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C'est ce qui fit qu'on acheta livres et portraits, au grand profit de notre Américain. En voilà un qui s'est enrichi avec l'Astronomie; mais c'est bien le cas de répéter que l'exception confirme la règle, car, vous le voyez, c'était un faux astronome.

que

:

Il importe cependant de ne pas laisser sans réponse ces détracteurs qui vous répètent «Je n'ai garde de m'occuper d'Astronomie; cela ne sert à rien», et il faut tout d'abord leur dire « Donnez-nous le temps. » Car l'Astronomie n'est pas vieille, j'entends l'Astronomie réelle, véritable. Il n'y a pas beaucoup plus de trois cents ans, tout le monde croyait encore le pauvre grain de sable sur lequel nous vivons était l'astre principal de l'Univers, et que tout le reste n'avait été fait que pour lui; personne ne soupçonnait cette vérité élémentaire, que notre globe n'est qu'une planète qui, comme les autres planètes, roule autour du Soleil. Copernic est mort il y a un peu plus de trois cents ans, et Galilée naissait vingt ans après; mais on peut dire que 1609 est la date du premier grand progrès dans la connaissance des astres. C'est cette année que les premières lunettes ont été braquées sur le ciel et qu'on a commencé à y voir un peu mieux qu'avec les yeux seuls. Or, qu'est-ce que trois cents ans pour une science en comparaison de la carrière totale qu'elle peut fournir? Le progrès ne marche pas tellement vite. Il tellement vite. Il y a bien longtemps qu'on a vu pour la première fois la buée sortir de la marmite où cuit le pot au feu; il y a des milliers d'années que nos ancêtres faisaient bouillir leur eau dans quelque mauvais vase de terre. Aujourd'hui encore on peut voir des sauvages qui ne connaissent que le procédé primitif consistant à faire rougir au feu des cailloux qu'ils jettent dans leur eau jusqu'à ce qu'elle soit en ébullition. Que de temps s'est écoulé depuis le jour où, pour la première fois, on a vu la vapeur d'eau s'échapper du vase, jusqu'à celui où a été construite la première machine à vapeur! Que sont, en comparaison de cette longue suite de siècles, les trois cents ans qui nous séparent des premiers pas de l'Astronomie?

Il y a d'ailleurs une chose à remarquer : c'est que les grandes découvertes, dans n'importe quelle branche des sciences, ne se font que quand on en a besoin, quand tout est prêt pour les recevoir. Je pourrais citer des exemples frappants à l'appui de cette assertion. Sans sortir de la science qui nous occupe, quand voyons-nous apparaître la découverte de la loi de la gravitation, la grande, l'immense découverte de Newton? C'est après que Copernic, Tycho-Brahé et Kepler eurent commencé par établir que les planètes marchaient, et quand on a éprouvé le besoin de savoir pourquoi elles marchaient ainsi; la découverte est venue alors et elle ne pouvait pas venir avant.

Dans un autre ordre d'idées, nous trouvons un exemple plus remarquable encore. Vous savez tous qu'il a existé, dans l'antiquité, un

grand géomètre qui s'appelait Archimède. Un jour, pour mesurer une figure de géométrie, une parabole, Archimède eut à additionner des nombre tels que ceux-ci: 1, 1/2, 1/4, 1/8, etc., c'est-à-dire des nombres indéfiniment successifs, de deux en deux fois plus petits; il voulut savoir ce que faisaient tous ces nombres ajoutés les uns aux autres, et il trouva pour total, 2. Mais il ne s'est pas douté un instant qu'il venait de passer à côté d'une loi générale d'après laquelle, toutes les fois qu'on a des chiffres qui vont en diminuant ainsi, la somme en peut être faite de la même manière. Ainsi donc, un des plus grands génies de l'antiquité a, pour ainsi dire, touché sans la voir cette découverte dont il a laissé l'honneur à ses successeurs. Et pourquoi? Parce que, de son temps, on n'en avait pas besoin. Eh bien! aujourd'hui, où en sommes-nous en fait d'Astronomie? Si l'on venait vous proposer d'entreprendre un voyage dans Jupiter, aller et retour, est-ce que vous seriez prêts? Est-ce que vous éprouvez le besoin de faire un pareil voyage? Non, il faut de l'étude, du travail, du temps; il faut se mettre avec ardeur à la besogne, et je vais m'efforcer de vous indiquer les moyens d'enseignement que contient notre magnifique Exposition.

Mon but, en vous faisant cette Conférence, est tout d'instruction, et, pour la rendre le plus profitable possible, je vais la faire de telle façon que ceux d'entre vous qui voudront bien prendre quelques notes pourront ensuite, quand ils le voudront, trouver facilement dans le Champ de Mars tous les objets qui ont rapport à l'Astronomie; je vais vous indiquer avec précision les endroits où ces objets sont exposés et vous dire ce qu'ils sont.

