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zel, il est vrai, lui avait offert dans les étages supé- On avait, sur l'ordre de la dame, pratiqué dans rieurs de l'hôtel plusieurs chambres inhabitées, où la porte de la chambre à coucher, au-dessus de la femmes et enfants auraient pu se loger à l'aise. serrure, un petit trou que l'on bouchait avec une Mais la vieille dame recevait grande compagnie deux cheville. Quand la maîtresse de la maison était infois la semaine; elle donnait à souper et à jouer, disposée, ou ne voulait pas se lever pour ouvrir elleet, ces jours-là, la maison était pleine de laquais même, on introduisait par ce petit trou un crochet attendant leurs maîtres, dont la tenue quelque peu qui ouvrait la porte en poussant le bouton corresdébraillée et les propos risqués semblaient à Le-pondant au pène. La dame couchait donc seule dans brun devoir être d'un mauvais exemple pour les ce vaste appartement. siens. Il les avait donc logés dans le voisinage, près du collège d'Harcourt.

La maison de la dame Mazel se composait, outre Lebrun, de deux femmes de chambre, d'une cuisinière, d'un cocher et de deux petits laquais.

Restée veuve avec une belle fortune et trois fils, la dame Mazel les avait tous les trois fort bien pourvus. L'aîné, René de Savonnières, était conseiller au Parlement; le second, Georges de Savonnières, seigneur de Lignères, était trésorier de France en la généralité de Paris; le dernier né, Michel de Savonnières, était major au régiment de Piémont. Au temps où se passe cette histoire, il faut presque toujours chercher parmi les commensaux d'une riche maison quelque abbé plus ou moins authentique la dame Mazel hébergeait un moine défroqué, l'abbé Poulard. Dire ce que faisait là l'abbé, c'eût été chose difficile. Était-il le confesseur de madame? Avait-il été, était-il encore quelque chose de plus? Ce qu'on savait, c'est que l'abbé Poulard s'était installé dans l'hôtel comme dans sa propre demeure. Il y taillait, il y rognait, difficilement content du service et ne cachant pas sa mauvaise humeur à l'occasion, délicat sur le vivre, méticuleux sur le coucher, fort peu régulier, du reste, et ne se cachant pas pour enfreindre les règlements de l'Eglise les jours maigres et en temps de carême. A table, il faisait autorité, glosait sur les mets, décidait sur le mérite des sauces et faisait le désespoir de la vieille cuisinière. Sa chambre à coucher semblait le boudoir d'une jolie femme, tant il y avait entassé les meubles élégants, commodes, voluptueux, les bonheurs du jour, les petits Dunkerque. Il se trouvait si bien dans cette cellule, qu'on disait qu'en 1673, il avait préféré se laisser excommunier par le grand prieur de Cluny, plutôt que de quitter l'hôtel.

Toutefois, quelque agrément que lui offrit ce séjour, le cher abbé ne s'en contentait pas encore. Il avait, afin d'être plus libre, loué dans le voisinage une chambre où il couchait fort souvent. Ces jourslà, il rentrait à l'hôtel de bonne heure, sans bruit, au moyen d'un passe-partout avec lequel il ouvrait à son gré la porte d'entrée.

Quelques mots maintenant sur la disposition générale de l'hôtel. Il renfermait quatre étages. On entrait, au premier, par l'escalier d'honneur, dans une salle servant d'office, et dans laquelle était une armoire où l'on serrait le service de table. Une des femmes de chambre en avait la clef. Dans cette salle, on avait pratiqué, du côté de la rue, un retranchement où couchait Lebrun, lorsqu'il ne passait pas la nuit chez lui. Le reste de l'étage consistait en un appartement de réserve où la dame Mazel recevait les personnes à qui elle donnait à souper et à jouer.

La chambre à coucher de la dame était au second élage, ayant vue sur la cour. Cette chambre était précédée de deux antichambres, dont l'une, qui donnait sur l'escalier d'honneur, restait toujours ouverte; l'autre se fermait quand la dame était couchée.

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Deux portes s'ouvraient dans sa chambre à coucher l'une aboutissant à un petit escalier dérobé, l'autre donnant dans une garde-robe qui avait issue sur le même petit escalier. La première de ces portes était dans la ruelle du lit, et la dame Mazel pouvait l'ouvrir sans se lever. Au dossier de ce lit pendaient deux cordons de sonnette correspondant aux chambres des deux femmes de chambre.

