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de s'organiser sous ce rapport, et vous avez pu voir ici même, à l'Exposition, un certain nombre de pièces avec une petite pancarte portant la mention: Musée des arts décoratifs; ce sont les acquisitions qui ont commencé.

La deuxième série comprendra les objets des collections prêtées par les amateurs. Cette partie du Musée est temporaire et essentiellement renouvelable; elle est destinée à faire passer sous les yeux du public toutes les richesses contenues dans nos collections privées. La belle collection de tableaux qui a été ouverte au pavillon de Flore lundi dernier appartient à cette série d'objets prêtés. Seulement je dois vous faire observer que, comme elle est composée uniquement de tableaux, elle ne rentre qu'indirectement dans les vues des organisateurs du Musée, qui ont surtout pour objectif, comme je le disais tout à l'heure, les applications de l'art à l'industrie.

La troisième série se composera d'objets moulés ou de reproductions d'objets d'art fameux existant dans les musées étrangers; nous pourrons ainsi avoir les belles pièces du musée de Naples qui nous montreront l'antiquité, les fouilles faites à Pompéi et à Herculanum; nous pourrons puiser dans les collections de Rome, qui possèdent les plus beaux bijoux étrusques, dans celles de Saint-Pétersbourg, les plus riches en bijoux grecs; nous pourrons avoir l'argenterie des Médicis, qui est à Florence, la belle salière de Cellini et les merveilles contenues dans le trésor impérial de Vienne. Nos ouvriers et nos fabricants verront ainsi réunis tous ces chefs-d'œuvre aujourd'hui disséminés dans toute l'Europe. Vous savez, Messieurs, avec quelle perfection aujourd'hui les moyens de reproduction rendent non seulement la forme, mais aussi la couleur des objets d'art; du reste, l'Exposition qui a été organisée ici-même par le South Kensington et qui est visible dans la section anglaise, pourra vous en donner une idée.

Outre ces collections, il y aura une bibliothèque jointe au Musée. Nous avons à la grande bibliothèque de la rue Richelieu tous les documents possibles sur les arts et toutes les estampes dont on peut avoir besoin, mais une bibliothèque comme celle-là, si riche qu'elle soit, ne rend de véritables services qu'aux hommes déjà instruits. Si un orfèvre, par exemple, un apprenti se présente à notre grande bibliothèque et demande qu'on lui donne un livre sur l'orfèvrerie des anciens, le bibliothécaire ne sait du pas tout ce qu'il veut et il lui dit : Donnez-moi le titre du volume et la date de l'édition. Or, c'est ce que les ouvriers ne savent jamais. Notre bibliothèque, au contraire, sera un bureau de renseignements en même temps qu'une collection de livres et d'estampes. De sorte que le jeune orfèvre dont je parlais tout à l'heure, s'il demande un livre sur l'orfèvrerie des anciens, trouvera quelqu'un qui lui répondra : Si c'est de l'antiquité gréco-romaine que vous voulez, voilà Pline; si c'est du moyen âge, voilà le moine Théophile; si c'est de la renaissance, voilà le traité de Cellini. Si ce sont des

estampes qu'il vous faut, vous pouvez consulter tel ou tel ouvrage. On voit tout de suite l'importance d'une bibliothèque spéciale comme doit être celle-là.

La richesse d'une collection dépend naturellement d'abord de la beauté des objets d'art qui la composent, mais son utilité dépend bien aussi du classement qui est adopté. Le titre de Musée des arts décoratifs prescrivait en quelque sorte un classement dans lequel la matière première était subordonnée à la décoration.

Ainsi, d'après le projet d'organisation, si vous supposez trois portes, l'une en bois sculpté, la seconde en fer forgé et la troisième faite de vitrages peints ou coloriés, ces trois portes seront réunies ensemble dans la section du décor architectural et n'iront pas, l'une dans la section du bois, la seconde dans la section des métaux, et la troisième dans la section de la verrerie.

que

Cependant la Commission d'organisation a compris toute l'importance qu'il y avait à montrer des séries d'objets en commençant par la matière brute et à mettre sous les yeux du public toutes les transformations successives le travail lui a fait subir; elle a compris aussi l'importance qu'il y aurait à montrer non seulement des objets, mais des ensembles décoratifs se rattachant soit à une époque, soit à un peuple. Mais ce sont là des subdivisions qui ne pourront s'établir fructueusement que lorsque le Musée aura déjà pris un certain développement. Pour le moment, le seul grand classement qui soit adopté, c'est la division en deux parties: le décor de l'habitation et le décor de la personne. Le décor de l'habitation comprend l'extérieur et l'intérieur de l'édifice, et par conséquent le mobilier, les tentures, etc. Le décor de la personne comprend également les objets à son usage, par conséquent le vêtement, la parure, les armes, etc.

