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les ouvrages sous l'eau des facilités et des sécurités précédemment inconnues. On sait aujourd'hui approprier aux circonstances les plus diverses le degré de dureté et le temps de solidification; et même dans les travaux maritimes, où les conditions de durée sont compliquées par les actions dynamiques qu'une mer tumultueuse ou violente exerce sur les ouvrages, on sait parer aux dangers. L'ingénieur est en possession de ces précieuses ressources; et s'il reste encore ici beaucoup à faire, ce n'est pas l'ingénieur qui souffre et doit se plaindre d'une lacune plaindre d'une lacune que l'industrie s'efforce de combler depuis vingt ans, dans les capacités constructives des ciments. Aussi n'est-ce pas l'ingénieur que touche le plus directement le succès récemment atteint par ces efforts. Les ciments, Messieurs, viennent de conquérir pour toujours des applications chères aux architectes. Jusqu'à ces derniers temps, on les recherchait, à juste titre, dans le plein des maçonneries hydrauliques, surtout dans les maçonneries à la mer. On les employait aussi à l'exécution de certains revêtements cachés dans les ouvrages. Mais ces applications étaient déjà pénibles. Elles devenaient si douteuses lorsqu'il s'agissait de travaux à l'air libre qu'on y renonçait. C'est un succès industriel de premier ordre que celui qui se constate dans l'exécution à grande échelle des dallages en ciment de notre Exposition. Il est le résultat d'une plus intime connaissance et d'une plus large exploitation du sol, de l'accroissement des carrières, de la concurrence plus nombreuse et d'un tâtonnement industriel de vingt ans. Il a été obtenu par une suite de tours de main qu'une expérimentation persistante a demandés à des manipulations spéciales pendant le gâchage des ciments ou pendant qu'ils effectuent leurs prises. C'est ainsi que le constructeur se trouve désormais en mesure de revêtir ses édifices d'enduits protecteurs plus durables que ceux dont il disposait. Les revêtements du sol sont parmi ceux-là les plus difficiles à réaliser, parce qu'ils doivent résister non seulement aux causes de destruction atmosphériques, mais encore à l'usure causée par le frottement de la marche. Le spécimen que vous avez sous yeux dans les vestibules de l'Exposition et autour de l'édifice, dans les terrasses et les perrons, sont la marque définitive de la conquête que je vous signale. Cette conquête est toute industrielle. Elle n'a pas fait appel aux grandes théories. Mais elle intéresse l'économie aussi bien que la sûreté de nos constructions publiques ou privées. Et, pour la présenter dans toutes ces conséquences, j'ajouterai que les dallages destinés à supporter la marche des hommes ne marquent pas les limites de son utilité. Un sol facile et sain sous les pieds est une nécessité des habitations. Mais la perfection des voies de circulation est un progrès qui ne doit pas s'arrêter dans nos cités. Il y a des villes dont les chaussées sont faites en ciment. Pensons-y. Les asphaltes doivent se surveiller, elles ont désormais dans le ciment un concurrent menaçant et redoutable. Ce ne sont ni les ingénieurs

les

ni les architectes qui s'en plaindront. Vous me pardonnerez, Messieurs, de vous avoir si longtemps tenus debout sur ces grandes dalles grises. Je n'ai pourtant fait qu'effleurer ce sujet. Mais je ne devais pas laisser en oubli une des applications appropriées ici avec le plus d'opportunité à ses travaux par l'Administration française.

couvert;

III.

Entrons, je vous prie, dans l'intérieur de l'édifice, non pas sous le j'ai des raisons pour ne pas y pénétrer immédiatement. Prenons la rue de droite, ce qui nous permettra de rendre hommage aux nations étrangères qui nous ont fait l'honneur et l'amitié de s'établir en cet endroit avec la liberté d'allure qu'elles auraient eue chez elles. Reconnaissons des amis en ceux qui sont venus planter là leurs pignons sur rue, et remercions-les. (Applaudissements.) L'accueil que vous faites à cette pensée donnée à nos hôtes éveille un regret en moi. J'eusse été heureux de me promener avec vous dans cette rue des nations et d'y retrouver un à un les traits de ces pittoresques voisinages qui captivent nos yeux et réchauffent nos cœurs. Mais ce sujet est inabordable dans cette causerie

d'une heure.

