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sent, qu'on fait reconnaître à Jeanne que ses voix l'ont mensongèrement induite en erreur; qu'elle a vraiment vu les esprits, qu'elle les a entendus, mais qu'il lui semble probable que ce fussent mauvais esprits, puisqu'ils l'ont trompée. La couronne apportée au dauphin par l'ange, ce n'aurait été qu'une fiction, et Jeanne aurait avoué que l'ange, c'était ellemême.

La mort de Jeanne suffit à détruire cette invention honteuse, produite honteusement neuf jours après le crime.

L'esprit humain est si fort altéré de justice, qu'après cette iniquité, comme il arrive après tous les grands crimes, on voulut voir le doigt du Dieu ven

geur dans la fin misérable de ceux qui y avaient trempé.

Bedford mourut, jeune encore, en 1435, dans ce même château de Rouen, où il avait torturé la Pucelle; et il eut le temps de voir, avant de mourir, la fortune de son roi subir en France des échecs réitérés, jusqu'au jour où la défection du duc de Bourgogne prépara l'expulsion définitive des Anglais.

Flavy, ce traître selon les uns, cet envieux selon les autres, qui aurait livré Jeanne ou l'aurait abandonnée à ses ennemis, périt misérablement victime de ses propres parents.

Cauchon dut renoncer à la riche proie qu'il chassait depuis longtemps, l'archevêché de Rouen; il ne put

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obtenir que l'évêché de Lisieux, et mourut subitement en 1442.

Mais les morts de l'abbé de Jumiéges, de Nicolas Midy, de Loyseleur, de d'Estivet, ne se firent pas longtemps attendre. C'est dans la même année que tous les quatre moururent. Nicolas Midy fut frappé de la lèpre. Loyseleur et d'Estivet tombèrent, le premier dans une église de Bâle, le second sur un tas de fumier, renversés par ce mal subit, alors encore mystérieux, que la science moderne nomme l'hémi plégie.

Vengeance divine ! s'est-on écrié, comme si Dieu se vengeait. On a fait remarquer fort justement que plusieurs parmi ces juges assassins menèrent, après le procès, une vie longue, paisible, luxueuse, honorée. Guillaume Erard, par exemple, et Thomas de Courcelles moururent pleins de jours, le premier avec la renommée d'un des plus vertueux et des plus sages docteurs du temps; le second, investi du diaconat du chapitre de Paris, curé de la riche paroisse de Saint-André des Arcs, chanoine d'Amiens, pro

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relâche l'accomplissement d'un devoir sacré, la réhabilitation de sa fille.

La courageuse mère dépensa d'abord infructueusement à cette œuvre ses forces et son petit patrimoine. Elle fit parvenir à l'ingrat Charles VII plus d'une requête restée sans réponse. Elle fut plus heureuse à Orléans. La ville sauvée par Jeanne n'avait pas oublié son sauveur. Isabelle Romée étant à Orléans, en 1440, tomba gravement malade. La ville la fit soigner et lui alloua une pension de quarante-huit sous parisis par mois, somme qui équivaut de nos jours à une pension annuelle d'environ 2,000 francs. Dès 1436, Charles VII, ou plutôt le connétable et le Bâtard d'Orléans, avait repris Paris aux Anglais, accomplissant ainsi avant l'heure la prédiction de la Pucelle que «avant sept ans les Anglais abandonneraient un plus grand gage qu'ils n'avaient fait devant Orléans.»

En 1449, Rouen revint à son tour à la couronne de France, et cette ville où, comme à Orléans, le nom de Jeanne Darc était tenu pour sacré, ne tarda pas à raviver dans le reste de la France l'enthousiasme et l'amour pour l'héroïne populaire.

Bien mieux, l'imposture même contribua à entretenir cette religion du souvenir. Une fausse Jeanne parcourut la France, accueillie partout comme la véritable, reconnue, dit-on, par les frères Darc, appelée, fêtée par la ville d'Orléans, présentée au pape Eugène IV, redoutée des Anglais qu'elle combattit en Guienne et en Poitou, confondue enfin par Charles VII, qui n'eut, pour la démasquer, qu'à lui demander quel secret existait entre elle et lui.

Cette fausse Jeanne fut emprisonnée, condamnée par le Parlement de Paris à l'exposition publique; mais son mensonge rappela à ceux qui les avaient oubliés, les services rendus au roi et à la France par la véritable Pucelle.

