Page images
PDF
EPUB

chent leur salut dans la fuite; d'autres courent çà | et là, sans but, et cependant, au milieu de ce désordre, de nouvelles détonations se font entendre, rapides, pressées. On ne sait pas encore d'où partent les coups, et la main invisible qui les porte continue de semer la mort dans la foule avec une sinistre régularité.

Le premier, un tonnelier de la rue de Paris, Henry Spère, s'aperçoit que la fumée des coups de feu sort des fenêtres de Billon. Spère, dont la maison fait presque le coin de la rue de la Chancellerie, à l'autre bout du carrefour, monte rapidement à sa chambre, décroche son fusil, le charge et loge une balle dans la fatale persienne, dont il fait voler en éclats deux feuillets. Billon, car c'était bien lui qui mitraillait ainsi la foule, ajuste Spère et perce son chapeau à quelques lignes au-dessus de la tête. Henry Spère, ancien soldat, recharge son fusil avec sang-froid et s'apprête à continuer ce duel étrange. Mais déjà tous les yeux sont fixés sur la fenêtre du meurtrier, et M. du Boulet, commandant de la milice, a donné l'ordre à M. Hamelin d'enfoncer la porte de l'horloger. La cavalerie d'avant-garde, les chevaliers de l'Arquebuse et de l'Arc, les Royalistes-Fusiliers et les Chasseurs, se précipitent sans ordre, en masse confuse, sur la maison ennemie. Les uns cherchent à ébranler la porte à coups de crosse; d'autres s'accrochent aux fenêtres du rezde chaussée et en ébranlent les volets. Pendant cet assaut, plusieurs coups de feu partent encore de la fenêtre, et chacun d'eux fait de nouvelles victimes. M. Roze, major de la garde nationale, a les mains criblées de chevrotines. M. de Lorme, commandant de l'Arquebuse, objet spécial des fureurs de l'horloger, ne peut échapper au coup-d'œil perçant de celui qu'il a offensé. Au moment où il cherche à se rendre compte de ce carnage, dont il ne comprend pas encore la cause, M. de Lorme reçoit trois balles dans la poitrine. Il se traîne tout sanglant jusqu'au coin de la rue de la Tonnellerie, s'affaisse et meurt sans avoir pu proférer une seule parole. M. Deslandes, lieutenant-général du baillage et président du Comité, voit à son tour la redoutable carabine de l'horloger dirigée contre sa poitrine. Le magistrat, par un mouvement instinctif qui lui sauva la vie, se baisse, et sept chevrotines lui labourent le crâne.

Cependant, la porte de l'allée de Billon a cédé sous les efforts des assiégeants; ils se précipitent dans la maison, M. Hamelin à leur tête. Avec M. Hamelin, entrent M. Aulas de la Bruyère, lieutenant de la maréchaussée, commandant de la première division de la cavalerie nationale; M. Boitel de Dienval, maréchal des logis de la cavalerie; MM. Lanier et Bruneau, brigadiers; le lieutenant Jourdain, de la compagnie des chasseurs; MM. Darsonval, brigadier de la maréchaussée de Senlis, et Rouiller, sous-lieutenant de la maréchaussée de la généralité de Paris à la résidence de Compiègne.

Au bout de la porte d'entrée, en face du vestibule, est une porte à vitrage. M. Boitel l'atteint le premier, l'enfonce d'un coup d'épaule et se trouve dans une salle à manger dans laquelle il ne voit personne. Il aperçoit l'escalier qui mène au premier étage et l'escalade, précédé par M. Lanier qui, d'un coup de crosse de fusil, fait sauter les gonds d'une porte ouvrant dans une chambre qui fait face au balcon de la rue. M. Boitel et l'aîné des frères de Gozengré entrent dans cette chambre, la parcourent du regard, la fouillent sans y rien découvrir.

