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LE COCHER COLLIGNON (1855).-LE PALEFRENIER BAUMANN (1856).

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Si ce livre n'avait d'autre objet que d'exciter chez le lecteur l'intérêt trop facile et souvent vulgaire que portent avec soi les récits judiciaires, nous n'aurions qu'à laisser parler les faits, à les dérouler successivement dans leur émouvante réalité. Mais, en écrivant cette Collection de Causes célèbres, nous nous sommes proposé un but plus haut, une fin plus utile. Nous avons voulu préparer des documents pour l'éternelle étude que l'homme fait de lui-même, et c'est pour cela que nous nous inquiétons plus de la leçon morale que de la mise en scène. C'est pour cela aussi qu'il nous arrive souvent de grouper des actes de même nature, superficiellement identiques, pour montrer chez leurs auteurs de radicales différences. La science des lois morales, celle aussi des lois écrites ne peuvent que gagner à de pareilles comparaisons. C'est ainsi que nous réunissons aujourd'hui deux assassins de la mème classe, le cocher Collignon et le palefrenier Baumann.

Nous exposerons d'abord les faits de ces deux causes, sans nous permettre aucune réflexion : nous essayerons ensuite d'analyser ces deux natures morales, qui, réunies par un crime commun, nous paraissent séparées par un abîme.

Le 16 septembre 1855, M. Juge, directeur de CAUSES CÉLÈBRES. 128 LIVR.

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l'École normale de Douai, venu à Paris pour quelques jours, prit sur le pont de la Concorde une voiture de remise qui le conduisit, ainsi que sa femme et sa fille, & Auteuil, près de la grille du bois de Boulogne.

Arrivé là, M. Juge donna au cocher les 3 francs qui étaient le prix de la course; mais celui-ci réclama 5 francs, prétendant avoir droit à vingt minutes pour le repos du cheval et à une indemnité de retour. Le tarif imprimé des voitures de place démentait l'assertion du cocher; toutefois, celuici insistant, M. Juge donna les 5 francs, mais non sans avertir le cocher qu'il ferait connaître cette exigence à M. le Préfet de police.

Le lendemain, en effet, dans une lettre fort modérée, M. Juge exposa les faits à ce magistrat. « Ma réclamation, disait-il, a moins pour but de me faire rembourser ce qui peut m'avoir été pris en trop, si toutefois le cocher a dépassé son tarif, que d'empêcher les conducteurs de voiture d'abuser de l'ignorance des étrangers qui viennent visiter Paris.>>

Le cocher, dont le numéro était indiqué dans cette réclamation, fut mandé à la Préfecture de police pour le samedi 22. C'était un nommé Jacques Collignon, âgé de quarante-neuf ans, né à Beuville (Moselle), et demeurant impasse du Maine,

n° 12.

COLLIGNON.

Interpellé sur les motifs de son double crime, Collignon déclara n'en avoir pas eu d'autres que la plainte de M. Juge. Il fallait, enfin, donner une leçon aux bourgeois qui exploitent l'ouvrier. « Si M. Juge m'avait mis dans la misère, il ne le regretterait pas; je n'ai pas plus de regret qu'il n'en au

L'employé préposé au contrôle de la fourrière donna lecture à cet homme de la lettre de M. Juge, et l'invita, soit à restituer les 2 francs perçus en trop, soit à justifier sa prétention, soit à s'arranger avec le plaignant. Le cocher Collignon opta pour la première alternative, et promit à l'employé de lui apporter bientôt un reçu des 2 francs. Il demanda s'il serait mis à pied pour ce fait; l'employé lui répondit qu'il l'ignorait.

Le 24 septembre, Collignon se présenta à l'adresse indiquée, chez M. Vincent, rue d'Enfer, no 83. C'est chez cet ami que logeait M. Juge.

Reçu dans la salle à manger par M. Juge, Collignon lui dit fort poliment qu'il venait restituer les 2 francs, objet de la contestation, et qu'il en demandait un reçu.

