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la déposition précédente, ajoutant Mon frère a chassé cette fille, pour ainsi dire, malgré nous; car elle accablait notre mère de prévenances et de soins. M. Pierre Jouanno, maire à Pontivy. - Le lendemain de l'enterrement de son fils, sa femme dit à Hélène : « Votre présence renouvellerait mes chagrins, je ne puis vous garder. » Elle sortit donc, mais sans qu'il y eût mécontentement contre elle. Les domestiques dirent cependant qu'elle avait le foie blanc.

M. Gustave Bréger, avocat, après avoir rendu compte des accidents survenus dans sa famille, ajoute Je crus un instant à l'empoisonnement, et Hélène me parut suspecte. Mais comment s'arrêter à cette pensée? Quel intérêt avait cette fille à attenter à nos jours? Aucun. Je repoussai donc cette idée. Nous mangions en commun, et les accidents se produisaient tantôt chez l'un de nous, tantôt chez l'autre ; cette circonstance était certes de nature à écarter de notre esprit l'idée d'un crime. Nos soupçons ne se sont éveillés qu'après les récents événements de Rennes.

M. Bréger croit se souvenir que les fermiers de M. Dupuy-de-Lôme, dont l'habitation était contiguë, ont été pris aussi de vomissements. M. Dupuy-deLôme confirme cette partie de sa déposition. Angélique Danet, domestique, a pris du café préparé par Hélène et a été gravement indisposée.

M. Diberder, médecin à Lorient, a donné ses soins à la famille Dupuy-de-Lôme. Il a cru M. Dupuy atteint d'une acrodynie, maladie dont le principal caractère est un fourmillement aux extrémités. L'affection s'est prolongée, et, après dix ans, le malade en ressent encore les suites. Y a-t-il eu empoisonnement? Il lui semble aujourd'hui que les symptômes observés alors chez les malades devaient provenir d'une injection d'arsenic plutôt que d'une maladie quelconque.

On entend les témoins sur les faits retenus par l'accusation.

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Mme Charlet, à Rennes. Quand elle a gagé Hélène, celle-ci lui a dit qu'elle était restée vingt-huit ans dans la maison d'où elle sortait. Mme Charlet la crut sur parole. Elle fit d'abord un bon service; mais bientôt elle devint brusque et grossière. Elle tomba malade; aux soins qu'on voulut lui faire donner, elle répondit par des injures telles, qu'il fallut la renvoyer. «Cependant, ajoute Mme Charlet, je ne soupçonnais pas sa probité; elle allait tous les matins à la messe, le soir aux offices. J'ai été bien surprise de trouver des serviettes à moi parmi les objets qu'Hélène fut accusée d'avoir dérobés. »

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M. Joseph Ozanne, propriétaire, à Rennes. Hélène buvait chez lui de l'eau-de-vie en cachette, et, pour éviter qu'on s'en aperçût, elle remplissait la bouteille avec du cidre. M. Ozanne, ayant découvert la fraude, lui en fit des reproches; Hélène se défendit vivement, et annonça qu'elle partirait. La femme du témoin s'apitoya et consentit à la garder quelques jours encore. Le mardi suivant, continue M. Ozanne, notre jeune enfant fut indisposé; mais cette indisposition ne dura pas et nous le croyions rétabli, quand, le samedi, il fut pris de vomissements. Nous nous demandions s'il fallait appeler le médecin. « Si monsieur, dit Hélène qui tenait l'enfant sur ses genoux, le voyait aussi malade que je le vois, il n'hésiterait pas. D

Le dimanche dans l'après-midi, M. Bruté fut appelé, et crut à une très-légère indisposition. Dans la soirée, le petit se plaignit de douleurs dans tout le corps. Il avait les extrémités glacées, et l'on ne put le réchauffer. Il se roidissait. M. Bruté revint vers dix heures, et dit : « Mon Dieu! c'est le croup!» Le docteur essaya en vain de lui poser des sangsues. L'enfant expira peu de moments après. Hélène s'empressa de l'ensevelir; nous en fûmes douloureusement émus.