Isabelle Romée, toujours infatigable, sut profiter de ces lentes évolutions de l'opinion publique; et, lenfin, après dix-neuf ans de patience, remporta sur les indécisions de Charles VII une éclatante victoire.

Le 15 février 1450, le roi ordonnait à Guillaume Bouillé, docteur en théologie, l'un de ses conseillers, « qu'attendu qu'on a fait mourir Jeanne iniquement et contre raison, d'informer des faits, et de contraindre ceux qui ont des écritures touchant le procès à les adresser au roi ou à son grand conseil. »

Alors, fut ouverte une enquête; des témoins furent entendus. Un Mémoire fut rédigé, soumis à l'approbation d'un certain nombre de jurisconsultes qui s'accordèrent à reconnaître les nullités de la procédure et le mal jugé.

Puis, tout ce bruit s'éteignit; l'enquête et le Mémoire rentrèrent dans l'ombre. Á toutes les époques, rien n'est si difficile à obtenir que la reconnaissance d'une erreur judiciaire. Tant de gens sont intéressés à faire croire que la justice humaine est infaillible (1)! Que sera-ce donc s'il s'agit de prouver qu'elle peut être criminelle!

Mais Isabelle Romée ne se découragea pas. Elle retourna à Rouen, et fit tant, aidée par la clameur publique, que, en 1452, le cardinal d'Estouteville, légat du pape et archevêque de Rouen, convaincu par la lecture des pièces produites par Bouillé, commença, de son côté, une information d'office. D'Estouteville s'adjoignit l'Inquisiteur général

(1) Voyez le procès de Lesnier, et aussi, et surtout, celui de Lesurques.

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Jean Bréhal, et tous deux entendirent des témoins. Le grand vicaire de l'archevêché de Rouen, Philippe de la Rose, continua l'information en l'absence de d'Estouteville, et d'autres témoins furent entendus, parmi lesquels plusieurs assesseurs de Cauchon.

Mais cette information officieuse, d'ailleurs barrée par la vive opposition du clergé, ne pouvait aboutir; il fallait une information officielle, un procès ecclésiastique à opposer au procès de 1431.

Aussi, Charles VII, entin vaincu par les instances d'Isabelle Romée et de ses conseillers, se décida-t-il à demander au Saint-Siége des lettres apostoliques de révision. C'était au pape Nicolas V que s'adressait cette demande; mais ce pape mourut, en 1455, sans avoir rien accordé.

Calixte III, un Borgia, qui lui succéda sur le trône pontifical, fut directement saisi par la mère et les deux frères survivants de la Pucelle, Jean et Pierre Darc, d'une requête semblable; et c'est à ce pape que revient l'honneur d'avoir poursuivi et obtenu la réhabilitation ecclésiastique de Jeanne.

Calixte III commit, pour juger à fond le procès, quatre éminents prélats de l'Eglise française: l'évêque de Paris, l'évêque de Coutances, le grand inquisiteur Jean Bréhal et l'archevêque de Reims. Ce dernier était le successeur de ce misérable traître, Regnault de Chartres.

Les quatre commissaires avaient pleins pouvoirs pour ouvrir une enquête contradictoire, casser le jugement de condamnation ou renvoyer devant un autre tribunal, s'adjoindre tels juges et en aussi grand nombre qu'il leur semblerait nécessaire. La commission pontificale, en forme de bref, est datée du troisième jour des ides de juin de l'année 1455.

Chacun des commissaires légalement investi de ses pouvoirs par la communication du bref que leur firent les parties demanderesses, celles-ci furent assignées à comparaître le 7 novembre dans l'église de Notre-Dame de Paris, en audience publique.

On vit donc, ce jour-là, s'avancer dans la cathédrale, déjà vieille de plus de trois siècles, et que Charles VII venait enfin de faire terminer, le cortége des parents, amis et conseillers d'Isabelle Romée. La noble femme marchait en tête, étonnant les yeux par sa taille haute et droite, par ses traits vigoureusement accentués, que soixante-sept années et de mortels chagrins n'avaient pu ni courber ni flétrir.

Derrière elle venaient Pierre Darc, Me Maugier, avocat des demandeurs, Jean Prévoteau, leur fondé de pouvoirs, et, disent les documents contemporains, beaucoup d'hommes et de femmes très-honnêtes et très-respectables, qui joignaient leurs prières et leurs larmes à celles de la vénérable matrone.

