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gagné à la vue de nos différents centres de production. Mais dans les quelques journées que j'ai consacrées à ces études locales, je me sentais envahi par deux pensées, dont l'une était tout à la France et que, malgré cela, je demande la permission de rapporter devant tous mes auditeurs, devant ces hôtes, que je ne consens pas à nommer des étrangers et auxquels nous pressons tous les jours la main comme si nous les aimions depuis longtemps. (Applaudissements.)

y

Quand je pensais à la France, et non sans émotion après tant d'épreuves et de misères, je me sentais plein de contentement et d'espoir. Quelles disparates entre les conditions de ce temps-ci et celles qui existaient il a dix ans ! Au lieu d'une nation distraite par des intérêts factices et déshabituée des préoccupations publiques, on voit un peuple rentré dans la patrie par le deuil et le travail. Cela, Messieurs, est un fait historique, rien de plus; mais c'est beaucoup! En faisant de nous une démocratie, la civilisation a transformé la France en un grand atelier de libéralisme et de paix, où se produisent librement en toutes choses de petites aristocraties spéciales qui s'élèvent, s'usent et se renouvellent incessamment au bénéfice de toutes les activités sociales. C'est bien ce qu'on observe déjà au milieu de ce recueillement général, dont les traces se marquent chaque jour dans nos conversations, dans nos productions, dans la quantité formidable de travail qui a été fait en France depuis 1870. A ces indices, je crois reconnaître que tout ce qui tient aux arts, le mobilier et tant d'autres choses, va croître en valeur. L'aisance et les loisirs issus de l'industrie suscitent les appétences du goût; la production d'art s'étend; la consommation se généralise; la concurrence s'efforce. On s'engoue; on devient difficile, connaisseur, délicat. L'évolution ne s'arrête pas et les jouissances artistiques de toutes sortes s'élèvent et se répandent aisément dans la nation entière, au lieu de rester l'avantage exclusif de quelques élus. Cette facile diffusion s'accuse dans une note commune à toute la production.

Quand j'étendais ma vue hors de France, là où les conditions faites à la production artistique sont différentes, j'observais d'autres choses. En Angleterre, par exemple, où toute une classe garde le monopole des loisirs assurés et d'un goût exercé de longue date, la fabrication de choix est plus franche dans ses allures. Le meuble que j'ai décrit en est un exemple frappant. C'est une composition correcte; le service, l'œuvre matérielle, la forme se marient dans une scène plastique pleine d'unité et l'objet garde une franche saveur d'originalité. Il n'y a vraiment rien en France qui puisse être comparé à cela!

Il faut, Mesdames et Messieurs, tirer de ces rapprochements une conclusion que vous dégagez vous-mêmes, j'en suis sûr. Ne vous semble-t-il pas que ces caractères distincts qui s'opposent les uns aux autres dans les produits des différentes nations nous engagent tous à des emprunts réci

proques? Entendez bien, je vous en prie; je dis emprunts et non pas copies. L'Anglais, par exemple, compose en ce moment des meubles avec plus de justesse et d'ampleur que le Français. Le Français doit se surveiller sur ce point et assagir ses fantaisies. S'il y parvient, il aura fait une conquête. D'autres en feront chez lui, qui ne leur seront pas moins avantageuses. Voilà des victoires qui ne comportent ni le remords ni la haine; et chacun peut se les assurer. Où peut-on le mieux comprendre que dans nos belles Expositions universelles?

Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, de m'avoir entouré de tant de bienveillance que je me sois cru autorisé à tourner la fin de mon sujet, si spécial en apparence, vers une idée de progrès et d'élévation pacifique. (Applaudissements prolongés.)

M. le baron DE DERSCHAU, président. J'ai reçu du bureau l'agréable mission de transmettre ses remerciements à notre cher orateur : « Les membres du bureau, après avoir écouté avec une attention soutenue la Conférence sur le Mobilier que M. Émile Trélat vient de faire avec tant de talent et d'éloquence, le prient d'accepter leurs compliments et leurs bien sincères applaudissements.» (Applaudissements.)

La séance est levée à 3 heures 40 minutes.

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M. JOBBÉ-DUVAL, artiste peintre, membre du Conseil municipal de Paris.

Assesseurs :

MM. CôTE, adjoint du xvi arrondissement;

DUJARRIER, membre du Conseil municipal de Paris;
FOREST, membre du Conseil municipal de Paris;
HARANT, membre du Conseil municipal de Paris;
HENRICY, membre du Conseil municipal de Paris;
MORIN, membre du Conseil municipal de Paris;
Paul SÉDILLE, architecte;

Ch. THIRION, Secrétaire du Comité central des Congrès et Conférences de
l'Exposition de 1878;

VAUTHIER, membre du Conseil municipal de Paris.

La séance est ouverte à 2 heures.

M. JOBBÉ-DUVAL, président. Mesdames et Messieurs, la séance va s'ouvrir. Je n'ai pas besoin de vous dire toute l'attention que vous devez prêter à la parole de notre collègue et ami, qui va vous parler d'un enseignement qui est à l'ordre du jour et qui est si utile au maintien de la

suprématie de l'industrie française, tout particulièrement de l'industrie parisienne.

Je donne la parole à M. Cernesson.

M. CERNESSON.

Mesdames et Messieurs,

Il y a quelques années, le dessin était considéré comme un simple art d'agrément, et son enseignement lui-même était regardé presque comme une entrave aux études classiques, aux hautes spéculations de l'esprit. Vous vous rappelez tous, ou du moins quelques-uns d'entre vous doivent se rappeler encore, comment, il y a une trentaine d'années, s'organisait une école de dessin dans les établissements d'instruction publique.

On faisait passer dans chaque classe une liste, sur laquelle s'inscrivait qui voulait. Que de fois le chef de l'établissement les a vues d'un œil inquiet, ces listes, surtout quand il y lisait les noms des élèves sur lesquels il comptait le plus pour cueillir les lauriers universitaires. Le cours de dessin était en quelque sorte l'apanage de ceux qui étaient les derniers de leur classe; que voulez-vous, le dessin était considéré comme art d'agrément. Que résultait-il de ce système d'éducation? C'est que ceux qui se destinaient à des professions libérales, les savants, les médecins, les avocats, savaient à peine dessiner, et il y avait ainsi un moyen d'exprimer leur pensée qui leur manquait. Il y avait dans leur éducation, fort complète d'ailleurs à d'autres points de vue, une lacune que déplorait souvent un habile chirurgien, obligé d'avoir recours à la main d'un dessinateur pour faire comprendre par un dessin, à l'ouvrier qui devait l'exécuter, l'instrument que son esprit, aidé de sa science et de la pratique de son art, avait conçu dans sa disposition générale comme dans les plus minimes détails.

que

Peu à peu, il y eut un revirement qui s'opéra en faveur de l'étude du dessin. Ce fut d'abord à l'égard des élèves suivant les cours des sciences la nécessité de cette étude se fit sentir plus vivement, et alors on créa, il y a une trentaine d'années, vers 1853 ou 1855, un enseignement spécial à l'usage des élèves aspirant aux écoles du Gouvernement. On adopta même à cette époque une série de modèles qui sont pour la plupart encore en usage dans les établissements d'instruction publique, lycées, écoles préparatoires, etc. De ces modèles, je ne dirai rien qui puisse paraître même une critique; ils ont été faits, ils ont été choisis par des hommes peu pénétrés de l'esprit et des principes nécessaires pour diriger un enseignement de cette nature, mais il faut tenir compte de leurs bonnes intentions; ils croyaient bien faire; il ne faudrait point leur faire un crime de ce

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