Cette fille, ajoute M. Ozanne, parlait toujours poison quand on ne mangeait pas. Elle disait :« Croyezvous donc que je vous empoisonne? »

Un jour, j'offris à Hélène un verre de cognac. Elle me répondit : « Est-ce que je bois de ces saletés-là? »

M. le Président, à Hélène. Avez-vous pris de l'eau-de-vie chez M. Ozanne? - R. Oui, une fois. Julie Cambrai. - Hélène, sortant du cimetière où nous avions conduit le petit enfant de M. Ozanne,

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C'est faux, j'aimais bien ce petit en

M. le Procureur général, à l'accusée. Le témoin vous en voulait-il? — R. Non, mais elle se trompe. M. Bruté fils, docteur médecin, à Rennes, rend compte des symptômes qu'il a observés sur le petit Ozanne, qui, selon lui, a succombé à une affection croupale, la plus aiguë qu'il ait jamais vue. L'enfant fut foudroyé.

M. le Président, à M. Bruté. Mais vous n'avez pas aperçu les fausses membranes qui sont caractéristiques de cette maladie? R. Souvent elles sont cachées; il ne se manifeste parfois qu'une rougeur. D. Enfin rien ne vous a donné lieu de penser à un empoisonnement? - R. Non, Monsieur.

D. Il est bizarre que, dans tous les cas que nous venons de passer en revue, les médecins ne voient d'abord rien de grave; ils admettent une indisposition, et prescrivent des remèdes peu actifs, et puis, soudain, les malades empirent et meurent! Enfin, avez-vous distingué la toux croupale, Monsieur? R. D'abord, c'étaient les symptômes d'une angine seulement; puis le croup fit subitement invasion; la toux, cette foux qui ressemble tant au chant du coq, n'existait pas, mais il y avait le timbre croupal, qu'on ne peut confondre avec un autre.

M. Victor Rabot, vérificateur de l'enregistrement, à Rennes. Les souvenirs cruels que réveillent les faits dont il est appelé à déposer l'ont douloureusement ému; par instant, des larmes s'échappent de ses yeux. M. Rabot fait le récit détaillé des malheurs qui sont venus le frapper dans ses affections, la mort de son jeune enfant, la maladie de sa bellemère et de sa femme, dont la guérison est encore loin d'être complète. Il reconnaît que le service d'Hélène, dans les premiers temps de son entrée chez lui, a été satisfaisant. S'il prit la résolution de la renvoyer, c'est qu'elle lui volait son vin. Ce renvoi mécontenta vivement Hélène; c'est alors que Mme Rabot est tombée malade. Une garde fut placée près d'elle; Hélène trouva le moyen de la faire partir.

L'accusée, interpellée par M. le Président, persiste à dire qu'elle n'a mêlé aucune substance nuisible aux aliments pris par les malades. L'enfant, elle l'a protégée contre les faiblesses de la mère, toujours disposée à lui donner à manger. Mme Rabot, elle l'a soignée avec dévouement. Quant aux propos qu'on l'accuse d'avoir tenus sur le compte de la famille, elle les nie énergiquement.

M. le Président, à l'accusée.-M. Rabot vous annonça votre congé, et vous en fûtes blessée? R. Ah! c'était bien mal de sa part... après tant de peine que je m'étais donnée. Bien punie pour tous

mes soins.

D. Mais Mme Rabot n'a guéri qu'après votre départ, et nous retrouvons chez elle ces mêmes symptômes qui ont persisté si longtemps chez M. Dupuy-de-Lôme, chez Mme Bréger! Ces maladies n'ontelles pas toutes eu la même cause, et cette cause n'est-elle pas le poison? R. Ah! tout ce que

j'ai fait, c'est pour rendre service.

M. Rabot fait remarquer que jamais on ne voyait Hélène manger des plats préparés pour les maîtres, elle voulait même que certains vases de la cuisine ne servissent qu'à son usage.

M. le Procureur général, au témoin, Avez-vous

- ·

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su si Hélène n'aimait pas votre enfant? - R. Mon enfant avait horreur de cette fille, qui prenait du tabac et qui était sale. Elle en a gardé rancune, car elle disait de lui: « Quel enfant mal élevé! » D. M. Brière, votre beau-père, n'a-t-il pas envoyé Hélène chercher du sirop de violette chez M. Morio? R. Oui; la bouteille ne fut pas capuchonnée par M. Morio. Mon beau-père trouva le sirop mauvais, et ne voulut pas qu'on le servît à sa fille. Le sirop était rose comme du sirop de mûres; le flacon fut reporté au pharmacien, qui remarqua que la couleur était changée et ne le reconnut pas pour le

sien.