L'archevêque de Reims reçut ce cortège à la porte de la sacristie. Isabelle se prosterna devant lui et lui dit avec des gémissements: - « Jeanne Darc était ma fille légitime. Je l'ai élevée selon son âge et son état, dans la crainte de Dieu et les traditions de l'Eglise. Quoiqu'elle n'ait jamais rien pensé contre la foi, ses ennemis, au mépris du prince, lui ont intenté un procès en matière de foi. Ils lui ont imputé de faux crimes, et, sans nul égard à ses récusations ni à ses appellations, tant expresses que tacites, ils lui ont fait subir une infamie irréparable pour elle et pour ses proches. >>

L'archevêque releva Isabelle avec bonté, lui fit quelques questions sommaires sur la jeunesse de sa fille, sur ses habitudes, sur son éducation religieuse, et promit de donner tous ses soins à cette affaire, ne dissimulant pas au reste qu'une pareille instruc

tion pourrait être longue. Il s'agissait d'annuler une sentence religieuse, et on n'y pouvait regarder de trop près, car si l'Eglise est la protectrice naturelle des veuves et des faibles, il n'y a pas de faveur contre la justice ou contre la foi.

L'enquête commença. Des commissaires furent envoyés dans tous les lieux où le premier procès avait recueilli des motifs d'accusation contre Jeanne. C'est ce que nous appellerions aujourd'hui des commissions rogatoires.

A la première audience, l'avocat des demandeurs donna lecture du bref pontifical, puis, limitant habilement le champ du procès, déclara qu'il ne voulait prendre à partie, parmi les juges de 1431, que l'évêque de Beauvais, Jean Lemaître, le promoteur d'Estivet et leurs complices s'il y en avait. Cette déclaration rassurait ceux des assesseurs ou des docteurs, présents au premier procès, qui vivaient en

core.

Cet exposé terminé, les commissaires acceptèrent solennellement le mandat que leur conférait le bref du pape et rendirent deux ordonnances. Par l'une, ils autorisaient à citer, pour le 12 décembre suivant, en la ville de Rouen, quiconque avait connu du procès de condamnation, pour former opposition à l'acceptation du bref papal, ou pour y adhérer, ainsi que pour faire l'apport de toutes pièces dont on serait détenteur. Par l'autre, ils autorisaient à citer, aux mêmes lieu et jour, l'évêque actuel de Beauvais, Guillaume Hellande, les représentants ou ayants cause de Pierre Cauchon, ceux des d'Estivet, et Jean Lemaître lui-même, qui vivait encore et que l'ordre des dominicains avait, depuis le procès de Rouen, dérobé à tous les regards.

quêtes, tous les préliminaires étant épuisés. Cent quarante témoins sont entendus, tant à Domremy qu'à Rouen, à Orléans et à Paris. Parmi ces témoins il faut citer le duc d'Alençon; le Bâtard d'Orléans, Dunois; le frère Pasquerel, confesseur ordinaire de la Pucelle; le vertueux Daulon, son écuyer; Louis de Contes, son page; les témoins oculaires de son procès et de son supplice, Martin Ladvenu, Isambard de La Pierre, Jean Toutmouillé, le notaire-greffier Manchon, Massieu, Beaupère et tant d'autres.

Toutes ces dépositions sont favorables à la Pucelle. Toutes, elles témoignent de la pureté de sa vie, de sa foi profonde en sa mission divine, de l'acharnement de ses juges, de l'illégalité de sa condamnation et de son supplice.

Aussi, quand les enquêtes furent terminées, vers la fin de juin 1456, les avis motivés de nombreux docteurs, que les demandeurs joignirent aux témoignages, furent-ils tous d'accord pour conclure à la nullité du procès de 1431.

