Page images
PDF
EPUB

un canon attelé, les alliés veulent-ils donc vous rendre odieux à vos sujets, en faisant tomber les têtes de ceux dont ils ne peuvent prononcer les noms sans rappeler leur humiliation?

« Qui, moi, j'irais prononcer sur le sort du maréchal Ney! Mais, Sire, permettez-moi de demander à Votre Majesté où étaient les accusateurs tandis que Ney parcourait tant de champs de bataille? Ah! si la Russie et les alliés ne peuvent pardonner au prince de la Moskowa, la France peut-elle donc oublier le héros de la Bérésina?

« C'est à la Bérésina, Sire, que Ney sauva les débris de l'armée. J'y avais des parents, des amis, des soldats, enfin, qui sont les amis de leurs chefs; et j'enverrais à la mort celui à qui tant de Français doivent la vie, tant de familles leurs fils, leurs

époux, leurs pères! Non, Sire; et s'il ne m'est pas permis de sauver mon pays, ni ma propre existence, je sauverai du moins l'honneur. S'il me reste un regret, c'est d'avoir trop vécu, puisque je survis à la gloire de ma patrie. Quel est, je ne dis pas le maréchal, mais l'homme d'honneur qui ne sera pas forcé de regretter de n'avoir pas trouvé la mort dans les champs de Waterloo? Ah! Sire, si le malheureux Ney eût fait là ce qu'il avait fait tant de fois ailleurs, peut-être ne serait-il pas traîné devant une commission militaire; peut-être ceux qui demandent aujourd'hui sa mort imploreraient sa protec. tion!

« Excusez, Sire, la franchise d'un vieux soldat qui, toujours éloigné des intrigues, n'a jamais connu que son métier et la patrie. Il a cru que la

[graphic][ocr errors][subsumed][subsumed]

L'Empereur lui ouvrit ses bras, en disant : - Embrassons-nous, mon brave maréchal! même voix qui a blâmé les guerres d'Espagne et de Russie, pouvait aussi parler le langage de la vérité au meilleur des rois. Je ne me dissimule pas qu'auprès de tout autre monarque, ma démarche serait dangereuse et qu'elle peut m'attirer la haine des courtisans; mais si, en descendant dans la tombe, je peux m'écrier avec un de vos illustres aïeux Tout est perdu, hormis l'honneur, alors je mourrai

[blocks in formation]

l'interroger; il s'y reprit à trois fois, cherchant, avec une détestable finesse, à tirer du prisonnier des réponses capables de le perdre et de compromettre avec lui de prétendus complices. Le maréchal répondit d'abord avec hauteur et vivacité, puis avec un certain désordre d'idées, un dégoût visible, mais aussi avec un grand accent de loyauté. Ses premières paroles furent pour décliner à la fois la compétence du juge instructeur qu'on lui adressait et celle du tribunal militaire devant lequel on prétendait le traduire.

« Je ne suis pas, dit-il, obligé de vous répondre; je ne dois pas être jugé par une commission militaire, mais par la Chambre des pairs. Je vois bien que vous avez un costume qui est celui des autorités royales; mais rien ne prouve que vous soyez préfet de police. Je suis prêt à répondre à toutes les questions, à réfuter toutes les calomnies, et à dire des choses qui étonneront bien des gens. Je veux d'abord savoir pourquoi je suis ici. Pourquoi on m'a mis

sur une liste où l'on m'appelle Ney! Si j'avais connu | rendre dans mon gouvernement, et je lui demandai l'ordonnance du roi, je me serais rendu à Paris. J'ai été arrêté arbitrairement et contre les formes établies par les lois. »

