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que je ne dirais pas que j'ai vu Fanny mettre de la
poudre blanche dans sa boisson. >>

Jeanne Bergues persiste dans ses déclarations.
Me Deseze rappelle une discussion que le témoin
Duché aurait eue avec M. Dussablon.

Duché répond qu'en effet, à l'époque des élec-
tions générales, M. Dussablon ayant brutalement
arraché des mains d'un électeur un billet portant le
nom de Pierre Bonaparte, en disant que qui votait
ainsi ne pouvait être qu'une canaille, lui, Duché,
intervint et blåma cette conduite. Alors, M. Dussa-
blon le saisit à la cravate et provoqua une lutte. Il
y eut, à ce propos, une instruction judiciaire, sui-
vie d'une ordonnance de non-lieu. Mais, ajoute le
témoin, ce souvenir, effacé aujourd'hui, ne saurait
me faire déposer contre ma conscience.
MM. Tuffan et Filhotte, sous-lieutenants au 44° de

| ligne, détenus, à raison d'un duel, dans la même prison que Gotteland, ont entendu les prisonniers Desbois et Rideau raconter du curé divers propos scandaleux. Desbois, condamné depuis cette époque pour abus de confiance, rapporte ces propos. Parlant de Fanny, le curé aurait dit : « Cette garce-là s'est empoisonnée par jalousie. » Il aurait raconté une comédie sacrilége jouée par lui-même, à propos d'une hostie perdue, au lit de mort d'une pauvre femme. Mais le témoin avoue qu'il n'a su tout cela que par ouï-dire. C'étaient des caquetages de prison. Autant en dit Firmin Rideau, condamné à cinq ans d'emprisonnement pour attentat à la pudeur. Louis Mesnaud, greffier à la Justice de paix d'Angoulême, était détenu en même temps que les deux sous-lieutenants, à raison du même duel; il rapporte qu'un détenu, Lotte, lui a raconté différents propos

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de Gotteland. « Vous avez été l'amant de Mme Dus
sablon, aurait dit Lotte au curé.
Vous croyez,»
aurait répondu celui-ci, avec un sourire significa-
tif. » Un autre jour, Gotteland, se regardant dans
un miroir : « Vous croyez, aurait-il dit, que si j'avais
été l'amant de Mme Dussablon, ce visage-là lui ferait
déshonneur. » Et encore : « Mme Dussablon ne res-
tera pas avec son mari; je l'enlèverai. Elle a de la
fortune, et moi je n'en ai pas. » Apprenant la ten-
tative de suicide, Gotteland l'aurait fortement blå-
mée, comme compromettante. Le détenu Lotte re-
gardait Gotteland comme coupable.

« Cette sacrée maquerelle, elle était capable de tout.» M. le Juge d'instruction ne crut pas devoir consigner ces paroles au procès-verbal par respect pour la robe de l'accusé; mais il le regretta ensuite.

Gotteland se lève, avec les marques de la plus vive indignation, et s'écrie: « Je n'ai pas dit cela; cette déposition est fausse. »

Lotte, ancien maire, condamné à cinq ans de réclusion pour complicité de vol par recel, a fréquenté Gotteland dans la prison. Ils ont parlé ensemble des relations qu'on lui attribuait avec Mme Dussablon, et le rire significatif de Gotteland ne repousCe que le témoin déclare comme le sachant de visu, sait pas l'idée de l'adultère. C'est à Lotte qu'a été c'est qu'assistant, comme commis-greffier, à la tenu, par Gotteland, le propos assez leste devant le visite faite à M. Dussablon par M. le Juge d'instruc- miroir. Je n'ai pas dit cela, s'écrie Gotteland. tion, M. Dussablon, à la vue du flacon contenant Ah! ne me démentez pas, répond Lotte, vous me l'arsenic, tomba comme frappé d'apoplexie. Il a feriez dire des choses..... Et, pressé par M. le Préaussi entendu Gotteland, alors que M. le Juge d'in-sident, Lotte ajoute que Gotteland l'a prié de lui faire struction lui eut appris la saisie des lettres de connaître sa déposition dans l'instruction; qu'it M Allier, s'écrier, parlant sans doute de Fanny: paraissait très-rassuré, disant que Jeanne Bergues el CAUSES CÉLÈBRES. 135€ LIVR.* LE CURE GOTTELAND.