Incompétence des juges; violence exercée contre ceux des assesseurs qui faisaient passer la justice avant la passion; refus d'admettre la soumission de Jeanne à l'Eglise, au pape et aux conciles: telles étaient les raisons le plus souvent invoquées dans ces consultations. On y disait que Jeanne n'avait pu être relapse, puisqu'elle n'avait pas erré dans la foi; que Dieu seul avait qualité de prononcer sur la nature des révélations et des apparitions, et que tout, dans la cause, faisait supposer la réalité de ces visions surnaturelles. « Quant à l'habit d'homme, la mission de Jeanne la forçant sans cesse à vivre au milieu des hommes, c'était un moyen de garantir sa pudeur; car nous voyons bien souvent que l'habit désordonné que portent les femmes provoque les hommes à paillardise et à toute lubricité. »

C'est la première fois, enfin, que cette raison de bon sens est admise pour excuser le costume masculin chez Jeanne. M. Michelet dit très-bien à ce propos :

Bien que les citations eussent été, en partie signifiées, en partie affichées aux portes des églises, quand vint le 12 décembre, personne ne se présenta. Une nouvelle audience fut indiquée à trois jours de là, et, le 15, défaut fut donné, aucune opposition n'ayant été formée. Le tribunal se constitua définitivement. Un promoteur fut nommé, Simon Chapitault, et on lui adjoignit pour substitut Jean le Re-là bours, homme vénérable et circonspect.

Un seul nom excite l'étonnement parmi les officiers du nouveau procès, c'est celui de Jean Fabri, un des assesseurs de 1431.

Le greffier, notaire au premier procès, Guillaume Manchon, fit dépôt des minutes française et latine du procès de condamnation, et Jean Prévoteau déposa les cent et un articles contenant les faits et moyens des demandeurs.

Le 20 décembre, les héritiers de l'évêque de Beauvais, tous enfants en bas âge à l'époque du premier procès, ou même nés postérieurement à la condamnation, comparurent par fondés de pouvoirs. Ils se contentèrent de désavouer les actes de leur auteur, s'en référant à la gracieuse amnistie qu'avait accordée le roi Charles septième à l'époque de la réunion de la Normandie à la couronne de France. En l'absence d'opposition de la part des demandeurs, ces héritiers furent mis implicitement hors de cause, et nouvelle citation fut faite aux défaillants pour le 16 février 1456.

Alors seulement parut le fondé de pouvoir de l'évêque actuel de Beauvais et du promoteur de son diocèse, qui protesta contre les imputations lancées contre leurs prédécesseurs, et déclara ne vouloir paraître au procès nouveau. Quant à Lemaître, il se

tint coi.

A ce moment commencent véritablement les en

«La pauvre fille, en tel danger, n'avait eu jusquede défense que l'habit d'homme. Mais, chose bizarre, personne n'avait jamais voulu comprendre pourquoi elle le gardait. Ses amis, ses ennemis, tous en étaient scandalisés. Dès le commencement elle avait été obligée de s'en expliquer aux femmes de Poitiers. Lorsqu'elle fut prise et sous la garde des dames du Luxembourg, ces bonnes dames la prièrent de se vêtir comme il convenait à une honnête fille. Les Anglaises surtout, qui ont toujours fait grand bruit de chasteté et de pudeur, devaient trouver un tel travestissement monstrueux et intolérablement indécent. La duchesse de Bedford lui envoya une robe de femme, mais par qui? par un homme, par un tailleur... Si les femmes ne comprenaient rien à cette question féminine, combien moins les prêtres?... Ils citèrent le texte du concile du quatrième siècle, qui anathématisait ces changements d'habit. Ils ne voyaient pas que cette défense s'appliquait spécialement à une époque où l'on sortait à peine de l'impureté païenne. Les docteurs du parti de Charles VII, les apologistes de la Pucelle sont fort embarrassés de la justifier sur ce point; l'un d'eux suppose gratuitement que, dès qu'elle descend de cheval, elle reprend l'habit de femme; il avoue qu'Esther et Judith ont employé d'autres moyens plus naturels, plus féminins, pour triompher des ennemis du peuple de Dieu. Ces théologiens, tout préoccupés de l'âme, semblent faire bon marché du corps; pourvu qu'on suive la lettre, la

loi écrite, l'âme sera sauvée ; que la chair devienne ce qu'elle pourra... Il faut pardonner à une pauvre simple fille de n'avoir pas su si bien distinguer. » Nous avons déjà fait connaître les moyens principaux présentés par les demandeurs; reprenons-les par le détail :

Incompétence des juges de 1431. En effet, Jeanne n'était point née dans le diocèse de Beauvais; elle n'y avait point domicile; ce n'est point sur le territoire de ce diocèse qu'avaient été commis les faits incriminés. Dès lors, l'évêque de Beauvais n'avait point qualité pour juger;