[ocr errors]

Ils en font autant dans la chambre voisine, retournent les lits, ouvrent les armoires, les placards. Rien! Rentrés dans le corridor, ils essayent d'enfoncer les panneaux d'une autre porte: celle-là résiste; elle est barricadée en dedans. Les assaillants frappent à coups de pied; car le peu de largeur du corridor ne permet pas de prendre assez de champ pour employer la crosse du fusil. Voyant l'inutilité de ces efforts, M. Hamelin redescend, demande un sapeur. Le sieur Gousset se présente, armé d'une hache dont il frappe les panneaux. C'est en vain : l'obstacle est solidement agencé. Le sieur Chevalier, taillé en Hercule, s'impatiente de ces retards, arrache la hache des mains de Gousset, et, du premier coup, fait voler en éclats un des panneaux de la porte. On aperçoit alors, accumulés derrière, un lourd fauteuil, une pile de bois de sciage, des échalas et des bottes de treillage réunis par des ficelles et par des clous: le tout est recouvert de fagots, de bottes de paille, et tout cet amas, de près de quatre pieds de hauteur, est caché à l'intérieur par un vieux pan de tapisserie.

Au milieu de la chambre, à travers ces obstacles qu'on se hâte de déblayer, on entrevoit du feu, et la fumée, chassée par le courant d'air, aveugle les assiégeants. — « Il a mis le feu chez lui, le misérable!» s'écrie Chevalier, et, comme il est pompier, il court chercher la pompe et réclamer l'aide de ses camarades. Cependant, les obstacles ont été en partie retirés ou dispersés : MM. Boitel et Lanier escaladent le fauteuil et se trouvent dans la chambre où brille l'incendic. Personne encore; mais une porte latérale vient de se fermer : ce bruit dénonce l'asile de l'assassin. C'est là, en effet, qu'est Billon, et cette porte est celle de son cabinet. MM. Boitel et Lanier essayent de l'ouvrir, de l'enfoncer ;ils n'y peuvent parvenir. Mais, ne soupçonnant pas que le cabinet puisse avoir une autre issue, ils crient à ceux qui montent : - « Il est làdedans, nous le tenons, il est pris! Arrivez, arrivez!» Et tout en parlant, tout en gardant la porte, ils chassent du pied les tisons enflammés, les fagots, la paille, qui s'allument sur le parquet de la chambre.

Que faisait cependant Billon? Sûr que la porte, investie par MM. Boitel et Lanier, résisterait assez longtemps, l'horloger s'apprête à gagner le grenier par l'escalier de dégagement. Mais, de ce côté encore, on l'investit. Des pas précipités l'avertissent qu'il n'aura pas le temps de s'échapper. Non pas que Billon veuille fuir! il a résolu de s'ensevelir dans sa vengeance; mais, du haut du grenier, il pourra encore faire des victimes. Il rentre donc, et, comme il a crénelé cette porte qui donne sur le petit escalier de service, il passe par un des coulisseaux le canon d'une arme, et fait feu. Le coup a dû porter: un des assaillants est tombé sur les marches. Alors, Billon r'ouvre la porte et va s'élancer, quand une main le saisit à la gorge. C'est celle de M. Rouiller. Billon, sans s'étonner, renverse M. Rouiller d'un coup de pistolet, et, brandissant deux armes encore chargées, monte à reculons l'étroit escalier du grenier. On le suit : à chaque pas, il fait feu et crible de balles et de chevrotines ceux qui montent à l'assaut.

Nous avons laissé derrière la première porte du cabinet MM. Boitel et Lanier essayant d'arrêter l'incendie. Le demi-jour de cette chambre, mal éclairée par la lueur du feu et toute remplie de fumée, leur permet à peine de distinguer le foyer de

PRÉCIS HISTORIQUE de l'Attentat de Billon, horloger, commis à Senlis, le 13 décembre 1789,

SUIVI DE
L'ÉLOGE FUNÈBRE

au service général par M. l'abbé Gentry.