ses dernières instructions. Sa Majesté me répondit que Buonaparte était débarqué, et me recommanda de prendre les mesures nécessaires pour m'opposer Puis le maréchal nia formellement qu'il eût offert à ses progrès. Je crois que je lui répondis que cette au roi ses services, qu'il lui eût fait des protesta- démarche, de la part de Buonaparte, était insensée, tions de fidélité. Il repoussa surtout avec force et qu'il méritait, s'il était pris, d'être conduit à Pa l'accusation d'avoir reçu de l'argent du roi. Le mi- ris dans une cage de fer. Je ne me rappelle pas nistre lui avait seulement délivré, sur le payeur de bien ce que j'ai dit; je sais que j'ai prononcé ces Besançon, un bon de 25,000 francs, à valoir sur mots: Cage de fer. Il y avait en ce moment plusieurs 10,000 francs d'arrérages qui lui étaient dus. personnes auprès du roi, entre autres, autant que «Je dis au roi, ajouta le maréchal, que le mi-je puis me rappeler, M. le prince de Poix, le duc nistre de la guerre m'avait donné l'ordre de me de Grammont, le prince de Neufchâtel, et quatre

[graphic][subsumed][subsumed][merged small]

ou cinq autres. Je dis aussi que Buonaparte me paraissait bien coupable d'avoir rompu son ban. Je lui ai dit, au reste, tout cela à lui-même, quand je l'ai vu depuis, et il en a ri.

« On a répandu dans le public que j'avais baisé la main du roi cela est faux. Je n'avais pas besoin de lui faire des protestations de fidélité, car mon intention était de le bien servir, et je l'aurais fait si j'avais vu que cela eût été possible. »

Rappelant cependant ses souvenirs, le maréchal dit: «J'ai, en effet, baisé la main du roi, Sa Majesté me l'ayant présentée en me souhaitant bon voyage. Le débarquement de Buonaparte me paraissait si extravagant, que j'en parlai avec indignation, et que je me servis en effet de cette expression de cage de fer. »

Le maréchal donna ensuite quelques détails sur
CAUSES CÉLÈBRES.

[ocr errors]

115 LIV.

*

[ocr errors]

les dispositions prises par lui pour s'opposer à Napoléon; il protesta de sa fidélité et de son dévouement au roi jusqu'à l'époque du 13 mars. C'est alors qu'il avait reçu la proclamation, qu'il l'avait signée et publiée.

«Je dis la proclamation et non ma proclamation, car elle me fut envoyée toute faite par Buonaparte, et apportée par un agent particulier et un officier de la garde. Dès la veille, un autre officier de la garde, remarquable parce qu'il est manchot, était revenu après avoir vu Napoléon; il avait été dépêché de Metz, à ce qu'il paraît, par les autres officiers de ce corps, pour demander à Buonaparte de leur indiquer le point où ils devaient se réunir. Avant de lire la proclamation aux troupes, je la communiquai aux généraux de Bourmont et Lecourbe, et les consultai sur ce que je devais faire. MARECHAL NEY. 2.

[ocr errors]

De Bourmont me répondit qu'il fallait se joindre à |
Buonaparte; que les Bourbons avaient fait trop de
sottises, et qu'il fallait les abandonner. Ce fut le 14,
à midi ou une heure, que je fis cette lecture sur
l'esplanade de Lons-le-Saulnier; mais la proclama-
tion était déjà connue. Des agents, venus du quar-
tier-général de Buonaparte, l'avaient répandue dans
la ville. Je crois même qu'ils avaient aussi apporté
des aigles. »

Au reste, le maréchal déclara n'avoir pas correspondu avec Napoléon avant le 15. Ce jour-là il lui avait envoyé son aide de camp Devaur, le colonel Passinger et un maréchal de camp dont il ne se rappelait pas le nom

Le maréchal s'étendit avec une sorte de complaisance sur les preuves de zèle qu'il avait, avant ce jour-là, données pour le service du roi. Il avait envoyé des gendarmes déguisés recueillir des renseignements sur la marche, les forces et les dispositions de l'Empereur. Il avait rassemblé les officiers de chaque régiment, et leur avait rappelé avec chaleur leurs devoirs envers Sa Majesté. Ne s'était-il pas écrié en exhortant ses hommes : « Si je vois de l'hésitation dans la troupe, je prendrai moi-même le fusil du premier grenadier pour m'en servir et donner l'exemple aux autres. »

Mais, objecta M. Decazes, comment pouvez-vous donc expliquer le changement qui s'est opéré en vous? Comment justifierez-vous votre conduite du 14 mars? Vos devoirs, ce jour-là, n'étaient-ils plus les mêmes?

