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Me Dupin. Avez-vous fait quelques dispositions contraires à l'effet qu'on voulait produire?

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M. de Bourmont. Je n'en ai pas eu le temps. Me Dupin. Comment saviez-vous donc que les troupes penchaient pour le Roi?

M. de Bourmont. Je ne pouvais pas en répondre.

M. le baron Séguier. - Demandez, monsieur le Président, si un officier ne fut pas arrêté le 13 par les ordres de l'accusé ?

M. de Bourmont. — On m'a dit que cet officier avait parlé de se rendre à Bonaparte : je le fis arrêter; mais comme c'était un militaire recommandable, je le fis seulement conduire à Besançon.

M. le baron Séquier. Pourquoi n'avez-vous pas fait arrêter les émissaires de Bonaparte?

M. de Bourmont.-Je n'ai eu connaissance de leur arrivée qu'après que le maréchal m'en eut instruit. Le maréchal. Il y eut en effet un officier arrêté le 13, et ce fut M. de Bourmont qui le dénonça; mais il y avait impossibilité d'arrêter les autres. Je doute même que celui-ci ait été conduit à la citadelle de Besançon.

Me Berryer. Nous supplions M. le Président de demander à M. de Bourmont quel effet produisit la lecture de la proclamation?

M. de Bourmont. Les soldats criaient Vive l'Empereur! les officiers étaient stupéfaits.

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Me Berryer. — Qu'on demande à M. de Bourmont s'il a crié: Vive le Roi!

Des murmures se font entendre. Plusieurs pairs s'agitent et interpellent le défenseur. « La question est tout à fait déplacée,» s'écrie M. le comte Molé. « Ce sont là des personnalités auxquelles il faut mettre ordre,» ajoute M. de Frandeville.

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M. le marquis de Vaulchier. En apprenant l'entrée de Bonaparte à Lyon, le maréchal se plaignit des mauvaises dispositions qui avaient été prises contre lui. Il ajouta: «Si je m'étais trouvé auprès de S. A. R. Monsieur, je serais monté dans sa voiture et je lui aurais dit: Marchons, monseigneur, il faut aller aux avant-postes; c'est là le seul moyen d'opposer quelque résistance au progrès de Bonaparte. » Le maréchal parla ensuite des raisons particulières de mécontentement qu'il avait, et surtout des mortifications qu'on avait fait éprouver à la Cour à madame la maréchale; puis il s'étendit sur les motifs du mécontentement de l'armée, et sur la conduite qu'on aurait dû tenir à son égard. Le témoin rend compte enfin de l'événement du 14, qui lui avait été raconté par des personnes présentes à la lecture de la proclamation sur la place de Lons-leSaulnier. Après s'être fait raconter tous les détails relatifs à cette lecture, il prit la résolution de se retirer. Avant de se mettre en route, il vit le maréchal. Ce dernier ne mit aucun obstacle à son départ; seulement il l'invita à désigner, parmi les notables de la ville, un successeur pour administrer le département au nom de l'Empereur. Le doyen des conseillers de la préfecture prit, quoique avec beaucoup de répugnance, les rênes de l'administration.

Antérieurement à ces mesures, M. de Vaulchier avait reçu une lettre du maréchal dans laquelle ce

| lui-ci lui donnait l'ordre de continuer à administrer le département au nom de l'Empereur. Il l'assurait qu'aucune arrestation n'aurait lieu, et que tout se passerait avec calme.

Le maréchal, au témoin. Je me rappelle, en effet, avoir eu à Lons-le-Saulnier un entretien avec vous; mais si notre conversation a duré dix minutes, c'est tout au plus; et, certes, on conviendra que j'avais alors autre chose à faire que de vous donner des explications si longues. Je déclare, au surplus, que vous avez refusé de servir l'Empereur.

M. de Vaulchier termine sa déposition en affirmant, comme l'a fait M. de Bourmont, que, le 14, le maréchal, après la lecture de sa proclamation, était décoré de l'aigle de la Légion d'honneur.

-

Le maréchal. Cette assertion est contraire à a vérité : cent mille témoins en pourraient affirmer la fausseté.

M. le baron Capelle et M. le comte de la Genetière font des dépositions à peu de chose près semblables à celle de M. de Bourmont.