Charlotte Brière, dame Rabot. Elle paraît en proie à une vive douleur; sa figure est pâle et souffrante. Elle confirme la déposition de son mari. Hélène recevait ses ordres avec tant d'emportement, qu'elle en vint à ne plus rien oser lui dire, se résignant à être témoin de ses vols et de ses désordres. Quand elle allait à la cuisine, Hélène paraissait gênée, ayant toujours l'air de cacher quelque chose. Elle ne mangeait jamais devant elle. L'accusée. Je mangeais cependant pour vivre. Madame me servait.

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Mme Rabot. Je n'avais pas l'habitude de servir Hélène; un jour, cependant, je lui donnai du canard sauvage, mais je crois qu'elle le jeta.

Interpellé par M. le Procureur général, M. Rabot dit avoir souvenir que les malades ont éprouvé une rechute après avoir mangé d'un canard sauvage.

M. Vincent Guyot, docteur médecin, à Rennes, a donné ses soins au jeune Rabot et à Mme Rabot. Il décrit la marche et l'issue funeste de la maladie de l'enfant. Mme Rabot vomissait beaucoup. Comme elle dit aux médecins qu'elle était enceinte, son confrère et lui virent l'explication de sa maladie et de ses suites dans son état de grossesse et dans le chagrin qu'elle avait éprouvé. Une fausse couche de Mme Rabot, où l'enfant était réduit à l'état de putréfaction, vint confirmer en quelque sorte leur première appréciation.

Mais, depuis, sa manière de voir a changé. Pour l'enfant, il croit, sans toutefois en être absolument convaincu, qu'il a été empoisonné. Mais il ne conserve aucun doute sur ce point-ci : Mme Rabot a été victime d'une tentative d'empoisonnement. Sa conviction est plus forte encore en ce qui touche Mme Brière. Si la grossesse de Me Rabot permettait jusqu'à un certain point d'expliquer son état, il n'en était pas ainsi quant à la maladie de Mme Brière. Aujourd'hui, tout s'explique par l'injection répétée d'une substance arsenicale.

Le témoin ajoute qu'il a été le médecin de Mme veuve Roussel, au Bout-du-Monde. Cette dame a été saisie de vomissements qui ont duré pendant vingt jours, accompagnés de refroidissements aux extrémités; on fit subir à Mme Roussel une médication énergique, qui ne put avoir raison du mal; les vomissements ne cessèrent que quand Mme Roussel renonça à prendre un potage qui lui était régulièrement préparé par Hélène.

Le docteur a également donné ses soins à Perrotte Macé. Ici encore, il y eut incertitude sur la nature de la maladie; un instant on crut à une grossesse, supposition reconnue bientôt inadmissible. Il y eut rémittence des symptômes, on espéra la guérir. Point: une rechute subite eut lieu; les vomissements redoublèrent, une inquiétude générale agitait la malade, les extrémités se refroidirent; enfin, elle expira.

Le témoin et M. Révault, son confrère, croyaient à un empoisonnement; l'autopsie aurait révélé la vérité; mais les parents s'y opposèrent, partageant une répugnance commune à tous les paysans.

Aujourd'hui, la pensée intime du témoin est que Mme Roussel doit sa paralysie à l'injection arsenicale; que Perrotte Macé est morte empoisonnée.

Hélène. J'ai fait ce que j'ai pu pour rendre service à Mme Roussel et à Perrotte Macé; je les ai soignées le jour et la nuit. Jamais je n'ai mêlé quoi que ce soit à leurs aliments.

M. le docteur Guyot.-Hélène me disait, en parlant de Perrotte Macé : «Elle est poitrinaire, elle ne guérira jamais! » Ces mots : Elle ne guérira jamais! furent aussi ceux qu'elle prononça à l'égard du petit Rabot.

