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mort prononcée contre la sage-femme, M. Bignon fut d'avis que le procès ne pouvait être jugé en audience; que la Pigoreau ne pouvait être distraite du procès criminel, parce que les charges élevées contre elle devaient être approfondies. Quant aux interventions, il dit qu'il n'était pas ordinaire d'admettre des interventions en matière criminelle. L'Arrêt prononcé par M. le Président de Mesmes le 18 août 1657 «... débouta les Dames appellantes « et les Accusés de leurs oppositions et appella<«<tions avec amende et dépens; faisant défenses à << la Pigoreau de désemparer la ville et fauxbourgs « de Paris, à peine de conviction; jointe la Re« quête d'intervention au procès, pour, en jugeant, << y avoir tel égard que de raison. >>

C'était débouter tacitement les Dames de Ventadour et du Lude de leur intervention.

une

Jusqu'au dernier moment, la Pigoreau ne s'était pas tenue pour battue. Mais, après l'Arrêt, confrontation aux témoins ayant été ordonnée sur sa propre requête, il fut dit que la Pigoreau, pour y procéder, se mettrait en état dans la prison de la Conciergerie. Alors sentant bien qu'une fois entrée elle n'en sortirait pas, la Pigoreau quitta la partie et se réfugia à l'étranger. La contumace fut acquise contre elle.

Le comte de Saint-Géran mourut le 31 janvier 1659, sans avoir eu la satisfaction d'arriver à ses fins, mais avec la joie d'avoir entendu le roi Louis XIV, de passage à Moulins, donner publiquement à son fils Bernard le nom de comte de la Palice. Un tel mot valait bien un Arrêt du Parlement.

La comtesse poursuivit l'œuvre commencée avec un courage, avec une passion qui étaient déjà de puissants arguments en faveur de sa cause. «Reconnaissez mon fils, disait-elle à ses Juges, en sollicitant son procès; sinon, je l'épouse, et lui assure tout mon bien. >>

Elle avait accepté solennellement la tutelle, et fait nommer un curateur à Bernard. Les Dames

du Lude et de Ventadour, qui, dès le 8 février 1639, avaient obtenu des Lettres d'héritières bénéficiaires, appelèrent de la Sentence qui déférait tutelle et curatclle, en même temps que la comtesse appelait elle-même de la Sentence d'entérinement des Lettres bénéficiaires. Alors, le comte étant mort, l'intervention des Dames ne pouvait plus être repoussée. Mais les questions que soulevait cette intervention seraient-elles déférées à la Grand'Chambre, comme le voulaient les Dames, qui n'étaient pas parties au procès criminel, ou rentreraient-elles dans le procès de la Tournelle, comme le demandait la comtesse, prétendant que ces questions étaient incidentes de leur nature et absolument inséparables de la question d'Etat dont la Tournelle était saisie déjà? La comtesse, grâce à ses efforts, vit un Arrêt des trois Chambres assemblées confirmer ses prétentions.

Cela, cependant, ne mit pas fin aux incidents. Les Dames du Lude et de Ventadour se pourvurent en cassation contre l'Arrêt des trois Chambres, entassèrent requête sur requête pour entraver le cours de la Justice. Vains efforts. Le 9 avril 1661, un Arrêt du Conseil privé, évoquant à soi tant le procès de la Tournelle que les appellations et requêtes diverses, renvoya les parties, pour leur être fait droit, conjointement ou séparément, devant les trois Chambres assemblées.

Alors s'ouvrit une nouvelle ère de procédure. L'intervention des Dames admise par un Arrêt du 27 avril 1663, elles prirent des Lettres en forme de requête civile contre l'Arrêt du 18 août 1657, et le 19 juillet 1663, la Cour, réglant le procès, remit les parties en même état que devant; appointa, en conséquence, les Dames de Ventadour et du Lude au Conseil pour, sur leurs appellations et oppositions, écrire, produire et donner contredit; néanmoins, et par provision, maintint Bernard en possession et jouissance du nom et des armes, des biens et succession de Claude de La Guiche, comte de Saint-Géran, sous la tutelle de la dame de Longaunay.

L'instruction du procès eut lieu sur ce règlement. M. le Procureur général conclut en faveur de la reconnaissance de Bernard de La Guiche.