-Cela est vrai, répondit-le maréchal, j'ai été entraîné... j'ai eu tort... il n'y a pas le moindre doute. M. Decazes. Qui est-ce qui a pu vous entraîner? Et n'est-ce pas vous-même qui avez entraîné, par vos discours et par votre exemple, les officiers et les troupes qui étaient sous vos ordres? Le maréchal. Je n'ai entraîné personne. Le colonel Dubalen, du 64°, fut le seul qui protesta il vint me dire qu'ayant prêté serment de fidélité au roi, il voulait se retirer. Je l'autorisai à le faire, et j'ai empêché qu'il ne fût arrêté. Mon aide de camp Clouet me dit qu'il n'approuvait pas ma conduite, et me demanda de retourner à Paris. Je l'engageai de différer de quelques jours; ce ne fut que pour sa sûreté Ce qui m'a déterminé personnellement, c'est la crainte de la guerre civile, et l'assurance que les agents de Buonaparte m'avaient donnée, que les puissances alliées étaient d'accord avec lui; que le baron Kohler, général autrichien, était venu le trouver à l'ile d'Elbe, et lui dire, de leur part, que les Bourbons ne pouvaient plus régner; qu'on l'engageait à débarquer en France, sous la condition de ne jamais faire la guerre hors des limites; que le roi de Rome et sa mère resteraient en otages à Vienne jusqu'à ce qu'il eût donné à la France une constitution libérale : toutes choses que luimême m'a répétées ensuite, quand je l'ai vu à Auxerre.

Les généraux de Bourmont et Lecourbe ne m'ont fait ni objections ni observations. De Bourmont a vu Buonaparte, et a, de suite, été employé par lui. Je fais observer que la proclamation qui m'est attribuée, et que je n'ai publiée que le 14, étan connue dès le 13 en Suisse; qu'elle émanait de Buonaparte, qui l'avait envoyée à Joseph, à Prangin. Cette tactique était celle de Buonaparte, qui déjà, dans le commencement de la campagne de Russie, avait fait insérer dans le Moniteur une lettre dans laquelle il me faisait parler d'une ma

nière fort inconvenante sur les Russes et sur les affaires politiques. Je n'en eus connaissance que parce qu'il me dit le lendemain, en plaisantant, qu'il m'avait fait faire de l'esprit. Je lui fis les représentations les plus fortes; mais la chose était faite. Il en avait fait autant à l'égard du prince Eugène et de Davout. Je me rappelle aussi qu'il m'avait fait dire, pour me persuader, que les Anglais le protégeaient; que, huit jours avant son départ de l'île d'Elbe, il avait dîné sur un vaisseau de guerre de cette nation; que le colonel ou général Campbel, qui était commissaire dans cette ile, en était parti le lendemain, et que par suite il avait pu faire ses préparatifs et s'embarquer.

D. Les troupes avaient-elles manifesté, avant votre proclamation, de mauvaises dispositions contre le roi?

R. Il y avait une rumeur sourde, mais les mauvaises dispositions des troupes étaient connues. J'avais cru pouvoir les changer en faisant arrêter, le 13 au matin, un officier que le général Bourmont doit connaître, et qui avait l'intention de passer à Buonaparte. Je donnai l'ordre au général Bourmont de l'envoyer à la citadelle de Besançon.

