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rogatoire au moment où commencent les empoison- | t-il pas éprouvé une rechute, suivie de vomissenements, tentés ou consommés, retenus par l'accusation.

M. le premier Président. -Mme Carrère n'a-t-elle pas pris une médecine préparée par vous, à la suite de laquelle elle a ressenti une chaleur intérieure tellement dévorante, que douze pots de lait purent à peine l'apaiser?-R. Je n'ai pas su que madame fut plus malade le jour où elle a pris sa médecine qu'un autre jour.

D. Vous avez servi chez M. Rabot. Il y avait alors dans cette maison un enfant en convalescence. N'a

ments, après un potage que vous lui avez servi? R. Je ne l'ai pas remarqué. Je ne donnais rien à l'enfant avant de le montrer à monsieur et à madame. D. Mais la vue d'un potage n'indique pas ce qu'il y a dedans? R. Ah! Dieu merci, je n'ai jamais fait de mal à personne.

D. Après la mort de l'enfant, Mme Rabot et sa mère, Ma Brière, ne furent-elles pas malades? R. Mme Brière disait: Je veux faire diète, car je sens bien que si je mange cela me fera du mal. Mme Rabot, elle, était bien malade de chagrin. D. Quand on demandait des nouvelles de Mme Ra

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M. le curé ne cessait de recommander de prendre des précautions, etc. » (Page 11.) bot, que répondiez-vous? - R. Le monsieur me dit: a Faut chercher une place. » Je dis : « C'est bien vilain, moi qui ai eu tant de mal ici. » Il dit : « Je sais bien que vous avez fait ce que vous avez pu. >> D. Vous ne répondez pas à ma question. Selon les témoins, vous disiez: « Elle n'en reviendra pas; c'est la même maladie que son enfant. >> R. Non, j'ai dit : « Elle a gagné cela à soigner son enfant. >> D. Vous êtes entrée chez M. Özanne; son enfant, âgé de cinq ans et demi, tomba malade? R. Oui, on crut que c'était des vers. Pendant la grand'messe, il empira; je le mis dans mon lit; le médecin vint; il trouva qu'il était assez mal; finalement il mourut de la croupe.

à l'hôtel du Bout-du-Monde. Mme Roussel menaça de vous renvoyer à cause de votre saleté? - R. Au contraire, madame me dit qu'elle était très-contente de mon service. Si elle s'est plainte, ce n'est pas à moi. Je l'aimais beaucoup; depuis qu'elle était malade, elle ne venait plus à la cuisine, j'étais bien triste. On servait à madame un petit potage à part dans un bol.

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D. Vous dites là avoir soigné un enfant de la même maladie? R. Je dis que le petit Rabot avait été comme cela, mais qu'il vomissait plus de saletés... J'ai bien regretté cet enfant; il était bien aimable avec moi.

D. En sortant de chez M. Ozanne, vous êtes allée

D. Après que Mme Roussel vous eut fait des reproches sur votre saleté, ce potage ne lui causa-t-il pas des vomissements violents? R. Quelquefois elle vomissait aussi quand elle n'en avait pas pris, après des œufs ou de la bouillie.

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D. A la suite de ces vomissements, ne vit-on pas se déclarer les mêmes symptômes déjà signalés chez vos autres maîtres? K. Dès le premier jour, elle me montra ses pauvres jambes qui étaient enflées. C'était pas moi qui en étais cause, pour sûr.

D. Il y avait là une jeune femme de chambre, Perrotte Macé; elle se plaignait aussi de votre mal

Daria.

Tunographie de Ad. R. Lainé et J. Havard, rue des Saints-Pères, 19.

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propreté? R. Jamais elle ne m'a rien reproché. Je l'aimais beaucoup; je me forçais de faire mon ouvrage, pour l'aider à faire ses chambres. Je n'ai que le défaut de trop m'attacher aux gens.

mais je n'ai eu de chagrin contre elle. Je n'en ai eu que contre le bonhomme Jean. André tirait de l'eau dès que je lui demandais, et Jean me refusait toujours.

D. Perrotte était depuis cinq ans dans la maison; elle avait toute la confiance de ses maîtres. N'avezvous pas été jalouse d'elle, à cause de cela? - R. Jamais jalouse de personne.