M. Grison, capitaine. Il était à Landau quand le maréchal y arriva dans le courant d'avril, visitant le cordon des troupes par ordre de Bonaparte. Il dépose qu'ayant fait assembler le corps des officiers, le inaréchal ferma la porte de la maison où ils étaient réunis, et dit : «J'espère qu'il n'y a ici ni étrangers ni intrus. » Il se répandit ensuite en propos outrageants contre la famille royale.

Le maréchal. Un maréchal de France, un officier quelconque, faire retirer les clefs d'un lieu où sont assemblés des officiers!... cela n'est point vraisemblable. Je n'ai rien dit d'outrageant pour la famille royale; les instructions secrètes de Bonaparte contenaient l'injonction formelle d'en respecter tous les membres, de favoriser leur retraite, de s'abstenir de tout mauvais procédé. Je ne sais pas, monsieur l'officier, par qui vous êtes envoyé pour me dénoncer; mais je répète que vos allégations n'ont pas même de vraisemblance.

Le témoin. Vous avez dit des mots injurieux, des paroles contre la famille royale que je n'ose pas répéter; vous avez dit que plusieurs maréchaux de France avaient pensé à la République.

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Le maréchal. Je n'ai ni observation ni réponse à faire.

Un autre témoin, le capitaine Casse, reproduit les allégations du précédent témoin.

M. Cailloé, passementier et joaillier, déclare que ce ne fut que le 25 mars que les plaques et les décorations du maréchal lui furent apportées pour y ajouter les ornements impériaux. Il montre en preuve son registre.

M. Batardi, notaire. Il déclare que c'est de sa bouche que le maréchal a appris le débarquement de Bonaparte à Cannes. Le maréchal témoigna le plus vif étonnement et une grande affliction : «Mon malheureux pays!... dit-il. Que vient faire cet homme qui n'a que la guerre civile à nous apporter? S'il n'eût pas compté sur des mésintelligences et des ressentiments, il n'eût pas osé mettre le pied sur le sol français. »

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ral, il faudra marcher contre Bonaparte. Nous serons peut-être inférieurs en nombre; mais nous nous battrons bien, et, morbleu nous le frotterons. » M. le général comte Philippe de Ségur. - J'ai l'honneur de connaître beaucoup M. le prince de la Moskowa. Je le vis le 7 mars. Il me dit qu'il allait combattre Napoléon; il me chargea, en son absence, de plusieurs dispositions militaires. Tout ce que j'entendis de sa bouche était digne du général français qui a fait la gloire de son pays dans vingt campagnes. Madame Maury. A Dijon, le 16 ou le 17 mars, un Italien, le comte Byano, qui vit alors le maréchal, l'entendit parler de sa préoccupation, de ses regrets, maudire les circonstances difficiles où il se trouvait, et ajouter que le sentiment du salut de la patrie l'avait emporté chez lui sur tout le reste.

M. de Boursillac, sous-préfet à Poligny. J'ai vu le maréchal avant sa défection. Il me reçut, m'offrit de mettre à ma disposition les gardes nationales, et de donner lui-même l'exemple de la résistance. Je l'entendis se plaindre du Roi, de M. et de madame de Blacas, du rejet qu'on avait fait à la Cour des services de la vieille garde.

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Le maréchal. Sur ce que ja dit de la vieille garde, je dois une explication. Oui, j'ai dit au Roi qu'il était politique et généreux de se l'attacher, qu'elle avait des droits à défendre sa personne; que la garde était la récompense de toute l'armée, et qu'il ne fallait pas l'anéantir. Ce discours, je l'ai tenu à Compiègne, dans un moment où Sa Majesté daignait me donner une confiance toute particulière. Bonaparte l'a su, et m'a dit depuis : « Si le Roi eût suivi vos conseils, jamais je n'eusse mis le pied en France.>> Le lieutenant-général comte Heudelet. Dans les départements placés sous mon commandement et dans les pays environnants, le mouvement d'insurrection était général : on ne pouvait point compter sur les soldats ni sur les habitants; le parti du Roi était une infime minorité. Il en était de même, à ce que je crois, dans le gouvernement du maréchal. Les habitants étaient exaspérés et portés à se réunir à Bonaparte.