Depuis l'arrivée de Buonaparte, je l'ai très-peu vu. Depuis cette malheureuse proclamation du 14, je ne vivais plus; je ne désirais que la mort, et j'ai tout fait pour la trouver à Waterloo. Lorsque je suis venu de ma terre pour le champ de Mai, Buonaparte me dit: Je vous croyais émigré? — J'aurais dû le faire plus tôt, lui répondis-je, maintenant il est trop iard.

Je dois dire aussi que j'avais des désagréments intérieurs. Ma femme croyait bien que je marchais contre Buonaparte, et cela l'affligeait. J'ai été fort mal traité par lui, et ma femme aussi : j'étais regardé chez lui comme la bête noire. Il ne voulait pas voir ma femme, je lui en demandai la raison; il lui reprocha d'avoir tenu des propos. J'ai eu bien des fois envie de me brûler la cervelle; je ne l'ai pas fait, parce que je désirais me justifier. Je sais que les honnêtes gens me blameront; je me blame moi-même ; j'ai eu tort, je me le reproche, mais je ne suis pas un traître : j'ai été entraîné et trompé. Le jour de votre arrivée à Paris, le maréchal Soult, ministre de la guerre, ne vous engageat-il pas à ne point voir le roi?

D.

R. Lorsque j'arrivai auprès du ministre, il me dit : « Buonaparte est débarqué. » Je lui répondis: « Je viens de l'apprendre; c'est une folie. Que fautil que je fasse?» Il me répondit que « je devais alier à Besançon; qu'il m'y avait envoyé mes instructions. Mais que ferai-je quand je serai arrivé? Faudra-t-il réunir les troupes? Sur quel point les dirigerai - je? Vous le saurez, me répondit-il brusquement, en lisant vos instructions.» Je lui parlai de mon désir de voir le roi. «N'y allez pas, me dit-il sur le même ton; Sa Majesté est souffrante, elle ne reçoit pas. » Je le quittai en lui disant: « Vous ne m'empêcherez pas de voir le roi.» D. Vous expliquez-vous quel pouvait être le motif du maréchal Soult en vous détournant de voir Sa Majesté?

[ocr errors]

R.Non; je ne peux le deviner. Je l'ai poussé à bout de toute manière pour le savoir et pour connaître aussi la quantité de troupes que j'avais dans mon gouvernement; je n'en pus rien obtenir. Le fait est que, si j'avais suivi mes instructions, je n'aurais fait faire aucun mouvement à ces troupes, je serais resté seul à Besançon. Comment se fait-il

[ocr errors]

D. N'avez-vous pas reçu aussi, avant le 13, une lettre de Buonaparte?

R.

que l'aide de camp de Soult soit venu disséminer | l'invitation de la répandre et de diriger mes troupes ces troupes au lieu de les réunir? Si j'avais voulu sur Dijon. trahir, j'aurais donné de faux avis à Suchet et à Oudinot, et je ne les aurais pas pressés de marcher en avant. Suchet m'écrivait que ses troupes étaient déjà en fermentation; Gérard, qui se défiait de Suchet, avait envie de reprendre le commandement. Le général Bertrand avait envoyé partout des lettres et des proclamations. Buonaparte, ne voyant pas arriver de Bourmont, Lecourbe, Lagenetière, Dubalen et quelques autres officiers, ordonna de les faire arrêter et de faire afficher leurs noms dans les villes; mais il révoqua son ordre à mon arrivée à Paris, et il envoya le général Mermet pour prendre le commandement de Besançon.

[blocks in formation]

D.