D. Il y avait aussi un garçon nommé André? Ne lui avez-vous pas parlé de mariage et d'argent que vous aviez? R. Quand il sortit de l'hôpital, je lui donnais tous les matins une bolée de bouillon. Les autres disaient: « Elle est sa bonne amie! - Pourquoi D. Perrotte a été malade après un repas que vous pas comme une autre?» dis-je. Quant à l'argent, j'en lui aviez préparé. Puis elle devint mieux, reprit ses avais chez Mme Roussel, et si j'en ai parlé à André, travaux, et alors ne lui avez-vous pas offert une de c'était vrai. ces bonnes soupes aux herbes que vous savez si bien D. N'étiez-vous pas jalouse de Perrotte? N'avez-faire ? R. Je lui offris de la soupe; j'en avais fait vous pas craint qu'André la préférât à vous? R. Ja- pour nous deux. Elle n'en voulut pas. Ce fut le lende

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main qu'elle en mangea et que survinrent les vomis-
sements. J'étais au marché, moi... Voilà comme on
reconnaît mes bontés; j'ai perdu ma santé à la soigner.
D. Oui, vous la soigniez. Aussi, elle disait : «Je ne
sais, mais tout ce qu'elle me donne me brûle. »>
R. Si elle a dit cela, c'est bien mal. Quand M. Rous-
sel me défendit de monter chez elle, elle en eut bien
du chagrin. Aussi je montai pour la satisfaire, et je
désobéis à M. Roussel.

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D. Tout cela est vrai jusqu'à un certain point; mais il est vrai aussi qu'elle avait demandé d'abord qu'on vous éloignât. Et vous-même, ne disiez-vous pas : « Les médecins n'y entendent rien: la maladie est mortelle?» R. Je l'ai dit devant la gardienne, et je l'ai dit au médecin même. La pauvre fille, elle me disait souvent: «Viens me donner à boire!» Oh! si le bon Dieu me faisait la grâce de me trouver jamais devant un malade, je ne lui donnerais rien, quand il en devrait mourir !... Voilà comme ma bonté m'a mise dans la peine.

CAUSES CÉLÈBRES. 121 LIVR.

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vous?

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D. Perrotte est morte; on a fait l'autopsie de son cadavre; elle est morte empoisonnée par l'arsenic: qui l'a empoisonnée ?... N'est-ce pas celle qui lui servait des potions brûlantes et qui lui a fait une soupe, cause des vomissements?... Qui donc, si ce n'est pas R. Je ne connais pas aucun poison, et, si le bon Dieu le veut bien, je n'en connaîtrai jamais. D. Du Bout-du-Monde, vous entrâtes chez M. Bidard. Il y avait là une femme de chambre, jeune aussi, et d'une bonne constitution Rose Tessier. Rose avait toute la confiance de M. Bidard: elle avait le compte de l'argent; vous étiez en quelque sorte sous ses ordres, et cela vous blessait. R. Je disais qu'elle ne pouvait souffrir aucune domestique, que j'étais fachée d'être entrée chez M. Bidard. Quand elle fut à la campagne, elle fit une chute, et elle se plaignit beaucoup de son côté : on lui mit des sangsues. En rentrant en ville, elle tomba de nouveau dans l'escalier, je me mis à rire. Elle riait aussi et dit: «Je vais donc me tuer en tombant ?» Plus tard, HÉLÈNE JÉGADO. 2

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après être allée trop promener un dimanche, elle fut prise de vomissements.

D. On a fait l'ouverture du cadavre, et l'on n'a rien trouvé qui justifiât que la mort pùt être attribuée à une chute, comme vous avez voulu le faire croire. -R. M. Guyot dit bien qu'il y avait un abcès qui avait crevé en dedans.