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Le maréchal prince d'Eckmühl (Davout) donne, sur l'invitation de M Berryer, quelques explications sur la capitulation de Paris, du 3 juillet, et sur l'article 12, destiné à garantir la sûreté des personnes, quelles qu'eussent été leurs opinions et leur conduite antérieure. Il ajoute que si ces garanties n'eussent pas été données, il avait une magnifique armée, bien disposée, pourvue d'une nombreuse artillerie, et, en sa faveur, toutes les chances que peut prévoir un général en chef. Mais quand M Berryer demande au témoin d'expliquer quel effet devait avoir, dans sa pensée, l'article 12, M. Bellart s'oppose à ce que le prince réponde à de pareilles interpellations, comme étant étrangères à la cause.

La liste des témoins est épuisée. Que dire de ces témoignages! Quel triste spectacle que celui de ces lâchetés, de ces rancunes! Etre juste, sincère, ce serait encourir la disgrâce. Aussi le comte de Scey ne répondra-t-il que d'une façon évasive à propos de l'absurde calomnie des 500,000 francs. Aussi le marquis de Vaulchier, le baron Capelle accablerontils l'accusé sous cette autre calomnie des insignes impériaux préparés à l'avance. Il faudra qu'un honnête joaillier vienne donner à ces hommes une leçon de courage et de sincérité. M. Cailloé, le duc de Maillé, le général comte de Ségur, et deux ou trois autres témoins, échappent seuls à l'entraînement des passions mauvaises.

Quant à Bourmont, son rôle était tout tracé d'avance. Le traître du 15 juin, le misérable qui continua de servir Napoléon, pour pouvoir rendre compte de tout au Roi, ne pouvait parler autrement qu'il ne fit devant la Chambre des pairs. Il se sent méprisé même de ceux qu'il sert, et il est facile de noter ce mépris dans les questions du chancelier d'Ambray. Aussi, avec quelle sourde rage, avec quelle rancune enfiellée, Bourmont écrase de ses mensonges l'homme près duquel il a joué le rôle d'espion et d'agent provocateur !

Mais que penser de M. Bellart, demandant si quelque querelle ne s'est pas élevée entre le témoin et l'accusé? C'est là une naïveté d'ignorance qui s'accorde bien avec l'opinion du magistrat sur la possibilité d'une lutte dans laquelle Ney eût vaincu Napoléon. M. Bellart paraît ne pas savoir que Bourmont avait si bien capté la confiance du maréchal, qu'il comptait si bien sur sa générosité, que lorsqu'il voulut vaincre les défiances de Napoléon et de Davout, c'est à Ney qu'il demanda les moyens de faire accepter à l'Empereur ses services. Après le départ des Bourbons, Bourmont n'obtint que par l'intervention de Ney le commandement de la division d'infanterie du 4 corps, et le malheureux maréchal répondit à Napoléon et à Davout de la fidélité de l'homme qui ne demandait à commander un corps français que pour porter à l'ennemi le plan de la future campagne!

Il y a, parmi les témoins, deux capitaines qui déshonorent leurs épaulettes en se rendant complices d'une calomnie ridicule; mais du moins ces malheureux ne sont que des sycophantes; ils n'ont reçu de l'accusé aucun service, ils ne lui doivent aucune reconnaissance, et ils font leur métier. Le rôle de Bourmont est plus odieux encore que celui de ces deux hommes.

Cependant, M. Bellart prend la parole pour résumer l'accusation. Il fait consister le crime dans la proclamation du 14 mars, et termine ainsi :

« Messieurs, vingt-cinq années de troubles et d'orages politiques n'ont que trop affaibli les principes de la morale; dans ces derniers temps surtout, ces principes ont été trop souvent méconnus: que d'hommes, que je n'accuse point pourtant, et dont les circonstances doivent atténuer les erreurs, sc sont écartés de leurs devoirs! Mais si l'on aime à chercher quelques excuses pour des fautes nées des événements, il est bien douloureux et bien pénible de rencontrer, au nombre des vrais coupables, l'un de ces citoyens illustres qui firent longtemps la gloire de la France, et de le trouver au premier rang de nos guerriers, dont l'honneur devrait composer l'existence tout entière.

« Si pour la première fois, en effet, l'accusé eût redouté le péril, ne lui restait-il pas une autre ressource moins glorieuse pourtant que celle qui lui était naturellement offerte; et ne devait-il pas au moins rentrer dans la retraite pour y conserver religieusement la foi qu'il avait jurée ?

« Je m'arrête, messieurs, et je laisse à vos consciences le soin d'apprécier les charges contenue dans l'acte d'accusation.