M. Juge se disposa à rédiger le reçu, et déjà il en avait tracé les deux premiers mots: Je, soussigné, lorsque Mine Juge, sa fille, Mme Vincent et la fille de cette dernière quittèrent le salon où elles étaient réunies, pour demander à M. Juge une adresse dont elles avaient besoin. Au moment où M. Juge levait la tète pour répondre à cette demande, Collignon déchargea à bout portant un de ses pistolets sur M. Juge, qui fut mortellement atteint à la tempe droite.

Mme Juge s'élance au secours de son mari, et, ne comprenant pas encore toute l'étendue de son malheur, se penche sur lui, en s'écriant: « Ah! mon ami! mon ami ! »

Collignon tire sur elle un second pistolet, dont la charge effleure seulement la partie supérieure du cou. La balle va se fixer dans la boiserie.

Au cri poussé par sa nouvelle victime, Collignon croit l'avoir atteinte, et, tournant sur lui-même avec un air de froide satisfaction, dit : « Je suis vengé. » Il descend tranquillement l'escalier, laissant ses armes sur le parquet.

L'alarme, cependant, est dans la maison. Mme Vincent, folle de terreur, s'est élancée dans l'escalier en criant au secours! Au bruit des détonations, un locataire du rez-de-chaussée s'inquiète, et, voyant descendre une sorte de paysan vêtu d'une blouse bleue, lui défend de sortir; car, sans doute, un crime vient d'être commis. · «Ne cherchez pas plus loin, dit avec calme le prétendu paysan qui n'est autre que Collignon; l'assassin, c'est moi. »

Ce locataire du rez-de-chaussée n'était autre que le grand philosophe Pierre Proudhon, naguère représentant du peuple, alors moins connu pour ses belles études d'économie politique que pour son fameux axiome: la propriété, c'est le vol.

L'assassin, qui ne cherchait pas à fuir, fut arrêté par le sergent de ville Henry. Conduit devant le Commissaire de police, et, plus tard, devant M. le Juge d'instruction Cramail, il avoua son crime avec une froideur cynique, ne manifestant qu'un regret, celui d'avoir manqué sa seconde victime. Il raconta qu'après la discussion d'Auteuil, une pensée de vengeance lui avait envahi le cœur. En sortant de la Préfecture de police, le 22 septembre, il avait acheté deux pistolets, de la poudre, des balles et des capsules. Il s'était rendu à Pantin, où habitait sa femme, qu'il avait abandonnée avec ses quatre enfants. Là, rencontrant deux de ses fils, il leur avait annoncé qu'il allait quitter la France, et leur avait laissé voir la crosse d'un pistolet.

Le 24 au matin, Collignon avait vendu son chétif mobilier, et avait annoncé à son concierge de l'impasse du Maine qu'il se disposait à s'embarquer.

rait eu. >>

Mais ce n'était pas là, objecta le Magistrat, un motif pour tuer les gens. Qui parlait de vous mettre dans la misère ? Vous aviez exploité M. Juge, et on vous faisait rendre ce que vous lui aviez pris en trop voilà tout. Et la femme, que vous avait-elle fait?«Oh! celle-là, répondit Collignon, elle l'avait gagné encore plus que lui. C'est elle qui l'excitait à se plaindre au Préfet. »

On ne put tirer autre chose de cet homme. Il paraissait, au reste, résigné au sort qu'il s'était préparé : « On me coupera le cou, répétait-il; mais, c'est égal, les bourgeois y regarderont à deux fois maintenant avant d'exploiter un ouvrier. >>

L'instruction, sur des bases aussi simples, fut rapidement terminée, et l'affaire vint à la Cour d'Assises de la Seine, le 12 novembre 1855.

L'audience est présidée par M. Perrot de Chezelles. M. Saillard, Avocat général, représente le Ministère public. Me Morise est désigné d'office pour défendre Collignon.