Il faut dire encore que dans la garde-robe se trouvait une armoire dont on mettait la clef au chevet de la dame Mazel, et dans cette armoire était la clef du coffre-fort.

Excepté la chambre habitée par l'abbé Poulard, le troisième étage de l'hôtel était entièrement vide. La chambre du moine défroqué était située au-dessus de la garde-robe; elle prenait entrée par l'escalier dérobé qui donnait sur la ruelle du lit de la dame Mazel.

Le quatrième étage était occupé par les deux femmes de chambre et les deux petits laquais.

La cuisinière couchait en bas dans un bûcher, et le cocher dans un recoin de l'escalier. Ce dernier était chargé du soin de la porte cochère, dont la grosse clef demeurait accrochée à un clou dans la cuisine, à la disposition des gens de la maison.

Au faîte de l'hôtel régnait un vaste grenier toujours ouvert, et dans lequel s'ouvrait une lucarne donnant accès sur une large gouttière placée entre deux toits, et qui se prolongeait fort avant le long des maisons. La porte de ce grenier ne se fermait jamais.

A tous ces détails, dont pas un ne paraîtra inutile à l'intelligence de ce récit, il faut en ajouter un dernier. Quelque temps avant le moment où commence cette histoire, c'est-à-dire à l'entrée de l'hiver de 1689, la dame Mazel avait redemandé à Lebrun un passe-partout dont il se servait pour sortir et rentrer à sa guise, et elle l'avait remis à l'abbé Poulard. Lebrun, toutefois, en avait un second, dont il n'avait point cessé de faire usage.

Tout ceci posé, reportons-nous au 27 novembre 1689.

Ce jour-là, les filles de Lebrun étaient venues visiter la dame Mazel à l'issue de son diner. Elle les avait reçues, comme d'ordinaire, avec bienveillance, les avait engagées à revenir la voir, et les avait quittées pour aller à Vêpres, car on était au premier dimanche de l'Avent.

Lebrun donna le bras à sa maîtresse; les deux petits laquais suivaient, et le valet de chambre ne rentra à l'hôtel que lorqu'il eût vu la dame Mazel commodément assise dans son banc, en la chapelle du couvent des religieuses de Prémontré de la rue Hautefeuille. Libre à partir de ce moment de tout service jusqu'à l'issue de l'office, Lebrun s'en alla flâner, voir ses amis au jeu de boules; il en sortit avec le serrurier Lagiée, mari de la vieille cuisinière. Tous deux, gens de mœurs régulières et incapables de faire débauche, avaient concerté un petit piquenique entre les deux ménages. Ils allèrent chez un rôtisseur acheter de quoi souper. Lebrun monta un

instant chez sa femme; puis, à huit heures, il se rendit rue du Battoir, chez une dame Duvau, où il devait reprendre sa maîtresse avec les deux petits laquais et le cocher. Après l'avoir remise à l'hôtel, il rejoignit Lagiée.

-

Point de réponse : l'alarme redouble. - «Auraitelle été frappée d'un coup de sang! dit quelqu'un des gens. Il faut que ce soit quelque chose de pire, dit Lebrun; je suis vraiment inquiet d'avoir vu cette nuit la porte cochère toute grande ouverte. »

On court au Palais avertir le conseiller de Savonnières. M. l'aîné arrive, frappe sans résultat et envoie chercher un serrurier pour ouvrir la porte. «Qu'est-ce que cela? dit-il à Lebrun, il faut que ce soit une apoplexie. Si on envoyait à tout hasard chercher le chirurgien? proposa l'une des femmes de chambre. Il n'est pas question de cela, répliqua Lebrun, c'est bien pis; il faut qu'il y ait de la malfaçon je suis bien inquiet à cause de la grand'porte que j'ai vue ouverte cette nuit. »