Me Billain, avocat, prit la défense de la comtesse dans un factum auquel répondit l'avocat des Dames de Ventadour et du Lude. La matière formant le fonds de ces factums, le lecteur la connaît: d'un côté, l'affirmation de tous les faits acquis par les diverses informations; de l'autre, la négation des mêmes faits, des suppositions hasardées, des raisons spécieuses, tout au plus propres à masquer la vérité, mais incapables de faire triompher le mensonge.

Enfin, le 5 juin 1666, la Cour rendit un Arrêt définitif, conforme aux conclusions du Procureur général, mettant au néant les appellations et sentences, et les parties elles-mêmes hors de Cour et de procès; maintenant Bernard de La Guiche comme fils naturel et légitime de Claude de La Guiche et de Susanne de Longaunay, et condamnant la Pigoreau à être pendue et étranglée en place de Grève, si prise et appréhendée pouvait

étre.

Ce Bernard de La Guiche, dont la jeunesse avait été si aventureuse et qui s'était vu contester si longtemps son état, eut l'âge mûr le plus paisible et le moins chargé d'événements notables qui se puisse imaginer. En 1667, il épousa Claude-Françoise - Magdeleine de Varignies, fille unique de François de Monfreville et de Marguerite Jourdain de Carbonel de Canisi. La jeune comtesse de SaintGéran fut, avec les dames de La Fayette, de Villars, de Valavoire, de Goulanges, de Buzanval, de Vaudemont, de Sévigné, de ce groupe choisi de femmes, spirituelles et honnêtes tout ensemble, qui rehaussa l'éclat de la cour de Louis XIV. Mme de Sévigné, qui fut des grandes amies de la Saint-Géran, nous la peint plus d'une fois, ainsi que le comte Bernard, sous de fort aimables couleurs. « La Saint-Géran, écrit-elle à sa fille le 8 janvier 1676, vient de partir avec son gros mari... Voyez quelle fatigue, pour ne pas quitter ce cher époux!... » Et ailleurs : « Mme de Saint-Géran est toute brûlée du départ de son mari... » Quant au héros de ce procès, l'aimable épistolière en dit, par pure plaisanterie toutefois : « Le gros Saint-Géran est

bon homme, honnête homme, disait le grand <«< Béthune; mais il a besoin d'être tué pour être <«< cstimé solidement. » Sa femme n'est pas de cet avis, ni moi non plus; mais cette folie s'est trouvée au bout de ma plume. »>

Le blondin aux yeux bleus, devenu le gros et l'honnête Saint-Géran, mourut en 1696, ne laissant qu'une fille, née en 1688, qui entra en religion. Ainsi s'éteignit cette illustre famille.

Paris. Imprimerie Ad. Lainé et J. Havard, rue des Saints-Pères, 19..

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Imaginez, c'est malheureusement une histoire de tous les jours, un paysan grossier, aux larges épaules, au large appétit, brutalement sensuel, paresseux, violent, ignorant; au lieu de laisser cet homme dans son milieu naturel, en contact et en lutte avec la nature qui le dominerait, l'assouplirait, l'utiliserait dans le sens de sa destination véritable, donnezlui pour fonction la plus haute, la plus sainte des fonctions, le sacerdoce; faites que, pour s'élever à cette mission sublime, il lui faille seulement passer quelques années dans un facile noviciat, et que, sorti de là, il ait charge d'âmes, soit investi d'un droit sacré qui inspire à juste titre le respect, mais qui impose en même temps à celui qui le possède l'abstention la plus absolue des jouissances permises à tous les autres hommes, la réserve la plus austère, la sévérité la plus immaculée non-seulement de principes, mais aussi de conduite extérieure, même de simple attitude.

Comment s'étonner si ce brutal compagnon, qui, souvent, n'a eu pour vocation que sa paresse et son désir de s'élever à la vie large et facile sans le travail qui la conquiert, ne demande à sa fonction que les droits, sans en accomplir les devoirs? C'est le malheur de l'Eglise catholique en nos temps de foi

CAUSES CÉLÈBRES. 134 LIVR.