D. Le docteur pensa qu'il y avait rupture du diaphragme. Enfin, il est certain que Rose était bien portante le dimanche où elle sortit, et qu'à sa rentrée, après le repas que vous avez fait en commun, elle a été prise d'indisposition; que les vomissements ont augmenté quand elle eut bu une tasse de thé que vous lui aviez préparée. L'avez-vous soignée seule?R. Non, tout le monde s'en mêlait; je mettais seulement la tisane à bouillir. J'ai bien souffert; le bon Dieu me fera la grâce d'aller jusqu'au bout. Si je ne suis pas morte de ce que j'ai souffert en prison, c'est le doigt du bon Dieu qui m'a guidée et soutenue. D. On a fait l'analyse du cadavre de Rose, comme on l'avait faite de celui de Perrotte. Eh bien! on y a trouvé beaucoup plus d'arsenic. Aussi, Rose est morte en quatre jours, et Perrotte seulement après plusieurs semaines. La puissance de la science interrogeant un cadavre est grande, vous le voyez ! Comprenez-vous, accusée? - R. Qu'est-ce que c'est que l'arsenic? Je n'en ai jamais vu d'arsenic, moi! D. Après Rose, est entrée Françoise Huriaux. D'abord, vous l'avez signalée comme une fainéante << qui volait le pain qu'elle mangeait. » Vers ce temps, vous changeâtes votre habitude de manger avec elle la soupe qui sortait de la table; vous vous mîtes à faire deux soupes et deux parts: pourquoi? R. C'était dans le carême, et je me faisais une soupe à part.

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D. Mais Françoise Huriaux dit qu'elle ne vomissait que quand elle mangeait la soupe que vous lui serviez; aussi, avait-elle cessé d'en manger. Vous lui dites alors: «Crois-tu que je veux t'empoisonner?»

R. Non; je lui dis un jour: «Il vaut mieux donner le pain aux malheureux que de le laisser perdre; ainsi, si tu veux manger de la soupe, fais la toi

même. »

D. Enfin, elle a été malade depuis le jour où vous lui avez témoigné de l'aversion... Et elle n'a été guérie que quand elle eut quitté la maison : celle-là, vous ne l'avez pas achevée !... Rosalie Sarrazin la remplaça. M. Bidard voulut que celle-ci prît la gestion de l'argent, comme Rose Tessier, et il vous dit de lui rendre vos comptes? R. Monsieur ne m'a pas dit cela. Je lui dis: « Voici une nouvelle domestique; il faudra qu'elle marque la dépense. » Elle l'a fait pendant quelque temps. Un soir, elle se facha de ce que je lui dis à propos du jour où il fallait faire remonter le compte; nous nous disputâmes. M. Bidard avait entendu la querelle; il dit: « Je ne veux pas de disputes dans la maison. Quelques jours après, il me dit de nouveau : « Si vous continuez comme cela, il faudra chercher une place pour la Saint-Jean.« Ah! je dis, j'ai été chercher un bâton pour me battre. »

>>

D. Rosalie ne vous a-t-elle pas dit qu'elle ne recevait de gages que de M. Bidard, et qu'elle n'obéirait qu'à lui; et, à la suite de cette querelle, n'avez-vous pas été tellement colère contre cette pauvre fille, que vous en avez vomi le sang? R. C'est bien vrai, et sans M. Pitois, qui me saigna, je serais morte... Mais quand j'ai été malade, on ne m'a pas soignée, moi!... Et quand elle a été malade, je l'ai bien soignée comme les autres, celle-là !

D. Vous vous plaignez aujourd'hui; mais quand Rosalie voulait vous soigner, vous la repoussiez? R. Non, je lui disais : «Ma pauvre Rosalie, tu m'as bien fait de la peine; mais le bon Dieu saura qui de nous deux a raison. » C'était moi, Monsieur, qui l'avais fait entrer chez M. Bidard!

D. Quand vous avez été rétablie, le 10 juin, Rosalie fut prise de vomissements; elle avait mangé des petits pois servis par vous-même, contre l'ordre du service. Vous en aviez offert à M. Bidard, en lui disant : « Mangez-en donc, Monsieur..., ils sont bien bons. » Un médecin fut appelé; un mieux se manifesta chez la malade; mais, le dimanche 15, les vomissements reprirent, après que vous eûtes servi un bouillon d'herbes à Rosalie? R. Le médecin avait dit de lui en donner un tous les matins, j'obéissais le médecin.

D. Le dimanche 22, au retour de la campagne, où elle s'était bien portée, Rosalie fut encore prise de vomissements. R. Elle avait pris une potion que monsieur avait apportée; elle a vomi au troisième verre seulement : « Je ne sais pas, dit-elle, ce que m'ordonne le médecin. » Je lui dis : « Faut jeter la médecine à la rivière. »

D. Voici ce qui résulte des faits: le premier verre fut donné par M. Bidard, et Rosalie ne vomit pas..., le troisième par vous, et elle vomit. - R. Ce n'était pas cette fois-là, Monsieur; c'est erreur.