Et, en sous-titre :

l'incendie. Ce n'est qu'en travaillant des pieds et l'nèbre, ainsi que les détails qu'on vient de lire, sont des mains qu'ils découvrent, sous les sarments et extraits d'une relation contemporaine, portant pour sous la paille, une sorte de bûcher artistement titre : construit, avec des jours d'appel et des matières inflammables reposant sur un vaste coffre scellé dans le parquet. C'est alors seulement qu'ils soupçonnent la vérité : c'est une mine qui và sauter. a Vite, vite, Boitel, s'écrie M. Lanier, allez hâter l'arrivée des pompiers, dirigez-les, faites inonder des malheureuses victimes de cet attentat, prononcé cette infernale chambre, ou nous sommes perdus ! » M. Boitel de Dienval court aux pompiers, et, en redescendant l'escalier, il peut entendre les coups de feu qui retentissent à l'étage supérieur. C'est Billon qui a gagné le grenier et qui, tout en reculant, en se couvrant de l'abri des poutres entrecroisées, sème la mort parmi ceux qui le suivent dans sa retraite. Mais l'un d'eux, M. de la Bruyère, qui a imité les mouvements de Billon et s'est défilé de son feu, bondit tout à coup près de lui, le saisit et cherche à le désarmer. « Laissez-moi, M. de la Bruyère, dit Billon, laissez-moi, ne songez qu'à vous. La maison va sauter. Je te tiens, je ne te lache pas,» répond M. de la Bruyère. Mais il n'a pas achevé ces mots, que le parquet oscille sous ses pieds, s'ouvre avec fracas, et la maison se déchire. Les poutres s'entre-choquent, les pierres pleuvent, un déluge de tuiles, de plâtre, de briques jaillit, et tout disparait dans l'abime de feu du premier Avec cette épigraphe :

étage.

[ocr errors]

L'œuvre du meurtrier était accomplie. Une immense clameur, suivie d'un silence de mort, a accompagné dans les rues voisines l'éruption du volcan. Mais, bientôt, on se secoue, on se tâte : ceux que n'ont point atteints les projectiles se rapprochent de la maison béante et fumante. On court chercher des échelles M. du Boulet fait placer des sentinelles, ordonne qu'on reconduise les drapeaux à l'Hôtel de Ville. De tous côtés arrivent des travailleurs volontaires, avec des échelles, des pioches, des haches, des cordes. Mille bras déplacent les poutres, les pierres, les cloisons, dont l'amas recouvre les corps de tant de braves gens engloutis avec leur assassin.

A mesure qu'un peu d'ordre se faisait dans les décombres, on y découvrait des cadavres écrasés ou calcinés, des membres brisés. Le sinistre travail dura plusieurs heures. En déplaçant plusieurs poutres entrecroisées, formant arc-boutant, on trouva M. de la Bruyère, couvert de blessures, mais vivant encore et gardant toute sa présence d'esprit. La tête et la poitrine avaient été préservées par l'espèce de toit formé par les poutres. Le reste du corps était chargé de débris sanglants. — « Mes amis, dit-il aux travailleurs, j'ai le cœur bon; allez, sciez la poutre, et je réponds de tout. »

A deux pas de là, tout mutilé, mais respirant encore, fut trouvé Billon. L'énergique petit homme, si gravement atteint qu'il fût, se cramponnait encore aux décombres, et cherchait à se relever. Quelques chasseurs, qui le reconnurent, cédant à une indignation poussée jusqu'à la férocité, lui écrasèrent la tête avec la crosse de leurs fusils.

Vers la fin de la journée on commença à se rendre compte du désastre: il était effrayant. Une véritable bataille! Le nombre des morts s'élevait à vingt-cinq, celui des blessés à quarante et un, en tout soixante-six personnes frappées par l'aveugle vengeance de l'horloger Billon.

Pour qu'on ne croie pas à quelque exagération, nous donnons les noms des victimes. Cette liste fu

Précis historique de l'aitentat de Billon, horloger à Senlis, et de la conduite du Comité permanent de cette ville, contenant diverses lettres, tant de M. le Premier Ministre des finances, que de M. le Maire de Paris, et autres personnes, ainsi que la liste des morts et des blessés.