Messieurs, j'ai cherché à vous montrer le côté pratique du nouveau Musée. Mais il y a un autre aspect sous lequel la question doit être envisagée, c'est le côté moral. Dans des temps malheureux pour notre pays, des hommes que je je n'ai pas mission de qualifier ont prononcé le mot de décadence. Ce mot, lorsqu'on l'applique à une nation, veut dire deux choses: abaissement de l'intelligence, affaissement du sens moral. Pour la première de ces deux choses, l'Exposition a déjà répondu; pour la seconde, je tiens à vous faire remarquer que, dans aucun temps, chez aucune nation, on n'a vu un pareil élan uni à une pareille abnégation pour développer toutes les forces vives d'un pays et pour combattre l'ignorance sous toutes ses formes. (Applaudissements.) Ce n'est pas là certes un symptôme de lassitude, mais c'est bien, au contraire, une marque de virilité et une promesse d'avenir. (Nouveaux applaudissements.) La Société dont j'ai l'honneur de vous entretenir n'est pas la seule de son espèce qui se soit fondée récemment en France; il y en a beaucoup d'autres. Leur activité se dirige vers

des points très différents, mais elles se ressemblent toutes par ce point commun : l'intérêt individuel s'efface complètement devant l'intérêt public. Ici nous voyons des hommes qui apportent leur argent, leur temps, leur expérience et leur travail en vue d'une œuvre qui ne peut leur offrir à eux aucune chance de profit, mais qu'ils croient utile à leur pays. Nous voyons des amateurs qui veulent bien mettre sous les yeux du public ce qu'ils ont de plus cher, leurs collections. Eh bien! il y a par-dessus tout une chose sur laquelle je veux appeler votre attention, en terminant, parce qu'elle me paraît extrêmement touchante. Quand vous irez au pavillon de Flore, faites-vous montrer les listes de souscripteurs, vous y trouverez de longues colonnes remplies de noms d'ouvriers qui sont venus là apporter des sommes bien minimes, mais qui ont tenu à prendre leur part, eux aussi, dans une œuvre qu'ils croyaient utile au pays. C'est une mince offrande d'un franc quelquefois, mais un franc c'est quelque chose dans une famille d'ouvriers; avec ce franc la ménagère s'était proposé d'offrir à la famille un petit régal le dimanche, de donner un joujou au bébé; il savait bien cela, le brave ouvrier, quand il est venu déposer son offrande, mais il a obéi à un sentiment qui, dans notre pays, est plus fort que tous les autres; il a senti vibrer dans son cœur un mot magique qu'aucun dictionnaire n'a jamais su définir, mais qui n'a pas besoin de définition: la Patrie! (Applaudissements.) Cessons donc de juger notre pays d'après les vilenies que les journaux racontent tous les jours; voyons-le tel qu'il est, et si quelque douteur vous aborde en disant: «Votre Musée des arts décoratifs ne tiendra France; ces choses-là ne sont pas possibles,» répondez-lui hardiment: «Notre Musée des arts décoratifs réussira, je n'en ai pas seulement l'espoir, mais j'en ai la certitude; il réussira en France, parce que c'est une idée féconde doublée d'une bonne action. » (Applaudissements prolongés.).

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M. BOUILHET, président. «Avant de nous séparer, permettez-moi, au nom de l'Union centrale des beaux-arts appliqués à l'industrie, dont j'ai l'honneur d'être le vice-président, et du Musée des arts décoratifs, auquel j'apporte ma part modeste de travail, de remercier M. René Ménard de ce qu'il vient de dire en faveur de l'œuvre que nous poursuivons. Un jour viendra, je l'espère, où nos ouvriers, artistes incomplets le soir, et ouvriers incomplets le jour, comme le disait M. Ménard, pourront être aussi les maîtres des arts décoratifs. » (Applaudissements.)

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La séance est levée à 3 heures 7 minutes.

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M. le baron DE DERSCHAU, conseiller d'État et ingénieur russe.

Assesseurs :

MM. BARBEDIENNE, fabricant de bronze d'art;

Le commandeur BETOCCHI, directeur du génie civil (Italie);
DAVIOUD, architecte du palais du Trocadéro;

FLEMMING-JENKIN, de l'Académie Royale de Londres;
Léonce REYNAUD, inspecteur général des ponts et chaussées;
RICHARD, ancien président de la Société des ingénieurs civils;
STACH, Conseiller I. R. des travaux publics (Autriche).

La séance est ouverte à 2 heures un quart.

M. le baron DE DERSCHAU, président. Mesdames, Messieurs, M. Trélat, directeur de l'École spéciale d'architecture, a bien voulu se charger de nous faire une communication sur le Mobilier. De prime abord le sujet paraît être un peu sec et ne pas offrir beaucoup de ressources pour un conférencier; mais, connaissant le talent de M. Trélat, je suis sûr qu'il saura nous intéresser et nous instruire tout à la fois.

Quant à moi, qui suis un étranger, ce n'est pas à mon mérite que je dois l'honneur d'être assis au fauteuil de la présidence; c'est à l'amabilité de mon ancien ami de huit jours, M. Émile Trélat; ou plutôt je le dois à l'hospitalité, à la courtoisie proverbiale de la nation française, pour laquelle nous autres Russes nous n'avons cessé d'éprouver les sympathies les plus chaleureuses. (Applaudissements.)

En faisant choix d'un étranger pour présider une Conférence éminemment française, on a voulu flatter et encourager tous les étrangers qui

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