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décroissante: elle ne se recrute le plus souvent que parmi les moins intelligents, les moins travailleurs des campagnards; et à ces rustres avides d'argent et de jouissances faciles, elle demande naïvement les plus grands sacrifices, ceux qui réclament d'une âme énergique et épurée des efforts d'héroïsme !

De là les Mingrat, les Contrafatto, les Delacollonge (Voyez ces Causes), les Gotteland.

Montrer cette pierre d'achoppement du catholicisme, ce n'est pas sans doute insulter à cette religion; raconter la chute de quelques-uns de ses apôtres, ce n'est pas manquer de respect à ceux qui ne sont pas devenus apostats. Ce sera, peut-être, faire ressortir d'un grand scandale judiciaire une salutaire leçon pour le clergé, et éveiller l'attention des autorités ecclésiastiques sur l'immense danger des vocations fausses et sur le péril non moins grand de l'indulgence qui punit les crimes en les cachant, qui déplace le criminel au lieu de le flétrir et de le rejeter.

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maladie de six jours, caractérisée par de violents Revenus à Angoulême, les deux beaux-frères vomissements, et par des ardeurs intolérables res- firent connaître à Mme Guichard et à leurs amis tous senties dans l'estomac. Le lendemain matin, à la les événements étranges de cette journée, cette inpremière heure, le curé, un sieur Gotteland, se pré-humation précipitée, ce soin mis à cacher une masentait chez le maire de Saint-Germain pour deman- ladie qui durait depuis plusieurs jours, ce mensonge der l'autorisation de faire inhumer le cadavre avant de la lettre sur la date du décès. On rapprocha l'atl'expiration du délai ordinaire, déclarant que la pu- titude suspecte du curé d'une révélation faite à ses tréfaction était déjà avancée, et qu'une odeur insup- enfants, quelque temps auparavant, par la veuve Deportable s'exhalait dans la cure. L'autorisation fut guisal. Satisfaite de sa place pendant les deux preaccordée de confiance, et l'enterrement eut lieu le miers mois de son installation chez le curé Goltemême jour par les soins du curé de Marthon, pa- land, c'est-à-dire en août et septembre 1849, Fanny roisse voisine de Saint-Germain. n'avait pas tardé à se plaindre, à dire à ses enfants qu'il se passait à la cure des choses qui la dégoûtaient. Elle avait vu, racontait-elle, par un trou du plafond, le curé consommant l'adultère avec une Germain. On l'occupait incessamment à porter d'amoureux messages de la cure à la maison Dussablon, et de la maison Dussablon à la cure. Dans ce rôle d'entremetteuse, la veuve Deguisal ne se sentait pas à sa place.

Le 22 décembre, c'est-à-dire le jour de l'inhumation, le curé avait écrit à Angoulême pour informer le fils de Fanny de la mort de sa mère. Ce fils, Edmond Deguisal, ancien garde mobile, alors tail-dame Dussablon, femme du médecin de Saintleur, habitait avec un sien beau-frère, coiffeur à Angoulême. Les deux beaux-frères partirent immédiatement dans une voiture de louage pour SaintGermain. Leur étonnement fut grand quand, arrivés vers quatre heures du soir à Marthon, commune située à 2 kilomètres environ de Saint-Germain, ils apprirent d'un aubergiste que l'enterrement était déjà terminé, et que le curé de Marthon, parti pour assister son collègue, était déjà revenu depuis une heure de Saint-Germain.

Edmond Deguisal et son beau-frère Guichard furent d'autant plus frappés de cette précipitation, que la lettre du curé Gotteland, datée du 22 décembre, disait, en propres termes : «... Elle a succombé aujourd'hui, et sa mort a eu pour cause une congestion du cerveau... » Mon intention, ajoutait le curé, avait été de vous avertir « aussitôt que la maladie avait présenté quelque danger, mais Fanny ne l'a pas jugé à propos. »

Edmond Deguisal fit encore cette remarque que le curé, en l'avertissant ainsi trop tard, ne l'avait pas invité à venir rendre les derniers devoirs à sa mère. Bien plus, il l'engageait à ne venir à Saint-Germain que sous deux ou trois jours.