La dame Mazel soupa en tête-à-tête avec l'abbé Poulard, comme à son ordinaire. Pendant le repas, l'abbé annonça qu'il irait coucher dans sa chambre en ville. La dame Mazel se mit au lit vers onze heures. Lebrun s'était attardé à son souper de famille; on l'entendit gratter à la porte de l'escalier dérobé, au moment où les deux femmes de chambre, après avoir défait leur maîtresse, se préparaient à se retirer. - «Qui est là? demanda la dame Mazel. C'est M. Lebrun, répondit la femme de chambre. Voilà une belle heure! dit la maîtresse. » Voyant qu'on ne lui ouvrait point de ce côté, Lebrun avait fait le grand tour et revenait par l'escalier d'honneur. Sa maîtresse lui donna ses ordres pour le souper du lendemain, jour de réception. Le valet de chambre fit son service ordinaire, ferma la porte de la chambre en la tirant, après en avoir placé la clef sur un siége en dedans; puis, ainsi qu'il le faisait tous les soirs, il ferma la porte de la seconde antichambre, et en déposa la clef sur la cheminée de la pre-cle, fut qu'on n'avait pu tuer sa maîtresse que pour mière. la voler. Il courut au coffre-fort, le souleva; la serrure était intacte. «Elle n'est point volée, dit le valet de chambre; qu'est-ce que cela? »>

Cela fait, Lebrun descendit à la cuisine, posa son chapeau sur la table, et prit la clef de la grande porte, dans l'intention de la fermer; il la mit sur la table et prit un air de feu devant les fagots qui flambaient dans l'âtre. Insensiblement, il s'endormit. Quand il se réveilla, une horloge voisine sonnait une heure du matin. Le brave homme, un peu lourd de son souper, alla fermer la porte, qu'il trouva toute grande ouverte, et emporta la clef dans sa chambre.

Le lendemain, de grand matin, il se mit en campagne. Il fallait acheter les provisions pour le souper du soir, aller à la boucherie, à la Vallée. Il rencontra un libraire de sa connaissance, avec lequel, comme il disait en son langage, il tailla une bavette. Il était tout gaillard, même un peu badin.

Chez le boucher, il pressa l'envoi du pot-au-feu; sa maîtresse voulait prendre un bouillon de bonne heure. Revenu à l'hôtel, il rencontra près de la porte trois amis qu'il fit entrer un instant dans la cuisine. Il était de si folâtre humeur, qu'ayant ôté son manteau, il le plaça en badinant sur les épaules d'un des survenants, et, s'emparant d'une éclanche de mouton, fit mine d'en frapper, disant:- «Il m'est bien permis de battre mon manteau tant que je voudrai. »

Le valet de chambre donna ensuite un coup d'œil aux apprêts du souper, remit une charge de bois à l'un des petits laquais pour la chambre de madame. Huit heures sonnaient cependant, et la maîtresse du logis n'avait pas encore sonné ses femmes. Lebrun s'en aperçut, non sans inquiétude. La dame Mazel se réveillait d'ordinaire à sept heures.

Lebrun tracassa encore quelques minutes, attendant toujours le coup de sonnette. Il sortit un instant, monta chez sa femme pour lui donner à serrer sept louis et quelques écus, qu'il ne voulait pas garder en poche. Il lui dit, en retournant à l'hôtel - « Madame n'est pas éveillée; je ne sais ce que cela veut dire. »

A l'hôtel, il trouva tous les domestiques sérieusement alarmés du silence de leur maîtresse. On se résolut à monter et à frapper aux différentes portes de sa chambre en criant: madame Mazel!

Le serrurier arrive, ouvre la porte. Lebrun entre le premier, court au lit de la dame Mazel, tire les rideaux et s'écrie: «Madame est assassinée!» Puis, il entre dans la garde-robe, ôte une des barres de la fenêtre, qu'il ouvre pour donner plus de jour, et l'on aperçoit la dame Mazel étendue dans son lit, morte, baignée dans son sang. Son visage, son cou, ses mains, étaient hachés de blessures.

La première pensée de Lebrun, à ce triste specta

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Le magistrat trouva dans le lit un fragment de cravate à coins brodés, teint de sang, et une serviette roulée en bonnet de nuit, gardant encore la forme de la tête de celui qui l'avait adaptée à cet usage. Cette serviette, toute tachée de sang, était marquée à la marque de la maison. On présuma que la victime, en se défendant, avait arraché à l'assassin ce morceau de cravate et cette espèce de bonnet.

Entre les doigts tailladés de la morte, étaient quelques cheveux qui ne ressemblaient en rien à ceux de la dame Mazel, et qu'elle avait évidemment arrachés au meurtrier pendant la lutte.