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d'autres déclaraient que Fanny s'était empoisonnée; qu'il parlait de jeter la soutane aux orties, s'il rencontrait une femme riche. Il fut, dit encore le témoin, mécontent de la tentative de suicide, trouvant qu'elle le compromettait. Quant à M. Dussablon, cet acte de désespoir ne l'étonnait pas, car, disaitil, il est si bête / La sœur de Gotteland lui ayant dit que, s'il avait le malheur d'être condamné, M. Dussablon prendrait soin d'elle, il dit : « Cela ne me rassure pas; je connais le père Dussablon, il est bon de là, et il compléta sa pensée par un geste trivial. Enfin, l'accusé aurait confié au témoin que le lit du cabinet de la cure avait été prudemment dégarni avant la descente de justice et placé hors de la portée du trou le plus accusateur.

M. le Président rappelle à Lotte que, dans l'instruction, il a terminé sa déposition première par ces mots : « Gotteland avait une conduite ignoble; il appelait les choses par leur nom; on disait qu'il avail avec d'autres prisonniers des rapports d'une immoralité odieuse. Enfin, c'était un misérable. » Le témoin explique ce dernier mot: il a entendu par là un homme non riche et méchant. M. Rivaud-Mathon, Juge de paix du canton de Montbron. Le jour de l'exhumation, M. Dussablon lui dit, en lui présentant une lettre anonyme dans laquelle on le traitait de cornard : « Lisez, j'en ai déjà reçu d'autres; mais j'ai foi en ma femme, et il n'est pas de lettre anonyme qui puisse ébranler ma confiance. »

Mme Dunignon, mère du jeune homme au chansonnier, confirme le fait d'un recueil de chansons peu convenables envoyé à son fils par Me Dussablon, et, malgré les atténuations décentes de son fils qu'on rappelle, déclare que le jeune homme avait reçu de Mme Dussablon une lettre qu'il jeta au feu devant elle, afin de ne pas la compromettre.

Mme Dussablon répond que cette lettre n'était qu'un billet sans importance, et qu'elle n'a pas envoyé de chansonnier.

La liste des témoins à charge est épuisée. Le premier témoin à décharge entendu est M. Claude Gigon, docteur en médeciue, commis par la Justice pour examiner l'état de Mme Dussablon après la tentative de suicide. Il a constaté que la population était favorable à l'accusée; on disait seulement que le mari avait eu tort de se lier avec un prêtre; on répétait le proverbe périgourdin: Lous prêtres et lous pizous salissou la maisoun (les prêtres et les pigeons salissent la maison). Le témoin ne croit pas à l'empoisonnement de Fanny.

Et M. Gigon cherche à expliquer par une gastrite, dont Fanny Deguisal, lourde femme, aurait été atteinte, les vomissements et les inflammations. « Dans mon âme et conscience, dit-il, Fanny Deguisal n'a pas succombé à un empoisonnement successif par l'acide arsenique, mais bien à une gastro-entérite, et à une méningite (congestion du cerveau).

MM. Lesueur et Montalembert soutiennent énergiquement leurs conclusions. « Je ne puis pas sortir de mon rapport, ajoute M. Lesueur. S'il le fallait, si on me pressait encore, je prêterais un nouveau serment. J'ai dit qu'il est excessivement probable qu'il y a eu empoisonnement successif. Eh bien ! ces expressions dont je me sers sont prudentes, sages, et je les exprime comme homme, et non comme expert. »

Les époux Balotte, voisins de la cure et de la maison Dussablon, reconnaissent que de leur boutique et de l'intérieur de leur maison on ne peut apercevoir la place de l'église. On n'a vue sur la

place et les deux maisons que du palier ou de l'escalier extérieur qui communique de la boutique à l'appartement. Ils n'ont jamais vu de dames visiter Gotteland, ni Me Dussablon venir à la cure sans la compagnie de son mari. La femme Baloue parle d'une chute grave que Fanny aurait faite dans l'escalier de la cure, environ quinze jours avant sa mort, et à la suite de laquelle elle aurait refusé de se laisser saigner. Fanny aurait dit au témoin que ses enfants ne voulaient pas la voir et que M. le curé faisant venir sa sœur, elle allait se trouver sur le pavé.

