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PALAIS DU TROCADÉRO.

CONFÉRENCE

SUR

L'ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL,

PAR M. CORBON,

MM. BARODET, député;
BOURDIN, industriel;

DAVIOUD, architecte';

10 JUILLET 1878.

SÉNATEUR.

BUREAU DE LA CONFÉRENCE.

Président :

M. Henri MARTIN, de l'Académie française, sénateur.

Assesseurs:

FLOQUET, député;

LENEVEU, conseiller municipal;
TOLAIN, Sénateur.

La séance est ouverte à 2 heures.

M. Henri MARTIN, président. Mesdames, Messieurs, vous allez entendre de la bouche d'un homme d'une compétence incontestée une conférence sur une des questions graves et décisives qui restent à résoudre dans notre pays en matière d'enseignement.

:

On peut dire que, dans cette grande Exposition qui fait, je ne dirai past notre orgueil, quelque chose de mieux qui fait notre joie, dans cette Exposition vraiment universelle, tout est instruction, tout est enseignement. Aujourd'hui, l'habitant des campagnes que le chemin de fer amène à Paris peut, en quelques heures, voir des choses que les savants de profession, il y a bien peu d'années encore, ne connaissaient, si tant est

qu'ils les connaissaient, que très insuffisamment par des livres. A l'heure qu'il est, le plus humble, le plus ignorant d'entre nous tous, peut, je le répète, en quelques heures, voir sous ses yeux l'abrégé du monde, et se faire une idée juste et précise des civilisations de toutes les sociétés qui existent aujourd'hui sur la terre. Il peut quelque chose de plus en même temps qu'il se met au courant des mœurs, des usages, de l'architecture, des costumes de tous les peuples qui vivent actuellement sur la surface du globe, il est à même de se rendre compte de tout le passé de l'humanité ; en même temps que l'économie sociale universelle du temps présent, il peut apprendre l'histoire universelle en abrégé, depuis les premières origines de la vie humaine sur la terre jusqu'à nos jours.

C'est quelque chose que nos ancêtres n'auraient jamais cru imaginable; quelque chose qui sera, dans la postérité, l'honneur éternel de ce siècle-ci; à son tour, il comptera dans l'histoire pour avoir fait ce avoir fait ce qu'aucun autre

n'avait tenté avant lui.

Ceci, c'est l'instruction qui ne s'enseigne pas directement, qui s'enseigne par les yeux, que chacun se donne à soi-même. Mais, à côté de cet enseignement par les choses, à côté de ces grandes leçons de choses, comme nous disons dans notre instruction primaire, à côté de cet enseignement universel et indirect, l'Exposition servira grandement aussi à l'instruction proprement dite, à l'enseignement qui se donne par les leçons immédiates et directes.

Quel profit ne retirerons-nous pas, nous autres Français, et aussi les étrangers qui veulent bien s'unir à nous au sein de cette Exposition universelle, quel profit ne retirerons-nous pas de la comparaison de tous les procédés d'instruction et d'enseignement, je ne dirai pas d'un bout de l'Europe à l'autre, mais d'un bout du monde à l'autre; car, en même temps que l'enseignement des nations européennes, nous avons ici celui qui nous vient de l'autre côté de l'Atlantique, de cette Amérique qui a tant fait, qui a si glorieusement travaillé à propager dans son propre sein l'instruction primaire à un degré inouï jusque-là, à son profit, mais aussi, indi

rectement, au nôtre !

Notre France, en effet, il faut le reconnaître franchement, n'est plus au niveau de plusieurs des nations étrangères, quant à l'instruction primaire. Aujourd'hui, avec patience, avec courage, avec persévérance, elle s'y remet; et, d'ici à peu d'années, nous serons les égaux des plus avancés, si nous continuons comme nous avons commencé à le faire depuis nos malheurs qui nous ont tant éclairés sur les moyens d'en prévenir le retour.