Incompétence particulière de l'évêque de Beauvais, personnellement et dûment récusé, comme ennemi; Nullité de la procédure entamée sans le concours et en dehors de la présence de l'inquisiteur au commencement du procès; l'arrivée tardive de l'inquisiteur et sa participation à la suite du procès ne faisaient point disparaître l'illégalité de ces préliminaires;

Détention illégale de Jeanne dans une prison militaire, alors qu'elle eût dû être gardée en prison ecclésiastique;

Menaces adressées, pendant la durée du procès, à certains assesseurs ces violences viciaient la procédure et le jugement qui en fut la suite;

Aucun compte tenu de la soumission de Jeanne à l'Eglise militante, aussitôt qu'on lui eut fait comprendre la distinction des deux Eglises;

Silence gardé sur l'appel de Jeanne au pape ou à un concile;

La tentative d'évasion de Beaurevoir, mensongèrement transformée en tentative de suicide, alors qu'il est évident que Jeanne cherchait à échapper à ses ennemis par la fuite;

Suppression, par l'évêque de Beauvais, des informations que la loi l'obligeait de communiquer aux assesseurs, aux corps consultés et à l'accusée ellemême ;

Omission volontaire, dans les douze articles, des réponses justificatives de l'accusée;

Introduction de fausses réponses, destinées à entraîner l'opinion des juges contre Jeanne;

Absence de jugement séculier avant le supplice. Quelques-uns de ces motifs furent adoptés par le réquisitoire dans lequel le promoteur conclut à la mise à néant des deux jugements de 1431.

La délibération dernière qui précéda le jugement définitif, insista de nouveau sur ces flagrantes nullités du procès.

Enfin, le 7 juillet 1456, le tribunal se réunit une dernière fois au palais archiepiscopal de Rouen. Isabelle Romée et Pierre Darc, n'ayant pu paraître, s'étaient fait représenter par Jean Prévoteau. Jean Darc était là, assisté de Me Maugier, et entouré de onze notables de la ville. Lecture fut donnée de toutes les pièces, et l'archevêque de Rouen lut, à haute voix, la sentence de réhabilitation :

<< Ayant imploré le secours de Dieu, afin que notre Jugement émane de lui seul, le juge véritable, qui pèse les esprits, qui seul connaît la vérité des révélations, dont l'esprit souffle où il veut, qui choisit quelquefois les faibles pour confondre les puissants, et qui, n'abandonnant pas ceux qui espèrent en lui, les vient secourir dans le malheur et les tribulations; « Après avoir mûrement délibéré tant sur les préliminaires de l'affaire que sur la décision de la cause, avec des personnes habiles, remplies de probité et d'une conscience timorée :

« Ayant eu leurs avis et de vive voix et par des traités spéciaux, publiés à un très-grand nombre d'exemplaires, par lesquels tous il a été estimé que les faits et les paroles de la défunte sont dignes d'admiration plutôt que de condamnation;

« Vu que tout ce qui est au procès est vicieux en la forme et au fond, et notamment les deux jugements rendus contre Jeanne Darc, dont le premier est qualifié de jugement de chute, et l'autre de jugement de rechute;

« Vu les récusations et appellations multipliées de Jeanne au Saint-Siége et à notre Saint-Père le Pape, ses demandes réitérées pour qu'on leur envoyât toutes les pièces, et sa déclaration d'entière soumission à leur sentence;

« Déclarons en premier lieu les articles commençant par ces mots Certaine femme (les douze articles), qui ont servi de base au premier jugement, infidèlement, méchamment, calomnieusement, frauduleusement et malicieusement extraits du procès et des déclarations de Jeanne, éloignés de la vérité, faux en plusieurs points, afin d'entraîner les consulteurs dans un autre avis que celui qu'ils auraient embrassé; enfin, surchargés de circonstances qui ne sont pas contenues dans lesdites déclarations, comme en altérant plusieurs autres;

« En conséquence, les cassons, annulons, mettons à néant, et les condamnons à être judiciairement lacérés ;

« Au fond, considérant que l'abjuration insérée audit procès est fausse et substituée; qu'elle a été, en outre, arrachée par la crainte et la violence en présence du bûcher; qu'elle n'a pu être comprise par la défunte;