On introduit l'accusé. C'est un homme de taille moyenne, vêtu d'une blouse bleue, portant au col une cravate blanche. Ses cheveux sont noirs et touffus; ses favoris, également noirs, paraissent être l'objet de soins attentifs, et Collignon les frise de temps en temps du bout des doigts avec quelque complaisance. Le teint est haut en couleur, les yeux ardents, l'expression de la physionomie dure et résolue. C'est un tempérament sanguin mêlé de bilieux.

Il prend place au banc des accusés avec un calme et une aisance un peu théâtrale, qu'on ne rencontre d'ordinaire que chez les vieux habitués de la Cour d'Assises.

Il est donné lecture de l'Acte d'accusation. Ce document, après avoir rapporté les faits que l'on sait, continue et conclut en ces termes :

«Comment Collignon a-t-il pu commettre de tels crimes pour un tel motif? C'est qu'il est des âmes dépravées, cruelles, profondément haineuses, qui ne mesurent pas sur l'offense, ou sur ce qui leur semble tel, la vengeance qu'elles en veulent tirer. Tout devient aliment à leur ressentiment implacable.

« Elles se chargent de pousser jusqu'aux dernières limites du crime ces théories funestes que d'audacieux novateurs jettent témérairement aux masses. Ainsi, un homme paisible, d'une bonté qui se révélait au premier abord, est, pour Collignon, un exploiteur de la classe ouvrière, parce qu'il réclame avec une rare inodération ce qu'on a exigé de lui. « Je lui ai voué, dit l'accusé, une haine mortelle. J'ai préféré la mort à la misère et à l'esclavage. »

«Voilà pourtant comment il explique des actes d'une atrocité telle, que le premier mouvement est de ne pas les croire possibles.

«Jamais le crime n'inspire d'horreur que lorsqu'il se montre dans toute sa nudité, sans entraînement, sans regret, froid dans l'exécution et s'applaudissant de son œuvre.

« Depuis longtemps déjà, les sentiments de fa

mille étaient pervertis chez l'accusé il avait abandonné ses quatre enfants et sa femme, qu'il maltraitait et qu'il poursuit encore aujourd'hui d'odieuses accusations;

« En conséquence, Jacques Collignon est accusé, savoir 1° d'avoir, en 1855, commis volontairement, et avec préméditation, un homicide sur la personne du sieur Juge; 2° d'avoir, à la même époque, tenté volontairement, et avec préméditation, un homicide sur la personne de la dame Juge, laquelle tentative, manifestée par un commencement d'exécution, a manqué son effet seulement par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur;

« Crimes prévus par les art. 2 et 302 du Code pénal. »

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confidences, et ordonne qu'il sera fait lecture de la plainte déposée par la femme Collignon contre son mari. Mc Morise. Je prie M. le Président de permettre à l'accusé de continuer son récit.

M. le Président. Il le reprendra après cette lecture.

Il ressort des pièces lues que Collignon reprochait à sa femme des faits de la nature la plus grave, et qu'il l'a frappée avec une grande brutalité.

Collignon. Monsieur..., interrogez nos voisins, marchands de vins et autres, ils vous diront si je suis un mauvais homme à molester ma femme... et ma bonne femme de mère qui est venue mourir chez moi !

M. le Président. - Votre femme a gardé vos cinq enfants, et vous les avez abandonnés ! Collignon. Mais non, Monsieur. J'avais ma fille avec moi et je la conduisais au catéchisme. D. Oui, mais elle a fini par vous quitter? Parbleu ! c'est son frère qui l'a détournée.

R.

D. Voyons votre conduite comme cocher. On trouve dans vos notes que vous avez été condamné à vingt-cinq jours de prison pour refus de conduire et remise d'une pièce fausse? R. Mais non, ce n'est pas tout à fait ça.