M. Morio, pharmacien à Rennes. - Hélène s'est plainte à lui plusieurs fois du caractère de Mme Rabot. Elle lui à dit, pendant la maladie de l'enfant, qu'il était plus malade qu'on ne le pensait, et qu'il n'en reviendrait pas. En ce qui concerne la fiole de sirop de violettes, à lui rapportée comme contenant du sirop de mûres, elle fut mise de côté, confondue avec d'autres, et le contenu en fut jeté, de sorte que le témoin ne put le vérifier. « Depuis lors, dit-il, j'ai essayé l'action de l'arsenic sur le sirop de violettes. Ce dernier n'a pas rougi. Peut-être l'arsenic en solution dans l'eau bouillante produirait-il cet effet? Quant à la fermentation qui résulterait de la chaleur dela main, elle ne pourrait produire le changement de couleur en si peu de temps.

Victoire Morel, domestique; Marie Hochet, femme Angevin, ont plus d'une fois reçu les confidences d'Hélène. Outre les mauvais propos qu'elle tenait sur Mme Rabot, Hélène a dit à Victoire Morel : « C'est absolument la même maladie que son fils; Mme Rabot en mourra.» A Marie Hochet: « Le fils de Mme Rabot n'en reviendra pas. »

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Marie Trouchard.-Je n'ai vu l'accusée qu'une fois; elle me dit : «Mme Rabot mourra; elle ne peut pas en revenir. Je suis allée chercher le prêtre; on l'a refuse; elle mourra sans sacrements. »

-

L'accusée. J'ai dit seulement que Mme Rabot avait passé une mauvaise nuit.

M. Roussel, maître d'hôtel, au Bout-du-Monde.-Il confirme tous les détails déjà connus sur les débuts et les progrès de la maladie de sa mère et de Perrotte Mace. Il n'a su ce qui concerne la soupe d'herbes offerte par Hélène à Perrotte, qu'après l'arrestation d'Hélène. Alors seulement s'est présentée à son esprit l'idée d'empoisonnement. Hélène lui avait paru, dans toute circonstance, porter beaucoup d'intérêt à la malade.

Le détestable caractère d'Hélène, ses querelles avec les autres domestiques, et surtout un vol de vin dont elle se rendit coupable, ont été les seules causes de son renvoi.

Le témoin ajoute qu'Hélène ne mangeait jamais avec les autres domestiques; elle trouvait toujours un prétexte pour s'en dispenser; elle disait qu'elle vomissait souvent, et qu'elle avait mal à l'estomac. M. Roussel a reconnu, parmi les objets saisis chez Hélène, un drap lui appartenant.

Hélène. J'ai volé ce drap parce que je me doutais que M. Roussel ne m'avait pas donné exactement ma part de ce qu'il y avait dans le tronc des domestiques.

Mme veuve Roussel. Ce témoin entre dans la salle, appuyée sur le bras de son fils. Sa déposition a trait

aux faits qui ont précédé sa maladie et la mort de Perrotte Macé. Quand elle eut remarqué que les boissons seules qui passaient par les mains d'Hélène lui faisaient mal, elle renonça au bouillon qu'elle avait l'habitude de prendre avant le repas. Elle n'a été saisie de vomissements qu'après qu'elle eut fait des reproches à Hélène sur sa malpropreté.

M. Révault, docteur-médecin, a donné ses soins à Mme Roussel concurremment avec M. Guyot. Comme son confrère, il a vivement regretté de ne pouvoir procéder à l'autopsie du cadavre de Perrotte Macé. Il dit plus tard à M. Roussel, qui lui demandait ce qu'il pensait de cette mort: «Si la maladie de cette fille a quelque analogie avec le choléra, ce n'est point cependant le choléra. Je crois à l'empoisonnement. » M. Roussel se récria, et lui dit que l'autopsie était impossible.

M. le Président.-L'analyse chimique a démontré la présence de l'arsenic dans les viscères de Perrotte Macé. Qui a donné cet arsenic, dont l'existence avait été si bien prévue par le témoin? Qui le lui a donné? (A Hélène) Le savez-vous? N'est-ce pas vous, Hélène ?

L'accusée murmure quelques paroles inintelligibles. Enfin, elle dit : « Jamais je n'ai eu d'arsenic entre mes mains, monsieur le Président, jamais! »

Jean André, menuisier à Saint-Gilles.-Le service que faisait Hélène était excellent, le mien aussi. Elle a parfaitement soigné Perrotte Macé; mais elle disait que c'était en vain, les médecins allant au contraire de sa maladie.