D. N'avez-vous pas dit : « Je goûte tous les remèdes qu'elle prend»? mèdes qu'elle prend»? R. Jamais je ne les goùtais que pour voir si c'était assez sucré.

D. Dans la soirée du 28 juin, vous fûtes chercher chez le pharmacien une potion où il devait y avoir de l'acétate de morphine? R. Je ne peux rien me rappeler à cet égard.

D. Vous êtes restée une partie de la nuit avec Rosalie: a-t-elle pris de cette potion? R. Je crois, une cuillerée toutes les heures.

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D. N'a-t-elle pas vomi chaque fois qu'elle en a pris?— R. Non; elle n'a pas vomi cette nuit-là; elle était gaie, et riait des sangsues qu'on lui avait mises.

D. Le lendemain, cependant, elle était très-malade. M. Bidard fit venir MM. Guyot et Pinault, qui, ne doutant plus d'un empoisonnement, administrèrent une forte dose de magnésie. Dans la nuit du dimanche au lundi, vous l'avez veillée encore? — R. Oui, cette nuit-là fut assez bonne; elle n'eut qu'un vomissement.

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D. Qui lui avait donné à boire? R. Je crois bien que c'était moi.

D. Eh bien! dans la potion que vous êtes allée chercher, que vous avez administrée, et dans les viscères de Rosalie, il y avait de l'arsenic. Qu'avez vous à dire ?- R. Je dis encore: Je ne connais ni

poison, ni empoisonnement.

M. le Président. Enfin, voilà trois femmes de chambre empoisonnées; chez toutes trois, l'arsenic apparaît, elles n'ont été soignées que par vous, et vous êtes innocente! Il y a là une grande fatalité!

Ce long interrogatoire a été soutenu par l'accusée avec une fermeté sombre, quelquefois violente. Elle parle les yeux baissés, avec une volubilité qui ne masque pas suffisamment la dissimulation hypocrite. Les réponses vont rarement droit à la question. Sa parole est le plus souvent lourde, empâtée, nette seulement quand la passion l'emporte. L'accent morbihannais, les bretonnismes de son langage lui donneraient un certain cachet d'originalité, n'était sa physionomie dure, basse et repoussante.

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Le 7 décembre, on passe à l'audition des témoins. | sance des vols de linge dont Hélène fut soupçonnée. Le premier témoin appelé est M. Pitois, docteur en médecine à Rennes; c'est le médecin de l'accusé. La défense a désiré qu'il assistât aux débats pour s'expliquer plus tard sur son état mental. M. Pitois a suivi l'accusée dans ses diverses conditions à Rennes. Il déclare que, jusqu'à la mort de l'enfant des époux Rabot, Hélène ne lui a dit que du bien de cette famille; mais qu'à partir de ce moment, ce fut tout le contraire. M. Roussel a été aussi la victime de ses propos. Il a vu, chez M. Bidaid, Hélène repousser les soins de Rose Sarrazin. Il en fit l'observation à Rose, qui répondit : « Elle est toujours la même. Il faudrait lui obéir; je ne reçois de gages que de M. Bidard, je n'obéirai qu'à lui. »

Hélène lui a dit en plusieurs circonstances: « La mort me suit partout. »

Interpellé par M. le Procureur général sur la santé et sur le caractère de l'accusée, M. Pitois répond qu'il a toujours vu dans cette femme un caractère bizarre. Elle s'est plainte à lui de maux d'estomac violents et de fourmillements dans la tête. Il s'expliquera plus amplement sur ces points, si la question de monomanie vient à être soulevée par la défense.

M. Julien Guimart, vicaire à Séglien, quand Hélène était domestique chez M. Conan, curé de cette commune, dit qu'Hélène était violente et continuellement en discussion avec son maître et sa propre tante. Il confirme le fait des graines de chanvre trouvées dans la soupe de la jeune pâtre, et il ajoute cette révélation, importante au procès: En entendant hier tout le monde se demander où Hélène avait pu se procurer de l'arsenic, je me suis rappelé que, durant mon vicariat à Séglien, M. le curé en avait fait venir de Pontivy. Hélène était-elle alors notre servante, voilà ce que je ne saurais affirmer; mais ce que je sais, c'est que M. le curé ne cessait de recommander de prendre des précautions pour garantir les animaux domestiques contre les breuvages préparés pour les rats. J'ajoute que les domestiques avaient libre disposition de l'arsenic. Hélène. Je sais que M. Conan a demandé de l'arsenic, mais je n'étais pas là dans ce temps. Ma tante m'en a parlé.

