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Il faut donc reconnaitre, en s'appuyant sur la tradition polychrome de tous les temps, que la richesse de la coloration monumentale s'obtient moins par la multiplicité que par le choix et la simplicité des tons employés, si bien même que la polychromie la plus puissante peut être en quelque sorte une monochromie, c'est-à-dire la combinaison d'une seule couleur avec des noirs et des blancs.

Je ne veux pas oublier de dire ici combien l'or peut utilement se marier aux douceurs de tons des terres cuites ou servir de lien harmonique entre elles et les émaux. Les terres délicates que la céramique antique nous a léguées portent de nombreuses traces de dorure, et nous pouvons encore nous autoriser de ces charmants modèles pour parer nos terres des chauds reflets de l'or.

Il faudrait, Messieurs, poursuivre longuement cette étude, que je suis bien loin d'avoir esquissée même suffisamment. Mais ce serait abuser de votre bienveillante attention.

L'année dernière, au Congrès des architectes français, nous exprimions notre conviction que les terres cuites et les émaux prendraient une place glorieuse parmi les industries d'art à l'Exposition universelle de 1878, et un rôle important dans la décoration du Champ de Mars et du Trocadéro.

Notre attente n'a pas été trompée: nos céramistes ont exposé des merveilles d'art et de fabrication, et nos glorieux confrères, dans leurs palais superbes et gigantesques, nous enseignent tout le parti que l'on doit tirer des colorations céramiques.

Félicitons-nous donc, Messieurs, de cette renaissance de la polychromie monumentale. Profitons des enseignements du passé, mais revivifions ses traditions. L'antiquité et le moyen âge ne nous ont laissé que les ruines d'une polychromie périssable; que la polychromie moderne soit impérissable, c'est-à-dire assurée de vivre autant que le monument lui-même; qu'elle soit la résultante des matériaux de construction eux-mêmes colorés.

C'est principalement, Messieurs, aux terres cuites et aux terres émaillées que nous devrons désormais demander la richesse, l'éclat et la durée de notre polychromie moderne. Cette polychromie sera le rayonnement du vrai. (Applaudissements prolongés.)

M. G. DAVIOUD, président. Messieurs, après l'excellente conférence que vous venez d'entendre, si pleine de faits, de déductions, de principes excellents et de moyens pratiques, il nous reste un devoir à remplir c'est de remercier M. Paul Sédille d'avoir bien voulu entreprendre cette tâche et de l'avoir si bien menée à fin.

Tous, tant que nous sommes ici, architectes, peintres, décorateurs, céramistes, amis des arts, nous profiterons de l'excellente heure que nous

venons de passer à l'entendre comme on profite toujours de l'observation et de l'expérience d'un artiste sincère et convaincu.

M. Paul Sédille nous a prouvé une chose : c'est qu'il sait rendre ses pensées élevées non seulement par le crayon et par le pinceau, mais aussi par la parole. Je vous propose, avant de lever la séance, une salve d'applaudissements en son honneur. (Nouveaux applaudissements.)

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MM. P. BATAILLARD, archiviste de la Faculté de médecine;

le marquis DE CROIZIER, président de la Société académique Indo-chinoise; Ed. DULAURIER, membre de l'Institut, vice-président de la Société académique Indo-chinoise;

Ph. Ed. FOUCAUX, professeur au Collège de France;

TORRÈS CAÏCEDO, ministre de San Salvador, membre du conseil de la
Société académique Indo-chinoise;

le colonel DE VALETTE, membre du conseil de la Société académique
Indo-chinoise.

La séance est ouverte à 2 heures..

M. EGGER, président. Mesdames, Messieurs, je suis bien certain que le jeune et savant orientaliste qui a accepté la tâche de faire aujourd'hui une Conférence sur le bouddhisme ne sera nullement embarrassé pour tenir l'engagement qu'il a pris. Quant à moi, je ne vous le cacherai pas, le bureau, en m'appelant à l'honneur de présider cette Conférence, m'a causé un certain embarras; je me sens, en effet, peu capable et peu digne de patronner un savant voué à l'étude des langues et des antiquités orientales. L'il

lustre doyen des chimistes d'Europe, M. E. Chevreul, qui brave, sous ses quatre-vingt-douze ans, toutes les attaques de l'âge et qui donne chaque jour, par son activité infatigable, des démentis à son acte de naissance, aime à s'intituler le plus vieux des étudiants de France». J'ai beaucoup vieilli, moi aussi, avec moins de gloire, mais je suis, comme lui, un écolier, surtout en matière d'études orientales, et je me rends trop bien compte qu'un vieil humaniste n'a pas appris grand'chose à l'école des Grecs et des Romains au sujet de contrées et de peuples sur lesquels les découvertes des sciences géographiques et ethnographiques ont, dans ces derniers temps, jeté de véritables flots de lumière.

