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Il résulte donc de cette disposition que l'exercice du droit de présentation ne saurait faire obstacle à l'exercice du droit de suppression.

Mais rien ne permet de supposer que le législateur ait voulu permettre au ministre de la justice de laisser de côté la présentation et de se prévaloir d'une démission donnée par erreur, pour supprimer, contre le gré du titulaire, un office que celui-ci eût mieux aimé conserver que de voir disparaître.

2o La démission donnée par un officier public ou ministėriel ne devient irrévocable que lorsqu'elle est acceptée par le Gouvernement, dans les termes mêmes dans lesquels elle a été donnée.

Il est facile de justifier cette proposition.

Nous ferons d'abord remarquer qu'en principe, la démission d'un fonctionnaire ne devient définitive que lorsqu'elle a été acceptée par le Gouvernement.

« En effet, dit Dalloz, lorsque des fonctions publiques sont « conférées à un citoyen qui les accepte, il se forme un << contrat entre l'Etat et ce citoyen. La démission est une << sorte de résiliation de ce contrat: or, le concours des << volontés est nécessaire pour la résiliation comme pour la « formation d'un contrat » (Rép., vo Fonctionnaire public, n° 12).

Mais s'il en est ainsi, le concours des volontés ne saurait évidemment exister, lorsque le fonctionnaire a apposé à sa démission une condition que la loi l'autorisait d'ailleurs à y ajouter, mais à laquelle, cependant, le Gouvernement, qui doit accepter cette démission, ne consent pas à souscrire.

Donc, la démission, tant qu'elle n'a pas été acceptée par le Gouvernement, dans les termes mêmes dans lesquels elle a été donnée, ne produit aucune obligation et, jusqu'à ce moment, il est loisible à celui qui l'a donnée de la rétracter. Or, la démission donnée par un officier public ou ministériel, dans les termes autorisés par l'art. 91 de la loi de 1816, offre précisément ce caractère. Pure et simple en la forme, elle est, au fond, conditionnelle, et c'est de là que lui vient le nom de démission in favorem qu'elle reçoit dans la pratique. Elle forme, avec le traité de cession et l'acte de présentation qui l'accompagnent, un tout indivisible; d'où cette conséquence, que le Gouvernement n'a d'autre alternative, que de l'accepter avec la condition qui y est apposée, ou de la tenir pour non avenue, en laissant le démissionnaire en fonctions. Encore bien qu'il ait toute latitude de conférer ou de refuser l'investiture au candidat présenté, il ne saurait avoir le droit de retourner la démission contre son auteur, pour en déduire

des effets autres que ceux que ce dernier entendait lui faire produire.

3o Est-il besoin d'ajouter, en terminant, qu'en pareille matière, la plus absolue loyauté doit être de règle fondamentale ?

D'autant que la mesure, en faveur de laquelle on invoque des motifs d'utilité sociale, n'a jamais un tel caractère d'urgence qu'il ne vaille mieux, pour concilier tous les intérêts, attendre la démission pure et simple ou le décès du titulaire. Il n'est jamais nécessaire de s'emparer, au vol, d'une démission que le titulaire n'aurait pas donnée, s'il avait connu le sort dont son office était menacé (comp. Pellerin, Des rapports des notaires avec le Ministère public, p. 58, 59; Amiaud, Traité formulaire, vo Office, no 64; Encycl. du Not., vo eod., n° 563).

VIII. La Chancellerie, d'ailleurs, tout en revendiquant théoriquement le droit de provoquer la suppression d'un office au moment de la démission du titulaire, malgré la présentation qui l'accompagne, n'a jamais usé du droit rigoureux qu'elle prétend avoir en pareille occurence. Il paraît super« flu d'ajouter, disait M. le Garde des sceaux, dans ses obser«vations au Conseil d'Etat, que l'Administration, bien qu'in<<< vestie en cette matière d'un pouvoir presque discrétionnaire, << en a toujours usé avec la plus grande modération. C'est ⚫ ainsi que, mue par un louable esprit de tolérance et d'équité, elle n'a jamais voulu prononcer la suppression, même ⚫ reconnue utile, de l'office d'un titulaire en plein exercice, « sans son consentement, et si le titulaire refuse ce consentement, elle se borne à lui faire savoir qu'il peut conserver << ses fonctions tant qu'il vivra, mais qu'il ne lui sera pas « donné de successeur. Cependant, même dans ce cas, le droit rigoureux permettrait au Gouvernement de prononcer la suppression ».