L'information dirigée sur les meubles et sur les issues donna des résultats singuliers. Les deux cordons de sonnette se trouvèrent tournés à la tringle de la housse du lit et serrés à deux nœuds, en sorte qu'en les tirant on ne remuait que le lit. La clef de la chambre n'était pas sur le siége où, d'ordinaire, on la plaçait le soir, et il n'y avait aucune trace d'effraction aux portes, ni à celle de l'antichambre, ni à celle de la chambre. La cheville qui bouchait le petit trou au-dessus du pêne paraissait n'avoir pas été dérangée. Les deux portes qui donnaient sur l'escalier dérobé étaient fermées en dedans au crochet.

La clef de l'armoire était à sa place habituelle, au chevet du lit. L'armoire ouverte, on y trouva la bourse dans laquelle la dame Mazel serrait l'argent des cartes; il y avait environ 278 livres. Dans l'armoire était encore la clef du coffre-fort; on l'ouvrit, il contenait plusieurs sacs pleins d'argent, une bourse ouverte au fond de laquelle était un demilouis, et toutes les pierreries de la victime, d'une valeur estimée à 15,000 livres. Enfin, les poches de la dame Mazel renfermaient 18 pistoles en or.

On pouvait supposer, à première vue, que le vol n'avait pas été la cause déterminante du meurtre. Le Lieutenant-criminel procéda sur-le-champ à l'interrogatoire des deux femmes de chambre et de Lebrun celles-là avaient assisté au coucher de leur maîtresse, celui-ci l'avait quittée le dernier. Lebrun, fouillé, fut trouvé porteur de la clef de l'office et d'un passe-partout qui se trouva propre à ouvrir le demi-tour de la serrure de la chambre à coucher; le passe-partout fixa les soupçons sur le valet de chambre. On garda Lebrun à vue.

On lui mit sur la tête la serviette tournée en forme de bonnet de nuit; cette coiffure fut trouvée trop étroite pour lui. On examina ses mains, qu'il n'avait pas encore lavées ce jour-là, on les lui fit laver : elles ne portaient aucune empreinte de sang, aucune trace d'égratignures

Le coffre de Lebrun fut visité; on n'y trouva rien de suspect. Néanmoins, le passe-partout semblait accuser le valet de chambre. Lebrun et sa femme furent immédiatement arrêtés; les scellés furent apposés sur les meubles et sur les portes de l'appartement de la victime.

Le lendemain, 29 novembre, le Lieutenant-criminel fit une perquisition nouvelle; après un interrogatoire assez sommaire du reste des domestiques, il lui vint à l'idée, un peu tard, de visiter le petit escalier dérobé. Il y découvrit, sur l'un des derniers degrés, une corde neuve, très-longue, terminée par un croc de fer à trois branches, et garnie, d'espace en espace, de nœuds pour servir d'échelle.

| vérifier minutieusement les toits, la large et longue gouttière qui communiquait avec les maisons du voisinage. On ne le fft pas.

Ce qui sauta aux yeux du magistrat instructeur, c'est que Lebrun, bien que la dame Mazel lui eût retiré le passe-partout, en avait un second ouvrant les doubles tours de la grand'porte, le demi-tour de la chambre à coucher de la victime, et le double tour des portes d'antichambre. C'est que, dès le premier moment, lorsque la dame Mazel ne répondait pas aux cris poussés pour l'appeler, et lorsqu'il était naturel d'attribuer son silence à la maladie ou à la mort par apoplexie, Lebrun avait paru craindre quelque chose de pis. C'est encore que, contre son habitude, Lebrun avait, dans la nuit du crime, emporté dans sa chambre la clef de la porte cochère, qu'il prétendait avoir trouvée ouverte dans le milieu de la nuit.

Quel intérêt pouvait avoir Lebrun à la mort de sa maîtresse?