Que nous apprend Hérodote? Que nous disent Tite-Live et les autres historiens d'Italie sur les Indiens et sur les Chinois? Avec eux j'ai pu suivre, tant bien que mal, l'itinéraire de la conquête d'Alexandre, qui nous conduit jusqu'aux bords de l'Indus, et peut-être aussi, dans un voyage plus lointain, celui de quelques ambassadeurs grecs, qui sont allés jusque sur les rives du Brahmapoutra. Avec les Romains je me suis intéressé à cette caravane qui transportait du plus lointain Orient, c'est-à-dire de la Chine, les tissus précieux des fabricants de soie. Mais qu'est-ce que tout cela auprès de ce que l'on peut apprendre aujourd'hui?

Le grand Bossuet, lorsqu'il esquissait, il y a bientôt deux siècles, ce magnifique tableau de l'histoire de l'humanité qu'il a intitulé Discours sur l'histoire universelle, n'avait que des notions véritablement bien imparfaites, et il ne s'était même pas toujours soucié d'agrandir le cercle de ses connaissances sur ces Chinois qui n'étaient guère pour lui que des barbares rebelles à la prédication de l'Évangile, et sur ces Indiens dont on ne soupçonnait pas alors ce qu'un religieux français nous a appris un siècle plus tard que leur langue est apparentée à la nôtre.

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Maintenant que vous avez les confidences d'un président peu compétent dans les matières dont on va nous entretenir, il ne lui reste plus qu'à s'asseoir pour écouter et s'instruire avec vous. (Applaudissements.)

M. Léon FEER:

Mesdames, Messieurs,

Lorsque, dans ce palais du Trocadéro, on visite la galerie de l'art rétrospectif, en commençant par la droite, le premier objet qui s'offre aux regards est une statue plus grande que nature, représentant un personnage assis, les jambes croisées; les bras sont devant la poitrine, l'avantbras relevé, les mains réunies, et il joue avec ses doigts, comme s'il voulait compter, ou donner une explication; il a au front un signe entre les

deux sourcils, il est coiffé d'une espèce de mitre; ses cheveux, nattés de côté et d'autre, tombent sur ses oreilles; il repose sur un siège divisé en deux parties dont l'une semble se relever vers le personnage, en forme de grosses feuilles, et dont l'autre partie, à peu près identique, mais dirigée en sens contraire, s'abaisse vers le sol. Ce personnage est un bouddha, je pourrais dire, le Bouddha, car historiquement il n'y a eu qu'un Bouddha. Il a existé, dans l'Inde, il y a quelque deux mille trois cents ans, un personnage qui s'est déclaré Bouddha, ce qui, dans la langue du pays, veut dire sage, instruit, intelligent ». Ce personnage, connu sous le nom de Çakya-Mouni, ou Gautama, est le fondateur du système religieux que nous appelons le bouddhisme.

L'existence de ce personnage ne saurait être niée, quoiqu'on ait rempli sa biographie d'une multitude de contes. Mais ses sectateurs ne se sont pas contentés d'un seul bouddha; il leur en a fallu bien davantage : ils ont imaginé avant lui une série de bouddhas qui l'auraient précédé, et après lui une série d'autres bouddhas qui doivent le suivre. Indépendamment de ces bouddhas du passé, qui n'ont jamais existé, et de ceux de l'avenir, qui n'existeront jamais, on a encore imaginé des bouddhas qui ne doivent pas paraître sur la terre, des bouddhas célestes ou non humains, des bouddhas de la contemplation, et le nombre des bouddhas est ainsi devenu incalculable. Parmi ces bouddhas imaginaires, il en est quelquesuns que l'on cite plus fréquemment que les autres et qu'on a cherché à représenter par la sculpture ou par la peinture; ce sont, parmi les anciens, celui qui s'appelle Dipankara, c'est-à-dire « l'éclaireur»; parmi les bouddhas de l'avenir, Maitreya, le compatissant», successeur immédiat de Çâkya-Mouni, et parmi les bouddhas de la contemplation, Amitâbha, c'est-à-dire « doué d'un éclat sans limite», qui est devenu l'objet d'un véritable culte de la part d'une portion des bouddhistes, en particulier de la part des Chinois et des Japonais.

Malgré le grand nombre de ces bouddhas pour plusieurs desquels on a inventé des noms et forgé toutes sortes d'histoires, il n'y a en réalité qu'un seul Bouddha, et tous ces bouddhas imaginaires ne sont que des copies ou des reproductions de Çakya-Mouni; ils pensent comme lui, parlent comme lui, agissent comme lui, et quand on veut les représenter, les uns et les autres, on leur donne à tous le même type, un type unique, celui qui a été fourni par Çâkya-Mouni: seulement on cherche à les différencier par certains caractères particuliers, par des couleurs différentes ou par certains détails, comme, par exemple, la position des mains; le Bouddha dont je parlais tout à l'heure, qui se trouve dans le vestibule à l'entrée de la galerie, n'a pas les mains posées de la façon dont on représente d'ordinaire les mains du Bouddha Çâkya-Mouni.

Après avoir examiné cette statue qui appartient à M. Bing et est placée

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