M. le Président fait observer à l'accusée qu'elle a déclaré, dans son interrogatoire, ne pas connaître l'arsenic, et n'en avoir jamais entendu parler. Hélène persiste dans sa première déclaration, reconnaissant toutefois que sa tante lui a signalé cette substance comme dangereuse, et comme ne devant être employée qu'avec les plus grandes précautions. M. Galzain, médecin à Pontivy, a fait l'autopsie de M. Le Drogo. Il a été frappé des caractères que présentait l'estomac du décédé, et qui aujourd'hui encore, après dix-huit ans, lui semblent être tels que l'arsenic pourrait en produire.

M. Martel, pharmacien, frère du docteur Martel, qui a donné ses soins à M. Le Drogo et qui est mort depuis, a vu les substances vomies par M. Le Drogo; elles étaient verdâtres. Son frère lui communiqua ses soupçons sur cette mort, soupcons qui s'accrurent encore quand il reconnut chez M. le curé de Bubry les mêmes symptômes. Son frère en parla à M. le vicaire, qui repoussa avec énergie ces idées... Partout, d'ailleurs, Hélène semblait prodiguer aux malades des soins très-affectueux. Hélène.

bons soins.

C'est bien vrai que je leur donnai de

M. Auffret, ancien vicaire à Bubry, a eu connais

Tout cela fut tenu secret, afin de ne pas empêcher
l'accusée de se placer. Le témoin a vu un onguent
jaune, qu'on avait trouvé dans le lit de l'accusée;
elle s'en servait, dit-elle, pour guérir la gale.
Hélène. On l'y avait donc mis? Quant aux vols,
M. le recteur m'a toujours fait bonne mine quand je
l'ai revu plus tard.
Marie Leboucher, lingère à Locminé. Quand
l'accusée est entrée chez elle, sa mère avait mal au
poignet. « Je crois bien que votre mère en mourra,
lui dit Hélène. Mais pourquoi? On a dit qu'elle
n'avait qu'un rhumatisme goutteux. Ah oui;
mais où je vais, la mort me suit... A Guern, j'ai fermé
la porte!» En effet, ma mère et ma sœur mouru-
rent; mon frère fut pris de vomissements. Hélène
les entourait de soins empressés.

Hélène.

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J'étais si heureuse de rendre service! M. le Président, à Hélène.-Mais pourquoi prédisiez-vous qu'elle mourrait? R. Je ne me rappelle pas avoir dit cela; peut-être ai-je dit : Tout le monde tombe malade!

M. le Président. Et vous pouviez bien le dire! Veuve Cadic. Elle a trouvé sa tante, la veuve Lorey, morte, en arrivant à Locminé. Cette fille vint à moi, dit-elle, et m'embrassa en me disant: «Que je suis malheureuse! Partout où je vais, le monde meurt!» Elle me fit bien pitié, je la consolai. On disait dans la ville qu'Hélène avait le foie blanc et que son haleine faisait mourir. Je fus alors assez simple pour le croire, au point qu'un jour, l'ayant vue sortir du confessionnal, je n'eus jamais le courage d'y entrer après elle ! J'eus encore la simplicité de lui donner quelques hardes ayant appartenu à ma

tante.

