Page images
PDF
EPUB

ses ministres. En voyant la tortue, il questionna le Bodhisattva: Sage, qu'a-t-elle fait pour tomber? Le Bodhisattva, qui depuis longtemps cherchait une occasion pour réprimander le roi, se dit: «Voici ce qui sera arrivé: cette tortue aura mis sa confiance dans ces oies, et elles lui auront dit: Nous te transporterons, lui auront fait prendre un bâton avec les dents et se seront élevées dans l'air. La tortue aura entendu quelqu'un parler; ue sachant pas tenir sa langue, elle aura voulu placer son mot et aurà lâché le bâton. C'est ainsi qu'elle sera tombée des airs de manière à se tuer.» Ces réflexions faites en lui-même, il dit: «Grand roi, les choses se sont passées de cette façon; voilà ce qui arrive aux bavards, à ceux qui parlent sans mesure.»

Puis il ajouta cette stance:

Elle s'est tuée elle-même cette tortue, pour avoir parlé;

Elle tenait bien le bâton, mais ses propres paroles l'ont tuée.

Instruit par cet exemple, sublime héros, ne prononce pas hors de propos, même de bonnes paroles;

Tu le vois, le bavardage a conduit cette tortue à sa perte. »

Le roi comprit: «C'est à moi, se dit-il, que s'adresse le discours du sage, et il lui dit: C'est de moi que tu as parlé." -Grand roi, reprit le Bodhisattva, que ce soit de toi ou d'un autre, quand on parle outre mesure, on se perd comme cette tortue. » A partir de ce moment le roi se contint et devint discret.

:

:

car

la

Qui se serait attendu à trouver dans un livre bouddhique birman, ce récit est tiré d'un livre birman, qui est en pali et en birman, fable que tout le monde connaît, sous le titre de La Tortue et les deux Canards? Seulement, remarquez le caractère bouddhique qu'on lui a donné. Cette tortue qui tombe juste au bon endroit pour que le ministre puisse faire la leçon au roi, ce ministre qui devine si bien, ce roi si docile, ce sont les bouddhistes qui ont inventé tout cela. La même fable se retrouve plusieurs fois en sanscrit, et elle n'a pas ce caractère, il n'y est pas question du Bouddha, et nul n'y joue le même rôle que lui ce n'est pas un certain personnage éminent qui fait la morale et la leçon dans les fables indiennes et sanscrites ordinaires. Mais nous avons ici la version bouddhique de cette fable célèbre c'est le Bouddha qui raconte le fait à ses disciples comme un événement dont il aurait été témoin, et qui serait arrivé pendant une de ses existences antérieures; il en est le narrateur en même temps que le héros et le moraliste. Ainsi, c'est le bouddhisme qu'on enseigne encore au moyen de ces fables; le lecteur y apprend à vénérer le Bouddha comme le seul et unique sage, comme la source de toute science.

pro

Mesdames et Messieurs, j'ai accompli aussi bien que j'ai pu la tâche que je m'étais proposée; j'ai essayé, sinon de vous faire connaître le bouddhisme complètement, du moins de vous en donner une idée, et de montrer combien il est important d'avoir quelque notion d'une religion qui est fessée par un si grand nombre d'hommes, qui a exercé une influence si considérable sur une grande partie de l'Asie et spécialement dans un pays que l'Indo-Chine, où nous avons des intérêts et qu'il est essentiel que nous connaissions bien. (Applaudissements.)

tel

M. EGGER, président. Mesdames, Messieurs, je ne veux pas lever la séance avant d'avoir adressé les plus vifs remerciements à l'auteur d'une Conférence aussi intéressante et aussi instructive que celle que nous venons d'entendre.

