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MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE DES ARCHITECTES ET DE LA SOCIÉTé des ingénieurs CIVILS,
ÉLÈVE DE L'ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES.

BUREAU DE LA CONFÉRENCE.

Président :

M. UCHARD, architecte honoraire de la ville de Paris, vice-président de la Société centrale des architectes.

Assesseurs :

MM. Ch. BLANC, membre de l'Académie française et de l'Académie des beauxarts, professeur d'esthétique au Collège de France;

Eug. DOGNÉE, président de l'Institut des artistes Liégeois;

Ch. FAYET, vice-président de la Société libre des beaux-arts;

J.-B. GUÉNEPIN, architecte, membre du jury de l'École nationale des

beaux-arts;

Ach. LUCAS, architecte honoraire de la ville de Paris;

C. DE MONTMAHOU, inspecteur de l'Université;

Louis PIESSE, membre de la Société historique algérienne;

Ch. ROCHET, statuaire, vice-président de l'Association des artistes
peintres, sculpteurs, architectes, graveurs et dessinateurs;

Ch. THIRION, ingénieur civil, secrétaire du Comité central des Congrès et
Conférences de l'Exposition de 1878;

Émile TRÉLAT, architecte du département de la Seine, professeur au
Conservatoire des arts et métiers, directeur de l'École spéciale
d'architecture.

La séance est ouverte à 2 heures 5 minutes.

M. UCHARD, président. Permettez-moi, Messieurs, en l'absence de mon très honoré confrère, M. Lesueur, membre de l'Institut. président de la

Société centrale des architectes, de vous présenter M. Charles Lucas, secrétaire-rédacteur de cette Société, que bon nombre d'entre vous ont pu entendre, tout récemment et à cette même place, comme secrétaire du Congrès international des architectes.

De savantes recherches archéologiques et de consciencieuses études d'hygiène et d'économie sociale, dues à notre confrère, l'indiquaient tout naturellement pour exposer devant vous les transformations successives de l'habitation de l'homme et la forme pratique que, suivant lui, l'avenir réserve dans nos pays à la demeure du travailleur; je laisse donc la place à M. Charles Lucas pour vous retracer, par la parole et par le dessin, les points les plus intéressants de ce vaste programme. (Applaudissements.)

M. Charles LUCAS :

Mesdames, Messieurs,

Un de mes confrères, plusieurs fois lauréat des concours académiques et passé maître dans l'art de bien dire, M. Achille Hermant, se plaignait, il y a un mois, en inaugurant ici les Conférences du Congrès international des architectes, de ce qu'il appelait la tyrannie du titre.

C'est qu'en effet, malgré les habitudes de légèreté que l'étranger nous reproche, à nous autres Français, nous avons la manie de tout étiqueter, et il ne faut peut-être pas trop s'en plaindre; car, notre bon sens naturel aidant, nous nous efforçons généralement de ne pas faire tort à notre étiquette, nous essayons même d'en tirer un programme et de rester dans ce programme, en justifiant ainsi le titre choisi, parfois un peu à la légère.

Quoi qu'il en soit, il faut un titre à toute chose, et surtout à une conférence, ne serait-ce que pour l'afficher: aussi, il y a cinq jours, lorsque le Secrétaire du Comité central des Congrès et Conférences de l'Exposition. me dit qu'au lieu d'un concert il y aurait conférence aujourd'hui et que le Comité me demandait de faire, aujourd'hui 9 septembre, la conférence que je préparais pour le 26, l'honorable M. Ch. Thirion ajouta à brûlepourpoint: Et votre titre? Question des plus embarrassantes et que nous nous sommes efforcés de résoudre ensemble, en cherchant un titre à la fois court et intéressant, promettant beaucoup, et que cependant je fusse à même de justifier.

De là ce titre: l'Habitation à toutes les époques.