M. Toursaint fils, médecin à Locminé. Il a donné ses soins à la veuve Lorey, et a supposé chez elle une affection du pylore. Appelé plus tard près du jeune Leboucher, ce dernier lui sembla atteint d'une fièvre typhoïde. On lui dit que sa mère et sa sœur avaient succombé, peu de jours avant, d'un mal qui avait présenté les mêmes symptômes. En 1835, l'accusée, malade, le fit mander; le témoin crut reconnaître chez elle une fièvre intermittente. Quand il revint le lendemain, cette fièvre avait disparu. On lui dit qu'elle se droguait elle-même. On lui montra un paquet qu'elle avait laissé il s'y trouvait des substances qui lui parurent être du kermès minéral, du safran, et une poudre blanche, dont il y avait environ 10 grammes. Il a ressenti de la répulsion pour Hélène à la première vue; à peine fut-elle au service de sa mère, qu'une fille de confiance, qui avait eu le malheur de montrer aussi de la répugnance contre Hélène, tomba malade et mourut. Son père fut attaqué à son tour avec une extrême violence; il alla mieux, on le crut sauvé; des accidents survinrent qu'il ne put s'expliquer; son père succomba soudain à une hémorrhagie du canal intestinal. Sa sœur, qui avait été atteinte la première de vomissements, paraissait rétablie ; après la mort de son père, elle eut une rechute. Il supposa alors qu'Hélène, se traitant elle-même, pouvait bien droguer les malades confiés à ses soins. Le témoin prescrivit de l'écarter absolument. Mais, dans la nuit, elle éloignait les veilleuses. Un de ses confrères, appelé par lui, ordonna un bouillon: Hélène était à la cuisine, ce fut elle qui le donna; trois quarts d'heure après, sa sœur succomba dans d'horribles souffrances.

Je proposai l'autopsie, ajoute M. Toursaint. Ma

famille s'y refusa; la piété de l'accusée la mettait à l'abri du soupçon. Je pris cependant sur moi de la renvoyer. Pendant la maladie de mon père, elle avait été malade elle-même; je ne voulais pas la voir; mais on me dit qu'elle allait succomber. J'y courus, et au lieu de la trouver couchée, je la vis faisant une espèce de sauce blanche; elle se rejeta sur le lit, et feignit des douleurs atroces... Un moment après, je demandai où était cette sauce: elle avait disparu... J'avais recommandé à ma nièce de garder les déjections de ma sœur; elle me dit: Cette fille est extrêmement propre...., dès qu'il y a un vase sale, elle s'en empare et le nettoie. Je la revis après son renvoi, je la trouvai très-bien portante. L'accusée. Jamais je n'ai eu de drogues en ma possession. Quand j'avais la fièvre, je prenais des poudres que me donnait le médecin, mais je ne sais pas ce que c'était.

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M. le Président, à Hélène. Pourquoi avez-vous dit hier qu'on n'avait jamais rien trouvé dans vos hardes? - R. Je ne m'en souvenais pas.

D. Que faisiez-vous du safran? ne l'aviez-vous pas dès votre séjour à Séglien? - R. Je le prenais R. Je le prenais pour le sang.

D. Et la poudre blanche vient-elle aussi de Séglien? - R. Jamais j'ai mis des poudres blanches dans mes effets; jamais j'ai vu arsenic; jamais on ne m'a parlé arsenic.

D. Votre tante vous en a parlé cependant, à Séglien; vous nous l'avez dit ce matin; elle vous avertit que c'était une substance mortelle ! Vous niez cette poudre blanche; vous savez qu'elle est un poison; vous la repoussez avec horreur!

A ce moment, l'accusée essuie à plusieurs reprises son visage baigné de sueur.

D. Aviez-vous, oui ou non, de la poudre blanche à Locminé? - R. Je ne puis savoir si j'avais encore la fièvre alors.

D. Qu'est-ce que c'était que cette poudre? Quand avez-vous commencé à l'avoir? R. Je l'ai prise à Locminé, on m'en donna pour deux sous. D. Pourquoi ne l'avez-vous pas dit dès le commencement, et pourquoi avez-vous attendu, pour l'avouer, que le témoin vous confondit? (L'accusée ne répond pas.) Au témoin Quelle pouvait donc être, Monsieur, cette poudre blanche qu'on donnerait pour la fièvre?

M. Toursaint fils. celle-là n'en était pas. A une interpellation de Me Dorange, le témoin répond ne pas pouvoir affirmer que la poudre blanche fût de l'arsenic. Son opinion, aujourd'hui, est que son père et sa sœur ont dû succomber par suite d'injections d'arsenic, mais à des doses minimes.