Les deux beaux-frères s'acheminèrent tristement vers Saint-Germain, et, arrivés à la cure, y trouvèrent Gotteland, qui leur parut assez gêné par leur présence. Le curé leur raconta brièvement la maladie de Fanny, ajoutant qu'elle buvait beaucoup, et que cette habitude avait dû causer la congestion mortelle. Gotteland brûlait de l'encens dans la cure pour chasser, disait-il, la mauvaise odeur. Les deux beauxfrères n'avaient rien senti.

Gotteland s'absenta un instant; une personne sur vint. Le visiteur était un M. Dussablon, médecin, établi à Saint-Germain, qui avait soigné Fanny. Il leur parla également des excès de boisson de Fanny, ce qui étonna Edmond Deguisal, car il savait que sa mère, femme d'une corpulence énorme, buvait en effet beaucoup, mais sans jamais aller jusqu'à l'excès. Le docteur ajouta que Fanny avait été bien soignée, mais qu'elle s'était refusée à prendre à temps les remèdes ordonnés, qui l'eussent sauvée peut-être.

Gotteland rentra sur ces paroles, et répéta que Fanny avait été soignée avec zèle.« Quant à moi, ajoutait-il, je l'ai soignée moi-même; je lui ai donné à boire toute la nuit. >>

La lettre d'avis de Gotteland à Edmond Deguisal parlait d'un compte à faire; Edmond demanda ce compte, et le curé dit qu'il rassemblerait les notes des frais causés par la maladie et par l'enterrement, et qu'il enverrait le compte à Angoulême. Edmond Deguisal et Guichard repartirent, après s'être un instant rafraîchis.

On avait cherché à calmer l'indignation de Fanny et à lui persuader de ne pas s'occuper plus que de raison de ces honteuses intimités; mais, le 26 novembre, elle revint à Angoulême, raconta de nouveau à ses enfants les relations adultères du curé, et ajouta qu'elle venait d'avoir une prise avec son maître, que celui-ci l'avait menacée de la chasser, et qu'elle, à son tour, l'avait menacé de parler. Sûr d'avoir été surpris, et informé par Fanny qu'elle avait gardé comme une arme une des lettres adressées par lui à Mme Dussablon, Gotteland s'était radouci, et avait donné à Fanny une lettre adressée à son fils Edmond Deguisal. Cette lettre, datée du 26 novembre, et que Fanny apportait à son fils, était ainsi conçue :

« Mon cher Monsieur,

« Je n'ai pas l'honneur de vous connaître; mais, d'après tout le bien que m'a dit de vous madame votre mère, je prends la liberté de vous annoncer, au sujet de votre bonne mère, des choses qui, en vertu de l'amour filial qui vous anime envers elle, vous feront plaisir; c'est que je suis content d'elle, et, la connaissant sous de bons rapports, je lui augmente son salaire. Elle gagne maintenant 100 francs. « Veuillez agréer, etc.,

« GOTTELAND, curé de Saint-Germain. >>

Cette lettre, véritable certificat de satisfaction, écrite à la suite d'une querelle dont les révélations menaçaient l'honneur et la sécurité du curé de SaintGermain, prit, aux yeux d'Edmond Deguisal et des siens, un caractère des plus suspects, aussitôt qu'ils purent rapprocher les contradictions qu'elle faisait paraître, de la mort imprévue de Fanny. Il leur parut que Gotteland ne l'avait écrite que pour ras faire disparaître le plus tôt possible un témoin dan. surer sa servante, pour endormir sa langue, sauf à

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part à la famille de la manière dont vous aviez agi à l'égard de notre mère, et de la précipitation que Vous aviez mise à la faire enterrer. Nous avons relu votre lettre, dans laquelle vous nous annonciez sa mort du 22 décembre 1849, et votre lettre est datée de ce jour. Nous sommes arrivés chez vous le même jour. A notre grande surprise, vous nous avez dit l'avoir fait enterrer à quatre heures; et, d'après les renseignements que nous avons pris à Marthon, vous l'aviez, à ce que l'on nous a dit, fait enterrer avant. Nous avons aussi consulté les lettres que notre mère nous a écrites à votre service, et, d'après ce qu'elle a pu nous dire, et qu'elle a avoué à vous-même, Vous devez penser que nous ne sommes pas satisfaits. Il nous faut des preuves plus convaincantes que celles que vous nous donnez.

