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pour accueillir favorablement les produits émaillées de la renaissance italienne et s'en inspirer. Aussi trouvons-nous dans ces deux pays des monuments céramiques d'un art accompli.

Je ne vous parle pas, Messieurs, des merveilles consacrées de Tolède, de Cordoue, de Grenade, de Séville. Il faudrait trop prendre sur le temps qui m'est compté, pour vous détailler les curiosités de Tolède, pour seulement vous laisser entrevoir les splendeurs du Mihrab et de l'Atatema, les deux sanctuaires de la célèbre mosquée de Cordoue, et vous conduire d'étonnements en étonnements au travers des salles du vieux palais d'Al-Hamar, à Grenade, resplendissant d'inimitables azulejos. Mais je veux vous dire qu'aujourd'hui encore, à Lisbonne et dans sa campagne, il est d'usage de revêtir les maisons particulières, de la base jusqu'à la corniche . de ces azulejos ou carreaux de terre émaillée. Ces revêtements partout multipliés, même dans les demeures royales, donnent de loin à la ville, étagée en amphitheâtre, un aspect très imprévu et pittoresque.

Il me tarde, Messieurs, de venir dans des pays plus voisins puiser des exemples.

Nous en trouverions dans les vieilles villes de l'Allemagne. Nous en verrions sur les bords du Rhin, à Bâle, à Schaffouse, à Stein, à Constance, où subsistent des couvertures en tuiles de formes variées, émaillées de blanc, de jaune, de marron, de bleu foncé. Du reste, le goût de la polychromic semble avoir été si vivace dans ces pays, que les maisons y sont toujours peintes de tons divers et semblent conserver la tradition des fresques anciennes qui, de côté et d'autre, égayent encore les vieilles murailles.

que

Nous pourrions trouver des traditions très anciennes de polychromie aussi bien dans les pays les plus septentrionaux, dans ceux mêmes le soleil semble le moins favoriser. Nous savons quel fut, par un besoin naturel de contrastes, le goût des Normands, des Saxons, des Scandinaves pour les vives couleurs; et aujourd'hui, au Champ de Mars, dans les constructions d'ancien style élevées par la Russie, la Suède et la Norwége, nous retrouvons la trace de ces vigoureuses polychromies.

Si, du reste, ne s'attachant pas au sens restreint du mot polychromie, on veut bien regarder attentivement, on reconnaîtra que la coloration est, plus qu'on ne pense, quelque peu partout dans l'architecture. Dans les con-. structions hollandaises, dans les chalets suisses, dans les cottages anglais, dans la plus modeste maison de nos provinces, blanche, avec des volets verts et un toit rouge, ou rouge, avec des volets gris et un toit bleu, nous trouverions aisément une polychromie réelle, sinon cherchée.

Mais revenons, Messieurs, à nos émaux.

La France, qui, pendant le moyen âge, avait largement utilisé les ressources multiples de la terre cuite et de la terre émaillée, la France devait, sous l'influence de la renaissance italienne, transformer ses industries

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céramiques. Ces industries prirent dès lors, dans notre pays, le développement considérable que vous savez, et, se livrant aux travaux du grand art décoratif, elles firent merveille, au xvr° siècle et au commencement du XVII, dans l'ornementation de nos palais et de nos demeures seigneuriales. Leurs précieux produits, ruinés par les hommes plus que par le temps, sont devenus malheureusement très rares. Mais le château dit de Madrid, aujourd'hui disparu, est cependant resté dans les souvenirs de notre art comme un type de la décoration par la terre émaillée.

Cependant, malgré tant d'exemples pleins d'encouragements, et certes j'en néglige un grand nombre, on est trop disposé à croire que notre ciel, que notre climat, ne sont pas faits pour favoriser la coloration extérieure des édifices. Et pourquoi? surtout si nous recherchons moins les colorations peintes que les colorations durables par la mise en œuvre de matériaux colorés eux-mêmes. N'avons-nous pas aussi, dans notre pays tempéré, une large part de soleil. Et, somme toute, le soleil et la pluie ne sont-ils pas de tous les pays. Nos constructions peintes du moyen âge n'avaientelles pas souvent la base dans la boue, le faîte exposé aux intempéries du ciel? Ne pas croire à la convenance des colorations monumentales en notre pays, c'est en effet oublier ce que fut notre architecture française au moyen âge. Ne savons-nous pas que, pendant cette longue période d'art, comme dans l'antiquité, la peinture prêtait à l'architecture le charme et la puissance de ses moyens expressifs? Et, en dehors des restes certains de polychromie que nous trouvons sur les monuments de cette époque, les historiens du temps ne signalent-ils pas les peintures qui décoraient alors les édifices religieux et les palais? La peinture décorative ne s'appliquait pas. seulement aux parois des intérieurs, elle jouait un rôle important à l'extérieur des édifices. A Paris même nous trouverions de précieux témoins de ce qu'était la polychromie monumentale au XIII° siècle :