Pierre Valentin, cultivateur à Saint-Germain, cousin par alliance de Mme Dussablon, a entendu Fanny exprimer les mêmes craintes sur son avenir. << Mais vous avez des enfants, lui dit Mme Savignat.Oh! ne m'en parlez pas, répondit-elle; il vaudrait mieux élever des cochons que des enfants. J'ai reçu une lettre de mon fils. Eh bien! il me dit : Tu peux revenir si tu veux; mais si tu reviens, moi je partirai. »

Jean Jarton, fils du métayer de Mme Dussablon, dit avoir entendu Edmond Deguisal dire que sa mère était indigne de servir. Edmond repousse avec force cette allégation étrange, même alors qu'il semble expliqué que le mot indigne n'aurait dans la bouche du témoin que le sens d'incapable.

Jacques Debert, propriétaire à Dignac, dit savoir, mais seulement par ouï-dire, que Fanny aurait dit être assez malheureuse pour ne pas tenir à la vie. Anne Renault, tailleuse à Marthon, Michel Dubreuil, menuisier à Saint-Germain, Marie Saint-Vincent, cultivateur à Saint-Germain, Jean Mézières, tailleur de pierre à Saint-Germain, et Jean Cony, aubergiste à Marthon, attribuent à la morte des propos du même genre: «J'aimerais mieux me donner la mort que de demander à mes enfants... J'ai de mauvais enfants qui me repousseront... Ils m'ont mangé tout ce que je possédais, et puis ensuite ils m'ont chassée. »

Jean Bouchard rapporte de Fanny un propos semblable, et, au moment de se retirer, dit se rappeler qu'un jour Fanny lui aurait dit que les foins (fouines), l'empêchaient de dormir et qu'elle voulait empoisonner un œuf pour les détruire.

M. le Procureur de la République. Qu'est-ce qui a réveillé vos souvenirs à ce sujet? Vous n'avez pas dit un mot de cela dans l'instruction. Le témoin répond qu'il a été intimidé dans le cabinet du Juge.

M. le Président, aux Jurés : « Il faut que vous sachiez bien, Messieurs, que M. le Juge d'instruction a été plutôt faible que sévère; qu'il a eu la complaisance d'entendre tous les témoins à décharge, alors que rien ne l'y obligeait, et que cela ne se pratique pas ordinairement dans les affaires criminelles. »

Marie Drouillet, cultivateur à Saint-Germain, prétend aussi avoir été menacée par M. le Procureur de la République. Elle ajoute qu'elle a vu Gotteland préparer le vin blanc sucré avec du sucre en morceaux, pris avec les doigts dans le sucrier. M. le Procureur de la République fait remarquer que c'est encore là une assertion toute nouvelle, dont l'instruction ne présente pas de trace et qu'aucun témoin n'a fait mention de la présence de Marie Drouillet dans la cuisine.

Marguerite Maugé, ancienne domestique à la cure, dit que le bois de lit du cabinet ne servait pas. Le cabinet n'était destiné qu'au linge sale, et si quelqu'un couchait à la cure, on dédoublait le lit du curé.

Jean Lamouroux, sacristain et fossoyeur à SaintGermain, a vu, peut-être bien, un dimanche, à la nuit tombante, Mme Dussablon et le curé sortir successivement de l'église; mais ce serait la seule fois. Pierre Dupont, employé à la préfecture, a vu Lotte dans la prison fort troublé par l'idée de témoigner dans l'affaire Gotteland. Lotte dit au témoin que M. le Procureur de la République lui aurait adressé res paroles : « Ne dissimulez rien de ce qui est à votre connaissance, car je suis instruit de tout ce vous savez; si vous cachiez la vérité, cela pourrait avoir pour vous des conséquences graves. La Justice a toujours été bienveillante pour vous; elle pourrait l'être encore. >>

M⚫ Desèze fait observer, à propos de ce témoignage, que la défense n'entend pas insinuer que M. le Procureur de la République ait voulu influencer Lotte, mais il est facile de deviner quelle interprétation ce témoin a pu faire des paroles du magistrat.