A côté de l'instruction primaire vient l'instruction de l'autre sexe, dont nos pères de 89, de 92, de 95, avaient annoncé le développement, et que jusqu'à présent nous n'avons pas développée comme ils nous invitaient à le faire. Là encore nous apprendrons de quelques peuples

étrangers à faire progresser cette instruction au niveau de celle des garçons, pour laquelle, depuis quelques années, nous avons fait beaucoup, pour laquelle nous avons à faire encore.

Tout en réalisant cette grande et complète instruction primaire, qui ne sera pas seulement l'enseignement des connaissances utiles, mais qui sera aussi l'enseignement des notions morales, la culture des sentiments moraux, et, avant tout, du sentiment de la patrie, après avoir fait pour l'instruction primaire tout ce que nous devons faire, nous avons à nous occuper d'autre chose. Nous devons songer aux progrès de l'instruction secondaire. Sans lui rien ôter de ce qu'elle possède, sans briser avec cette grande tradition des anciens, qui nous a faits ce que nous sommes, nous avons à introduire dans l'instruction secondaire des éléments nouveaux réclamés par les progrès d'une civilisation nouvelle.

Mais il ne suffit pas d'imprimer un mouvement en avant à nos collèges, à nos études littéraires, à celles qu'on appelle spécialement libérales. Il y a une autre instruction et une autre éducation qui s'adressent à une masse bien plus considérable de nos concitoyens : c'est l'instruction secondaire, dirai-je, de cette majorité des citoyens qui, tout en s'instruisant, tout en se développant quant à l'intelligence et quant au sentiment moral, doit se vouer à ces travaux manuels qui sont le fondement même de la société. Pour ceux-là, pour cette majorité, après avoir constitué l'instruction primaire, il faut constituer l'éducation secondaire, celle qu'on appelle l'éducation professionnelle, l'école d'apprentissage.

Il y a là à la fois, pour la société actuelle, un grand péril et un grand

devoir.

On vous expliquera tout à l'heure bien mieux que je ne pourrais le aire, avec une compétence que je n'ai pas dans cette matière, on vous expliquera comment cette éducation, cet apprentissage, dans l'ancienne société française, une société inférieure à la nôtre, mais qui avait certaines institutions spéciales ayant leurs avantages particuliers, cette éducation, cet apprentissage des professions manuelles se faisait dans des ateliers de famille et aboutissait au compagnonnage. Aujourd'hui, pour des causes qui vous seront largement indiquées, cette éducation tend à ne plus se faire, en sorte que le travail national, qui nous apparaît à l'Exposition comme une fleur magnifique, puissamment épanouie, est menacé de sécher dans ses racines si nous ne trouvons moyen de les revivifier.

Eh bien, nous nous sommes mis à l'œuvre. La Ville de Paris a commencé à organiser deux de ces excellentes écoles qui devront, à des degrés divers, servir de types à beaucoup d'autres. Plusieurs de nos cités des départements ont déjà établi de ces écoles spéciales, de ces écoles professionnelles, de ces écoles d'apprentissage.

Il faut que ce qui s'est déjà produit sur quelques points de la France se

généralise, devienne l'objet de tous les efforts de l'État, des départements, des communes; il faut, après avoir perfectionné, généralisé l'instruction primaire, que nous généralisions, que nous perfectionnions également cette instruction secondaire du peuple, de la majorité des Français, nous sommes tous & peuple ».

car

On va vous exposer les causes de cette situation, les nécessités qui se sont manifestées, les conditions dans lesquelles on doit y satisfaire. Celui qui va prendre la parole, Mesdames et Messieurs, n'est pas un inconnu pour vous; voilà trente ans, quarante ans qu'il a dévoué sa vie au progrès de l'instruction populaire, au progrès de notre peuple de France. Il l'a fait avec un désintéressement absolu, sans flatter ceux qu'il aime, car ce n'est pas aimer que de flatter; il a toujours dit la vérité à tous, il va vous la dire encore.

M. CORBON :

-

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La plupart d'entre vous ont lu beaucoup de livres utiles, de beaux livres sur la politique, sur les conditions économiques du peuple français; eh bien, il y a un livre qui diffère de tous les autres, qui a un caractère très particulier, et que je vous recommande.