La façade de Notre-Dame de Paris, nous dit M. Viollet-le-Duc, présente de nombreuses traces de peintures et de dorures, les trois portes avec leurs voussures et leurs tympans étaient entièrement peintes et dorées; les quatre niches reliant ces portes étaient également peintes. Au-dessus, la galerie des rois formait une large litre toute coloriée et dorée. La peinture, au-dessus de cette litre, ne s'attachait plus qu'aux deux grandes arcades avec fenêtres, sous les tours, et à la rose centrale qui étincelait de dorures... Les combles étaient brillants de couleurs, soit par la combinaison de tuiles vernissées, soit par des peintures et dorures appliquées sur les plombs. Et M. Viollet-le-Duc ajoute: Pourquoi nous privons-nous de toutes ces ressources fournies par l'art?

Si l'on nous rendait notre glorieuse cathédrale ainsi peinte, telle que l'ont conçue les artistes du moyen âge, telle que nos ancêtres l'ont admirée, beaucoup d'entre nous sans doute crieraient à la profanation. C'est qu'en toutes choses il faut se défendre de l'habitude pour juger sainement. Une impression reçue spontanément n'est le plus souvent que relative à la façon

dont, par l'habitude, nous concevons les idées et dont nous voyons les choses. Aussi l'œil, peu familier avec les aspects de la couleur extérieure, s'étonnet-il, s'il ne se révolte pas, au lieu de se laisser surprendre par le charme. Mais si la vieille cathédrale avait été colorée d'une façon inaltérable, nos yeux, habitués aujourd'hui à ces riches et vives colorations, n'auraient pas besoin d'apprentissage. Nous accepterions volontiers les traditions polychromes du passé, et ces traditions ininterrompues nous mettraient en possession de méthodes certaines.

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PALAIS DU CHAMP DE MARS.

Porte des Beaux-Arts, en terres cuites et émaillées.

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M. Paul Sédille, architecte.

Donc, ce qu'il faut de nos jours, c'est rechercher une polychromie monumentale durable, une polychromie qui soit la conséquence de matériaux colorés mis en œuvre. L'heureuse association de ces matériaux de tons variés, leur juxtaposition par harmonie ou contraste formeront une sorte de

mosaïque polychrome dont la durée, égalant celle de l'édifice, transmettra aux âges futurs les conceptions architecturales de ce temps dans leur entier. Nous reviendrons ainsi forcément à la construction raisonnée et à la décoration motivée, ces deux formules de notre grand art monumental, formules trop souvent oubliées, malgré les constants enseignements du moyen âge, malgré les principes éternels de beauté affirmés par les monuments de la Grèce antique.

D'ailleurs les tentatives dans ce sens se multiplient. Ce ne sont pas seulement, comme je le disais il y a un instant, les maisons de campagne et les villas des bords de la mer qui s'égayent de colorations vives; quelques hôtels parisiens, qui ne redoutent pas de paraître de leur temps, s'ornent discrètement de mosaïques et d'émaux, et la terre cuite commence à prendre place dans la décoration de plusieurs des monuments récemment exécutés autour de nous. Je ne parle pas du grand déploiement de terres cuites et émaillées qui apparaît au Champ de Mars, ni du décor harmonieusement coloré du grandiose palais qui nous abrite en ce moment. Tant d'efforts semblables témoignent assez des préoccupations esthétiques de quelques-uns de nos confrères, artistes novateurs, soldats d'avant-garde, sachant au besoin se risquer pour éclairer des routes inconnues. Que si quelques-uns trouvent le succès de ces débuts encore inégal, il faut toutefois honorer ces tentatives généreuses qui seules peuvent assurer l'avenir. (Applaudissements.)