« Je me réserve de répondre aux moyens qui seront présentés par l'accusé. »

C'est le 6 décembre que Me Berryer père lit la défense du maréchal. Rien de nouveau dans ce plaidoyer, qui repousse longuement la préméditation. Tout s'y réduit à un inutile ergotage, qui diminue l'accusé en rapetissant la cause. Déjà l'on a rencon

de s'offrir en victime expiatoire, de rappeler la sincérité de ses intentions et d'opposer à cet instant d'oubli, toute une vie de gloire et de dévouement à la grandeur de la France!

tré dans la question adressée par Me Berryer à Da- | avait été celui de toute la France, il se fût contenté vout l'argument principal de la défense. Me Berryer le développe longuement. Selon lui, l'article 12 couvre le maréchal, ainsi que toutes les personnes placées dans la même situation. Le poursuivre aujourd'hui pour ses opinions et pour sa conduite antérieure, c'est rayer d'un trait de plume la convention du 3 juillet et les garanties qu'elle renferme. Ce n'est pas là un argument, c'est une argutie. Qui ne voit, en effet, que cette convention, ou plutôt, pour l'appeler de son nom véritable, cette capitulation, n'a pu engager que les généraux des deux armées et n'a pu s'appliquer qu'à la situation provisoire d'une capitale livrée à l'ennemi ? Le duc de Wellington, consulté par la maréchale sur l'interprétation à donner à l'article 12, avait répondu, avec plus de logique que de générosité, que ces garanties débattues entre le vainqueur et le vaincu n'engageaient évidemment pas le gouvernement futur de la France.

Si cet argument de la défense n'était qu'un sophisme, au moins n'avait-il pas le caractère d'indignité du second argument que développa Me Berryer. S'appuyant sur le traité du 20 novembre, il réclama pour Ney, né à Sarrelouis, la qualité d'étranger, soustrait par là aux lois françaises! Aux premiers mots de cette argumentation misérable, qui faisait la partie belle à l'accusation, M. Bellart se lève et dit: « Avant que les défenseurs s'engagent dans de nouveaux raisonnements, absolument étrangers au fait de l'accusation, je dois éviter un scandale de plus dans ces pénibles discussions. Nous sommes Français, ce sont les lois françaises seules qu'il faut invoquer. Nous avions bien senti qu'on avait eu l'idée de nous présenter les moyens qu'on se dispose à faire valoir; mais nous avions cru, je l'avoue, que la réflexion y ferait renoncer; nous attendions, pour y répondre, qu'on développât la défense de l'accusé; mais puisqu'on s'écarte si notoirement de la controverse, puisqu'on oublie même l'arrêt que la Cour a rendu pour fermer la discussion sur la question préjudicielle, je déclare que les commissaires du Roi s'opposent formellement à ce que les défenseurs de l'accusé s'écartent plus longtemps du point de fait qu'ils sont appelés à discuter. »

Me Dupin insiste sur l'argument, tout en faisant cette réserve que le maréchal est toujours Français d'intention.

Le maréchal.-Oui, messieurs, je suis Français, je saurai mourir Français. Jusqu'ici ma défense avait paru libre, je m'aperçois qu'on l'entrave à l'instant. Je remercie mes généreux défenseurs de ce qu'ils ont fait et de ce qu'ils sont prêts à faire; mais je les prie de cesser plutôt de me défendre tout à fait que de me défendre imparfaitement; j'aime mieux n'être pas du tout défendu, que de n'avoir qu'un simulacre de défense. Je suis accusé contre la foi des traités, et on ne veut pas que je les invoque ! Je fais comme Moreau (1), j'en appelle à l'Europe et à la postérité.

Le maréchal n'avait pas été le dernier à comprendre combien l'attitude de sa défense était peu digne de lui. Son tort fut de s'abandonner lui-même et de paraitre accepter les sophismes imaginés par des avocats. Combien son rôle n'eût-il pas été plus simple, combien n'eût-il pas embarrassé ses ennemis, si, regrettant loyalement un entraînement qui

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Ce n'est qu'au dernier moment qu'il comprend enfin l'abaissement du rôle qu'on lui fait jouer devant ses ennemis assemblés, non pour le juger, mais pour le condamner. Et encore, la défense lui fait-elle commettre une dernière faute. On aura remarqué, en effet, un mot malheureux : Je fais comme Moreau. Jamais Ney n'eût dit cela. Sa protestation, dont le sentiment général était noble et élevé, fut, à l'exception de la première phrase, rédigée par l'un des défenseurs.