Il faut que vous puissiez nous en fournir dans un bref délai,

« Si nous ne recevons pas de vous une réponse satisfaisante pour la satisfaction de la famille, nous serons forcés de faire une plainte au Procureur de la République; car nous sommes tous outrés de la négligence que vous avez mise à nous écrire pour nous faire connaître la position dans laquelle elle se trouvait, étant si près comme nous le sommes, nous ignorons comment elle est morte.

« J'ai l'honneur, etc.,

« EDMOND DEGUISAL. »

Cette lettre resta sans réponse, et comme, à quelque temps de là, les Guichard en témoignaient leur étonnement à un sieur Godin, tailleur de Gotteland, celui-ci leur recommanda d'être prudents, et leur dit qu'il avait reçu une lettre du curé annonçant l'intention de poursuivre les Guichard et les Deguisal, raison des imputations dirigées contre lui.

Mais déjà, Edmond Deguisal avait pris les devants; le 27 décembre, il avait adressé une dénonciation au Procureur de la République du parquet d'Angoulême. Sur cette dénonciation, une information fut ordonnée, et, dès le lendemain, 29, les magistrats se transportèrent à Saint-Germain, et firent procéder à l'exhumation du cadavre de Fanny. L'autopsie, confiée à deux praticiens d'Angoulême, M. Montalembert, médecin, et M. Sicaud, pharmacien, constata que la cause immédiate de la mort avait été une inflammation congestive du cerveau et une gastro-entérite des plus intenses. Restait à savoir si ces inflammations avaient été spontanées, ou si elles avaient eu leur cause dans l'ingestion d'une substance toxique. M. Octave Lesueur, chef des travaux chimiques à l'École de médecine de Paris, et M. Mathieu Sicaud, le pharmacien d'Angoulême, furent commis pour procéder, en qualité d'experts, à l'analyse des membranes de l'estomac et des intestins, ainsi qu'à celle des liquides qui y étaient

contenus.

Ce curé de Saint-Germain, Laurent Gotteland, né à Chambéry, en Savoie, et âgé de vingt-neuf ans environ, avait un passé suspect. Élève des Jésuites de Chambéry, il avait terminé ses études au séminaire de Saint-Sulpice. A sa sortie du séminaire, il avait été envoyé comme vicaire à Sémur, d'où il était parti après quinze mois d'exercice. Pourquoi avait-il dù quitter Sémur? Le bruit courait que sa conduite plus que légère lui avait mérité l'interdiction. Replacé plus tard à Charolles, dans le département de Saône-et-Loire, il en avait été renvoyé par suite de sa vie scandaleuse et de ses relations avec une dame

Allier.

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Revenu à Saint-Sulpice, il avait, pendant quelque temps, demandé en vain à être envoyé dans une paroisse nouvelle. Enfin, replacé à Angoulême, il avait eu soin de cacher dans cette dernière ville son passage à Charolles et les motifs de son renvoi. Nommé, enfin, desservant de la paroisse de SaintGermain, Gotteland se trouvait y remplacer un certain curé Bissette qui avait dû quitter la paroisse par suite de légèretés de conduite, et que la rumeur publique accusait de relations adultères, ou au moins de familiarités compromettantes avec Mme Dussablon.

Le premier interrogatoire subi par Gotteland ne fournit à l'instruction que des détails insignifiants et des dénégations obstinées. Fanny Deguisal était entrée à son service dans le courant du mois d'août 1849. C'est par l'entremise de la dame Dussablon qu'une femme Augé, vannière à Angoulême, lui avait procuré cette domestique. Il en avait été content dans les premiers jours; mais bientôt Fanny s'était montrée ce qu'elle était, cancannière, geignarde,. lente au travail, difficile à vivre, malpropre, négligente.

Avait-il eu quelque querelle avec Fanny? Oui, répondit Gotteland, dans les premiers jours de novembre; mais Fanny ne l'avait menacé d'aucune révélation et n'avait fait aucune allusion à de prétendues relations avec Mme Dussablon. Cette dernière, au reste, n'était pas venue une seule fois à la cure.

Interrogé sur la maladie de Fanny, Gotteland s'empressa de dire qu'il n'avait pas soigné sa domestique; que, du mardi 18 décembre au vendredi 21, tous les médicaments et toutes les boissons avaient été préparés chez M. Dussablon.

