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donc de cette région où se trouve le Tran-Ninh, petit royaume nominalement tributaire de l'Annam, que descend la rivière Noire.

La vallée de cette rivière est habitée par treize tribus extrêmement riches qui possèdent chacune sur leur territoire au moins une mine d'or; on y compte donc treize mines qui sont exploitées depuis très longtemps. Aussi les Chinois, qui ont le flair du commerce très développé, n'ignorent pas leur existence; depuis longtemps ils remontent le Song-Coï et viennent petit à petit, sans faire de bruit, s'installer dans la vallée de la rivière Noire ou y séjourner quelque temps. Ils apportent avec eux quelques produits manufacturés de leur pays et les troquent avec de grands bénéfices contre l'or des Muongs.

En effet, d'après M. Dupuis et les missionnaires du Tong-King, les Muongs, hommes et femmes, ont la passion du jeu. En venant au marché, ils apportent avec eux une quantité d'or considérable qu'ils perdent avec un grand flegme et une grande philosophie. Lorsqu'il ne leur reste plus rien, ils s'en retournent pour rapporter encore de l'or au marché sui

vant.

Voilà donc un peuple à demi-sauvage, barbare, qui n'a pas beaucoup de besoins, qui est pour ainsi dire séparé, par ce massif de montagnes, du grand mouvement industriel et commercial du monde entier, et il possède de l'or, il en regorge, il ne sait qu'en faire.

Les Chinois ont fort bien compris le parti qu'ils pouvaient tirer de cette situation; à toutes les époques de l'année, ils sont là, ils vont dans tous les marchés, et en rapportent une certaine quantité des richesses des Muongs, après leur avoir laissé en échange quelques produits manufacturés de peu de valeur.

Chaque tribu a son chef particulier qui reconnaît un chef suprême ayant certaines attributions pour certains cas particuliers, mais dont le pouvoir est presque toujours purement nominal, sauf dans le cas de guerre. Ces tribus appartiennent toutes à la famille qui vit sur le versant occidental des mêmes montagnes; celles qui occupent les plaines et les vallées occidentales, jusque dans la Birmanie, en sont une branche, une ramification. Ce sont les courants successifs de cet océan de peuples hindous et thibétains qui, à une époque ancienne, ont inondé l'Indo-Chine.

Les Muongs ont d'abord joui d'une civilisation assez avancée; mais à leur tour refoulés dans les montagnes par l'émigration chinoise qui est descendue insensiblement vers le Tong-King, bientôt séparés des peuples civilisés, ils ont perdu petit à petit les notions d'industrie, de commerce, d'instruction qu'ils possédaient et sont redevenus barbares. S'ils devaient rester indéfiniment isolés des grands courants civilisateurs, il est certain qu'ils redeviendraient absolument sauvages, comme ces Australiens que l'on a découverts il y a quelques années dans la Nouvelle-Hollande.

Tel est, Messieurs, en quelques mots, l'aspect de ce massif montagneux. Mais voici déjà une heure un quart que je vous entretiens, et je ne voudrais pas abuser de votre patience; je vais donc terminer en vous disant deux mots de l'histoire de l'Annam, afin que vous puissiez mieux comprendre tout ce que je viens de vous dire.

Le Tong-King et l'Annam ont formé pendant de longs siècles deux royaumes bien distincts. D'abord le Tong-King fut habité par les Giaoi, qui ont été insensiblement refoulés dans les montagnes par l'émigration

chinoise.

A cette époque le Tong-king était plus grand qu'il ne l'est aujourd'hui; il comprenait les trois provinces septentrionales de l'Annam actuel : le Thanh-Hoa, le Nghê-An et le Ha Tinh.

Au sud du Song-Gianh s'allongent l'estuaire de Soo-boun et la chaine cochinchinoise. Or, à l'extrémité de cet estuaire se trouve un petit isthme qui était la seule route par laquelle on pouvait pénétrer du Tong-King dans le royaume des Chams. Il est encore coupé par la muraille qui était alors la frontière militaire des deux royaumes.

Les Chams ou Giaoi, ayant été repoussés, restèrent au sud de cette muraille, et les Tong-Kinois, après une série de guerres sanglantes, finirent par entamer leur royaume et conquirent insensiblement une partie des provinces du Midi. Enfin, il y a trois siècles, au milieu des troubles politiques du Tong-King, un des oncles du roi se demanda pourquoi il ne deviendrait pas roi à son tour. Alors, ayant obtenu la surintendance ou le gouvernement d'une province du Midi, il s'établit à Hué et prit le nom de vua, qui signifie intendant ou vice-roi, mais bientôt il le changea en celui de chua, c'est-à-dire roi, titre sous lequel il fonda la dynastie des Nguyen à laquelle appartient le souverain actuel de l'Annam.

Alors le Tong-King et la Cochinchine formèrent deux royaumes distincts. Les Giaoi ou Chams, refoulés de plus en plus vers le Sud, n'occupaient plus, au milieu du xvm siècle, que le petit massif montagneux du Ciampa, qui s'élève entre la Cochinchine française et le Cambodge.

Or, ce massif se compose de montagnes en gradins, étagées les unes au-dessus des autres en formant un amphithéâtre verdoyant et pittoresque qui s'aperçoit de fort loin en mer.

Pendant ce temps-là, les Chinois, ayant de nouveau envahi le territoire annamite, imposaient au Tong-King un tribut de vassalité, de telle façon que ce royaume était réduit à l'impuissance. Mais, dans le second tiers du siècle dernier, les Tay-Son ou Ciampois reconquirent de nouveau tout leur empire et s'emparèrent même de la basse Cochinchine, où les Annamites avaient été précédés par une invasion de Chinois émigrants, brigands, voleurs, vagabonds, écume du Céleste-Empire allant chercher leur vie dans les pays voisins.

