judiciaire, et qui porte que « cette instruction sera commune aux complices du juge poursuivi, lors même qu'ils n'exerceraient point de fonctions judiciaires; » 2o Dans les art. 526 et 527 qui déclarent qu'il y a lieu à réglement de juges lorsque plusieurs cours ou tribnnaux sont saisis de la connaissance du même dělit ou de délits connexes.

On doit induire de ces textes que l'intention du législateur a été dans notre Code, comme dans les législations antérieures, de réunir dans un même jugement tous les auteurs et complices d'un même délit. Cette règle est d'ailleurs tellement imposée par la nécessité des choses, elle constitue une loi tellement impérieuse de la justice, qu'il ne lui eut pas été possible de la méconnaître et de s'en écarter. Mais il est évident néanmoins que notre législateur, tout en la conservant, a voulu éviter de la formuler en termes précis et de lui donner une sanction formelle. Il a craint peut-être que la nécessité absolue d'envelopper dans la même procédure tous les agents qui auraient coopéré au même délit n'apportât des entraves

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