A cela, les magistrats répondaient que le valet de chambre se savait couché sur le testament de la dame Mazel pour une somme de 6,000 livres, et pour la moitié des hardes et du linge de sa maîtresse. Ne pouvait-il pas avoir eu hâte de jouir de ces largesses? Ce qui sembla le prouver, c'est qu'on n'aperçut pas d'abord que la dame Mazel eut été volée après sa mort, Lebrun lui-même en avait fait la remarque avec un empressement suspect; il se pouvait donc faire que, pressé de toucher son legs, craignant, sur quelques mots de sa maîtresse, qu'elle ne changeât ses disposiLebrun, cependant, avait été minutieusement tions testamentaires, il eût poussé au meurtre quelvisité. Il ne s'était trouvé, ni sur lui ni sur ses ha- que bras étranger, dont il aurait payé les services bits, aucune égratignure, aucune tache de sang. Or, à l'aide de quelque somme disparue. Ainsi s'exle jour où on découvrait la corde, des agents ramas-pliquaient le séjour évident de l'assassin dans le saient dans un coin du grenier une chemise, dont le devant et les manches étaient ensanglantés, et un col de cravate taché de sang aux deux bouts. Ce linge appartenait-il à Lebrun? En ce cas, il était étonnant qu'on n'eût pas trouvé aux mains et au cou du valet de chambre des marques d'un récent lavage. Des lingères, appelées comme experts par les magistrats, ne trouvèrent aucun rapport entre la che mise ensanglantée et le linge de Lebrun. Il y eut une femme de chambre qui crut se rappeler avoir blanchi une chemise semblable pour un laquais du nom de Berry, chassé de la maison comme voleur. Une autre dit avoir vu à ce Berry une cravate à coins brodés, pareille à celle de l'assassin. Ces dernières indications étaient précieuses, et devaient ouvrir une voie nouvelle à une information bien faite; on les négligea

Les couteliers qu'on commit à l'expertise ne signalèrent aucune similitude entre les couteaux trouvés chez Lebrun et celui que l'assassin avait abandonné dans les cendres du foyer.

*

Un perruquier expert affirma que les cheveux trouvés entre les doigts de la victime n'avaient, avec ceux de Lebrun, aucune ressemblance de grosseur et de couleur.

Aucune des cordes existant dans l'office, dans la maison, ou au logis de Lebrun, n'avait de rapport avec la corde à nœuds de l'escalier dérobé. Et, d'ailleurs, pour qui eût su réfléchir, cette corde était toute une révélation. Elle signifiait que le meurtrier, venu du dehors, comptait s'échapper par les toits ou par les fenêtres. Ces linges sanglants, quittés dans le grenier, témoignaient que c'était là l'issue qu'il s'était choisie; que par là, peut-être, il s'était introduit dans la maison. Il eût donc fallu

grenier, les précautions prises pour assurer sa fuite par les toits, au cas où quelque circonstance imprévue aurait rendu impossible l'issue de la grand'porte.

Si donc Lebrun n'était pas la main, il était la tête; il avait inspiré le crime, s'il ne l'avait commis. Encore était-ce là l'hypothèse la plus favorable, car c'était peut-être pour détourner les soupçons sur un étranger que cette corde à nœuds avait été placée dans l'escalier dérobé, que ce linge ensanglanté avait été caché dans le grenier. Les nœuds de la corde n'étaient pas serrés et on n'en avait pas fait usage.

Ce qu'il y avait de plus certain, c'est que la perpétration du crime indiquait une connaissance profonde des aîtres, la facilité de s'introduire dans l'appartement de la dame Mazel, la facilité d'en sortir sans être vu. A Lebrun seul tout avait été possible. Resté éveillé seul, quand tout dormait dans la maison, ayant seul à sa disposition le feu pour se procurer de la lumière, maître des clefs, il n'avait dû rencontrer aucun obstacle. Il avait l'intérêt qui pousse au crime et les moyens de le commettre.

Telles furent les raisons présentées par M. de Savonnières l'aîné dans une requête au Lieutenantcriminel, signée de lui et de son frère. Il y demandait que Lebrun fut déclaré dûment atteint et convaincu «d'avoir tué et massacré la dame Mazel, de lui avoir volé tout l'or qu'elle avait dans son coffrefort, à l'exception d'un demi-louis. » Les trois frères demandaient en outre que le valet de chambre fût déclaré indigne et déchu du legs que sa maîtresse lui avait fait par testament, et qu'il fût condamné à restituer le vol et à tels intérêts civils qu'il plairait à la Cour arbitrer, ainsi qu'aux frais du procès.