Imprimé par délibération de la Municipalité de Senlis, par M.., membre du Comité permanent de la Cavalerie Nationale de Senlis, mis en ven'e au profit des blessés et des veuves et orphelins.

M. D. CC. LXXXX.

Quis talia fundo

Temperet a lacrymis ?.

(Virg. Æneid., 1. II).

Cette relation, retrouvée par M. Cultru, secrétaire de la mairie de Senlis, et complétée par lui à la suite d'une enquête minutieuse, dont l'occasion fut l'événement du 28 juillet 1836 (1), est attribuée à un témoin oculaire, M. Boucher d'Argis. Voici maintenant la liste des morts et des blessés du 13 décembre:

MORTS: 1° M. de Lorme, commandant de la compagnie de l'Arquebuse, aide-major de la garde nationale, maître particulier des eaux et forêts de Senlis, chevalier de Saint-Louis, ancien gendarme de la garde;

2o M. Lanier, maréchal-des-logis de la cavalerie nationale, greffier en chef de la maîtrise des eaux et forêts;

3o M. Bruneau, marchand épicier, brigadier de la cavalerie;

4° M. Turquet fils, chevalier de l'Arquebuse, cavalier de la garde nationale;

5o M. Martin, marchand boulanger, fusilier de la garde nationale;

6° M. Bourguin, marchand boucher, fusilier; 7° M. Bourgeois, jardinier, fusilier; 8° M. Fabre, employé aux aides, sous-lieutenant des chasseurs de la garde nationale;

9° M. Chaumay, menuisier, caporal des chasseurs; 10° M. Delaville, cordonnier, fusilier; 11° M. Boucher, procureur du roi de l'Élection, chevalier de l'Arquebuse;

12 M. Lemaître de Manneville, chevalier de l'Arquebuse;

13° M. Favry, maître cordonnier, chantre de l'église de Saint-Agnan, de la compagnie de l'Arc; 14° M. Rigaut père, couvreur, officier faisant les

(1) La machine infernale de Fieschi. Voyez cette affaire,

fonctions de major des Royalistes-Fusiliers en l'absence du commandant;

15° M. Gousset, maître charpentier, sapeur; 16° M. Rouiller, sous-lieutenant de la maréchaussée de Senlis, à la résidence de Compiègne. Ce malheureux était, racontait-on, revenu, le 12 décembre, de Paris, où il venait de perdre un jeune fils. Il avait cru devoir, en passant par Senlis, rendre une visite à M. et à Mme de la Bruyère, et cette dernière l'avait, d'une façon pressante, engagé à rester à Senlis pour la cérémonie du lendemain. M. Rouiller ayant témoigné le désir de se rendre promptement à Compiègne, pour informer sa femme de la mort de leur enfant, Mme de la Bruyère insista, lui remontra qu'il vaudrait mieux, par une lettre datée

de Senlis, préparer Mme Rouiller à ce triste événement. M. Rouiller eut le malheur de se rendre à ces instances;

17° M. Darsonval, brigadier de la maréchaussée;
18° M. Louvet, cavalier de la maréchaussée;
19° M. Dupuis, maître maçon;

20° M. Lerouge, maître bourrelier;
21° M. Poté fils, compagnon maréchal;
22o M. Frigault, garçon boucher;
23° M. Messen, apprenti cordonnier;
24° Mme Letellier, rentière;

25° M. Doublet, compagnon menuisier. BLESSÉS: 1° M. Deslandes, lieutenant-général du Bailliage, président du Comité permanent;

[graphic][subsumed][ocr errors][merged small]

2o M. Roze, ancien capitaine d'artillerie, cheva- | vénement, il rendit par le nez la balle qui avait lier de Saint-Louis, major de la garde nationale;

3° M. Hamelin, capitaine de dragons, écuyer de main de Son Altesse Royale Mme Adélaïde de France, commandant de la 2e division de la cavalerie nationale, sous-aide major;

4° M. Aulas de la Bruyère, lieutenant de la maréchaussée de Senlis, commandant de la 1re division de la cavalerie nationale;

5° M. de Gozengré le jeune, cavalier;

6° M. Pouillet, perruquier, fusilier de l'infanterie nationale;

7° M. Guichard, vannier, fusilier;

8° M. Horger, maître bourrelier, fusilier;

traversé le coronal.