Les commissaires du Roi ne manquèrent pas de saisir le prétexte qu'on leur offrait pour mettre un terme aux débats. Le maréchal avait à peine prononcé ces dernières paroles, que M. Bellart se leva. Il est temps, dit-il, de mettre un terme à ce système de longanimité qu'on a constamment adopté. On a fait valoir des maximes bien peu françaises. On a poussé jusqu'à la licence la liberté de la défense: Doit-il être permis à un accusé d'intercaler dans sa défense des matières qui y sont absolument étrangères? Les défenseurs ont eu plus de temps même qu'ils n'en avaient demandé. A quoi bon les dérogations du fait capital auxquelles ils se livrent? Ce n'est porter aucune atteinte à la défense que de vouloir la faire circonscrire dans les faits de l'acte d'accusation. Les commissaires du Roi, quelles que soient les résolutions de M. le maréchal, persistent dans leur réquisitoire.

M. le Président.· Défenseurs, continuez la dé| fense en vous renfermant dans les faits. Le maréchal. Je défends à mes défenseurs de parler, à moins qu'on ne leur permette de parler librement. M. Bellart. Puisque M. le maréchal veut clore les débats, nous ne ferons plus, de notre côté, de nouvelles observations. Nous terminerons par notre réquisitoire.

Le Procureur général requiert, au nom des commissaires du Roi, que la Chambre applique au maréchal Ney les articles du Code pénal relatifs aux individus convaincus du crime de haute trahison et d'attentat à la sûreté de l'État. M. le Président. Accusé, avez-vous quelques observations à faire sur l'application de la peine? Le maréchal. - Rien du tout, monseigneur. M. le Président. Faites retirer l'accusé, les témoins et l'auditoire.

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Il est cinq heures. L'accusé, les témoins et le public se retirent. La Chambre reste en séance. Ce n'est qu'à près de minuit que l'audience publique est reprise. M. le Président lit l'arrêt, conçu en ces termes :

« La Chambre, après en avoir délibéré, attendu qu'il résulte de l'instruction et des débats que Michel Ney, maréchal de France, duc d'Elchingen, prince de la Moskowa, ex-pair de France, est convaincu d'avoir, dans la nuit du 13 au 14 mars 1815, reçu plusieurs des émissaires de l'usurpateur; d'avoir, ledit jour 14 mars, lu, sur la place publique de Lons-leSaulnier, département du Jura, à la tête de son armée, une proclamation tendant à exciter les troupes à la révolte et à la défection; d'avoir, immé

(1) M. Dupin aîné, dans ses Mémoires, supprime de l'auto-diatement après, donné l'ordre de se réunir à l'engraphe de Ney ces mots malheureux : Je fais comme Moreau, Il est cependant certain qu'ils furent lus par le maréchal.

nemi; et d'avoir lui-même, à la tête de son armée, effectué cette défection;

« Qu'il est, en conséquence, convaincu du crime | ral Gantheaume. Le comte de Tascher, le comte de de haute trahison et d'attentat à la sûreté de l'État, Beauharnais votèrent la mort! Le vicomte de Châdont le but était de détruire, ou de changer la forme teaubriand vota la mort! du gouvernement et l'ordre légitime de succession au trône,

« Le déclare coupable des crimes prévus par les articles 77, 87, 88 et 102 du Code pénal; 1er et 5 du Titre 1er de la loi du 21 brumaire an v, et 1er du Titre III du même Code.

«En conséquence, faisant application desdits articles, condamne Michel Ney, maréchal de France, à la peine de mort, et aux frais du procès.

«Ordonne que l'arrêt sera exécuté, conformément aux dispositions de la loi du 12 mai 1793, à la diligence des commissaires du Roi.