A quelle cause Gotteland attribuait-il la maladie de Fanny? Il dit que cette femme, très-grosse et trèslourde, avait fait une chute grave. C'est là aussi ce qui avait été dit à M. Montalembert chez M. Dussablon. « Cette pauvre Fanny s'est crevée en tombant dans l'escalier, » et ce propos n'avait pas peu contribué à tromper le médecin d'Angoulême sur les causes de la mort.

Gotteland parla encore d'un lavement envoyé à Fanny par M. Dussablon, et qui aurait contenu 25 gouttes de laudanum. Le magistrat trouva la dose exorbitante.

Pourquoi, le 22 décembre, Gotteland avait-il annoncé à Edmond Deguisal la mort de sa mère comme ayant eu lieu le jour même? Simple errcur de plume, répondit le curé. Pourquoi ne pas avoir prévenu ce fils dès le commencement de la maladie? Gotteland répondit qu'il avait proposé à Fanny d'envoyer chercher son fils dès le mardi 18 décembre. Quelque témoin avait-il entendu cette proposition? Aucun.

Gotteland reconnut que le maire de Saint-Germain ne se trompait pas en fixant à six heures du matin la démarche faite pour obtenir le permis d'embaumer.

Telles furent, en substance, les réponses de celui en qui le magistrat voyait déjà l'auteur d'un crime.

On hésitait, cependant, à mettre la main sur un homme revêtu du saint caractère. D'ailleurs les relations adultères qui auraient existé entre le curé de Saint-Germain et Mme Dussablon, se rattachaient si étroitement comme cause déterminante à la perpétration du crime, qu'il semblait difficile de soupçonner celui-ci, sans soupçonner celle-là. C'était chez Mme Dussablon, quelquefois même par ses pro

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Mais de ce côté encore il y avait lieu à hésiter. Marie-Laure Goupillaud, femme Dussablon, donnait, il est vrai, quelque prise aux accusations par sa conduite antérieure; on la citait, par exemple, au nombre des femmes dont le nom avait été prononcé à propos de ce curé Bissette, déplacé pour son inconduite, et personne n'ignorait que M. Dussablon avait interdit à sa femme toute visite auprès du nouveau curé. Mais, enfin, tout cela ne constituait que des rumeurs sans preuves, et la Justice se trouvait en présence d'une femme mariée depuis onze ans à un médecin estimé, homme violent, emporté, mais honorable et honoré.

Toutefois, l'instruction ne tarda pas à prendre Gotteland en flagrant délit de mensonge. Gotteland avait affirmé n'avoir jamais donné à Fanny aucun soin direct, et un témoin attestait avoir vu le curé préparer pour sa servante une boisson de vin blanc, qu'il aurait sucrée lui-même avec du sucre râpé, de la poudre blanche. D'autres témoins affirmaient que Gotteland avait passé de longues heures près du lit de la mourante.

Gotteland avait dit que la dame Dussablon n'était pas venue une seule fois à la cure pendant la maladie, et le contraire parut prouvé au magistrat instructeur. La dame Dussablon, on le savait par Jes propos du pays, niait de même qu'elle eût jamais soigné Fanny ou donné ordre de la soigner, et le contraire était incontestable. Cette dame niait encore qu'elle eût jamais été seule à la cure depuis l'installation de Gotteland, et un témoin l'y avait vue seule. Enfin, il était certain que, malgré la prudente interdiction de son mari, qu'avaient éclairé les propos causés par le départ de l'abbé Bissette, la dame Dussablon s'était empressée de choisir Gotteland pour son confesseur et de lui confier l'éducation de son jeune fils. De là était née entre les Dussablon et le curé de Saint-Germain une intimité toujours croissante. Tous les quinze jours, Gotteland dînait en famille avec les Dussablon; la soirée se passait souvent pour lui devant les cartons d'un loto, entre Monsieur et Madame. Quand Gotteland n'était pas là, c'était, entre la maison Dussablon et la cure, un va-el-vient continuel de messages et de billets. Bientôt revenu de ses défiances de la première heure, M. Dussablon avait pris goût pour ce grossier montagnard, aux propos lestes, au langage coloré comme la joue, qui ne boudait ni devant le verre ni devant l'anecdote graveleuse. Le médecin campagnard était, d'ailleurs, lui-même un bruyant, joyeux et brutal camarade.