D. Il y a à cela quelque gravité. En somme, on vous signale comme mauvais mari, mauvais père, homme violent et emporté. - R. Si vous croyez tout ce que dit ma femme, vous en croirez long. J'vas vous conter ce qui en est.

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Ici, l'accusé reprend l'interminable et peu intéressant récit de ses démêlés conjugaux.

D. Le 16 septembre dernier, vous avez conduit M. Juge dans votre voiture? - R. Oui.

-

D. Il n'y a qu'une voix sur M. Juge: il était bon, doux, affable. Vous l'avez conduit à la porte d'Auteuil? R. Oui.

D. Vous avez mis trente-cinq minutes? — R. Erreur, j'ai mis trois quarts d'heure.

D. Alors, vous auriez été trop doucement, d'après la Préfecture? - R. Oui, mais il faisait chaud, et mon cheval était chargé.

D. Il vous était dû 3 francs, et vous en avez demandé 5? R. J'ai montré ma montre et mon tarif, et je lui ai prouvé qu'il me fallait, y compris vingt minutes de repos pour mon cheval, une somme de 5 francs.

D. Mais vous savez bien que ces vingt minutes ne vous sont pas accordées. R. Pardon, toutes les fois qu'on a marché une heure.

D. Non, vous n'ignorez pas que les vingt minutes ne sont dues que quand on revient avec la voiture, après avoir dépassé les fortifications? - R. Je croyais que le cocher avait droit à vingt minutes de repos, toutes les fois qu'il avait marché une heure.

D. Ainsi, vous demandiez 2 francs de plus qu'il ne vous revenait. M. Juge vous a donné les 5 francs, en vous disant qu'il allait écrire au Préfet de police? R. J'ai fait mon calcul sur ma montre; elle ne va pas comme un cheval, elle va d'un pas réglé. D. Vous avez conçu de la colère de cette menace? R. Il m'a donné 5 francs, sur lesquels, d'après mon compte, je lui redevais dix minutes; j'ai voulu les lui rendre, et il n'a pas voulu les reprendre. «Vous m'en faites donc eadeau pour mon pourboire, » que je lui ai dit. « Non, me dit-il; j'écrirai au Préfet. » « Oui, mon ami, disait sa femme, tu écriras.» Je lui dis: «Voyons, Monsieur,

ne nous fâchons pas pour des bêtises.. » Il était déjà retourné, et nous allions nous entendre, quand sa femme lui dit : « Viens donc, tu écriras. »

D. Et cela vous a irrité?—R. Quand il a été parti, je me suis dit : « Ça peut aller loin, il faut tâcher de le rejoindre et de l'empêcher d'écrire au Préfet. » J'ai monté sur mon siége et j'ai couru après lui; j'ai fait le tour du bassin, et je suis revenu jusqu'à l'arbre, sans le retrouver. Je me disais : « Si tu savais où il demeure, tu irais le voir. Il veut me perdre, m'ôter mon travail. Mais il se met le doigt dans l'ail, et me prend pour un autre... » Que voulez-vous? Il a voulu m'exploiter, me ruiner... Je lui ai fait ce qu'il voulait me faire... C'est un malheur !

M. le Président. - Allons! vous parlez d'exploitation par les bourgeois... ce sont les fruits de vos mauvaises fréquentations et de vos mauvaises lec

tures!

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D. C'est une erreur; nous avons ici des tableaux desquels il résulte que les choses se passent avec la plus grande impartialité. On vous a commandé d'aller reporter 2 francs à M. Juge? - R. Oui. D. Et cela a redoublé votre désir de vengeance? - R. Ca se pourrait bien.

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D. Comment avez-vous pu avoir une telle pensée pour un sujet si futile? R. Tiens! il voulait bien me mettre dans la peine et me faire de la misère ! Il y a eu préméditation chez lui, comme il y a eu préméditation chez moi. Le lundi, j'ai vendu tout ce que je possédais, avant d'aller lui dire bonjour.