M. le Procureur de la République. On parle de promesses faites par moi; si je ne craignais pas de faire intervenir dans ce débat des personnes qui n'y sont pas, je dirais que c'est moi au contraire qui ai rassuré Lotte contre des menaces qui lui ont été faites; si je voulais, je prendrais une cruelle revanche... Ne me contraignez point à parler!

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L'incident Lotte a tellement remué les esprits déjà excités que, sur plusieurs points de la ville, des rixes violentes se sont engagées entre les deux partis bien tranchés qui font cause commune avec l'accusation ou la défense. Aujourd'hui, l'émotion est tout aussi vive. Le cortège de parents et d'amis qui accompagnent les accusés dans le trajet de la prison au Palais de justice est l'objet de manifestations bruyantes, mêlées de sifflets et de murmures; au contraire, des marques de sympathie, parties des bancs réservés, accueillent l'entrée des accusés dans la salle.

Une explication tout amiable a eu lieu la veille entre M. le Procureur de la République et le défenMe Desèze. Eh bien ! je le désire, moi, tout le seur de Me Dussablon, au sujet de l'incident dans lepremier, d'autant plus que ce matin, il m'a été dit quel on s'est peut-être engagé des deux parts plus loin par l'honorable magistrat qui préside ces débats qu'on ne voulait le faire. A l'ouverture de l'audience, qu'une lettre infâme lui avait été adressée, lettre Me Desèze déclare que M. Mathieu Bodet est venu à où il est dit qu'un représentant du peuple, qui est Angoulême pour remplir un devoir de famille, parent de l'un des deux accusés, a donné ici, à pour couvrir sa parente du manteau de son hoAngoulême, un repas auquel ont pris part des per- norabilité. Qui pourrait l'en blâmer? Il ne s'est sonnes importantes; que des Jurés de cette affaire permis, ni directement ni indirectement, aucune avaient assisté à ce repas. Eh bien! quand une telle démarche qui puisse donner lieu à aucune interinfamie a lieu, quand une calomnie est lancée avec prétation douteuse. Mais le défenseur n'a pu penune intention que l'on ne peut méconnaître, dans ser un seul instant à insinuer qu'il y aurait eu, de une affaire ou deux têtes humaines sont en jeu... la part du magistrat, une tentative de séduction ou M. le Procureur de la République. Il n'est pas d'intimidation; pas même de promesses ou d'ouverquestion de cela, il n'est question que de Lotte. Il tures pouvant donner lieu à des espérances capables craignait après sa déposition de perdre la protec- d'influencer un témoin. tion d'un représentant. Je lui ai dit que, son intérêt personnel eût-il à souffrir de ses déclarations devant la Justice, la Magistrature saurait lui tenir compte de sa conduite. J'ai dû lui faire entrevoir que sa déclaration ne pourrait pas nuire à des promesses faites par d'autres que par l'autorité judiciaire.

Me Desèze. Je nie absolument que Lotte ait pu vous dire quoi que ce soit qui puisse compromettre qui que ce soit. Dans tous les cas, le moment était mal choisi pour parler de la clémence de M. le Président de la République.

M. le Procureur de la République. Lotte craignait de perdre ses titres à la clémence du Président de la République; je l'ai rassuré.

Sur la demande de Me Desèze, le détenu Lotte est rappelé. M. le Président lui demande s'il est vrai, comme vient de l'affirmer un témoin, que M. le Procureur de la République ait cherché à l'in

fluencer.