Je dois ajouter un renseignement qui me manquait tout à l'heure, parce que je n'ai été informé qu'hier soir des travaux de la société Indo-chinoise, dont le président, M. le marquis de Croizier, a peut-être un peu trop abusé de la confiance que je lui inspirais en ne m'avertissant pas de quelques détails que j'aurais aimé à connaître. Quoi qu'il en soit, je puis maintenant vous annoncer que la société Indo-chinoise, dont le président est M. le marquis de Croizier, qui a pour assesseurs et vice-présidents M. Dulaurier, membre de l'Institut, et M. l'abbé Favre, ancien missionnaire dans l'extrême Orient, a obtenu du Gouvernement l'autorisation de faire ici, non pas cette seule Conférence que nous venons d'entendre, mais plusieurs conférences dont celle-ci n'est que la première. Elle s'est trouvée malheureusement encadrée entre la fabrication du savon et la fabrication du pain, deux sujets au milieu desquels elle se trouvait un peu dépaysée. Cela explique qu'on n'ait pas tout d'abord compris qu'elle n'était que la première d'une série qui vous intéressera beaucoup, et qui pourra attirer, quand l'œuvre sera mieux connue par le succès de la Conférence d'aujourd'hui, un nombre plus grand encore d'auditrices et d'auditeurs sympathiques. (Applaudissements.)

La séance est levée à 3 heures un quart.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

PROFESSEUR DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES À L'UNIVERSITÉ Catholique de Paris,

MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQue Indo-Chinoise.

BUREAU DE LA CONFÉRENCE.

Président :

M. le marquis DE CROIZIER, président de la Société académique Indo-Chinoise,

Assesseurs:

MM. Hippolyte DUPRAT, ancien chirurgien de marine, membre de la Société académique Indo-Chinoise;

Jean DUPUIS, explorateur du fleuve Rouge au Tong-King, membre de la
Société académique Indo-Chinoise;

l'abbé Lesserteur, directeur de l'Annam et du Tong-King au séminaire
des Missions étrangères, ancien missionnaire au Tong-King;
Aristide MARRE, secrétaire général de la Société académique Indo-
Chinoise;

le comte MEYNERS D'ESTREY, membre du conseil de la Société académique
Indo-Chinoise;

Adolphe NIBELLE, secrétaire de la Société académique Indo-Chinoise;
le colonel DE VALETTE, membre du conseil de la Société académique Indo-
Chinoise.

La séance est ouverte à 2 heures.

M. le marquis DE CROIZIER, président. Mesdames et Messieurs, qu'il me soit permis, en ouvrant cette séance, de remercier S. Exc. M. le Ministre de

l'agriculture et du commerce et M. le Sénateur Commissaire général de l'Exposition, qui ont bien voulu autoriser la Société académique Indo-Chinoise à donner, au palais du Trocadéro, une série de conférences sur les différentes contrées, les mœurs et les religions de l'Inde transgangétique. Le Tong-King, de tous les pays de l'extrême Orient, est certainement l'un des plus intéressants pour un auditoire français.

Fécondé par le sang de nos missionnaires, asservi sous le joug de l'Annamite, il a les yeux tournés vers la France et il attend de nous sa délivrance; il offre à notre civilisation cette admirable voie du Song-Coï découverte et explorée du Yun-Nan à la mer par notre courageux et trop modeste compatriote M. Dupuis. (Applaudissements.)

Vous entendrez donc avec intérêt la conférence de notre savant collègue, M. l'abbé Durand.

La parole est à M. l'abbé Durand.

M. l'abbé DURAND:

Mesdames, Messieurs,

Nous allons nous entretenir d'un sujet qui est véritablement à l'ordre du jour, non seulement en France, mais encore dans toute l'Europe. Il s'agit d'un petit pays, d'un coin de terre situé à l'extrémité de la mer de Chine et qui, tout naturellement, ne devrait pas attirer l'attention des voyageurs, des savants et des commerçants.

Mais, tout petit qu'il soit, il n'en est pas moins un joyau encastré entre les ramifications de la grande chaîne du Laos indo-chinois et le golfe du Tong-King.