11° M. Spère, maître charpentier, fifre de l'infanterie nationale;

12° M. Jourdain, conseiller de l'Élection, lieutenant des chasseurs de la garde nationale; 13° M. Boursier fils, lieutenant au même corps; 14° M. Delvois, sergent au même corps;

15° M. Bay, scieur de long, fusilier de la garde nationale;

16° M. Spère (Aignan), charpentier, fusilier; 17° M. Durcy, garnisaire', fusilier; 18° M. Margry (Pamphile), sculpteur marbrier,

9° M. Spère (Étienne), compagnon serrurier, fu- fusilier; silier;

10° M. Cambronne, marchand fourreur, tambour. Ce pauvre homme, le premier atteint par le feu de Billon, ne mourut pas de la blessure terrible qu'il reçut au-dessus de l'œil. On dut le trépaner. Il obtint les Invalides, et, dix-huit mois après l'é

19° M. Becqueret, scieur de pierre, fusilier; 20° M. Magny, maître de danse, roi de l'Arquebuse et porte-guidon de cette compagnie;

21° M. Perelle, officier de l'Arquebuse; 22° M. Guéret (Pierre), meunier et fermier à Villemétrie, porte-drapeau de l'Arquebuse;

Paris. Typographie de Ad. Lainé et J. Havard, rue des Saint-Péros, 19.

BERT

23 M. Leblanc fils, avocat, chevalier;

24° M. Carbon, marchand orfévre, chevalier; 25° M. Pasquier, charretier, chevalier de l'Arc; 26° M. David, nenuisier, grenadier aux Royalistes-Fusiliers;

27° M. Lefèvre, fabricant de pain d'épice et couvreur, grenadier au même corps;

28° M. Rigaut fils, couvreur, grenadier; 29° M. Merlette (Nicolas), maçon, grenadier; 30° M. Delafrenaye, pensionnaire à la Charité; 31° M. Decamp, compagnon serrurier; 32° M. Gourlet fils, compagnon menuisier;

33° M. Colombel, garçon boulanger; 34° M. Michel, compagnon taillandier; 35 M. Lesueur, compagnon cordonnier; 36° M. Adrien, compagnon coutelier; 37° M. D'Humy le jeune, garçon perruquier; 38° M. Brunet, maître cordonnier; 39° M. Lequeux, berger à Villevert; 40° Mme Motelet, épouse de M. Motelet; 41° Mile Guy, fille de M. Guy (Antoine), menuisier.

Cette longue liste devait s'augmenter, pour les morts, du nom de M. Delafrenaye, mort depuis de

[graphic]
[merged small][ocr errors][merged small]

ses blessures. Quant à M. de la Bruyère, un des plus grièvement atteints parmi les blessés, il disputa longtemps sa vie aux opérations les plus douloureuses et n'en fut quitte qu'en perdant un wil et après avoir vu se détacher de ses os de nombreuses esquilles. Ce brave homme survécut près de quarante-cinq ans à l'événement du 13 décembre 1789, et exerça pendant près de vingt ans les fonctions de juge de paix à Senlis. Le roi Louis XVI, informé de la bravoure qu'il avait déployée à l'assaut de la maison de Billon, lui envoya en récompense la croix de Saint-Louis, et l'Assemblée nationale lui accorda, par une loi spéciale et motivée, une pension annuelle de 1800 livres, confirmée plus tard par le pouvoir exécutif de la République, suivant brevet du 6 juin 1793. Mme de la Bruyêre, dont la santé était très-délicate, mourut des suites de la frayeur que lui causa cette épouvantable catastrophe. La fin malheureuse de M. Rouiller, qu'elle avait en quelque sorte retenu malgré lui à Senlis, et ses propres douleurs, précipitèrent sa fin.