Si vous n'aviez pas formé, avant votre arrivée à Lons-le-Saulnier, le projet de joindre Buonaparte avec vos troupes et de reconnaître ses ordres, comment avez-vous pu vous déterminer si promptement à changer de conduite et de sentiments? R. On peut dire que c'est une digue renversée... Je conviens que cela est difficile à expliquer. C'est l'effet de toutes les assertions des agents de Buonaparte. Le préfet de Bourg m'avait manifesté une grande terreur; tout paraissait perdu. Mais je n'ai rien changé cependant jusqu'au moment où j'ai lu la proclamation aux troupes. Je n'avais reçu aucune dépêche ni aucun émissaire de Buonaparte avant la nuit du 13 au 14 mars; je n'étais en relation avec qui que ce fût; je n'avais rien su de ce qui s'était passé auparavant. J'ai eu tort, sans doute, de lire la proclamation; mais j'ai été entraîné par les événements. La preuve que, le 13 même, j'étais encore fidèle au roi, résulte des lettres que j'ai écrites ce jour-là aux maréchaux Suchet et Oudinot. Celle qui s'adressait à ce dernier a été écrite le soir, et elle doit en faire mention. Je crois bien que d'autres généraux ont reçu des lettres de Bertrand, mais qu'ils n'ont pas osé les montrer.

D. N'en avez-vous pas reçu vous-même, ou ne vous a-t-on pas communiqué celles reçues par les généraux? Ne vous en a-t-on pas dit du moins le contenu?

R. Non, on ne m'a communiqué aucune lettre. J'ai reçu des lettres de Bertrand dans la nuit du 13 au 14 avec des proclamations. Je crois que d'autres - en ont reçu aussi, mais je ne les ai pas vues. De Bourmont en a reçu lui-même une, par laquelle on lui ordonnait de se porter sur Mâcon. Je crois qu'elle était écrite de Tournus sous la date du 13 ou du 14.

D. Que contenait la lettre que vous avez reçue de Bertrand?

R. L'envoi pur et simple de la proclamation;

[ocr errors]

Je n'ai reçu de lettre de ui que dans la nuit du 13 au 14. Elle doit être dans mes papiers. Il m'y donnait l'ordre de marcher sur Macon ou Dijon, et de faire suivre beaucoup d'artillerie. Il m'y disait: « Ainsi, vous devez avoir cent pièces de canon; si vous en manquez, j'en ai trouvé cinq cents à Grenoble. » Il ne me parlait aucunement du roi, i me donnait des ordres comme il aurait fait un an auparavant et comme si notre position respective n'avait jamais changé. Ses agents m'avaient dit qu'il aurait pu faire arrêter à Paris, s'il l'avait voulù, le roi et la famille royale, d'après ce que lui mandaient ses partisans ; lui-même me l'a répété à notre première entrevue. Il m'a même chargé, à Dijon, d'écrire à Maret qu'il était inutile de rien faire à Paris; que son succès était inévitable, et j'ai envoyé à cet effet à Maret, duc de Bassano, un de ses parents, habitant de Dijon, qui était dans la garde nationale, autant que je puis me le rappeler, et inspecteur des droits réunis ou de l'enregistrement. C'est la seule lettre que j'aie écrite à Maret, et c'est par ordre. D. N'en avez-vous pas vous-même reçu une de cet ancien ministre?

[ocr errors]

R. Non; je n'écrivis à Maret que sur l'ordre que m'en a donné l'Empereur, dans une lettre qu'il m'adressa lui-même à Dijon. Il était déjà en avant, et même, je crois, à Fontainebleau.

D. Comment se fait-il, qu'étant beaucoup plus près de Paris que vous, il vous ait chargé d'écrire à Maret? Votre lettre n'a dû arriver qu'après lui?

R. Je présume qu'il lui a écrit de son côté; il ne m'en chargeait que pour plus de sûreté. Ma lettre a dû arriver avant lui; il n'avait qu'une marche devant moi.

D. Savez-vous où il a reçu les premières dépêches qui lui sont parvenues de Paris? R. - Non.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

R. Non; d'après ce que j'ai ouï dire, Savary était resté aux environs de Paris et courait dans les campagnes. Je crois qu'il n'a rejoint Buonaparte qu'à Paris.