C'est à cause de ses richesses, et aussi à cause de ses 400,000 chrétiens évangélisés depuis bientôt trois siècles par de nombreux missionnaires français, que l'attention publique s'est tournée sur ce pays.

En effet, dans les recherches que nous allons exposer et qui ne seront qu'une esquisse bien succincte, pourtant suffisante pour attirer, pour éveiller votre attention et vous faire comprendre mon récit, vous verrez que ce petit pays est aujourd'hui la seule route commerciale entre la Chine occidentale, le Thibet et le reste du monde.

Qu'est-ce donc que le Tong-King?

Le Tong-King nous représente un triangle situé au fond du golfe du même nom. Regardez la carte que je vais tracer au tableau.

A l'Est, voici le golfe du Tong-King et l'ile d'Haï-Nan qui le ferme; à l'Ouest se trouve la grande chaîne cochinchinoise.

Le rivage, cette plage sablonneuse, ou plutôt cette grève, est couvert d'une rangée de dunes et présente la même configuration que la chaîne

elle-même. La forme de la presqu'île indo-chinoise, du côté de l'Est, est la même que celle du massif montagneux de l'intérieur. On dirait, et cela est probable, que jadis, à des époques inconnues de nous, la mer a été battre le pied de ces montagnes. Au sud du Tong-King elles n'en sont pas éloignées de plus de 40 à 60 kilomètres.

Voilà donc le massif central de la Cochinchine. Ce massif central projette deux rameaux principaux: le premier, au Nord, s'allonge de l'Ouest à l'Est en séparant le pays que nous appelons improprement le TongKing de la Chine; le second, au Sud, forme les montagnes qui séparent le Tong-King proprement dit de la province annamite de Thanh-Hoa.

Au centre de ce triangle nous trouvons un grand fossé, une crevasse: cette crevasse est creusée par le Song-Coï, qui vient se jeter dans le golfe du Tong-King.

Les ramifications de la grande chaîne enserrent ce fleuve de leurs murailles abruptes jusqu'à une petite distance à l'ouest du Delta, et de là elles s'avancent, les unes au Nord-Est, pour se relier avec les montagnes qui séparent le Tong-King des provinces chinoises Quang-Si et QuangTong; les autres, au Sud, où elles forment plusieurs ramifications qui s'allongent en éventail à l'Est et au Sud-Est. Au fond de ces ramifications, ou plutôt entre elles, coulent les différents affluents du Song-Coï, qui va lui-même se jeter dans le golfe de Tong-King par un certain nombre de bouches. En comptant celles du Tay-Bing, appelé Cua-Cuam ou port fortifié, autre fleuve qui vient de la province du Quang-Tong, on trouve onze bouches du fleuve, dont cinq pour le Song-Coï et six au Nord pour le Tay-Bing.

Le Tay-Bing et le Song-Coï forment donc deux deltas confondus en un seul.

Cette région forme une grande plaine triangulaire entre les montagnes; plaine fertile en riz et toute espèce de cultures, qui sont la ressource de toute la population. Le jour où la récolte de riz vient à manquer dans le delta, il en résulte une famine désastreuse pour les Tonquinois. Dans les années fécondes, les immenses cultures de riz qui en couvrent les îles marécageuses fournissent beaucoup à l'étranger. On en exporte en Chine, dans l'Annam et dans d'autres régions de l'extrême Orient.

Voilà donc l'exquisse grossière du Tong-King: un delta dans la partie orientale; dans les régions Nord et Ouest, un massif montagneux qui n'est pas autre chose que l'expansion, l'épanouissement du massif de la chaîne de Cochinchine qui envoie ses différentes ramifications vers la

côte.

Le Tong-King est donc, dans sa partie marécageuse, c'est-à-dire dans le delta, d'une fertilité extraordinaire; mais dans sa partie montagneuse, il nous offre d'autres richesses d'une très grande importance.

« PreviousContinue »