Nous voudrions voir ces efforts se généraliser, surtout en province, où les conditions de milieu sont moins impératives, où l'architecture semble devoir être plus libre. La terre cuite décorée ou émaillée, demandée sans grands frais aux centres importants, pourrait suppléer en certains lieux, en certains cas, la pierre qui manque, ou les tailleurs de pierre et les sculpteurs qui font défaut. Sous la direction de nos confrères de province, ces éléments de décoration pourraient prendre une place importante dans la construction d'un grand nombre de petits édifices municipaux, communaux ou religieux, souvent condamnés par d'insuffisants crédits à une trop réelle pauvreté! Ces éléments décoratifs bien choisis dans les centres de fabrication, s'ils n'étaient faits sur modèles spéciaux, mais relativement peu coûteux en raison de la répétition des pièces, ces éléments apporteraient, dans les localités les plus éloignées des milieux d'art et d'industrie, quelques spécimens propres, nous le pensons, à éveiller chez beaucoup le goût des belles choses. Ils serviraient ainsi, par ces enseignements locaux multipliés, à propager le sentiment de l'art et en répandraient partout peu à peu les bienfaits civilisateurs. Je ne puis également qu'indiquer de façon brève comment la terre cuite pourrait économiquement prêter un charme certain aux constructions les plus modestes, et combien, par un sourire d'art, elle saurait égayer la demeure du plus humble. Ce ne serait

certes pas un de ses moindres mérites que de rendre la vue du logis attrayante et chère à celui qui revient des pénibles labeurs.

Si théoriques que puissent paraître tout d'abord de pareils vœux, nous ne saurions en désespérer, quand nous admirons les innombrables terres cuites que nous a léguées l'antiquité. Nous retrouvons, dans ces charmants motifs de décoration maintes fois répétés, les reflets d'un grand art vulgarisé par une industrie céramique alors portée à un haut degré de production tout à la fois facile et intelligente. C'est par ces précieux débris, enlevés aux ruines de simples bourgades, que l'art antique nous est le plus intimement révélé! Ce sont aussi ces terres cuites modestes, il faut le dire à leur gloire, qui, par de nombreuses reproductions, souvent quelque peu libres, mais conservant toujours le sentiment élevé des modèles, ont conservé le principe et la composition de chefs-d'œuvre consacrés par l'admiration même des anciens. Ces chefs-d'œuvre, à tout jamais perdus aujourd'hui, revivent immortels dans ces terres délicates qu'ils ont inspirées.

Je n'insisterai donc pas, Messieurs, sur la grande influence qu'un tel mode de décoration bien compris peut avoir sur la formation du goût chez le plus grand nombre, en permettant de répandre économiquement au loin de nombreux éléments d'étude et d'observation. Si l'on m'objectait que ces terres cuites ornementales ainsi multipliées peuvent aussi, si elles sont mauvaises de composition ou d'exécution, multiplier les mauvais modèles, je répondrais qu'il y a aussi de bons et de mauvais livres, et que cependant nous ne sommes pas disposés à nier l'utilité de l'imprimerie. C'est à nos confrères qu'il appartiendra de créer de bons modèles ou de les bien choisir.

Si dans nos départements la terre cuite doit rendre, comme construction et décoration, d'importants services, elle peut également jouer un rôle très utile à Paris.

Dans notre ville, l'hygiène et la voirie obligent nos façades à une propreté qui se traduit souvent par la plus détestable apparence et qui, renouvelée tous les dix ans, doit dans un temps donné, détruire absolument les finesses des profils, les délicatesses et les modelés de la sculp

ture.

Il serait par suite vraiment souhaitable de voir la brique et la terre cuite décorées et émaillées concourir, avec la fonte et le fer apparents, avec les marbres variés et abondants, avec la pierre employée comme soubassements, points d'appui intermédiaires et angulaires, ou accentuation de certaines parties de l'œuvre, à la création d'une architecture en quelque sorte indestructible, très en rapport avec les ressources de nos industries, se prêtant bien aux subdivisions multiples de nos demeures étagées, architecture conséquemment très pratique et bien de notre temps.

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