D. Hélène n'avait-elle pas bien soin de vous, qui reveniez de l'hôpital? – R. Hélène me donnait le bouillon tous les matins pour me faire revenir. Elle me dit un jour qu'elle était lassée de servir, et qu'elle aurait bien voulu se retirer.

D. N'avez-vous pas attaché une certaine pensée à cette confidence? R. (Avec énergie.) Non!

D. Les bouillons qu'elle vous a donnés ne vous ont fait aucun mal?— R. Beaucoup de bien, au contraire.

D. L'accusée n'était-elle pas jalouse de Perrotte Macé, qui, par son extérieur agréable, pouvait vous plaire?— R. Perrotte était une bonne fille dans son vivant. Elle ne s'est pas dérangée d'un moment. On ne s'y serait pas frotté.

D. Hélène ne vous a-t-elle pas dit : Perrotte n'en reviendra pas? - R. Elle m'a dit cela. « C'est une personne de moins, ajoutait-elle; les médecins la traitent contre sa maladie. »

Le témoin, continuant. Hélène ne mangeait pas souvent avec nous, même alors; elle travaillait jour et nuit; mais je croyais qu'elle mangeait en cache. D'ailleurs un camarade m'a dit qu'il l'avait vue manger un callot de pain, avec de la viande, qu'elle mordait à même. Quant à moi, j'en ignore, mais je le crois, car on ne vit guère chez nous sans manger!

Hélène. Je vomissais tout ce que je prenais... Je buvais un bouillon par-ci par-là... quelquefois une petite bouchée de pain, rien en cachette... Je n'ai jamais pensé à André pour le mariage, pas plus à lui qu'à d'autres... Tout cela était plaisanterie.

On entend plusieurs témoins, amies et compagnes de Perrotte, qui l'ont visitée ou gardée pendant sa maladie. - Toutes s'accordent à dire Perrotte que montrait une extrême répugnance pour Hélène, et pour les boissons que celle-ci lui donnait. Elle disait à Hélène : «Que vous etes sale, vilaine Bretonne !» Elle avait horreur du bouillon: « Oh! des bouillons d'herbes !... j'en ai bien assez. Celui que m'a donné

Hélène, cette nuit, m'a fait mal!» Les témoins n'y comprenaient rien; car l'accusée paraissait trèsbonne pour sa compagne. Au chevet de son lit, elle s'écriait : « Que ne ferais-je pas pour te sauver, ma pauvre Marie! » Sur le point de mourir, Perrotte voulut faire des excuses à Hélène. L'accusée répondit à la mourante, en l'embrassant : « Ah! je ne t'en veux pas, ma pauvre Perrotte; je sais que tu n'y es pour rien. »

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M. Esnault, pharmacien. J'affectionnais Perrotte Macé; aussi lui portais-je moi-même ses médicaments. Elle me dit un jour : « Je brûle, je suis altérée. » Je dis à Hélène, qui était présente, de lui donner à boire.

L'accusée venait chez moi se plaindre de maux d'estomac. Elle me disait de Perrotte: « Les médecins ne se connaissent pas à sa maladie; Perrotte mourra. Je ne sais ce qu'ont les messieurs Roussel, ils ne veulent pas que je soigne cette pauvre enfant. » J'en parlai aux gardiennes, qui dirent: « Ce n'est pas étonnant, Marie (on appelait ainsi Perrotte Macé) a une horrible répugnance d'elle. »>

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sieurs fois, d'une voix sépulcrale: Rose! Rose ! Cette pauvre fille eut peur et se cacha sous sa couverture. Le lendemain, Rose se plaignit au témoin, qui fit des reproches à ses domestiques. Hélène prétendit que c'était le garçon de ferme qui avait fait cette mauvaise plaisanterie. Puis elle ajouta : « J'ai moi-même entendu frapper un grand coup dans la porte. J'ai cru entendre l'avénement de cette pauvre Rose! D