Du sulfate de quinine; mais

Hélène Rolland, journalière, à Locminé.-Elle déclare que les deux enfants de sa sœur furent malades après avoir mangé du chocolat préparé par l'accusée. Celle-ci raconta au témoin qu'elle avait été insultée et poursuivie dans les rues de Locminé par la foule, qui l'accusait d'être la cause de la mort des personnes qu'elle servait. Le jour de la mort de Mile Toursaint, elle eut des convulsions accompagnées de vomissements. A l'entendre, c'était la suite de la douleur que lui causait cette mort inattendue. Elle s'écriait « Ah! que je suis mal

heureuse! la mort est à ma suite! »

Sœur Anastasie, jadis au couvent du Père Eternel, à Auray. Tandis que l'accusée était chez nous, on s'aperçut de dégâts commis sur les vêtements des

|

- Sa

pensionnaires. Alors nous mimes sous clef tous les ciseaux, même ceux d'Hélène; les dégâts continuèrent malgré cela, et l'on ne comprenait rien à la chose. Il y a plus dans un coffre placé dans la chambre de la première maîtresse, il y avait quelques livres « Voyons-donc, dit-elle, si mes livres ne seraient pas coupés aussi.» En effet, on avait coupé un volume, de telle sorte que les noms de Jésus et de Marie étaient seuls épargnés. « Je l'avoue, dit en riant le témoin, nous crûmes un moment qu'il y avait quelque chose de diabolique. » Enfin Hélène fut renvoyée, bien que sa conduite fût très-édifiante. Marie-Louise Gallo, marchande à Auray. tante, Anne Lecorvec, a bien vomi pendant sa maladie; elle a eu force convulsions et contorsions. On a dit au témoin (car elle était trop jeune pour rester auprès du lit de sa tante) que la morte était noir-bleu. Il n'y avait alors à Auray aucune épidémie. « La conversation d'Hélène, ajoute le témoin, m'effrayait: c'était la conversation des morts. Elle faisait des jérémiades, se plaignait de sa destinée, et puis restait longtemps courbée sur sa couture, morne et silencieuse. Sa conduite, du reste, était excellente. Quand elle sortit de chez ma tante, elle nous dit : « Je sors, je n'ai pas de bonheur. » Sa voix avait un accent tel, que je me dis: «< Hélène tournerait-elle au mal? Que signifie ce départ inopiné? Elle me voit dans les larmes et elle part!»

La sœur Anastasie est rappelée. Elle déclare n'avoir rien remarqué de méchant dans Hélène; seulement elle ne lui trouvait pas l'air ouvert. L'intelligence lui faisait défaut, même pour apprendre à lire.

Louise Clocher a vu Hélène cheminant sur la route d'Auray à Lorient, en compagnie d'un militaire. Comme elle racontait le fait, on lui dit : « Ce n'est pas un militaire, c'est le diable que vous avez vu la suivre. D L'accusée. choses?

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Comment peut-on dire de telles

Marie-Anne Lefur, lingère à Plumeret, a vu deux paquets de velours entre les mains de l'accusée. « Un jour que j'étais malade, Hélène me dit: « Prenez ce breuvage que j'ai préparé; il vous guérira certainement. » Je le pris, et fus horriblement malade. Hélène s'enfuit aussitôt; je ne l'ai pas revue depuis. Quand ma santé fut revenue, tout le monde me disait : « Vous êtes bien heureuse d'en étre quitte ainsi. n y a un mois, Hélène a empoisonné une bonne sœur à Auray. D

L'accusée.-Jamais je n'ai eu de velours qu'au bas de ma robe de première communion, et je n'ai ja mais quitté le chevet de son lit, à cette ingrate; car c'est bien ingrat de sa part.

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M. André Le Doré, maire d'Auray. - A un repas de famille, chez la dame Hetel, sa belle-mère, un ecclésiastique me dit d'un air effrayé, en apercevant Hélène : « Comment! cette fille est chez vous! Renvoyez-la. Partout où elle se trouve, les personnes qui l'entourent sont frappées de mort! » Précisément ma belle-mère avait été saisie de vomissements la veille; elle est morte le surlendemain.

Dès le jour qui suivit la révélation qui m'avait été faite, j'expulsai Hélène; elle se jeta par terre, et poussa des hurlements affreux. Le repas du jour était préparé, je le fis jeter, et la mis à la porte elle-même, avec ses hardes, dont elle fit un paquet à la hâte. Mme Hetel mourut le lendemain, dans des douleurs atroces.

Mme Marie Hetel, propriétaire à Auray, confirme

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