Page images
PDF
EPUB

les faits relevés à la charge des prévenus non militaires ont été virtuellement compris dans cette attribution; d'où il suit que le conseil de guerre qui y a statué n'a commis aucun excès de pouvoir et s'est renfermé dans les limites de sa compétence'. >>

Au surplus, tous les doutes qui avaient pu subsister sur la légalité de cette attribution ont été levés par l'art. 106 de la const. du 4 nov. 1848, portant: « Une loi déterminera les cas dans lesquels l'état de siège pourra être déclaré et réglera les termes et les effets de cette mesure. » Cette loi, intervenue à la date du 9 août 1849, contient, en ce qui touche la compétence, les articles suivants : « Art. 7. Aussitôt l'état de siége déclaré, les pouvoirs dont l'autorité civile était revêtue pour le maintien de l'ordre et de la police passent tout entiers à l'autorité militaire. L'autorité civile continue néanmoins à exercer ceux de ces pouvoirs dont l'autorité militaire ne l'a pas déssaisie. Art. 8. Les tribunaux militaires peuvent être saisis de la connaissance des crimes et délits contre la sûreté de la République, contre la Constitution, contre l'ordre et la paix publique, quelle que scit la qualité des auteurs principaux et les complices.-Art. 13. Après la levée de l'état de siége, les tribunaux militaires continuent de cónnaître des crimes et délits dont la poursuite leur avait été déférée. »

L'application de cette loi a fait naître plusieurs questions. La première avait pour objet la constitutionnalité de la juridiction. La Cour de cassation a répondu : « que l'art. 106 de la Constitution, en laissant au pouvoir législatif le soin de déterminer les cas dans lesquels l'état de siège pourrait être déclaré, ajoute que la loi réglera les formes et les effets de cette mesure; que l'Assemblée constituante, en votant cet article sans en restreindre la portée, manifestait d'autant plus clairement

Cass. 12 oct. 1848, rapp. M. Rocher. Bull. n. 251; 9 nov. 1848, rapp. M. Vincens Saint-Laurent. Bull. n. 272; 9 nov. 1848, rapp. M. Legagneur. Bull. n. 273.

l'intention de comprendre au nombre des effets passibles de l'état de siège la faculté de porter devant les conseils de guerre les crimes et délits contre la paix publique commis même par des citoyens non militaires; qu'elle avait, par décret du 27 juin précédent, art. 2, sanctionné le renvoi à la justice militaire, ordonné par arrêté du pouvoir exécutif, de tous individus sans distinction poursuivis à l'occasion des attentats commis le 25 juin; qu'en présence de cette interprétation émanée d'elle-même, des conséquences de l'état de siège et de l'application qui en était faite sous ses yeux au moment où la Constitution s'élaborait, l'Assemblée constituante n'eût pas manqué, si elle eût entendu ne pas comprendre la juridiction militaire parmi les effets que l'art. 106 permettait de donner à la mesure de l'état de siége, de s'en expliquer en termes formels; que l'Assemblée législative en déterminant, comme elle l'a fait par la loi du 9 août 1849, les termes et les effets de l'état de siége, s'est bornée à remplir le devoir que lui imposait cet art. 106 pris dans son sens véritable '. »

Une deuxième question a eu pour objet l'effet rétroactif donné à la déclaration de l'état de siége. Si cette mesure a pour effet de saisir les tribunaux militaires, ces tribunaux peuvent-ils connaître de faits qui étaient consommés avant que cette attribution leur eût été déférée? La Cour de cassation a encore répondu : « que le principe de la non-rétroactivité des lois ne s'applique qu'au fond du droit et ne s'étend pas aux lois de procédure et de compétence; que cette distinction est nécessairement applicable au cas où la compétence est modifiée par la déclaration de l'état de siége; que l'état de siége, en effet, est un fait préexistant à la déclaration qui le constate; qu'il résulte soit de l'investissement, soit d'une attaque de vive force, soit d'une sédition intérieure ; que dès lors, la juridiction substituée à la juridiction ordinaire, à raison et par

1 Cass. 15 mars1851, rapp. M. Legagneur. Bull. n. 100; 17 nov. 1851, rapp. M. Isambert. Bull, n. 473.

suite de ces circonstances, régit d'une manière indivisible tous les faits qui s'y rattachent 1. »

Une troisième question a eu pour objet de déterminer la limite de la compétence des conseils de guerre. Dans une première espèce, les demandeurs prétendaient qu'ils n'auraient pas dû être renvoyés devant cette juridiction pour des propos séditieux qu'ils auraient tenus huit jours avant la déclaration de l'état de siége et sans corrélation avec les incendies qui avaient motivé cette mesure. Le pourvoi a été rejeté : « Attendu qu'il est déclaré en fait par le jugement qui maintient la compétence du conseil de guerre, que les délits imputés aux prévenus auraient été commis le 12 mai, peu d'instants avant l'incendie qui aurait éclaté à la Pointe-à-Pitre et a dévoré 64 maisons; que, quoiqu'ils ne se rattachent pas directement à cet incendie, ils n'en sont pas moins un des éléments du désordre moral et matériel qui, peu de jours après, a motivé la déclaration de l'état de siége.» Dans une autre espèce, les demandeurs prétendaient qu'ils avaient leur domicile en dehors du territoire soumis à l'état de siége et n'avaient point été arrêtés sur ce territoire, et qu'ils n'avaient ni paru de leur personne sur ce même territoire, ni correspondu avec l'un ou l'autre des accusés. Le pourvoi a encore été rejeté: « Attendu que l'art. 8 de la loi du 9 août 1849 attribue juridiction aux tribunaux militaires pour les crimes et délits qui y sont mentionnés, quelle que soit la qualité des auteurs principaux et des complices; que les demandeurs, déclarés coupables comme auteurs ou complices du complot formé à Lyon, ne peuvent, d'après les principes généraux de la compétence, consacrés par les art. 23 et 227 du C. d'inst. cr., se soustraire à cette juridiction, sous le prétexte qu'ils ne résidaient pas dans l'é