Le dimanche 3 novembre, M. Bidard quitta la campagne et revint à Rennes. Après le dîner de ce jour, qu'elle avait pris en commun avec Hélène, Rose fut saisie de vomissements. Hélène lui prodigua dans cette circonstance les soins d'une mère. Elle lui fit du thé, et passa la nuit près d'elle. Le lendemain matin, Rose se leva, quoique encore souffrante. Hélène lui ayant de nouveau donné du thé, Rose fut comme terrassée par des vomissements atroces, qui éclatèrent comme un coup de foudre; ils ne cessèrent qu'après que la malade eut pris beaucoup de thé préparé et servi par le témoin lui-même. La nuit fut assez bonne, et M. Pinault, appelé, ne vit dans ces accidents, qu'une affection nerveuse. Mais, dans la journée du 5, les vomissements reprirent, et Hélène de s'écrier alors : « Les médecins n'entendent

rien à la maladie, Rose va mourir!» Prédiction folle, en apparence du moins; car Rose avait le pouls excellent et pas de fièvre.

Julienne Berhault, domestique chez M. Roussel.Elle était présente quand Hélène a proposé à Perrotte de lui faire une soupe d'herbes pour lui décrasser le cœur. Elle s'absenta et revint. Hélène lui dit : « Perrotte a mangé de la soupe; elle s'est trouvée très-mal; moi, je n'en ai pas mangé. » Le témoin Dans la nuit de mardi à mercredi, calme; mais monta à la chambre de la malade. Celle-ci lui dit : dans la journée, vomissements intenses, douleurs « Oh ! j'ai mangé de cette soupe; je crois que la mal-d'estomac affreuses. A dater de ce moment, la vie heureuse m'a empoisonnée! Je souffre horrible

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M. Hippolyte Roussel, commissaire priseur. Ce témoin a surpris Hélène, dans l'office, prenant et cachant une bouteille de vin. Il lui dit : « Vous êtes une malheureuse! vous volez mon frère. » A ce moment, Hélène lui jeta un regard qui avait quelque chose d'infernal.

M. Bidard (Théophile), professeur à la Faculté de droit de Rennes.-Les faits qu'il va exposer n'ont eu de signification positive pour lui qu'au moment où le dernier allait s'accomplir; il lui faut donc faire un retour vers le passé pour les retracer dans l'ordre de leur avénement.

Il rappelle l'admission d'Hélène à son service et les excellentes recommandations qu'elle apportait.

Hélène, en effet, fit d'abord preuve de beaucoup d'intelligence. Le témoin crut qu'à cette intelligence elle joignait un bon cœur; car, à l'entendre, elle se vouait au travail pour deux pauvres petites créatures et pour sa vieille mère, dont elle était l'unique soutien. Cependant Rose Tessier, sa compagne, ne tarda pas à souffrir beaucoup de son caractère.

Rose, après une chute qu'elle avait faite, souffrait de douleurs dans le dos. Bien que nul symptôme grave n'apparût, Hélène pronostiqua à cet accident des suites fâcheuses. Une nuit, ceci se passait à la campagne du témoin, elle se leva, et appela plu

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de Rose, pendant les trente-six dernières heures, n'a plus été qu'un long cri déchirant. Elle brûlait, elle était dévorée par un feu ardent. Elle rendit le dernier soupir le jeudi soir, à 5 heures et demie. « Pendant toute sa maladie, ajoute le témoin, Rose n'a été soignée que par moi et par Hélène ! »

La mère de Rose vint; cette pauvre femme perdait en Rose une fille chérie, son unique soutien; elle était atterrée. La douleur d'Hélène parut égaler la sienne; elle avait des larmes dans les yeux et dans la voix; l'expression de ses regrets avait quelque chose d'inouï. Au retour du cimetière, en voyant l'accusée agitée, comme joyeuse dans sa douleur, le témoin crut un instant qu'il s'y mêlait de l'hypocrisie. Mais, les jours suivants, Hélène ne fit que parler de la pauvre Rose, et M. Bidard, devant cette persistance, ne douta pas qu'il ne se fût trompé. « Ah! disait d'ailleurs Hélène, je l'aimais comme cette pauvre fille qui est morte au Bout-du-Monde, où je n'ai pu rester. »