« Et conformément à la faculté accordée par l'or donnance du Roi du 12 novembre dernier, ordonne que le présent arrêt sera prononcé publiquement, hors la présence de l'accusé et en présence de ses conseils, ou eux dûment appelés, et lu et notifié au condamné par le secrétaire archiviste faisant fonctions de greffier, à la diligence des commissaires du Roi. »

M. Bellart. Les commissaires du Roi chargés de la poursuite de l'accusation de haute trahison contre le maréchal Ney :

« Attendu la condamnation à mort rendue par la Chambre des pairs contre le maréchal Ney, requièrent qu'en conséquence de l'article 5 de la loi du 24 ventôse an XII, qui prononce qu'aucune condamnation contre un individu membre de la Légion d'honneur ne pourra être exécutée qu'après sa dégradation, il plaise à M. le Président prononcer que le maréchal Ney ayant manqué à l'honneur, a cessé d'être membre de la Légion. >>>

M. le Président fait droit au réquisitoire.

Après les fautes nombreuses commises par l'accusé, qui semble avoir tout fait pour faciliter à ses ennemis l'acccomplissement de leur vengeance, cet arrêt n'a plus rien qui étonne. Une seule chose pourrait surprendre ceux qui ne savent pas quelles défaillances, quelles lâchetés, quelles passions aveugles se rencontrent parmi les hommes les plus éminents dans des temps troublés, c'est l'énorme majorité que réunit l'arrêt de mort. Sur 161 membres présents, majorité 81, 128 votèrent la mort, 17 la déportation, 5 membres s'abstinrent, et 11 voix furent déduites pour avis semblables entre parents.

Les 5 membres qui s'abstinrent furent le duc de Choiseul, le comte de Sainte-Suzanne, le marquisd'Aligre, le comte de Brigode, le comte Théodore de Nicolaï. Les 17 membres qui votèrent la déportation furent : les ducs de Broglie et de Montmorency; les comtes Berthollet, de Chasseloup-Laubat, Cholet, Colaud, de Fontanes, de Gouvion, Herwyn, Klein, Lanjuinais, Lemercier, Lenoir-Laroche, de Maleville, Porcher de Richebourg, Curial, de Lally-Tollendal.

M. de Fontanes, le solennel discoureur de l'Université impériale, bonapartiste enthousiaste autrefois, aujourd'hui royaliste fervent, toujours ambitieux et timide, eut le courage de voter la déportation. Qui le lui donna? Peut-être le général Collard, qui, au moment où les Pairs allaient se retirer dans la chambre du Conseil, lui dit à l'oreille : « Ne votez pas la mort, vous en dormirez mieux. >>

C'est le 6 que la Chambre des Pairs avait rendu cet arrêt déplorable. Quelques heures après, le secrétaire archiviste de la Chambre, M. Cauchy, se présentait dans la prison du maréchal pour lui notifier la sentence. Depuis trois jours, Ney avait été transporté de la Conciergerie dans une chambre des combles du palais du Luxembourg.

Quand M. Cauchy demanda à être introduit près du prisonnier, celui-ci dormait d'un profond sommeil. Ney n'eut pas de peine à comprendre, à l'attitude de M. Cauchy, la nature du message dont il était porteur. Alors, le soldat se retrouva tout entier : il ne s'agissait plus pour lui d'une de ces situations complexes, délicates, qui demandent la finesse du jugement, la délicatesse du toucher, l'esprit de suite et de conduite, le caractère: il se voyait désormais en présence d'une perte inévitable, situation nette et simple, pour laquelle il ne fallait que le cœur tranquille et l'œil intrépide. Il se crut en face d'une redoute, au moment où va partir le signal de l'assaut. Calme et souriant, il écouta la formule préliminaire de la sentence. Comme M. Cauchy entamait la longue énumération des titres et dignités du condamné : - Passez, passez, monsieur, ditil; dites tout simplement Michel Ney, et bientôt un peu de poussière. »

Ici, cédons encore une fois la parole à M. Achille de Vaulabelle. Son récit des derniers moments de Ney peut être considéré comme un modèle. Vérité, sobriété, rapidité, simplicité magistrale, émotion sincère et contenue, toutes les qualités de l'historien se rencontrent dans cette belle page, auprès de laquelle pâlissent singulièrement les récits prétentieux des historiens poëtes, malgré les broderies chatoyantes, les métaphores, les traits qui les enjolivent.