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Dans l'espèce qui a donné lieu à l'arrêt du 22 mars, la Chancellerie n'avait fait que se conformer à ces précédents. Estimant que les revenus de l'office de l'avoué démissionnaire étaient insuffisants pour faire vivre son titulaire, elle avait notifié à cet officier ministeriel qu'il ne lui serait pas donné de successeur, et que, par suite, la seule démission qu'il eût à donner était une démission pure et simple. On a vu plus haut que quatre candidatures présentées par l'avoué furent successivement rejetées et que, sur le recours formé par le dernier cessionnaire et par le titulaire lui-même, le Conseil d'Etat a jugé que le ministre de la justice avait commis un excès de pouvoir, en refusant, par système, de donner suite à ces présentations.

La décision du haut tribunal administratif est-elle juridique ? C'est la seconde question que nous nous sommes proposé d'étudier.

Nous tenons à déclarer tout d'abord, qu'en se bornant à refuser d'agréer les candidats présentés par le titulaire d'un office qu'elle estimait devoir être supprimé, la Chancellerie avait obéi à un sentiment de bienveillance et d'équité auquel, pour notre part, nous sommes heureux de rendre justice.

Cependant, le mode de procéder auquel elle a cru devoir recourir dans l'espèce et dans des circonstances analogues, s'accorde mal avec le principe sur lequel elle s'appuie pour le défendre.

Aussi n'hésitons-nous pas à penser que le Conseil d'Etat, après avoir reconnu au Gouvernement le droit de prononcer la suppression de l'office, devait logiquement en conclure, comme il l'a fait, que M. le garde des sceaux avait commis un excès de pouvoir en refusant systématiquement, dans le but d'arriver à cette suppression, d'agréer toutes les candidatures qui lui étaient présentées.

En effet, la suppression d'un office ne pouvant être prononcée que par décret rendu par le Chef de l'État, le ministre de la justice qui, d'après le Conseil d'Élat et la Chancellerie elle-même, aurait pu se prévaloir de la démission de Me Roz pour poursuivre la suppression de l'office cédé, ne pouvait pas, par le moyen détourné employé dans l'espèce, chercher à obtenir cette suppression: fecit quod non potuit, quod potuit non fecit.

C'est ce que faisait justement remarquer l'honorable avocat de Me Roz, Me Bernier, dans son mémoire ampliatif à l'appui du recours de son client : « Si, disait-il, l'administration, juge de l'honorabilité et des capacités des candidats et libre, à ce point de vue, d'approuver ou non leurs candidatures, use de ce pouvoir dans le but d'arriver, par une voie détournée, en l'absence du décret nécessaire, c'est-à-dire en usurpant les pouvoirs du Gouvernement, à la suppression d'un office, elle commet un excès de pouvoir que le Conseil d'État ne peut

éviter de constater.

Or, dans l'espèce, il était établi, par tous les documents de la cause, que la décision, par laquelle M. le garde des sceaux avait refusé le dernier traité de l'avoué démissionnaire, reposait, comme toutes les décisions antérieures de même nature dont il avait été l'objet, sur une autre décision par laquelle la Chancellerie avait, en principe, résolu la suppression de son office.

Le recours avait donc raison d'ajouter que l'acte discrétionnaire par lequel M. le garde des sceaux avait refusé

d'approuver la candidature du dernier cessionnaire était entaché d'un détournement de pouvoir manifeste, puisque l'Administration n'avait point évidemment entendu, par cette décision, apprécier cette candidature en elle-même, mais poursuivre la suppression de l'office cédé, but qu'elle ne pouvait poursuivre par ce moyen.