D. Buonaparte ne vous a-t-il pas fait part des complots qui avaient préparé et facilité son retour? R.- Il m'a parlé de son entrevue avec le général Kohler et de son dîner à bord d'un vaisseau anglais. Nous étions une quinzaine à table. Il annonça que son affaire était une affaire de longue combinaison. Cambronne, Labédoyère, Bertrand, Drouot, Bouyer, un colonel d'artillerie, qui commandait celle de la garde, Alix, je crois, et un colonel polonais, assistaient à ce diner. Il nous parla avec détail de ce qui s'était passé pendant son absence, et s'entretint des plus grandes choses comme des plus petites. Il savait, par exemple, ce qui s'était passé au dîner du roi à l'Hôtel de Ville, me faisant remarquer que les maréchaux n'y avaient pas eu de places; il me dit même que ma femme n'y avait pas été invitée, ce qui est inexact; il est vrai seulement qu'elle n'y était pas allée, parce que l'invitation du roi lui était parvenue à la campagne. Il me demanda des nouvelles de plusieurs personnes. Je crois que c'est lui qui me fit connaître la disgrâce de Soult et la remise de son épée au roi. Il était extrêmement bien informé de tout ce qui se passait et de tout ce qui

s'était passé à Paris; il cita plusieurs femmes de maréchaux comme n'ayant pas été invitées au diner de l'Hôtel de Ville.

Il parla de la cérémonie funèbre du 21 janvier; il me demanda ce que faisait Soult, et pourquoi ce ministre avait coupé les divisions militaires en deux en envoyant deux lieutenants généraux pour chaque division, de sorte que chacun d'eux correspondait directement avec le ministre, qui, de cette manière, avait des gens qui étaient à lui, et d'autres qui étaient au roi. Ainsi, en arrivant à Besançon, je trouvai le général Mermet, qui partageait à mon insu depuis vingt jours le commandement de la division avec Bourmont. Mermet était placé à Lonsle-Saulnier, Bourmont à Besançon.

D. Buonaparte ne vous rappelait-il pas, dans sa lettre du 13, vos anciennes liaisons, et ne vous tutoyait-il pas?

R. Non; jamais je n'ai été tutoyé par lui. Il me parlait seulement de mes campagnes; il me disait qu'il se rappelait toujours avec plaisir mes actions je crois qu'il m'y appelait le Brave des braves, ainsi qu'il le faisait quelquefois.

R.

[ocr errors]

D. D'après ce que vous m'avez déclaré dans votre premier interrogatoire, il paraîtrait que vous auriez conservé, jusqu'au 13 au soir, l'espérance de faire marcher vos troupes contre Buonaparte, et que vous n'avez eu à punir aucune rébellion de leur part? Je n'ai eu à punir qu'un officier, ainsi que je vous l'ai raconté. Le bouleversement n'a eu lieu que le 14 au matin. Auparavant il n'y avait que de la fermentation. Le préfet vint me déclarer, après la publication de la proclamation, qu'ayant prêté serment au roi, il voulait rester fidèle, et qu'il se retirait. Je l'autorisai à se retirer à la campagne. On peut lui demander si je cherchai à le détourner de cette résolution. Il fut le seul, avec le colonel Dubalen, qui me fit des observations et me montra de l'opposition.

Le maréchal termina en disant :-Je voudrais que vous pussiez annuler ce que j'ai dit, dans mon dernier interrogatoire, à l'égard de Gérard, de Bourmont et d'autres généraux. Je ne veux dénoncer personne; je ne désire que prouver au roi que je n'ai pas eu l'intention de le trahir; lorsque je l'ai quitté, je suis parti dans l'intention de sacrifier ma vie pour lui. Ce que j'ai fait est un grand malheur : j'ai perdu la tête, je n'ai jamais formé le complot de trahir le roi. J'aurais pu passer aux États-Unis; je ne suis resté que pour sauver l'honneur de mes enfants. J'avais annoncé, en partant de Paris, que j'étais prêt à me mettre à la disposition du roi. Je ne tiens pas à la vie, je ne tiens qu'à l'honneur de mes enfants.