« Il demanda là, avant d'aller à la mort, s'il pour

Nous ne dresserons pas à nouveau la liste des noms avec les votes en regard; ce serait, pour ceux qui eurent le malheur de voter la mort, une sorte de liste d'infamie. Il faut bien pourtant en citer quelques-uns. Que les émigrés, que les gens de cour, les princes et les ducs de l'ancien régime, obéissant à leurs rancunes et à leurs terrreurs, fissent cette réponse à l'échafaud du 21 janvier, aurait embrasser sa femme et ses fils. La réponse fut meurtre juridique de Vincennes, il n'y avait rien là qui pût surprendre; Ney, pour ceux-là, n'était que le complice d'un brigand, un représentant de la Révolution. Mais il est pénible d'avoir à noter, parmi ceux qui votèrent la mort, des hommes qui portaient ces noms vénérés: Lamoignon, d'Aguesseau, de Sèze, Séguier. Et que dire de ces noms inféodés à toutes les gloires de l'Empire, portés par des hommes qui savaientce qu'avait été le glorieux soldat qu'ils envoyaient mourir sous des balles françaises? Ceux-là s'appelaient: le comte Sérurier, le duc de Valmy, le duc de Bellune, le comte de Castellane, le comte de Lauriston, le général Monnier, le comte Dupont, l'ami

affirmative. « A quelle heure est-ce pour demain? demanda-t-il avec un indéfinissable sourire. — A neuf heures, monsieur le maréchal.—Bien, répliqua Ney; en ce cas, faites avertir la maréchale pour cinq heures et demie. Mais j'espère, ajouta-t-il, que personne ne se permettra de lui annoncer ma condamnation; je me réserve de la lui apprendre. Puis-je être seul maintenant? » M. Cauchy s'inclina et sortit. Le maréchal se rejeta sur son lit où il se rendormit profondément.

« Le lendemain, 7 décembre, à cinq heures et demie du matin, il fut éveillé par l'arrivée de la maréchale qu'accompagnaient ses quatre fils et sa

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« L'officier écoutait, immobile. Le général commandant la place de Paris et qui, depuis le matin cinq heures, se trouvait chargé de la garde du condamné et des détails de l'exécution, le comte de Rochechouart, s'adressant au chef de peloton, lui dit à haute voix : << Faites votre devoir! » Le maréchal ôta aussitôt son chapeau de la main gauche, et posant la main droite sur la poitrine, il s'écria d'une voix forte : « Soldats, droit au cœur! » Il tomba immédiatement, frappé de six balles à la poitrine, de trois à la tête et au cou, et d'une balle dans le bras. Conformément aux règlements militaires, le corps resta exposé durant un quart d'heure sur le lieu d'exécution. Transporté ensuite à l'hospice de la Maternité, il y demeura jusqu'au lendemain, gardé par des sœurs de la Charité que l'on relevait d'heure en heure, et qui, agenouillées près de lui, récitaient les prières des morts.

« Cependant, la maréchale était accourue aux Tuileries. Elle s'était adressée, pour parvenir jusqu'à Louis XVIII, au duc de Duras, premier gentilhomme de service; elle dut attendre assez longtemps. Le roi, disait M. de Duras, ne recevait encore personne. La nouvelle de l'exécution ne tarda pas à arriver au château : le premier gentilhomme annonça alors à la veuve « que l'audience ne pouvait lui être accordée, parce qu'elle était maintenant sans objet. »