En effet, dit M. Laferrière, « le détournement de pouvoir » est une véritable illégalité qui peut entacher un acte discré<tionnaire, malgré la pleine liberté de décision qui paraît << inhérente aux actes de cette nature; cette illégalité résulte « de ce que l'administrateur poursuit un but qu'il n'a pas le << droit de poursuivre par le moyen qu'il emploie » Traité de la juridict. administr. et des recours contentieux, t. 2, p. 549), et le même auteur indique, comme preuve de cette illégalité, « les motifs que l'auteur a lui-même insérés dans sa décision, la correspondance qui l'a précédée ou suivie et qui en << fait connaître la portée : les instructions du supérieur hiẻ«rarchique d'après lesquelles la décision a été prise, etc... >

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L'arrêt du Conseil d'Etat du 22 mars dernier repose, en définitive, sur ce principe de droit administratif, qu'on ne peut pas faire le moins, sous prétexte qu'on pourrait faire le plus. Les droits et pouvoirs sont strictement déterminés; ils ne peuvent être exercés que dans les conditions prévues, sans qu'on puisse prétendre avoir pris valablement une mesure, par la seule raison qu'on aurait pu en prendre une bien plus rigoureuse.

IX. D'après les observations qui précèdent, du moment que l'on reconnaît au ministre de la justice le droit de se prévaloir d'une démission même accompagnée de présentation pour poursuivre la suppression de l'office cédé, on est conduit à décider qu'il commet un excès de pouvoir, lorsqu'il cherche à arriver à cette suppression en refusant, a priori, d'agréer les candidatures qui lui sont présentées.

Mais quid, si, comme nous le pensons, la disposition finale de l'art. 91 doit être uniquement entendue en ce sens, que le titulaire d'un office reconnu inutile ne peut se prévaloir du droit de présentation pour imposer au Gouvernement la nomination d'un successeur? Ne faut-il pas décider que la Chancellerie qui, dans ce système, n'a pas le droit de poursuivre hic et nunc la suppreesion de l'office, est fondée tout au moins à déclarer au titulaire, comme elle l'a fait dans l'espèce, qu'elle ne donnera suite à aucune de ses présentations?

L'objection paraît assez pressante, et cependant, nous ne saurions nous y arrêter. Et nous n'hésitons pas à répondre

que, même dans notre système, la Chancellerie commettrait un excès de pouvoir en recourant à ce procédé. En effet, il ne lui appartient pas, au moment où elle se trouve saisie d'une démission in favorem, de se faire juge de l'utilité de la suppression de l'office cédé.

A ce moment, le droit de présentation ou, pour parler plus exactement, la valeur précuniaire de ce droit, fait partie du patrimoine du titulaire. En présentant un successeur à l'agrément du Gouvernement, il use d'un droit incontestable, formellement consacré par l'art. 91 de la loi du 28 avril 1816 et il ne saurait appartenir à l'Administration de l'en priver.

D'autre part, la suppression d'un office est une mesure fort grave, qui touche à de nombreux intérêts. Aussi ne peut-elle être prononcée que par un décret rendu par le Chef de l'Etat, et, d'après des règles invariables, conformes, d'ailleurs, à l'esprit de la législation qui régit les offices, ce décret luimême doit être précédé d'une enquête administrative, ayant pour objet la constatation de l'utilité de la mesure projetée (V. pour les huissiers, décret du 14 juin 1813, art. 8).

Il s'ensuit, qu'en refusant d'agréer la candidature présentée, par le motif que l'office cédé doit être supprimé et en préjugeant ainsi le question de savoir si la suppression doit être prononcée, la Chancellerie usurpe un pouvoir qui ne lui appartient pas, en même temps qu'elle fait grief au titulaire, en ce qu'elle le prive à la fois de l'exercice d'une faculté légale et des garanties qu'il aurait trouvées dans une enquête et dans une décision régulières.

X.-Quelle sera donc notre conclusion, après les observations qui précèdent, s'il n'appartient ni au titulaire d'un office jugé inutile d'imposer à la Chancellerie la nomination d'un successeur, ni à la Chancellerie de se prévaloir de la démission du titulaire pour provoquer la suppression de l'office?

Nous n'hésitons pas à penser que la Chancellerie a le devoir en pareille occurence, d'avertir le titulaire que, s'il devait persister dans sa présentation, elle se verrait dans la nécessité de prendre sa démission pour point de départ d'une procédure en suppression de l'office.

Ce mode de procéder offre l'incontestable avantage d'éviter toute surprise et de ne heurter aucun intérêt légitime.

D'une part, en effet, on ne saurait voir, dans un tel avis, fût-il réitéré à chaque présentation, ni un empiètement de la Chancellerie sur les attributions du Chef de l'Etat, ni le refus systématique d'agréer, dans le but de supprimer l'office, les candidatures présentées, refus justement qualifié d'excès de pouvoir par le Conseil d'État.

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