CAUSES CÉLÈBRES. 123° LIVR.

[ocr errors]

Pour ne prendre que les chiffres officiels du jour de l'événement, voilà, de compte fait, soixantesix victimes, dont vingt-six mortellement atteintes. L'attentat du 28 juillet 1836, dit de la machine infernale de Fieschi, n'a frappé que quarante-deux personnes, dont dix-neuf mortellement.

L'attentat du 14 janvier 1858 (Orsini et consorts, voyez cette cause) a porté sur cent cinquante-six personnes; mais huit seulement sont mortes de leurs blessures, et beaucoup parmi les blessés n'ont reçu que des égratignures ou des contusions sans gravité.

A ces rapprochements on peut ajouter une comparaison entre les auteurs principaux des attentats de 1836 et de 1858, et l'auteur de l'attentat de 1789. Fieschi, mercenaire ignoble, Felice Orsini, fanatique politique, entassent les victimes sans dévouer leur propre vie : le premier, frappé providentiellement par ses propres armes; le second, abattu par une égratignure sans gravité, ont préparé lâchement une fuite que le hasard seul ou la

[blocks in formation]

prostration morale rendent impossible. Billon, au moins, a eu le courage de sa férocité. Il a sacrifié sa vie à l'avance; il a lutté jusqu'au dernier soupir. L'avantage, ici, n'est pas aux assassins politiques, quelle qu'ait été chez eux la forfanterie de l'échafaud.

Reportons-nous maintenant au lendemain du carnage de 1789. La ville de Senlis offrait le spectacle d'une cité saccagée par la guerre civile. La maison de Billon, presque entièrement écroulée, couvrait de ses ruines le carrefour dont elle faisait l'angle. La puissance de l'explosion avait été telle, que soixante-six maisons avaient éprouvé de sérieux dommages. Une entre autres, celle du sieur Letellier, s'était entièrement écroulée, et Mme Letellier, sa mère, avait été écrasée sous les ruines. La cathédrale, située à plus de cent toises du théâtre de l'événement, avait été secouée par l'explosion à ce point qu'une énorme pierre s'était détachée de la voûte et était allée tomber au milieu de nombreux spectateurs rassemblés pour la cérémonie. Personne, heureusement, n'avait été atteint. De carreaux intacts, il n'en restait guère dans la ville de Senlis; on trouva dans des murs, à quelque distance de la maison de l'horloger, des boulets de douze, de vingt-quatre et de trente-six livres, et un énorme poids d'horloge, lancés par la mine comme par un canon. Il était peu de demeures où l'on n'eût à déplorer la perte d'un parent ou d'un ami.

Aussi, faut-il faire la part de ces désastres, de ces pertes, de ces douleurs, dans la frayeur exagérée, dans les colères injustes de la population de Senlis. Dans les premiers moments, on ne put supposer qu'un attentat aussi énorme eût été préparé, exécuté par un seul homme. Aussi, les premiers jours qui se passèrent après l'événement furent-ils des jours d'alarmes. L'ennemi eût campé dans la vallée de l'Oise, que la frayeur des citadins n'eût pas été plus forte. On comprendrait ces terreurs imbéciles chez les habitants des classes déshéritées de la fortune et de l'intelligence; mais, ce qu'on comprendra moins facilement, c'est qu'elles furent partagées par la bourgeoisie et par la noblesse, mieux placées cependant pour se renseigner. Le Comité permanent poussa l'absurdité jusqu'à faire fermer les portes, jusqu'à placer des postes à différents endroits de la ville, jusqu'à faire arrêter, fouiller, interroger tous ceux qui essayaient d'entrer et de sortir. La populace, toujours brutale et aveugle dans ses terreurs et dans ses colères, s'empara de la femme de Billon, et cette pauvre souffre-douleur du bilieux horloger fut traînée par les rues et conduite à la prison de ville, bien que le plus simple bon sens témoignât de son innocence. La malheureuse ne fut relâchée qu'au bout de quinze jours, encore qu'elle eût prouvé dès la première heure que son mari, très-dur et très-fermé avec elle, ne lui avait rien laissé soupçonner de ses noirs projets et l'avait envoyée dès le matin chez des voisins, des fenêtres desquels elle assistait tranquillement au défilé du cortége.