Nous commençons notre tournée en partant du Trocadéro pour aller au Champ de Mars. A l'extrémité de l'aile gauche du palais, entre l'aquarium d'eau douce et le poste des pompiers, un peu en deçà, nous trouvons un instrument tout nouveau et tout spécial, qui est presque une réponse à ceux qui prétendent que l'Astronomie ne sert à rien. C'est une grande carcasse en fer, dont le fond est d'assez petite dimension, mais qui va en s'évasant considérablement; il manque à cet appareil le revêtement intérieur, qui doit être en laiton plaqué d'argent, ou en cuivre argenté, et surtout il lui manque malheureusement une partie essentielle, et dont l'absence l'empêchera peut-être de fonctionner avant la fin de l'Exposition; je veux dire la pièce d'acier qui doit lui permettre de tourner et de prendre différentes positions. Cette pièce, envoyée tout récemment à l'inventeur, M. Mouchot, s'est brisée par suite d'un défaut de fabrication; une paille existait dans la masse de l'acier, et aujourd'hui M. Mouchot se trouve placé dans cette alternative: ou d'attendre la pièce nécessaire pour faire fonctionner son instrument, ou de faire venir à la place un autre appareil moins grand, et par conséquent moins imposant. Dans l'un et

l'autre cas, il s'agit, comme nous l'avons dit déjà, d'un entonnoir très évasé, recouvert de cuivre argenté à l'intérieur et disposé de telle façon que les rayons du Soleil qui viennent frapper sur sa face intérieure argentée se réfléchissent tous dans l'axe de l'appareil. C'est, en définitive, un miroir creux très profond qui renvoie tous les rayons sur l'axe de la machine, à l'intérieur. A cet axe se trouve adaptée une chaudière, et M. Mouchot espère bien faire marcher une machine à vapeur chauffée uniquement par les rayons du Soleil; il y arrivera, soyez-en convaincus, sinon en France, où malheureusement le Soleil trop souvent nous refuse sa visite, du moins en Algérie. Dans nos possessions d'Afrique, il est des localités où le Soleil ne fait pour ainsi dire jamais défaut, d'un bout à l'autre de l'année. Il y a là une force immense à utiliser que jusqu'ici on laissait se perdre. Des essais ont déjà été faits; M. Mouchot a été en Algérie avec un instrument beaucoup plus petit que celui qui est exposé non loin d'ici, puisque celui-ci mesure 25 mètres carrés de surface, alors que l'autre avait à peine 1 mètre carré, mais tous sont du même modèle. Avec ce petit instrument de 1 mètre carré de surface, M. Mouchot est parvenu à faire bouillir 1 litre d'eau en douze minutes; il a fait cuire le pot au feu, des légumes, du pain; enfin il a fait, ce qui est d'une haute importance, car ce sera sans doute là l'utilisation la plus considérable de son instrument au point de vue industriel, la distillation des alcools. On pourra obtenir les mêmes résultats pour les eaux distillées des fleurs.

Voilà donc une application pratique d'un phénomène astronomique, l'utilisation d'une force qui ne coûte rien et exécutant un travail mécanique qui répond à un besoin industriel et commercial.

L'appareil de M. Mouchot est, à ma connaissance, le seul objet concernant l'Astronomie qui se trouve entre le Trocadéro et le Champ de Mars, sauf un ou deux cadrans solaires dont tout le monde connaît l'usage. Nous allons donc passer la Seine et voir d'abord les produits français. J'en demande pardon aux étrangers, mais notre contingent est incomparablement plus considérable que celui qu'ils ont envoyé à l'Exposition. Je suis loin de vouloir rabaisser la valeur de leurs travaux; mais je dois l'avouer, je suis un peu chauvin, et, comme la nomenclature de tous ces objets sera bien longue, je tiens à ce que les personnes qui ne pourraient rester jusqu'à la fin de la Conférence soient au moins mises au courant de ce qui est l'œuvre de nos compatriotes.

Pénétrons dans la galerie des arts libéraux. La première salle ne nous offre rien qui intéresse l'Astronomie; mais, à la porte de la seconde salle, qui est celle du Ministère de l'Instruction publique, nous apercevons immédiatement, à droite, sur une tablette, quatre ou cinq petits instruments : ce sont précisément ceux que M. Mouchot a emportés en Algérie et dans lesquels il a fait de la distillation et cuit des aliments.