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Lotte. Et Lotte rend Oh! pour cela non. compte de sa conversation avec M. le Procureur de la République à peu près dans les mêmes termes que le lecteur connaît déjà; il nie que ce magistrat lui ait promis quelque adoucissement à son sort en échange de son témoignage; il avoue qu'il a dit à M. le Procureur de la République qu'il était dans une position à ne rien dire, parce qu'il avait besoin des messieurs de Paris. A quoi a répliqué en ces

En retour de cette déclaration, M. le Procureur de la République déclare, de son côté, qu'il n'a jamais été dans sa pensée que l'honorable M. Mathieu Bodet eût cherché à influencer par aucun moyen les témoins ni les jurés.

L'incident ainsi clos, la parole est à M. le Procureur de la République pour son réquisitoire.

Après une peinture de l'immuable Justice, résistant victorieusement aux attaques dirigées contre les principes constitutifs de l'ordre social (nous sommes au lendemain d'une Révolution), le magistrat repousse comme ridicules et odieuses les récriminations accumulées contre les représentants de la Loi et portées jusque dans cette enceinte.

« Ce n'est pas la première fois que la Justice a eu à lutter contre les passions que vous avez vues se démasquer devant vous ! Ce n'est pas la première fois que l'intérêt personnel froissé, l'esprit de corps mal entendu, l'amour-propre blessé, ont formé contre la sainteté de la Loi une coalition impie! Qui ne se souvient des procès si tristement célèbres de Me Lafarge, du frère Léotade? Là aussi la Justice était méconnue et outragée; là aussi des témoins complaisants essayaient d'arracher les coupables à un châtiment mérité. (1)

(1) C'est un organe de l'accusation qui parle. Il y aurait peutêtre autre chose à dire sur ces deux affaires, dans lesquelles

<< L'inébranlable fermeté du Jury confondit ces misérables intrigues et assura le triomphe de la vérité. Ce sont là d'honorables souvenirs pour cette grande institution dont vous êtes aujourd'hui les représentans. Nous attendons de vous la même impartialité, le même dévouement à la noble mission que vous avez à remplir.

« C'est sans doute un triste spectacle de voir assis sur ce banc un homme revêtu du sacerdoce, une

femme à qui sa position sociale, son éducation, les bons conseils qu'elle trouvait dans sa famille, promettaient une autre destinée. Ce n'est pas à nous qu'il faut enseigner le respect dû à la religion; le magistrat sait que toute justice vient de Dieu, et il porte dans le cœur les principes dont la loi humaine n'est qu'une imparfaite traduction. Mais il a, lui aussi, un sacerdoce à exercer; il est, lui aussi, l'interprète d'une règle immuable qu'il ne peut faire fléchir au gré des passions de l'humanité, et, pas plus que le prêtre, il ne peut avoir de lâches complai

sances. >>>

Après avoir établi avec force ces vérités incontestables que la religion n'est pas atteinte par l'indignité de ses ministres, et que le scandale n'est pas dans le châtiment, mais dans l'impunité du coupable, M. le Procureur de la République met une fois de plus en présence les faits de l'accusation et le système de la défense. Nous avons trop complétement exposé les deux ordres d'interprétation pour qu'il nous faille y revenir ici. Disons seulement que M. Bardy de Lisle discuta avec une grande force et souvent avec sévérité tous ces témoignages de la dernière heure, leçons tardivement faites à des esprits grossiers ou prévenus par des influences occultes, dont les maladroites inventions tendaient à appuyer l'inadmis sible système du suicide volontaire de la victime.

M. le Procureur de la République résuma ainsi son réquisitoire qui, peut être, eût gagné en vigueur par plus de simplicité:

« Un prêtre indigne a souillé par l'adultère une maison honorée; une servante a surpris ce secret redoutable qui menace son maître d'une irréparable dégradation. Cette femme qui peut le perdre à jamais, cette femme obscure que rien ne paraît devoir protéger, il faut qu'elle meure. Elle résiste à la mort, il redoublera, jusqu'à ce qu'avec le dernier souffle de sa victime, s'envole sa dernière crainte.