Franchissons donc rapidement la demi-longueur de cette rue, et retournons-nous du côté de la Seine: nous avons en face de nous l'entrée des Beaux-Arts. C'est un porche à trois coupoles. Au fond de ce porche vous découvrez trois arcs: dans celui du centre s'ouvre la porte des galeries; les deux autres sont aveugles. Mais la décoration confond les parties dans un motif architectural aussi neuf qu'original. Je vous ai parlé, il y a quelques instants, d'un progrès considérable introduit dans les terres cuites émaillées; en voici un second qui n'est pas moins frappant et qui donne déjà un caractère de généralité aux tendances des architectes de l'Exposition. L'application que nous avons sous les yeux est extrêmement remarquable; la composition et la fabrication y rivalisent d'efforts. On ne peut observer cette localité remplie de polychromie et ruisselante de couleurs sans s'interroger et sans rêver, pour peu qu'on aime les choses de la forme. L'arcade de droite y prête assurément. Sous les tons dorés qui parent le feuillage, dans le bleu violent de la mer, entre les nuances infinies qui courent à travers l'émail, partout on sent la richesse et la solidité du procédé. Les figures elles-mêmes découvrent des ressources inattendues. Voici certainement une palette qui en promet gros à l'architecte. Cependant, Messieurs, l'objet que je vous signale n'est pas facile à étudier. Il échappe à l'examen. On pressent et l'on devine les parties qui le composent, on ne les saisit pas. C'est un défaut de l'œuvre qui trouble l'observateur, il faut le reconnaître. Peut-on en découvrir les causes?-Essayons. - Re

marquez d'abord, Messieurs, que ce qu'il fallait mettre en valeur c'était un fond de couleur matériellement plat, mais troué d'échappées et de perspectives peintes. L'architecte a pensé que pour encadrer son sujet, pour l'exalter, il n'aurait rien de mieux à faire que de lui opposer des reliefs réels et très accentués; et il a fait passer autour et au travers de son émail une ordonnance d'architecture un peu tourmentée, quoique fort bien étudiée. Malheureusement il a mis sur toute cette ordonnance très relevée un ton terreux qui n'est ni un repos ni un entraînement de l'œil vers les luttes chromiques du sujet. Je crois qu'autour d'un objet où le chatoiement des couleurs est aussi vif qu'ici il n'y a pas d'autre cadre à ménager qu'une localité reposante, afin que l'œil garde toute sa sensibilité et toute sa puissance pour l'observation du centre. Il fallait faire appel aux blancs; et si, par exemple, toute cette architecture avait été montrée en marbre de Paros, je ne doute pas que les sujets de faïence n'y eussent singulièrement gagné.

Mais j'ai une observation plus grave à faire à cette installation. La lumière qui l'enveloppe est si brutalement aménagée qu'on ne trouve presque nulle part le point de vue qui garantit des reflets entretenus sur les brillants des émaux. Partout la lumière blanche s'y réfléchit et éblouit les yeux. On aurait certainement obvié à cette insupportable souffrance en aveuglant l'arcade de flanc du portique et en supprimant de ce fait tout le jour frisant. On prévoit très bien l'excellent résultat qu'on eût obtenu, quand on observe l'éclairage calme et doux de la porte des galeries, qui ne reçoit que la lumière de face, au centre du portique.. -Notons cependant encore, Messieurs, cette seconde application architecturale de là céramique, et donnons-lui une bonne pensée malgré la fatigue qu'elle impose à la vue; car c'est une tentative hardie et très habile.

IV.

Si maintenant vous voulez bien vous retourner, vous vous trouverez en face du pavillon de la ville de Paris. Ce pavillon occupe le centre d'un parterre que je n'ose appeler vaste, parce que, dans notre Exposition, les vides ne sont guère vastes, hélas! Est-ce bien le cas de dire «hélas?» Quand on songe que cette exiguïté d'espace tient à tous les biens qui sont venus surprendre nos laborieux efforts! Nous nous croyions appauvris; et au fond, dans notre incessant travail, nous nous sommes découverts très riches. Si bien qu'il a fallu partout remplir tout l'espace et qu'il n'est plus resté nulle part de marge au tableau.

Quoi qu'il en soit, dans ce trop petit parterre se trouve le pavillon de la ville de Paris. Il couvre un demi-hectare, s'élève souverainement sur sa base, et gagne l'espace avec majesté. Je ne vous y fais pas entrer;

les richesses de l'intérieur sont si nombreuses et si pressées qu'elles font quelque peu tort à l'édifice. C'est la même plénitude que nous voyons partout. Restons donc à l'extérieur. Il ne manquera pas de nous intéresser. Voici un nouvel essai de la terre cuite, de l'émail, de la polychromie. Il est tenté par un autre artiste et non sans talent. L'étude est délicate et fine. Dans les lignes de fer qui encadrent l'édifice et dans les remplissages de céramiques qui étoffent les parois, on découvre l'amour passionné des ajustements et les soins méticuleux des assemblages. Mais tout cela montre combien le fer mérite d'être accueilli dans les œuvres de la Forme, quand on ne lui fait pas excéder le rôle qui lui est acquis par ses propriétés mécaniques et quand on renonce à réclamer de lui des avantages qu'il ne peut fournir. On le voit ici paraître dans la mesure qui lui convient. On ne le voit nulle part se substituer au lieu et place des matériaux capables de nourrir la Forme. Et c'est par là que cette construction étale victorieusement dans son cadre la richesse de ses reliefs et la variété de ses couleurs. Je ne dis pas qu'il y ait là toute la justesse plastique désirable. Non; je dois être plus difficile, parce que je parle devant vous, Messieurs, et parce que je veux me rechercher jusqu'à ne dire que ce qu'il y a de plus grave en ma pensée.