Mais, pardonnez-moi cette longue entrée en matière; j'aurais mieux fait, malgré les notes nombreuses et les croquis que j'ai rassemblés pour résumer en un entretien familier les transformations successives subies par la demeure de l'homme depuis les époques primitives jusqu'à nos jours, j'aurais

mieux fait, à cause même du grand nombre de ces notes, qui se présentent en foule à ma pensée et que je ne pourrai utiliser dans le temps trop restreint qui m'est accordé, de vous dire franchement: Mon titre est trop vaste et je suis obligé de faire un choix dans tous les matériaux si divers qui composent l'histoire de l'habitation humaine. Je vous demande donc votre indulgence, et pour les lacunes nombreuses que ce choix entraînera, et pour la brièveté avec laquelle je retracerai certaines phases intéressantes de l'habitation, habitation que je vous demande en outre dans cette étude de ramener à cette idée unique: la maison.

La maison, qu'est-ce que la maison? d'où procède-t-elle et que doit-elle être? quelles sont ses origines et quelles étapes a-t-elle parcourues? quel est son présent et que doit être son avenir?

En un mot, quelle idée faut-il se faire de la maison?

Certes, ce n'est ni le palais de marbre et d'or réservé au souverain ou aux grands corps de l'État, ni même l'hôtel qui reçoit sous ses riches lambris les privilégiés de la fortune; ce n'est pas non plus le comptoir exclusivement affecté au négoce, et encore moins cette ruche moderne dont les étages, véritables alvéoles semblables aux rochers des Titans ennemis de Jupiter, s'entassent l'un sur l'autre des profondeurs du sol, qu'ils disputent parfois à la nappe liquide, jusqu'aux premiers nuages du ciel qu'ils paraissent menacer; mais ce sera, si vous le voulez bien, ce modeste et honnête asile dont la possession est l'ambition intime du plus grand nombre, cette maison pas trop grande, à laquelle le fabuliste a fait allusion: Plût au Ciel que de vrais amis,

Telle qu'elle est, dit-il, elle pût être pleine (') !

cette maison enfin que tous les cœurs bien nés désirent créer ou acquérir, pour y fermer en paix les yeux des grands parents; pour y élever dans l'aisance que donne le travail de chaque jour la jeune famille qui, elle aussi, devra créer à son tour sa propre habitation; pour y conserver enfin, à l'ombre du foyer domestique, sous les regards bienveillants des portraits des ancêtres et à l'aide des secours de la religion, ce culte des nobles et glorieuses traditions qui font les nations grandes par leurs vertus plutôt que par l'étendue de leur territoire, les familles considérables par l'union de tous leurs membres plutôt que par la richesse de quelques-uns d'entre eux, les hommes honorés parce qu'ils donnent autour d'eux de bons exemples plutôt que parce qu'ils occupent un rang élevé dans la société. (Marques d'approbation.)

N'est-ce pas là l'idée qu'il faut se faire de la maison, idée qui rappelle

(1) LA FONTAINE, IV, 17, Paroles de Socrate.

ainsi le domus du pater familias des grands jours de la République romaine; le at home de nos voisins les Anglais, si bien passés maîtres dans la science du comfort; le chez nous que balbutie l'enfant dans son langage caressant; idée qui enfin n'est souvent qu'un idéal chimérique, mais qui parfois aussi est la cause de laborieux efforts tentés pour conquérir cet idéal, et de bien douces illusions si respectables qu'il n'est permis à personne de les détruire et qu'il faut au contraire que le moraliste et l'architecte, l'homme politique et l'hygiéniste s'efforcent de les faire passer du domaine du rêve dans celui de la réalité. (Applaudissements.)