Au troisième interrogatoire, M. Decazes demanda au maréchal : - Savez-vous pourquoi vous avez été

arrêté?

[blocks in formation]

R.

J'ai quitté Paris le 6 juillet, à l'entrée des alliés dans la capitale. Mon intention était de me rendre en Suisse : j'avais des passe-ports du ministre de la police générale et un congé illimité du ministre de la guerre, qui m'autorisait à me rendre dans ce pays pour y rétablir ma santé. J'avais appris en route que Lucien Buonaparte, qui avait passé par Lyon, avait dîné chez le général en chef de l'armée autrichienne, comte de Bubna, et, probablement sur le rapport qu'il a fait du passage de ce personnage, il avait été arrêté à Turin. Le commissaire général de police de Lyon étant venu me rendre visite, me prévint que toutes les routes conduisant en Suisse étaient gardées par les Autrichiens, qu'il était à craindre que je ne fusse arrêté par eux, et me conseilla, ou de leur demander des passe-ports, ou d'aller aux eaux minérales de Saint-Alban, près Roanne, en attendant des nouvelles de Paris; à quoi je répondis que s'il n'y avait pas sûreté pour moi d'aller en Suisse, je préférais rétrograder sur Paris. Le passe-port dont j'étais porteur fut visé par ce commissaire général de police pour retourner à Paris. Cependant je me décidai à me rendre provisoirement à Saint-Alban, ayant appris que Moulins et d'autres villes voisines étaient occupées par les Autrichiens. C'est là, à Saint-Alban, qu'une personne de confiance, qui me fut envoyée par madame la maréchale Ney, m'engagea à la suivre dans le château de Bessonis, appartenant à une parente de madame la maréchale, et où j'arrivai le 29 juillet. J'y restai jusqu'au 5 août, époque de mon arrestation. Conduit, comme je l'ai dit plus haut, à Aurillac le jour même et depuis à la maison de ville, j'y restai jusqu'au 15 du même mois, que l'ordre de me conduire à Paris fut apporté par le capitaine de gendarmerie Jomard, accompagné d'un lieutenant, qui me firent partir et m'accompagnèrent jusqu'à la Conciergerie, où j'arrivai le 19 au matin. D. Avez-vous écrit à Napoléon Buonaparte pendant qu'il était dans l'île d'Elbe, ou à quelquesunes des personnes qui étaient près de lui? Non.

R.

D.

Avant le retour de Napoléon en France, auriez-vous reçu quelques avis de son projet d'y revenir? R. Non, je n'avais rien su de ses projets. D. Où étiez-vous lorsque Buonaparte effectua son invasion dans le département?

R. — J'étais à ma terre de Coudreaux, près Chateaudun, département d'Eure-et-Loir.

D.

Comment avez-vous appris cette invasion? R. Je ne l'ai apprise qu'à mon arrivée à Paris, le 7 mars, par mon notaire, M Batardi. D. Pourquoi, à cette époque, avez-vous quitté votre terre des Coudreaux?

R. En vertu des ordres de M. le duc de Dalmatie, ministre de la guerre, qui me furent apportés par son aide de camp, datés du 7, et qui me furent remis le 6, dans l'après-midi. Ils m'annonçaient qu'en vertu des ordres du roi, je devais me rendre de suite dans mon gouvernement de Besançon, où je recevrais de nouveaux ordres. Immédiatement après l'arrivée de l'aide de camp du duc de Dalmatie, je donnai des ordres pour mon départ, et je me mis en route, dans la soirée, pour Paris, où je devais passer, ayant besoin de prendre des uniformes, et où j'espérais connaître le motif de ces dispositions, l'aide de camp du ministre n'ayant pu me donner aucun détail à ce sujet. Arrivé à Paris, je me rendis chez S. A. R. Mgr. le duc de

« PreviousContinue »