Passons dans la salle même, et à gauche, presque à l'entrée, vous remarquerez, dans une grande vitrine isolée, deux instruments dont le premier se compose d'un miroir assez grand et d'un appareil qui soutient ce miroir. C'est le sidérostat de Léon Foucault, un astronome enlevé, dans ces dernières années, à la science à laquelle il avait rendu d'immenses services, en particulier par cet admirable instrument. Le sidérostat, comme son nom l'indique, est destiné à réaliser, en petit, le miracle de Josué, c'est-à-dire à arrêter le Soleil et les astres. On comprend, en effet, que les astres paraissant emportés dans le ciel du mouvement que vous connaissez bien, il est très utile pour les astronomes, ayant à faire certaines opérations dont nous allons parler tout à l'heure, de pouvoir les retenir pour ainsi dire et les empêcher de s'en aller. Voici l'ingénieux procédé qui permet d'obtenir ce résultat. Il faut d'abord construire un miroir parfait; pour qu'un miroir soit parfait, il faut qu'il ait sa surface réfléchissante à l'extérieur. Pour cela, sur une plaque de verre bien dressée, on dépose une couche d'argent, par un procédé chimique; on polit cette couche d'argent, de façon qu'il n'y ait ni creux ni bosse. Grâce à M. Léon Foucault, on y arrive aujourd'hui avec une exactitude qui tient du prodige. Il a imaginé des instruments permettant de saisir des saillies ou des creux qui ont moins d'un centième de millimètre d'épaisseur ou de profondeur. Il en résulte que le plan, une fois bien établi et bien recouvert d'argent, vous donne un miroir d'une pureté parfaite et d'une netteté admirable, et qu'on voit le ciel qui s'y réfléchit tout aussi bien qu'en le regardant directement. Or, le miroir en question est manœuvré par un mouvement d'horlogerie, et, quand les astres s'en vont à droite, il les ramène à gauche; donc, quand le mouvement d'horlogerie est bien combiné, les astres restent en place dans le miroir, où vous pouvez contempler et étudier un ciel immobile. Je vous ferai connaître tout à l'heure quel est le principal avantage de ce miroir.

En face de ce sidérostat, dans la même vitrine, se trouve un fort joli spécimen d'un instrument qu'on appelle un cercle méridien, et qui est une lunette posée sur deux montants. C'est un instrument d'une utilité essentielle, primordiale en Astronomie, car sans lui il n'y a pas d'observation sérieuse possible; quand il s'agit de déterminer la longitude et la latitude inconnu, il faut absolument recourir au cercle méridien, si l'on

d'un pays veut avoir autre chose que des à peu près. Après avoir commencé par des proportions colossales, comme on peut le voir à l'Observatoire, le cercle méridien a été ramené par l'habileté des constructeurs à des proportions délicates comme celui dont je parle, qui a fait bien des voyages au long cours et servi à déterminer la position de bien des pays.

Même salle, dans la vitrine qui est à l'angle, à votre gauche, voici le spectroscope qui a été construit sur les indications de M. Janssen, le

directeur de l'Observatoire de Meudon. L'instrument qui est au bas de la vitrine est le premier qui ait été établi; il a servi de modèle pour tous les autres. C'est à ce petit instrument, d'apparence si modeste, que sont dues les plus grandes découvertes qui aient été faites ces temps derniers, en Astronomie et en Chimie, car toutes les sciences se tiennent.

Lorsqu'on regarde une flamme à travers cette espèce de lunette, la flamme s'étale en un long rectangle; on y aperçoit toutes les couleurs de l'arc-en-ciel et, au milieu de ces couleurs, des raies claires ou obscures qui ont été étudiées avec soin. Chacune de ces raies est produite par un des corps qui brûlent dans la flamme. Il suffit de donner l'instrument à un chimiste un peu expert pour que, à une certaine distance, il puisse vous dire ce que vous mettez dans la flamme d'une bougie qu'il regarde, soit du soufre, soit du sel de cuisine, soit tout autre corps. De même, en regardant avec le spectroscope la lumière du Soleil, on peut dire en voyant les corps qui y brûlent: Il y a du fer, il y a de l'hydrogène dans le Soleil; de même pour les étoiles, les comètes, les nébuleuses; il suffit de voir leur lumière à travers cette lunette pour pouvoir dire ce qu'il y a dans ces astres. Voilà donc un petit instrument qui rend des services inappréciables, et qui sans doute est appelé à en rendre de plus grands encore dans l'avenir. Il mérite donc bien qu'on s'arrête un instant devant lui. A côté, vous voyez la photographie d'un autre instrument que M. Janssen, qui en est également l'inventeur, a appelé le revolver photographique. Cet instrument, qui marche à l'aide d'un mouvement d'horlogerie, prend automatiquement, quand il a été muni à l'avance des plaques sensibilisées nécessaires, des portraits du Soleil, de la Lune ou de tout autre astre, à volonté, et cela de minute en minute, ou de seconde en seconde, à votre gré, comme un revolver qui tire tous ses coups, avec cette différence à l'avantage de l'instrument, qu'il en tire un bien plus grand nombre et à des intervalles égaux. Mais que pourrait-on faire de pratique avec cet instrument si l'on n'avait pas le miroir que nous avons vu tout à l'heure, si les astres s'enfuyaient au lieu de rester immobiles en face de l'instrument? Il est évident que, dans ce cas, si un photographe s'avisait de vouloir prendre une épreuve de la Lune, il aurait sur sa plaque daguerrienne une sorte de tuyau de poêle, parce que la Lune, en marchant, allongerait démesurément son image sur la plaque. Cela fait comprendre l'utilité du sidérostat, et en même temps nous montre un des instruments qui y répondent.

Après avoir vu la photographie du revolver photographique, vous pouvez admirer le miroir même de M. Janssen, car il ne s'est pas contenté du sidérostat de Léon Foucault, il en a fait un spécial qu'il appelle sidérostat polaire, pour le distinguer de l'autre. Le sidérostat polaire tourne pendant toute la journée si l'on veut. et régulièrement, tandis que le sidérostat

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