Le témoin voulut remplacer Rose. Hélène tenta de l'en empêcher. Elle lui disait : « Pour me passer de femme de chambre, je ferai tout. » Il n'engagea pas moins une autre fille, Françoise Huriaux, faible d'intelligence comme de volonté, mais la douceur même. Hélène ne tarda pas à la rendre malheureuse. « C'est une fainéante, disait-elle au témoin : le pain qu'elle mange, elle le vole. » Il lui imposa silence, disant que cela ne regardait que lui seul. Françoise, cependant, prit peur d'Hélène, à ce point qu'elle accepta sans résistance toutes ses vofontés. Le témoin, allant à la cuisine, vit Hélène manger une soupe sur un bout de la table, Françoise en manger une autre à l'extrémité opposée. Il signifia à Hélène qu'elle eût à servir désormais le repas en commun, sur une nappe, et composé de la desserte de sa table. Hélène parut très-blessée. « Cette fille semblait vivre sans manger; c'était aussi à peine si elle dormait. »

Paris, — Typographie de Ad. Lainé et J. Havard, rue des Saints-Pères, 19.

Un jour, le témoin remarqua que les mains de Françoise étaient enflées, sa figure aussi. Il en parla à Hélène, qui s'emporta, accusant sa compagne de se lever la nuit, de se faire du thé, et de gaspiller le sucre,ajoutant qu'elle le mettrait sous clef. M. Bidard lui enjoignit de n'en rien faire, et lui dit que si Françoise avait besoin de sucre, il entendait qu'elle en prît: «Eh bien! je veux bien, » dit Hélène visiblement contrariée.

L'enflure gagna les jambes, tout service devint impossible à Françoise. Le témoin se vit forcé de

charger l'accusée de chercher une autre femme de chambre. C'est alors qu'elle lui présenta Rosalie, dont elle lui parla avec une sorte d'enthousiasme : «Bonne fille, disait-elle, vêtue à peine, parce qu'elle donne tout à sa mère. » « Ces paroles, continue M. Bidard, furent prononcées par Hélène avec un accent de vérité remarquable. On a dit qu'elle était destituée du sens moral; il ne me semble pas possible, au contraire, de mieux apprécier et exprimer ce qu'elle pensait de cette fille, qui, elle aussi, se dévouait à sa mère.»

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Vous avez, à côté du sublime de la vertu, la plus haute expression du crime.» (Page 19.) En installant Rosalie, le témoin dit à sa nouvelle domestique « Vous aurez affaire à une compagne difficile; dès la première insolence, ne vous laissez pas manquer je ne veux pas qu'elle vous opprime comme elle a opprimée Françoise. » Il renouvela à cette occasion ses instructions sur le service du dîner à la cuisine. Hélène s'en montra contrariée. « Fautil, disait-elle, des nappes pour les domestiques! c'est ridicule. »>

missements. Elle se plaignit à Mile Bidard, la cousine du témoin, du défaut de soin de la part de Rosalie. Celle-ci monta alors à sa chambre, mais Hélène lui dit «Va-t'en, vilaine béte! j'ai mis dans la maison un baton pour me battre. »

Dans les premiers jours, ce fut entre Hélène et Rosalie une tendresse vraiment touchante. Une circonstance vint mettre fin à cette bonne entente. Rosalie savait écrire. Le 23 mai, le témoin voulut qu'Hélène lui rendit compte de sa dépense. De là, mauvaise humeur, colère même contre Rosalie. Celle-ci répondit gaiement : « M. Bidard me donne des gages pour lui obéir; si vous voulez me commander aussi, convenons d'autres gages. » A partir de ce moment, Hélène la prit en grippe.

Vers cette époque, Hélène eut elle-même des vo

CAUSES CÉLÈBRES. 122 LIVR.

Ces querelles continuant, le témoin dit à Hélène dans les premiers jours de juin : «Si cela ne cesse pas, il faudra chercher une place ailleurs. » Hélène se récria et dit : « C'est cela, à cause de cette jeune fille il faudra que je parte. »>

congédia Hélène pour la Saint-Jean. A son repas du
Le 10 juin, après une nouvelle scène, le témoin
soir, on lui servit un rôti, et des petits pois auxquels
il ne toucha pas. C'est Hélène
les lui avait ap-
portés, malgré la défense qui lui avait été faite de
servir à table: « Comment, lui dit-elle, vous n'avez
pas mangé de ces petits pois? Ils sont cependant bien
bons!» Là-dessus, elle saisit le plat et le porta à la
cuisine. Rosalie en mangea. A peine en eut-elle
avalé quelques cuillerées, qu'elle se sentit mal à

HÉLÈNE JÉGADO. 3.

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