Ce livre a pour titre : Le secret du peuple de Paris; son auteur est devant vous. Le secret du peuple de Paris! personne ne le savait mieux que celui qui l'a dévoilé. Il y a parlé des conditions du travail, des salaires, ces questions si importantes pour la société, et qui doivent nous intéresser tous. Mais il n'a pas parlé que de cela, à propos du peuple de Paris; il l'a saisi dans son fonds moral, dans son âme; il a montré ce qu'il y avait en lui, fait ressortir son action et politique, et sociale, et industrielle.

que

Mesdames et Messieurs, je ne connais rien au monde de plus salutaire la lecture de ce livre; je ne connais rien qui donne une meilleure idée du peuple de Paris et qui procure en même temps à ce peuple une leçon plus morale et plus profitable. (Vifs applaudissements.)

Je donne la parole à M. Corbon.

Mesdames, Messieurs,

Les éloges que vient de me décerner notre honorable président m'embarrassent beaucoup; je crains bien de ne pas les mériter.

Néanmoins j'entre en matière.

C'est un lieu commun de dire que les expositions universelles produisent d'excellents résultats; tout le monde le sait. Chacun sait qu'entre autres résultats très heureux, l'un des plus heureux est le rapprochement des peuples; mais il en est un autre que j'estime et qu'il faut estimer bien haut :

c'est que ces expositions ont grandement contribué à réhabiliter le travail, et, par suite, à réhabiliter le travailleur.

M. le Président vous disait tout à l'heure, et il était plus autorisé qu moi pour vous le dire, que dans le passé le travail était la fonction inférieure des sociétés. Si la fonction était inférieure, le fonctionnaire, par conséquent, l'était aussi.

Aujourd'hui le travail est mis en honneur, il est réhabilité définitivement, et l'on peut entrevoir dans un avenir prochain le jour où tous les travailleurs formeront la classe supérieure de la société, au lieu d'en être, comme autrefois, la classe inférieure. Une nouvelle aristocratie surgira, celle-là parfaitement inoffensive; elle n'aura pas de privilèges, pas , pas d'hérédité; elic ne se fera sentir que par ses bienfaits : ce sera l'aristocratie du travail et du devoir!

Un autre bienfait des expositions universelles, et qui dérive du résultat que je viens d'indiquer, c'est d'avoir fait sentir à tous les peuples la nécessité de chercher à accroître le plus rapidement possible et dans la plus forte mesure la capacité laborieuse de leur personnel de travailleurs. Ce résultat est extrêmement considérable, et j'oserais presque dire qu'il est le plus considérable de tous.

La question de l'enseignement professionnel était posée longtemps avant qu'on réalisât la pensée des expositions universelles; mais elle avait été étudiée par un trop petit nombre de personnes, et elle se développait peu; elle n'avait pas suffisamment pénétré les esprits, et l'opinion publique s'en préoccupait médiocrement.

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Quelques essais cependant avaient été faits à Lyon, par exemple, à Nantua, à nos portes presque, à Lagny, et dans plusieurs autres endroits. Malgré cela, la question demeurait étrangère à la plus grande partie de la société.

Les expositions universelles auront eu ce résultat dont je parlais, d'élever cette question, d'en saisir fortement l'opinion, de la mettre en quelque sorte à l'ordre du jour.

C'est pour cela que je dis de ce résultat qu'il est l'un des plus heureux que les expositions universelles aient produits.

Et quel moment plus opportun que celui-ci pour traiter cette question? pendant ces grandes assises du travail ! et quel lieu mieux choisi? car nous sommes ici au sein même de l'Exposition.

C'est donc une grande chance pour moi d'avoir à vous en entre

tenir.

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Comment ai-je été amené à l'étudier? M. le Président vous le disait tout à l'heure il y a fort longtemps, trente ou quarante ans, en passant par les ateliers. J'ai vu comment on s'y comportait, quelle était la capacité

:

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