'Cass. 13 mars 1850, à notre rapport. Bull. n. 85, et Conf. 15 nov. 1849, rapp. M. Legagneur. Bull. n. 302; 21 sept. 1850, rapp. M. Legagneur.Bull. p. 321.

2 Même arrêt.

tendue de ce territoire'. » Dans une troisième espèce, les demandeurs fondaient leur pourvoi sur ce que, condamnés pour avoir fait partie d'une société secrète pendant les trois années antérieures, ce fait devait échapper à l'état de siége. Ce rejet a été fondé sur ce que « l'état de siège est un fait préexistant à l'acte qui le proclame; que la société secrète est, par sa nature, un des éléments du désordre matériel et moral qui rend la mesure nécessaire; qu'elle constitue un délit permanent contre l'ordre et la paix publique, dont la connaissance est attribuée à la juridiction militaire par les art. 7 et 8 de la loi; d'où il suit que, malgré le défaut d'énonciation précise du temps pendant lequel la société a duré, et la possibilité qu'elle remonte à une époque antérieure à la proclamation de l'état de siége, il n'y a point eu violation des règles de compétence.»> Enfin, dans une dernière espèce, le pourvoi était fondé sur ce que le prévenu avait été traduit devant la juridiction militaire, 1° pour un attentat à la sûreté de l'État, 2° pour homicide volontaire, crime commun qui ne rentrait pas dans cette compétence exceptionnelle. Le rejet a été motivé sur ce que l'attribution des tribunaux militaires comprend virtuellement à la fois les faits d'insurrection et les faits constitutifs de crimes ou délits communs qui ont pu s'ajouter aux premiers, sans qu'il soit permis de distinguer entre chacun et de les séparer les uns des autres, comme s'ils étaient isolés entre eux, pour régler la juridiction par la nature propre à chacun d'eux; qu'une telle distinction serait en opposition, d'une part, avec les principes généraux du droit d'après lesquels les faits annexes doivent, à moins d'une disposition expressément contraire, être jugés simultanément, et d'autre part, avec les règles qui, lorsque l'état de siége est proclamé, attribuent aux tribunaux militaires le jugement des faits auxquels il s'applique 3.

1

[ocr errors]

Cass. 17 nov. 1851, rapp. M. Isambert. Bull. n. 473.
Cass. 23 janv. 1852, rapp. M. Legagneur. Bull. n. 33.

3 Cass. 10 avril 1852, rapp, M. Nouguier. Bull. n. 120.

Une dernière question est née des rapports que l'état de siége établit entre les juges ordinaires et les juges militaires. Il est d'abord de principe que l'attribution extraordinaire des conseils de guerre est facultative et non nécessaire et que, par conséquent, jusqu'à l'ordre d'informer émané de l'autorité militaire, les juges ordinaires doivent continuer d'exercer leurs fonctions habituelles. La Cour de cassation a jugé dans ce sens « que si le crime à raison duquel les prévenus sont poursuivis pouvait être considéré comme rentrant dans la classe des crimes spécifiés par l'art. 8 de la loi, l'attribution aux tribunaux militaires de la connaissance des crimes et délits compris dans cette nomenclature est, d'après la disposition de cet article, comme d'après l'art. 103 du décret du 24 décembre 1811, une attribution facultative et non nécessaire et absolue; qu'aux termes de ces articles, à défaut de revendication par un ordre d'informer émané de l'autorité militaire, les tribunaux ordinaires demeurent saisis de l'instruction et du jugement des inculpations de crimes et délits contre des prévenus non militaires'. » Il suit de là 1° que le dessaisissement pure. ment facultatif reste à la disposition de l'autorité militaire qui peut l'exercer soit par une mesure générale pour toutes les affaires de même nature, soit isolément pour telle et telle affaire; 2° que le général commandant de la division ne peut ètre privé de son droit de revendication par le fait d'un de ses subordonnés qui a provoqué la poursuite devant les juges ordinaires; 3° qu'il peut exercer ce droit en tout état de cause et tant que la prévention n'a pas été jugée; qu'il peut l'exercer même après qu'un arrêt de la chambre d'accusation a renvoyé cette prévention devant la Cour d'assises. Les motifs de ces solutions sont « qu'à la différence des cas ordinaires, où la base de la compétence repose uniquement sur les prescriptions de la loi et sur les circonstances du fait incriminé, et où les juges saisis sont toujours en situation d'apprécier ces élé

'Cass. 26 août 1852, rapp. M. Quénault. Bull. n. 297.

« PreviousContinue »