sœur, madame Gamot. La maréchale, en entrant | hommes, à la postérité, à Dieu! Vive la France ! » dans la chambre de son mari, tomba sans connaissance; on la releva, et à un long évanouissement succédèrent les pleurs et les sanglots. Madame Gamot, à genoux devant son beau-frère, n'était pas dans un moins déplorable état. Les quatre fils du maréchal, dont l'aîné était à peine âgé de douze ans, sombres, silencieux, regardaient leur père. Il les prit sur ses genoux, leur parla longtemps à voix basse, puis, voulant mettre un terme à cette scène déchirante, il dit à demi-voix à madame Gamot, mais de manière à être entendu de la maréchale, que celle-ci « aurait peut-être le temps d'arriver jusqu'au Roi. » La maréchale saisit avidement cette ouverture qui n'avait pour but que de l'éloigner, et, se jetant dans les bras du condamné qu'elle étreignit longtemps, elle se hâta de courir aux Tuileries. « Resté seul avec ses gardes, Ney écrivit quelques dispositions. Les hommes chargés de sa surveillance, bien que couverts de l'uniforme de gendarmes et de soldats de la nouvelle garde, appartenaient aux anciennes bandes de l'Ouest ou du Midi, ou aux différents corps de la maison du Roi. L'un d'eux, dont les formes et le langage contrastaient avec l'habit dont il était vêtu, s'approcha de Ney: «Monsieur le maréchal, lui dit-il, à votre place je penserais maintenant à Dieu; j'enverrais chercher le curé de Saint-Sulpice.» Ney regarda le garde et sourit - «Eh bien ! lui répondit-il, envoyez-le chercher. » « A huit heures, on vint l'avertir; il répondit qu'il était prêt. Il portait le deuil de son beau-père; il avait pour vêtements une redingote de gros drap bleu, une culotte et des bas de soie noire, pour coiffure un chapeau rond. Il descendit entre une double haie de soldats qui se prolongeait jusqu'à l'entrée du jardin, où l'attendaient le curé de SaintSulpice et une voiture de place. Au moment de monter, il dit au prêtre, en lui cédant le pas : « Montez le premier, monsieur le curé, j'arriverai encore avant vous là-haut!» Le fiacre se mit en marche, traversa le jardin du Luxembourg, entra dans la grande avenue de l'Observatoire, et s'arrêta à moitié chemin environ entre cet édifice et la grille du jardin. Un officier de gendarmerie, ouvrant alors la portière, annonça au maréchal qu'il était près du lieu d'exécution. Ney mit pied à terre, non sans manifester quelque étonnement; il croyait devoir être conduit à la place de Grenelle. Mais le Gouvernement, redoutant des rassen.blements trop nombreux et quelque échauffourée populaire, avait pris le parti de l'exécuter, pour ainsi dire, en fraude. «Une foule considérable était effectivement réunie, depuis le matin, à la plaine de Grenelle; l'avenue de l'Observatoire, au contraire, même à cette heure de la matinée, ne laissait voir que quelques passants. Après avoir fait ses adieux au prêtre, et lui avoir remis, pour la maréchale, la boîte en or dont il faisait habituellement usage, et, pour les pauvres de sa paroisse, quelques pièces d'or qu'il avait sur lui, le maréchal alla se placer lui-même devant le peloton d'exécution. Ce peloton, composé d'hommes revêtus de l'uniforme de vétérans, était commandé par un officier qui fit offrir au prince de la Moskowa de lui bander les yeux. «Ignorez-vous, répondit le ma«Ignorez-vous, répondit le maréchal, que depuis vingt-cinq ans j'ai l'habitude de regarder en face les boulets et les balles?» Puis il ajouta «Je proteste devant Dieu et la patrie, contre le jugement qui me condamne! J'en appelle aux

Ne soyons pas trop sévère pour cette faute énorme de la Restauration. Elle fut sincère dans son fanatisme; elle se crut juste, et tua ce vaillant comme on tue un malfaiteur à qui on dispute sa vie. Tous les gouvernements ont commis de ces fautes, et, tant qu'un pouvoir vainqueur se croira le droit de juger le vaincu, de pareilles fautes seront commises. Le procès de Ney, comme celui de Louis XVI, comme celui du duc d'Enghien, comme tant d'autres, démontre l'iniquité, l'absurdité, l'inutilité de la peine de mort en matière politique.

L'arrêt odieux du 6 décembre 1815 avait, depuis longtemps, été cassé par la France, lorsqu'après la révolution de 1830, la veuve, les trois enfants, et l'un des défenseurs de Ney, M. Dupin aîné, obtinrent du roi Louis-Philippe une première réparation, une pension viagère de vingt-cinq mille francs pour la maréchale. Le 12 novembre 1831, une pétition des habitants de la Moselle, demandant que les cendres de Ney fussent transférées au Panthéon, et qu'il lui fût élevé un monument aux frais de l'Etat, souleva la question d'une réparation nationale. M. Dupin aîné, dans une requête au Roi, en date du 23 novembre 1831, reproduisit les arguments de la défense. L'influence des anciens Pairs qui avaient pris part à la condamnation, fit avorter ces efforts honorables, mais inutiles. Le sentiment national n'avait-il pas suffisamment infirmé l'arrêt de 1815?

Ce ne fut que le 7 décembre 1853, jour anniversaire de l'exécution, après trente-huit ans écoulés, qu'un signe visible de la réhabilitation fut enfin dressé sur le lieu même où des balles françaises avaient étendu mort le héros français. Ce jour-là, la statue de Ney, décrétée le 18 mars 1848 par le Gouvernement provisoire, fut solennellement inaugurée sous le règne d'un Napoléon. Cette image du grand capitaine est là comme une nouvelle leçon de modération donnée aux peuples et aux rois.

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