Quels sont donc les défauts de cette œuvre ? J'y ai applaudi, vous l'avez vu; mais, je l'avoue, je réservais quelque chose dans mon applaudissement. Quand j'observe cet objet, je me sens ramené avec trop de persistance vers l'ossature qui le maintient. Mon œil a peine à s'en détacher et il lui faut faire des efforts trop laborieux pour gagner le champ des céramiques, où se développent les vraies richesses de l'édifice. S'il y parvient, il ne s'y repose pas tranquille et comme il faut pour apprécier des formes. Je sais bien que cette ossature est à sa place; mais elle occupe apparemment trop d'espace. Si bien que, quand je regarde cet objet, je pense à un coffre bien serti plutôt qu'à un édifice artistement formé, à un coffre grandi montrant partout l'épanouissement de sa sertissure. J'entends quelques-uns de mes auditeurs m'objecter qu'une salle d'exposition n'est, à vrai dire, qu'un grand coffre et qu'ils ne voient pas de mal à ce que ce caractère fondamental reste apparent dans la figure de la construction. Je me rallierais volontiers à cette opinion sommaire s'il ne s'agissait ici que d'une construction correctement et proprement aménagée pour un service matériel. Mais nous avons mieux que cela sous les yeux. Le pavillon de la ville de Paris est une œuvre qui vise et qui mérite le titre de composition d'art. Il faut donc l'apprécier au point de vue des qualités formelles que révèle son architecture. C'est quand on l'envisage ainsi qu'on trouve, au milieu de la recherche si scrupuleuse et si soignée qu'elle dénote, la place d'une critique. Une fois admis le beau parti des terres cuites et des couleurs émaillées pour constituer les valeurs expressives de l'édifice,

"

on porte péniblement la distraction des lignes métalliques, qui ne perdent nulle part l'allure d'un agencement mécanique. On souhaiterait des assemblages apparemment moins habiles, des jonctions moins raides entre le métal et les panneaux, quelques ondulations ménagées aux confins des terres cuites. Mais à côté de ces exigences bien sévères pour un travail aussi neuf, sachons apprécier, Messieurs, le vrai talent que dévoile le pavillon municipal et souhaitons qu'il soit conservé, comme on l'a annoncé, au delà du terme assigné à notre Exposition. Peut-être dégagerons-nous alors toute la leçon qu'il porte en lui.

V.

Après avoir dépassé ce pavillon de la ville de Paris, on arrive au porche qui dessert la seconde branche des Beaux-Arts. L'ordonnance générale est la même que celle du premier porche. Mais l'intérêt se concentre sur l'entrée elle-même, qui fait motif à part au lieu de se dépenser sur un fond remplissant les trois arcs. L'ajustement est puissant et bien fait pour fixer l'attention. C'est une composition hardie, homogène et dans laquelle le sujet est vigoureusement attaqué. Elle a fait appel à deux procédés qui portent toujours coup, quand ils sont bien menés. D'abord l'œuvre ne comporte qu'une seule matière; et la tonalité générale et dominante qu'elle dégage ramasse le site dans une forte impression d'unité. Le tout est en terre cuite rosée, parsemée d'émail et de dorures. Ensuite les plans et les lignes se composent et s'ajoutent par voie de répétition. Vous avez le tableau qui entoure la baie, puis un chambranle, puis deux pilastres portant une première frise, puis deux autres supports portant la frise d'expression. Ces valeurs, qui répètent invariablement l'élément vertical et l'élément horizontal de l'objet, sont l'application d'un des moyens les plus efficaces de l'architecture. Mais il ne faut pas s'y tromper; il ne s'agit pas ici de figures, de valeurs, de mesures identiques. Le tableau de la baie est mince; le premier chambranle s'élargit; le pilastre prend une valeur considérable; le contre-pilastre s'atténue. Et le tout est couvert, ou souligné, ou traversé, ou simplement touché d'émail et d'or. Cela constitue un ensemble très mouvementé et très solide, duquel surgit comme amortissement une grande et vigoureuse figure d'Apollon. Cette vaste composition est pleine de couleur, et ce qu'il faut louer en elle, c'est la hardiesse et la mesure du procédé polychromique. La terre cuite au fond se nuance et vibre de tous les accidents de cuisson. Le ton ondule en quelque sorte à travers la grande page, perdant ou gagnant de la vigueur, suivant que le feu du four a rencontré une pâture plus ou moins facile. L'œil s'y promène au milieu d'agaceries très spirituelles; il est tout entraîné et comme soutenu, quand les verts, les noirs, les blancs des émaux et les

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