Si l'instruction hésitait à mettre la main sur ceux chez qui elle soupçonnait le crime, parce qu'eux seuls avaient eu intérêt à le commettre, elle ne les perdait pas de vue. Elle s'assurait, par exemple, que, alors que l'autopsie n'avait fait encore que signaler une inflammation dont on ignorait la cause, le 29 décembre 1849, Gotteland manifestait ses craintes d'aller en prison. Pourquoi ces terreurs, s'il était innocent?

La veille, c'est-à-dire le jour même de l'exhumation, la maison Dussablon avait paru plongée dans l'inquiétude, et M. Dussablon n'avait cessé d'aller du cimetière à la cure et de la cure au cimetière. Dès les derniers jours de décembre, l'instruction avait cru voir que les futurs témoins d'un procès criminel encore douteux étaient l'objet de manœuvres, ou au moins étaient entourés d'influences. Des conférences avaient lieu chez les Dussablon, à la mairie. Le curé de Marthon s'agitait à Saint-Germain, à Angoulême; il propageait des rumeurs tendantes à attribuer à Fanny Deguisal des pensées de suicide souvent exprimées par elle; il recrutait des témoins de ces prédispositions sinistres qu'aurait manifestées la servante du curé. Voilà au moins comment les magistrats interprétaient les allées, les venues, les propos du collègue de Gotteland.

Gotteland lui-même se réconciliait avec des voisins qui pouvaient devenir des témoins gênants, commentait à table et rectifiait leurs souvenirs.

L'arrivée de la sœur de Gotteland à Saint-Germain, le 8 janvier, parut imprimer une nouvelle activité à ce que l'instruction appelait déjà des mancuvres. L'instituteur de Saint-Germain, très en froid avec le curé jusqu'à la mort de Fanny, avait été invité à dîner à la cure le lendemain de l'exhumation. Il fut invité encore le lendemain de l'arrivée de la sœur de Gotteland. Cet instituteur, nommé Savignat, était presque voisin de la cure, et disait avoir vu Mme Dussablon au chevet de l'agonisante, ce que celle-ci niait énergiquement.

Le 31 janvier 1850, les Experts déposèrent leur rapport.

Voici la conclusion de cette expertise, faite à l'aide des réactifs spéciaux, dûment vérifiés, et de l'appareil de Marsh, modifié par les procédés nouveaux :

Les liquides contenus dans l'estomac et les intestins, les parois de l'estomac et des intestins, le foie, avaient fourni en grande quantité du sulfure d'arsenic obtenu sous forme de taches et d'anneaux nombreux; les eaux de lavage de ces organes ne contenaient pas d'arsenic. Les symptômes manifestés pendant la maladie, les lésions des tissus indiquées dans le rapport d'autopsie Montalembert-Sicaud, offraient les caractères d'un empoisonnement par un poison irritant. « Nous sommes amenés, disaient en terminant les experts, par ces considérations et par les résultats de l'analyse chimique, à conclure que la femme Fanny est morte empoisonnée par une préparation arsenicale, et qu'il est excessivement probable que, depuis le jour où les accidents se sont manifestés jusqu'au moment de l'agonie, l'introduction de la substance vénéneuse a été consécutive. »

L'empoisonnement était prouvé; mais fallait-il l'attribuer à un suicide ou à un crime?

Quoi qu'il en fût, ce rapport des chimistes venait donner un corps aux soupçons de l'instruction : les magistrats ne crurent pas devoir hésiter plus longtemps. Quatre jours après la communication du rapport, c'est-à-dire le 5 février, le Juge se présenta, accompagné d'un huissier, chez M. Dussablon. Interrogé s'il avait de l'arsenic, le médecin de Saint-Germain répondit qu'il en avait acheté, le 16 décembre, à Angoulême, soixante grammes, dont il n'avait employé qu'une quinzaine de grammes, partie pour empoisonner les rats de son pigeonnier, partie pour donner à son métayer, que les rats incommodaient également. Il devait donc rester envi

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