« Tout considéré, et n'ayant que Dieu en vue, déclarons le procès, l'abjuration et les deux jugements rendus contre Jeanne, entachés de dol, calomnieux, iniques, remplis d'erreur de droit et de fait; et, en conséquence, le tout nul et de nul effet, cassé, annulé, comme est, en tant que de besoin, cassé et annulé tout ce qui s'en est suivi;

« Déclarons, en conséquence, que ni Jeanne, ni les demandeurs, ni ses parents n'ont encouru aucune tache ni note d'infamie à l'occasion desdits procès, dont, à tout événement, ils sont entièrement lavés et déchargés;

« Le présent jugement sera publié dans la ville de Rouen, où seront faites, en outre, deux processions solennelles, avec prédications, la première au cimetière de Saint-Ouen, la seconde, le lendemain, au lieu même où, par une cruelle et horrible exécution, les flammes ont étouffé et brûlé la défunte. Une croix y sera plantée pour en perpétuer le souvenir;

« Publication solennelle du présent jugement sera faite en toutes les villes du royaume et autres lieux que nous désignerons, nous réservant la décision de tous les points qui resteraient en litige. »>

Ce qu'il y a de plus remarquable dans ce jugement, ce n'est pas la réhabilitation qu'il prononce, et qui était alors dans tous les esprits et dans tous les coeurs; c'est la condamnation du premier procès, comme entaché d'illégalités et de vices de forme. De pareils aveux sont rares, et ne se rencontrent d'ordinaire que lorsque le tribunal coupable a fait place à une juridiction nouvelle, dégagée des influences qui entraînèrent la première à la prévari

cation et à l'erreur.

L'arrêt de réhabilitation a-t-il tout dit sur ces vices de fond et de forme? pouvait-il tout dire?

Non, sans doute. Les deux procès sont, au moins céder sans tumulte, ni forme de jugement... Mais en apparence, des procès d'inquisition, et les irré-il s'agit simplement de repousser les exceptions et gularités monstrueuses qui entachent la procédure de 1431, en tant que procédure du Saint-Office, ne sont mises en lumière par les juges de 1456 qu'en tant qu'elles accusent la violence extérieure du vrai juge de 1432, du juge laïque, de l'Anglais.

L'arrêt de réhabilitation ne touche que les violations de forme imputables à la pression qu'exercèrent Cauchon et ses inspirateurs; l'incompétence territoriale de l'évêque de Beauvais; son incompétence personnelle comme juge récusé; la substitution illégale d'une prison militaire à la prison religieuse; les violences et les menaces dirigées contre des accusateurs et contre l'accusée elle-même, violences qui ont arraché à cette dernière l'abjuration sur laquelle est fondé le procès de rechute; la falsification de certaines pièces du procès, celle des articles, par exemple; l'absence d'un jugement séculier: tout cela est du fait de Cauchon et de ses maîtres. Une seule illégalité met en cause directement le représentant de l'Inquisition, juge au procès, à savoir : l'omission volontaire de l'appel de Jeanne du pape ou à un concile. L'arrêt de 1456 accuse, sur ce point, la complicité par lâcheté de Jean Lemaître, vicaire de l'Inquisition en France.

appels dilatoires, frustratoires, et la multitude de témoins... Que le juge se garde donc bien d'abréger le procès par le refus d'admettre les preuves nécessaires et les défenses légitimes (1). »

Cette constitution clémentine, postérieure à la décrétale en question, l'explique et la commente. Une autre constitution citée au Directorium (p. 296), également postérieure à la décrétale, dit formellement:

« Quand le crime est nié, ou n'est pas prouvé par les témoins, et que l'accusé demande à se défendre, on doit lui accorder et l'on ne peut sous aucun prétexte lui refuser des défenses. En conséquence, il est pourvu d'un avocat probe et non suspect, habile dans les deux droits et zélateur de la foi. On y ajoute un procureur en la même forme, avec la copie de tout le procès, dont on ne supprime que les noms des dénonciateurs et des témoins. >>

La meilleure preuve qu'un conseil était dû à l'accusée, c'est que, le 27 mars, Cauchon se résigna à lui en offrir un, non pas, comme le dit M. Quicherat, se départissant ainsi de la rigueur de la loi, mais lui obéissant en apparence, trop tard seulement, puisqu'alors Jeanne avait subi quinze interroMais, on l'a déjà vu, la complicité de l'inqui-gatoires, et que les articles étaient juridiquement siteur, éclate par d'autres points que, l'arrêt de 1456 approuvés (2). laisse dans l'ombre. Il est des vices de forme, dans la procédure de 1431, qui eussent dû être relevés dans le jugement de réhabilitation.