«Mais ce cadavre lui pèse ; il n'aura pas de repos qu'il n'ait effacé de sa demeure, et s'il se peut de son souvenir, les derniers vestiges de son crime... Par une équivoque de date, il s'assure que les enfants de la malheureuse Fanny ne viendront pas le troubler; il la fait inhumer à la hâte, presque clandestinement, et lorsqu'ils arrivent, ils sur prennent sur son visage cette empreinte que Dieu lui même, gardien de l'éternelle Justice, grave sur le front des coupables.

« Et cette femme, qui s'est si fatalement liée à la destinée du meurtrier, qu'en dirons-nous, Messieurs? Oui, c'est notre intime conviction, elle a cédé à l'influence de l'homme qui l'avait égarée; elle ne s'est pas décidée sans scrupule et sans hésitation à lui prêter sa main pour frapper la victime; mais elle l'a fait, et elle restera un exemple à jamais déplorable du funeste entraînement des passions! En prél'accusation a joué, selon nous, un rôle différent de celui qu'on indique. Si elle a eu à lutter dans ces deux causes, peut-être contre de complaisants témoins, que contre ses propres préventions. Et, à vrai dire, il ne nous parait pas qu'elle soit toujours sortie victorieuse de la lutte.

c'est moins

sence de cette grande infortune, qui atteint autour d'elle tant de destinées honorables, nous comprenons l'indulgence, nous ne comprenons pas l'impunité. »

Le 5 décembre va voir enfin le terme de ces longs débats. Me Georgeon, défenseur de Gotteland, se lève et s'exprime en ces termes :

« Messieurs de la Cour, Messieurs les Jurés, je sens trop que les forces nous manquent à tous et que le temps nous presse, pour ne pas immédiatement et dans son ensemble, voici quel est son système : sans préambule attaquer l'accusation. Je la résume Un empoisonnement a été commis; il ne peut pas être le résultat d'un suicide, donc il est le résultat d'un crime. Ce crime, les accusés avaient intérêt à le commettre, car ils faisaient disparaître le témoin de la liaison adultère qui s'était établie entre eux. Leur crime est la conséquence nécessaire de leurs honteux désordres.

«Dans tout autre procès, en face d'autres accusés que ceux que j'ai à défendre, ne serais-je pas en droit de faire remarquer d'abord à l'accusation la témérité, je puis même dire la fausseté de ses conclusions? Depuis quand serait-il vrai de dire que l'adultère doit avoir un crime pour conséquence nécessaire? Alors que le secret de liaisons adultères vient à être surpris par une misérable domestique, son renvoi a-t-il d'autres conséquences que les récriminations, les calomnies ordinaires à toutes les servantes renvoyées de leur condition? Supposez un instant, MM. Ïes Jurés, l'adultère établi dans cette cause; Fanny en a été témoin, Gotteland sait qu'elle connaît ses désordres : il la chasse, elle parle. Eh bien! quelle puissance aura sa parole? La vengeance des valets expulsés ne se répand-elle pas tous les jours en propos calomnieux sur les maîtres les plus vertueux? Fauny n'a rien à l'appui de ses paroles; son caractère ne permet pas qu'on puisse avoir en elle aucune créance. Et, dans de telles circonstances, on pourrait dire qu'il a fallu nécessairement se débarrasser par un crime d'un semblable témoin ! « Je vais plus loin l'accusation ne démontre pas qu'il y ait eu adultère; elle démontre encore moins qu'il y ait eu empoisonnement.

«Non, l'accusation ne démontre pas qu'il y ait eu adultère; elle ne pourrait pas même l'insinuer, si elle n'avait pas pris soin de flétrir avant tout Gotteland; de lui attribuer des actes, des paroles, des faits faux pour ce qui lui est gratuitement attribué, ou innocents pour ce qu'il y a de réel.

«Mais il fallait avant tout flétrir Gotteland. Pour le faire, l'accusation ne s'est montrée difficile ni sur les sources où elle est allé puiser, ni sur les interprétations auxquelles elle se livre.