D. Vous vouliez vous ménager des ressources? -R. Je n'en avais plus besoin; en faisant ça, je savais ce que je faisais.

D. Vous vous êtes présenté chez M. Juge? R. Oui.

D. Vous avez offert les 2 francs et vous avez demandé un reçu? R. Oui.

D. Pendant qu'il écrivait ce reçu, vous avez tiré sur lui? R. Oui.

R. Oui.

R. Oui.

D. Vous avez fait cela froidement? D. Volontairement? D. Mme Juge était là? R. Oui, et si je l'avais connue d'abord, elle ne vivrait plus, parce qu'elle était plus coupable que son mari. Il y avait là plusieurs dames; quand j'ai vu celle-là prendre la tête de son mari et dire: «Mon ami, mon ami!»> alors, j'ai dit : « C'est donc elle, » et j'ai tiré sur elle. Je suis, d'un côté, content de n'avoir pas agi comme un fou, en tirant au hasard sur les dames qui étaient là. Oh! elle est bien coupable, allez!

D. Comment, pour avoir voulu empêcher son mari d'avoir une querelle avec un cocher violent? R. Si elle avait fait ce qu'une femme doit faire, elle aurait dit à son mari: «Partons, laissons cet homme. » Mais, au lieu de ça, elle lui disait (Collignon prend la voix de fausset): « Oui, mon ami, tu écriras au Préfet. » C'est alors que j'ai dit : « Ici, tu te mets le doigt dans l'œil. »

D. Après le coup de pistolet, vous avez témoigné

votre satisfaction? — R. Quelle satisfaction voulezvous que j'aie éprouvée?

D. Vous avez dit : « Je suis vengé!»-R. Ah! oui. D. Vous voyez avec quel soin nous écoutons votre défense, et vous, vous avez condamné à mort M. Juge sans l'entendre? - R. D'une manière, il était plus coupable que moi, et il a été plus heureux, puisqu'il n'a presque pas souffert !

Après cet interrogatoire, il est donné lecture des déclarations faites dans l'instruction par Mme Juge. La pauvre femme, qui habite une commune de la banlieue de Douai, n'a pu se rendre à l'audience. Elle est, depuis son malheur, en proie à des attaques nerveuses et à des hallucinations qui ne lui permettraient pas de supporter la vue du meurtrier. On connaît ces déclarations.

Je ne vois pas bien.

M. le Président fait prendre une paire de pistolets parmi les pièces à conviction. -Accusé, dit-il, ce sont bien là vos pistolets? Collignon. M. le Président. On va vous les montrer. Collignon, froidement. Ils ont le canon rayé, n'est-ce pas? Oui, oui, c'est bien ça.

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On entend les témoins, d'abord Mme Vincent. D. Le 24 septembre, M. Juge était chez vous?· R. Oui, Monsieur.

D. On a sonné?--R. Oui, la jeune fille de M. Juge est venue lui dire que c'était lui qu'on demandait. M. Juge est venu dans la salle à manger et a causé avec un homme en blouse bleue, avec beaucoup de calme. Un moment après, il écrivait un reçu. Je lui dis : « Puisque vous avez la plume à la main, le visage vers moi, et il fut frappé à cet instant. voulez-vous me donner l'adresse de...? » Il tourna trace de souffrance ou de douleur. J'ai pensé que J'avais les yeux sur sa figure et je n'y vis aucune nous avions affaire à un fou furieux, et je me suis arrête l'homme à la blouse bleue qui allait desauvée en criant au secours! J'ai dit en bas qu'on scendre. Après avoir tiré sur M. et Mme Juge, j'ai vu le sourire sur la figure de l'assassin. C'est ce qui m'a fait croire que c'était un fou.

D. A-t-il dit quelque chose? — R. Rien. D. Est-il descendu longtemps après vous?— R. Je ne puis le dire; dans de semblables moments, les secondes sont des minutes.