C'est donc cette maison ainsi conçue que nous reconstituerons depuis les âges primitifs de l'humanité jusqu'à nos jours, en examinant, dans l'antiquité, la cabane et la caverne, mais en laissant de côté l'habitation lacustre et la tente, qui influèrent peu sur notre habitation, puis la construction antéhistorique de Thérasia (Archipel) et la demeure seigneuriale décrite par Homère, le palais grec de Palatitza (Macédoine), la petite maison de l'ancienne Athènes, la maison de famille à Rome et l'insula gréco-romaine de Pompéi; au moyen âge, les habitations gauloises et les villas mérovingiennes et carolingiennes, la maison arabe de Tlemcen (Algérie) et la maison romane de Cluny; enfin, arrivant à des époques plus rapprochées de nous, nous considérerons rapidement les manoirs et les hôtels de la Renaissance et de la monarchie absolue, les maisons actuelles, villas françaises ou habitations anglaises contemporaines, les types de maisons d'ouvriers ou de maisons de colons présentés à l'Exposition universelle de 1867 ou à notre Exposition actuelle de 1878, les cités et les villes ouvrières, et surtout les habitations isolées ou groupées, mais habitations étudiées en vue de loger le travailleur, qu'il travaille de ses mains ou de sa pensée, et non seulement le travailleur, mais encore sa famille, nous efforçant de chercher à les loger dans des conditions de salubrité et d'économie qui assurent à tous santé morale et physique, hygiène et contentement. Notre dernier mot sera enfin pour que cette habitation, simple mais confortable, soit créée dans des données financières telles que la maison qui aura été sanctifiée par toute une vie de travail et d'honorabilité devienne un jour la propriété de celui qui l'aura ainsi bien gagnée et l'attache, par un lien indestructible et le plus fort de tous, au sol de la patrie. (Nouvelles marques d'adhésion.)

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A propos du premier abri, il est bien difficile de dépouiller l'origine de l'homme de toute poésie légendaire et de ne pas parler des traditions religieuses; mais il est bien plus difficile encore, à notre époque de recherche de la vérité, de ne ne pas tenir compte compte des théories que la science

moderne nous formule.

Quelles que soient les versions fournies pas ces deux sources d'investigations, il est, au début de notre humanité terrestre, un drame aussi

simple que saisissant, et que, depuis les premières ébauches de la civilisation, la poésie et les arts s'efforcent de nous représenter.

La terre était alors couverte de végétaux gigantesques et habitée depuis des milliers d'années par des races d'animaux de beaucoup plus puissantes que celles actuelles, et, dans cette nature grandiose, peut-être hostile, l'homme était seul, nu, sans armes, n'ayant pour se défendre que quelques éclats de silex, et pour abriter sa tête, que quelque enfoncement de rocher, ce qu'Eschyle, le tragique grec, rapporte ainsi :

Il ne soupçonnaient pas, jusqu'au jour du réveil,
L'art d'élever des toits éclairés au soleil.
Comme l'insecte errant dont le chêne fourmille,
Dans le creux des rochers s'abritait leur famille (").

Quand je dis que l'homme était seul, je me trompe; l'homme n'était pas seul: il avait à côté de lui la femme, être plus frêle et qu'il avait mission de protéger, mais dans les regards de laquelle il lisait la confiance et l'amour qui devaient tant l'aider dans l'accomplissement de sa tâche.

J'ignore quelle fut la poésie de leurs premières amours; mais je sais une chose, c'est que bien tristes durent être les préoccupations de cet homme lorsqu'il vit l'automne, avec ses pluies encore tièdes, suivre l'été aux brûlantes ardeurs et annoncer pour ainsi dire les frimas de l'hiver, et que, dans un embrassement plus tendre que. de coutume, au milieu des premières douleurs de l'enfantement, sa compagne vint lui faire pressentir que, sur ce sol humide et exposé à toutes les intempéries, allait naître l'espoir de leur race.

Oh! alors, si jusqu'à ce jour l'homme avait pu s'endormir roulé dans une peau de bête en serrant la femme contre lui, ils se dirent tous deux qu'il fallait quelque chose de plus pour cette petite créature qui allait venir et qui vous tient le cœur même avant sa naissance, qui vous attache si fortement par sa faiblesse; cette créature fragile au possible, mais qui est l'avenir, qui portera plus loin que nous notre œuvre et nos pensées, qui vaut mieux que nous et qui fera peut-être plus que nous un jour, qui enfin doit être un échelon de plus pour conquérir l'idéal suprême.

La première construction de l'homme fut donc un berceau, un lit de feuilles sèches, ramassées et portées dans l'anfractuosité d'un rocher, ou garanties de la pluie et du soleil par quelques branches entrelacées à l'aide de lianes et tenant encore aux arbres auxquels elles étaient empruntées, recouvertes aussi par des fourrures d'animaux tués à la chasse, par de la terre ou par de grossières nattes tissées sans aucun art.

Abattre quelques rugosités de la pierre ou assembler quelques bran

(1) Prométhée, traduction MAIGNE.

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