« Dans la même prison que Gotteland, deux personnes se trouvaient, Lotte et M. Mesnaud. M. Mesnaud y avait été conduit par une triste affaire de duel, dans laquelle il avait figuré comme témoin, dont l'issue avait été fatale, et où il avait été loin de faire preuve de prudence. M. Mesnaud, qui avait la plume dans l'information de la cause qui se débat aujourd'hui, qui en connaissait toutes les circonstances, M. Mesnaud se trouva en rapport avec Lotte, et il aurait reçu de ce prisonnier des confidences. Eh bien! quatre mois après sa sortie de la geôle où il avait été enfermé, voilà que, greffier destitué par suite du rôle qu'il avait joué dans le duel, il veut se rattacher à la Justice, en succédant à son frère, greffier de la Justice de paix. Il a besoin pour y par

venir de la protection du Parquet, et alors il parle | avancement que sa nomination à Charolles. Quant de ce qu'il a appris dans la prison.

« M. le Procureur de la République se rend près de Lotte. A-t-il des notes fournies par M. Mesnaud? Nous ne savons. Mais enfin il l'interroge, el vous savez ce qu'il lui dit. Y a-t-il eu une promesse? Non, assurément, non. Mais on a fait concevoir à Lotte une espérance. Que l'on ne dise pas que cette espérance a été sans influence sur la déposition qu'il a faite.

à ses relations avec la veuve Allier, où sont les preuves? Les assiduités de Gotteland dans la maison Allier ne deviennent coupables aux yeux de M. le curé Cuénot qu'à partir du jour où ses deux vicaires ont trouvé trop chère la pension qu'ils prenaient chez lui. Et encore, peut-on réclamer de l'accusation qu'elle n'aille pas au delà du témoignage qu'elle invoque. M. Cuénot n'a jamais supposé un commerce criminel entre Gotteland et madame Allier; n'a vu dans ces relations que des imprudences compromettantes pour le caractère de son vicaire.

« Lotte a amassé dans sa déclaration toutes les charges dont on veut accabler Gotteland. Mais qu'est-il ce donc que Lotte? MM. les Jurés, il y a quinze ans que je le connais; c'est ici que j'ai fait sa connaissance. Il y comparaissait le visage balafré par la main de son propre frère, qui l'avait surpris en adultère dans sa propre couche.

« Depuis lors, cet homme qui traite de misérables ceux qui ne sont pas riches, Lotte s'est enrichi; mais comment? Dans l'usure et dans l'adultère, et aujourd'hui encore il expie dans la prison un crime de complicité par recel dans un vol qualifié commis par sa concubine.

«Que de maladroites perfidies elles renferment, ces déclarations de Lotte! Il s'efforce d'y représenter Gotteland comme prenant des précautions pour mettre en défaut le récit de Fanny. Ainsi, Gotteland aurait dit à Lotte que le lit du cabinet avait été dégarni quand eut lieu la descente de justice. C'est le contraire qui est constaté par le procès-verbal, et toute l'information établit que ce lit était dégarni jusqu'à la mort de Fanny.

Ainsi encore, Gotteland aurait placé le lit hors de la portée visuelle des trous du plafond, alors qu'il est constaté que ce lit a été trouvé directement placé sous les trous du plancher supérieur.

« Quelle conséquence veut-on déduire des paroles de Lotte? L'aveu, de la part de Gotteland, de ses coupables relations avec Mme Dussablon? Il n'y est pas, et je m'en étonne. Oui, je m'en étonne, parce que je sais à quels dangers expose une démarche comme celle qu'a faite M. le Procureur de la République. Le magistrat, guidé par sa soif de justice, cherche la vérité partout, par tous moyens. Mais quelles espérances ne font pas naître dans une âme basse ces interrogations partant de celui dans lequel les habitués du crimene voient qu'un adversaire naturel de l'accusé ! « On a si bien senti quelle confiance méritait un pareil homme, qu'on a dit : « Je repousserais ce «témoignage, s'il s'appliquait à un homme hono<<rable.» En justice, c'est une hérésie que ce langage, et nous ne le laisserons pas passer sans protestation. Ce que nous demandons au ruisseau qui étanchera notre soif, c'est non pas s'il va tomber dans quelque égout immonde, mais si sa source est pure et si ses eaux n'ont point été souillées. >>

Lotte seul a attribué à Goiteland des propos accusateurs, et, quant aux propos cyniques rapportés par d'autres condamnés, ce ne sont que des ouïdire et on ne saurait parvenir à celui qui les aurait directement entendus.