Le Comité fut plus intelligent dans l'œuvre de la réparation que dans celle de la vengeance; il est vrai qu'il y fut aidé par l'immense pitié qu'inspira le sort de tant de victimes. Son premier soin avait été d'organiser un service de transport à domicile de tous les cadavres et de tous les blessés réclamés par leurs familles. Les blessés pauvres furent immédiatement placés dans les hôpitaux, car Senlis en possédait deux à cette époque, l'Hôtel-Dieu et

la Charité. Les religieux de la Charité firent partir un exprès en poste pour amener de leur maison de Paris le père Potentien, médecin distingué, qui se multiplia dans ses visites aux blessés des deux hôpitaux et à ceux des différentes maisons des particuliers.

Le bruit du sinistre événement de Senlis ne tarda pas à se répandre dans les communes environnantes. A Paris même, on s'en émut d'autant plus qu'on ignorait absolument la cause tout individuelle d'un attentat aussi grave. La passion populaire eut bientôt transformé la vengeance particulière d'un seul homme en une vaste conspiration anti-républicaine. Déjà des libelles diffamatoires, des pamphlets accusateurs étaient sous presse, quand deux de ces voyageurs que le Comité permanent avait fait arrêter dans le premier moment d'émoi, et qu'il avait fait relâcher ensuite sur l'évidence de leur innocence, apportèrent à Bailly, maire de Paris, la lettre suivante :

[blocks in formation]

« Nous nous empressons de vous informer d'un événement affreux, arrivé tout à l'heure dans notre ville. Ce jour était fixé pour la bénédiction des drapeaux; tous les corps étaient invités et s'étaient rendus à l'Hôtel de Ville. Au moment où la troupe défilait, plusieurs coups de fusil, partis d'une croisée voisine, ont tué ou blessé autant de citoyens. Les ordres ont été donnés sur-le-champ pour enfoncer la maison et s'assurer des auteurs de cet assassinat. Après des peines inutiles pour parvenir à la chambre d'où étaient partis les coups de fusil, comme l'on essayait de briser la porte, la maison a sauté en l'air par l'effet d'une mine préparée, à ce que l'on croit, plusieurs jours d'avance. Il parait que cet événement est l'effet d'une vengeance particulière d'un nommé Billon, horloger, qui s'était présenté quelque temps auparavant pour être admis dans le corps de l'Arquebuse, et avait été refusé. Ce malheureux a été enseveli sous les ruines, et nous n'avons jusqu'à présent aucun vestige du complot. Mais, au moyen du parti que nous avons pris de placer des corps-de-garde à toutes les issues de la ville, et d'interroger à mesure qu'elles se présenteront toutes les personnes qui se trouveront avoir quelque liaison prochaine ou éloignée avec l'auteur de ce crime, nous espérons mettre la justice à portée d'en poursuivre la vengeance.

« Nous avons cru, Monsieur, devoir avoir l'honneur de vous faire ce récit pour prévenir toutes les impressions défavorables que, dans un temps aussi orageux, quelque version peu exacte pourrait donner contre les habitants de cette municipalité. L'événement qui met toute notre ville en deuil n'est que l'effet du ressentiment d'un scélérat.

« De nouveaux détails qui nous parviennent en ce moment ajoutent à l'atrocité du fait. Le malheureux moteur de cette scène sanglante a sûrement attendu que sa maison soit pleine pour immoler à la fois plus de victimes. Quarante personnes au moins sont tués (sic) ou blessés. Il nous est impossible de vous en donner une énumération exacte; plusieurs sont

« PreviousContinue »