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M. le Président. Vous avez l'intelligence de l'esprit; il vous manque celle du cœur.

Me Morise. - Depuis quand l'accusé a-t-il sur les ouvriers et les bourgeois les idées qu'il vient d'exprimer?

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Collignon. Depuis quand? Oh!... il y a longtemps... c'est depuis que je vois ce que je vois. L'employé de la Préfecture, qui a reçu la plainte de M. Juge, et qui a fait venir Collignon dans son bureau, déclare que l'accusé s'est présenté devant lui sans animosité, avec beaucoup de calme. Le témoin a invité Collignon à restituer ce qu'il avait perçu en trop, et celui-ci est parti décidé à le faire.

D. A-t-il été question d'une punition à infliger à Collignon?-R. Non, Monsieur; Collignon m'a demandé s'il serait puni, et je lui ai répondu que je n'en savais rien.

Collignon. Monsieur m'a bien répondu ce qu'il

dit.

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M. le Président. La femme de l'accusé est une honnête femme.

l'accusé avoue; rien n'est douteux. Aussi, n'insistons pas sur cette partie de l'audience qui est souvent une lutte poignante entre la société et l'individu, entre l'accusation et la défense.

Ici, pas de lutte possible. Le résultat est connu à l'avance. M. l'Avocat général Saillard n'a, pour développer les charges de l'accusation, autre chose à faire qu'à raconter, à montrer, à redire ce qui s'est passé, ce qu'on vient d'entendre. En présence d'une préméditation cyniquement avouée, il demande au Jury un verdict purement et simplement affirmatif, que ne saurait mitiger une déclaration de circonstances atténuantes.

Me Morise n'a qu'une ressource pour présenter la défense de Collignon, et cette ressource, on l'a déjà devinée. C'est la folie. Rappelant la disproportion incompréhensible qui existe entre la discussion d'Auteuil et le double crime, le défenseur croit que la Justice peut être satisfaite par une punition atténuée. Collignon, aujourd'hui encore, parle avec rage de l'intention qu'auraient eue les époux Juge de le réduire à la misère : or, on vient de l'entendre, tout se réduisait à 2 francs qu'il fallait rendre; il n'était pas même question d'une peine quelconque à infliger au cocher, et, si une peine avait été jugée nécessaire, elle se serait réduite à une mise à pied de deux jours! Et Collignon parle de ruine, de misère! Collignon est donc fou! Collignon, se levant, crie d'une voix forte à son défenseur: Ah! mais, je ne suis pas fou, enten

dez-vous?

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Malgré la forfanterie de son attitude, Collignon se pourvut en cassation. Transféré à la prison de la Roquette, il affecta, jusqu'au dernier jour, la plus profonde indifférence, et ce fut sans émotion apparente qu'il apprit le rejet de son pourvoi. Le 6 décembre 1855, il monta, d'un pas ferme, sur l'échafaud, et regarda curieusement l'instrument du supplice.

Le 11 avril 1856, le Tribunal civil de la Seine était saisi, par la veuve et la fille de M. Juge, d'unc demande en 50,000 fr. de dommages-intérêts, dirigée tant contre les héritiers Collignon, que contre M. Besson, loueur de voitures, le maître du cocher Collignon, comme civilement responsable. M Senard, avocat de Me Juge, soutint, contre Me Nogent Saint-Laurens, avocat de M. Besson, le principe de la responsabilité la plus étroite des maîtres à l'égard de leurs domestiques et préposés, et le Tribunal, jugeant que le fait dommageable s'était produit dans l'exercice des fonctions du préposé de M. Besson, condamna ce dernier, conjointement et solidairement avec les héritiers Collignon, à payer

Mangeot, avec une exclamation bouffonne. Et à Mme veuve Juge, comme tutrice de sa fille, une la mienne aussi !

Voilà tout le procès. Les faits sont simples, clairs;

somme de 10,000 fr.

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