L'absence au procès d'un curateur pour l'accusée mineure. Nul autre, à notre connaissance, parmi les historiens de Jeanne Darc, n'a signalé cette irrégularité que M. N. Villiaumé.

Il a grandement raison: le Guide des Inquisiteurs (Directorium Inquisitorum, Rome, 1578, in-f°) est formel à ce sujet. Pour tout accusé comptant moins de vingt-cinq ans, un curateur devait être nommé, comme en procédure laïque, pour le fou, le muet ou le mort. Le curateur devait recevoir sa mission même avant la première comparution de l'accusé. Seul il avait qualité pour rectifier ses aveux; en dehors de son contrôle, la procédure devenait nulle. Par respect pour l'indépendance du curateur, il était défendu de le choisir parmi les inquisiteurs.

L'absence au procès d'un avocat, d'un défenseur de l'accusée. Ce point, aujourd'hui assez clairement établi, a été controversé par quelques critiques, entre autres par celui à qui nous devons la plus grande masse de documents certains sur Jeanne Darc, M. Quicherat.

Il invoque, pour écarter cette illégalité, la décrétale portant que le procès d'inquisition pourra se suivre «d'une manière simplifiée et directe, sans tumulte d'avocats, ni forme de jugement. »>

Mais, comme l'a démontré M. N. Villiaumé, sans tumulte d'avocats ne peut pas vouloir dire sans avocats, mais seulement sans déclamations dangereuses pour la religion. Le pape Clément V, parmi ses constitutions clémentines, en publia, l'an 1307, une qui réglait la procédure d'inquisition, au point de vue de la défense. Il y admit la présence d'un avocat et d'un procureur pour l'accusé, et ce, non pas d'une façon facultative, mais comme personnes nécessaires au procès. « On demande, y est-il dit, comment on doit entendre ces mots : sommairement, simplement et de suite, sans tumulte d'avocats, ni de jugement, ni de formes. Nous répondons qu'en déférant certaines causes, nous ordonnons quelquefois de pro

L'absence au procès d'un procureur pour l'accusée. Cette irrégularité nouvelle ressort de tous les textes déjà cités, qui établissent la nécessité de donner à un accusé non-seulement le conseil, mais encore le procureur.

L'absence au procès de témoins à charge et à décharge. Les mêmes textes qui établissent la nécessité du conseil et du procureur, montrent clairement que les témoignages étaient la base légale du procès d'inquisition. « Quand le crime est nié, ou n'est pas prouvé par les témoins... » « Il s'agit simplement de repousser... la multitude de témoins... »

M. Quicherat fait, à ce sujet, un raisonnement singulier: « Le Directorium, dit-il, explique que l'avocat, n'ayant qu'à aider son client dans la recherche des témoins à charge, dont on lui cachait les noms, si l'hérétique avouait, il était superflu de lui en accorder un. L'évêque de Beauvais, vu son dessein de ne pas échafauder le jugement sur le dire des témoins, mais de s'arrêter seulement aux paroles tirées de la bouche de Jeanne, se trouve dans la légalité (3). »

Ce qui revient à dire exactement que Cauchon se trouve dans la légalité par cela seul qu'il avait commis une illégalité monstrueuse !

Au reste, il n'y a pas même à discuter tout cela. Le procès de 1456 est, comme celui de 1431, un procès d'inquisition. Il est régulier, celui-là, et échappe à toute pression extérieure. Or qu'y voyons-nous? tout ce qui manque au procès de 1431 conseil, procureur, témoins. Cela dit tout.

Il ne faudra donc plus dire avec des hommes d'ailleurs respectables et bien intentionnés, MM. Quicherat, par exemple, et Loiseleur, que le procès de Jeanne Darc fut « régulier dans les formes... conforme par sa procédure à celle qu'enseignent tous. les traités relatifs à l'inquisition...», et que, « con

(1) Direct. Inquis., p. 74 et 370.

(2) Voyez M. N. Villiaumé, p. 369. Sa discussion sur ce point est excellente, trop apre seulement en ce qui concerne M. Quicherat, dont il fait, pour le punir de cette opinion mal fondée, un complice de Cauchon.

(3) Aperçus nouveaux, p. 130.

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