Les Tay-Son s'emparèrent donc de la Cochinchine et du Tong-King. Ce fut alors que Gialong, l'héritier des Nguyen, songea à chercher une protection. I la trouva auprès de notre compatriote l'évêque catholique, missionnaire de la Cochinchine, qui lui gagna les bonnes grâces du gouvernement français. Avec l'aide de nos officiers, il chassa les Tay-Son et reprit son royaume, sauf la région septentrionale du Tong-King occupée par les Muongs.

11 y a donc au Tong-King deux races bien distinctes: l'une constituée par les tribus barbares de l'intérieur, l'autre formée par les Chinois qui sont venus se mêler aux populations primitives, comme les eaux d'un fleuve qui viennent se jeter dans la mer. Voilà l'origine de la grande famille anna

mite.

L'Annamite possède une très grande intelligence, il est industrieux et actif. S'il pouvait subir pendant un certain temps l'influence civilisatrice de l'Europe, et particulièrement l'influence française, il n'y a pas de doute que le Tong-King pourrait devenir pour la France une excellente colonie, beaucoup plus avantageuse que la Cochinchine. Alors le Tong-King se transformerait certainement en un grand centre industriel, commercial et maritime, d'une valeur inappréciable, à cause de sa position sur l'unique voie navigable de la Chine occidentale et du Thibet.

Il ne me reste plus, Messieurs, qu'à vous remercier de votre bienveillante attention et à vous prier de m'excuser de vous avoir retenus si longtemps. (Applaudissements répétés.)

La séance est levée à 4 heures.

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MM. J. Delehaye, du Conseil de l'Association scientifique de France; Léon VAÏSSE, directeur honoraire de l'Institution nationale des sourds. muets.

La séance est ouverte à 2 heures 15 minutes.

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M. TIERSOT, président. Mesdames et Messieurs, avant de donner la role à M. Vinot, je dois exprimer le regret de ne pas voir ma place occupée par M. Janssen, de l'Institut, directeur de l'Observatoire de Meudon. Cet astronome éminent, à qui revenait naturellement l'honneur de présider cette Conférence, a écrit à M. Vinot une lettre dans laquelle il exprime le regret de ne pouvoir, à cause d'un voyage au Havre, assister à la Conférence que nous allons entendre. Telle est l'explication de ma présence à cette place.

Je n'ai pas besoin de présenter M. Vinot à ceux d'entre vous qui, comme moi, l'ont entendu dans les nombreux cours publics qu'il fait avec un zèle admirable depuis près de trente ans. A l'Association philotechnique, cours de trigonométrie aux ouvriers; à la Société pour l'instruction élémentaire, cours d'algèbre aux dames; presque tous les dimanches, cours d'astro

nomie populaire où les auditeurs se pressent, nombreux et sympathiques; M. Vinot a conquis partout le plus légitime succès. A ceux qui vont l'entendre pour la première fois, je recommanderai de remarquer sa manière simple de mettre les données de la science à la portée de tous, persuadé qu'ils se feront un plaisir d'aller ensuite, le plus souvent possible, l'écouter dans ses cours.

M. Vinot a la parole.

M. VINOT:

Mesdames, Messieurs,

Vous êtes venus pour entendre un peu d'Astronomie, et vous êtes venus en nombre considérable. J'en suis d'autant plus heureux que, vous ne l'ignorez pas, dans le public, on se fait de cette science une idée généralement fausse; on s'imagine qu'elle est inaccessible à tous les esprits ordinaires, et qu'il n'y a que les natures exceptionnelles qui peuvent y comprendre quelque chose. Encore est-ce là ce que j'appellerai le plus beau côté des oppositions que rencontre l'Astronomie; il en est un autre; on trouve des gens qui vous disent : l'Astronomie! à quoi cela peut-il servir? Quelle en peut être l'utilité? Convaincre ce genre d'opposants serait une entreprise des plus difficiles et des plus ingrates, car il ne faut pas leur parler des avantages moraux de la science qui nous occupe; ce n'est pas par le côté moral qu'on peut espérer prendre les personnes dont nous venons de parler; elles ne s'en inquiètent nullement, et ne se soucient que du côté pratique, utilitaire. Il n'est pas besoin non plus de leur parler des millions que le navigateur instruit ne laisse pas engloutir dans les eaux de l'Océan, ni du nombre énorme de vies humaines conservées dans les voyages au long cours; ces personnes ne savent pas que c'est l'Astronomie presque seule qui guide le navigateur. Or, il faut bien reconnaître que, jusqu'à présent, l'Astronomie n'a pas fait la fortune de ceux qui s'y sont adonnés. Il y a pourtant une exception que je veux vous signaler en passant.

En 1836, John Herschell se trouvait au cap de Bonne-Espérance, occupé à examiner les étoiles doubles et les nébuleuses qui ornent ce ciel du Midi que nous autres nous ne voyons jamais. Un industriel d'Amérique, qui avait eu connaissance du fait, sachant bien que l'illustre astronome ne serait pas sitôt de retour, fit annoncer dans les journaux, sous la signature de John Herschell, que John Herschell avait vu les habitants de la lune. (On rit.) Puis il se mit à publier des livres illustrés, avec des portraits des habitants de la lune. Il à même dépeint une grande bataille qui avait eu lieu dans les régions lunaires. On l'a dit depuis longtemps:

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