Ce fut Me Jean Barbier d'Aucourt, avocat au Parlement de Paris et membre de l'Académie française, qui entreprit la défense du pauvre domestique devant les juges du Châtelet. Fin critique, M° Barbier n'eut pas de peine à démêler la vérité du milieu du tissu d'erreurs et de préjugés dont se composait l'information. Lebrun, sévèrement interrogé par lui, se montra vite ce qu'il était : naïvement honnête, dévoué jusqu'au fanatisme à sa maîtresse, dont il cherchait à pallier les faiblesses, même au péril de sa vie. Ce ne fut pas par lui, mais par la rumeur publique, que le défenseur apprit certaines circonstances qui signalaient dans la vie de la dame Mazel des mystères où, sans doute, il fallait chercher la cause de sa mort.

Cet abbé Poulard, par exemple, qui avait entretenu avec la défunte des relations suspectes, qui avait chez elle une position si étrange, eût dû attirer l'attention de la Justice.

Ancien moine défroqué, l'abbé Poulard était désigné, dans le testament de la défunte, sous le nom de père Poulard, ci-devant religieux. S'il n'y était couché pour aucun legs spécial, la dame Mazel entendait lui continuer, après sa mort, les avantages dont il avait joui pendant sa vie. M. de Savonnières l'aîné était chargé de loger et de nourrir le moine excommunié.

L'ex-dominicain avait une sœur, nommée madame Chapelain, veuve d'un conseiller au présidial du Mans. Cette femme, indigente comme son frère, de très-agréable figure, était publiquement recherchée par M. de Savonnières de Lignères, le second fils de madame Mazel. Malgré son peu de bien, elle espérait amener au mariage le jeune trésorier, et sa coquetterie avait, par d'habiles résistances, enflammé M. de Lignères au point de lui fermer les yeux sur les défauts de convenance d'une union semblable. La dame Mazel, fort absolue dans ses volontés, s'op

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posait à ce mariage, que désirait ardemment l'abbé Poulard.

On disait que, six mois avant le crime, M. de Lignères avait affiché sa passion par des présents d'un luxe inouï il avait donné à la jeune veuve tout un habit de brocart d'or et d'argent, depuis les souliers jusqu'aux jupes. La Chapelain avait accepté ces cadeaux, tout en continuant ses rigueurs à l'inflammable trésorier.

Me Barbier d'Aucourt vit dans ces intrigues matrimoniales un intérêt à la mort de la dame Mazel tout autrement puissant que celui qui eût pu pousser le pauvre Lebrun, L'abbé Poulard, ce peu scrupuleux personnage, s'était fait donner récemmment le passe-partout de Lebrun. Il avait affecté, pendant le dernier repas pris avec la dame Mazel, de répéter qu'il irait, cette nuit-là, coucher en ville. L'abbé Poulard avait connu chez la dame Mazel ce Berry, voleur chassé, dont on avait cru reconnaître la chemise et la cravate dans celles qu'avait abandonnées le meurtrier.

Autre indice, qui parlait contre le moine depuis que la Justice était saisie, il n'avait cessé de répandre sur Lebrun des bruits singuliers. Tantôt il

CAUSES CÉLÈBRES. 119° LIVR.*

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| le disait seul coupable du meurtre, et mêlait à ces suppositions des insinuations offensantes pour la mémoire de sa bienfaitrice; tantôt il accusait Lebrun de complicité avec ce Berry, que l'information s'obstinait à laisser dans l'ombre. «La dame Mazel, disait le moine, avait eu dans sa jeunesse un enfant avec un grand seigneur, qui lui avait laissé, pour élever ce bâtard, une somme d'argent considérable. Cet enfant n'était autre que ce Berry, devenu depuis laquais chez sa mère. Lebrun, initié à tous les mystères de la jeunesse de sa maîtresse, avait révélé à Berry le secret de sa naissance, dans l'espoir d'en faire son gendre. Le valet de chambre avait cherché à faire rentrer en grâce le bâtard chassé de la maison maternelle; il l'avait introduit, la nuit, dans la chambre à coucher de sa mère, et là, suppliant, menaçant, Berry avait tout employé pour fléchir la dame Mazel ou pour l'effrayer, les réclamations et les prières. Violente comme elle était, la marâtre n'avait pu écouter de sang-froid ces discours; elle avait sauté à la gorge de son fils, qui, forcé de se défendre, avait tiré son couteau et tué la dame Mazel, par emportement et sans dessein prémédité. »

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