« Sortons donc de cette fange! s'écrie M° Georgeon, les miasmes qui s'en exhalent sont malsains pour la Justice. Mais quand l'accusation puise à de telles sources, pourquoi ce blâme, ces soupçons contre d'autres témoins? C'est une belle chose que l'égalité devant la Loi; elle n'est qu'un leurre sans l'égalité devant les appréciations de la conscience. >> Le défenseur cherche ensuite à réhabiliter le passé de Gotteland. De son passage à Semur, l'information n'a recueilli que de bons témoignages. C'est un

Mais la correspondance de Gotteland avec cette dame! Eh bien ! examinons ces lettres écrites à une femme née le 26 février 1811, à une femme pieuse et d'une moralité dans laquelle rien n'a jamais paru à reprendre, ainsi que l'a dit M. le Procureur de la République de Charolles.

«La lettre datée du 13 septembre 1849 ne renferme aucune preuve d'une liaison criminelle; c'est simplement l'annonce d'un voyage projeté, et on y rencontre un enjouement qui n'exclut pas le respect. On ne supposera pas sans doute que, pendant ce voyage de dix jours, des relations coupables se soient établies sous les yeux d'une belle-mère et de deux jeunes gens de dix-sept et de dix-neuf ans, les fils de madame Allier! La lettre du 23 octobre porte-t elle quelque trace de cette passion sacrilége? aucune; il n'y parle pas en fils, il n'y tutoie pas celle à qui il écrit. Commencer ces familiarités n'eût pas été convenable. Mais il reçoit une lettre où il est traité en fils, et, le 11 novembre, puis, le 11 décembre, il écrit à sa chère mère, et le fils tutoie sa mère. Mais cette forme de langage n'a rien qui révèle l'entraînement de la passion, et, sous la plume de l'écrivain, le vous respectueux reparaît plus d'une fois.

«Les interprétations seules ont pu envenimer cette correspondance: il faut les abandonner, la vérité l'exige.. Nous avons lu un règlement de vie que Gotteland écrivait pour madame Allier. Qui de nous ne s'applaudirait de le voir choisir pour règle de conduite par sa mère, sa femme ou sa sœur? C'est le 19 octobre que Gotteland rédigeait ce pieux programme: ainsi voilà les coupables passe-temps des jours que l'on incrimine! Qu'on ne parle donc plus de relations coupables avec Mme Allier.

<«< Ah! sans doute, je ne le contesterai pas, il y a dans la tenue, dans les manières, dans les écrits de cet enfant du Piémont, certaines allures, certains termes qui jurent avec l'ordinaire gravité du sacerdoce en France. Sans doute, il eût mieux fait de ne pas oublier ce conseil de la sagesse N'ayez de familiarité avec aucune femme, ne souhaitez d'être familier qu'avec Dieu. Mais il ne faut pas faire un crime de ce qui n'est qu'une légèreté. Des légèretés! où n'en trouverait-on pas à relever? N'en est-ce pas une de l'acte d'accusation de traiter Gotteland de prêtre interdit, quand on a sous les yeux son celebret et ses certificats? N'en serait-ce pas une de M. Cuénot, si, comme on l'a prétendu, il avait parlé de scandales, quand les autorités de Charolles attestaient, le8 janvier 1848, la conduite irréprochable de Gotteland et les regrets causés par son départ? »

L'adultère avec Mme Dussablon est-il mieux établi que la liaison criminelle de Charolles? Le défenseur montre Gotteland succédant, à Saint-Germain, à un prêtre obligé de fuir devant les obsessions d'une femme. La prudence lui fut recommandée, et il manifesta l'intention de ne jamais recevoir de

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