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susceptible de grandes extensions, et certainement elle s'étendra quant au nombre des métiers et quant à celui des élèves.

Et remarquons que les jeunes gens ayant fait choix d'une spécialité n'y sont attachés que provisoirement. On les fait passer par différents genres de travaux pour reconnaître et pour qu'ils reconnaissent définitivement eux-mêmes ce à quoi ils sont le plus propres.

Telle qu'elle, l'école est d'ores et déjà suffisante pour savoir si le système est bon, et si les jeunes gens soumis à cet enseignement-là deviennent des sujets remarquables.

Eh bien, quiconque est bien informé peut dire que le résultat est tout à fait encourageant. Cette école est vraiment une pépinière d'ouvriers distingués.

Dans la première année elle n'a pas pu donner les résultats désirables, faute d'enseignants capables; car, pour le dire en passant, tant vaut l'homme qui dirige, tant vaut l'institution. Elle est maintenant en bonnes mains, et donne déjà amplement raison aux partisans de l'apprentissage dans l'école.

Malgré les hésitations des premiers temps, les élèves qui sont entrés dès le commencement et sont sortis après la troisième année pour entrer dans les ateliers, se sont montrés des sujets distingués au bout de quelques mois. Ils gagnent presque immédiatement le salaire moyen de l'ouvrier. Vous pouvez aller consulter, dans le pavillon de la Ville de Paris, un tableau indicateur des mutations. Vous verrez ce que devient chaque élève sorti de l'école dans quelle maison il est entré, ce qu'il y gagne et quel est son âge. Là est la preuve qu'ils sont tous en état de gagner leur vie dès le commencement de leur existence ouvrière.

Je n'attache pas grande importance à cette preuve-là; elle est pour moi secondaire. L'essentiel est de savoir si l'enfant qui sort de là après trois années d'enseignement est supérieur à l'enfant qui a fait trois ans dans les ateliers. Eh bien, je dis qu'il est supérieur, incomparablement supérieur.

D'abord, l'enfant entré dans l'une des rares maisons où l'on fait encore des apprentis et qui y a passé trois ans, non-seulement n'a pas sérieusement appris le métier, mais il ne sait rien autre chose. Et ce qui pis est, il a désappris beaucoup de ce qu'on lui avait enseigné à l'école; ce qui est pire encore, c'est qu'il a subi dans l'atelier des influences plutôt malsaines que bienfaisantes; son apprentissage mal fait l'a découragé, déconcerté, et il ne sera toute sa vie qu'un ouvrier médiocre; tandis que l'élève de l'école entrant dans l'atelier à un âge où il peut se défendre, y entrant muni de savoir général et spécial, ayant d'ailleurs fait consciencieusement choix de son métier, s'y trouve dans des conditions bien meilleures.

Dans le système que je voudrais voir disparaître, les parents ne sachant où mettre leurs enfants et ne connaissant par leur vocation, se détermi

nent au hasard; tandis que dans nos écoles, le choix de la profession répond toujours à l'aptitude maîtresse de l'élève. Et non seulement les enfants qui sortent de là ont un métier conforme au vœu de leur nature, mais ils ont des connaissances théoriques qui les fortifient; ils n'ont aucun des préjugés de l'apprentissage, et comme ils se sont essayés à l'exercice de divers métiers, ils ont dans les mains des ressources que ne peuvent avoir les jeunes gens jetés de bonne heure et sans préparation dans les ateliers. Aussi le besoin venant, pour les ouvriers sortis de l'école professionnelle, d'exercer un autre métier que celui de leur choix, ils ne seraient point embarrassés de le faire; tandis que l'ouvrier formé par l'ancienne méthode ne sait que faire et que devenir quand le travail de son métier lui fait défaut.

Voilà l'avantage immense que l'on ne peut jamais trouver dans l'apprentissage fait ailleurs que dans l'école professionnelle.

Et maintenant, je vous en prie de nouveau : si vous visitez l'Exposition, allez au pavillon de la Ville de Paris; voyez ce que font les élèves de l'école d'apprentissage du boulevard de la Villette, et dites si les ouvriers formés dans l'industrie privée peuvent faire quelque chose d'aussi parfait.

Cela dit pour l'une des deux écoles, parlons de l'autre. Celle-ci est située rue Tournefort. Il y a quatre ans aussi qu'elle fonctionne. C'est une école municipale primaire. Plusieurs personnes ont eu la pensée d'y introduire le travail manuel. M. Salicis, que voilà, est l'un des organisateurs du nouvel enseignement. Le directeur, M. Laubière, est aussi un homme très intelligent, passionné pour l'enseignement à donner aux jeunes générations d'ouvriers. Aussi, autorisé par l'Administration à introduire le travail manuel dans son école; aidé des conseils de professeurs distingués, il a ouvert des ateliers contigus aux salles d'étude, et les enfants passent tour à tour de la classe à l'atelier. Ici ne se font pas seulement les exercices manuels, mais se fait aussi et d'une façon ingénieuse l'enseignement des choses. Les enfants travaillent le bois, le fer, la pierre; ils apprennent en outre à modeler, à mouler, à sculpter.

Comme c'est nouveau et que le local est restreint, les organisateurs n'ont pas pu faire tout ce qu'ils voulaient. La place manque. Aussi, ni cette école-là ni l'école du boulevard de la Villette n'ont dit leur dernier mot. L'une et l'autre sont à leurs commencements; mais l'expérience est déjà plus que suffisante pour qu'il n'y ait plus de doute sur les heureux fruits qu'elles donneront infailliblement.

L'école de la rue Tournefort reçoit les enfants dès l'âge de sept ans, et les garde jusqu'à treize. On ne les met au travail que vers l'âge de onze ans. Je voudrais qu'on les y mît dès le premier jour de leur admission, mais la place manque. Ce que font ces enfants est extrêmement remarquable et prouve surabondamment la thèse que je soutiens. Vous verrez

leur exposition et leurs produits. Au bout d'un an, au plus de deux ans, ils travaillent aussi bien qu'un apprenti ordinaire ayant passé trois ans dans un atelier, et ils savent bien d'autres choses que ne saura jamais l'apprenti ordinaire. En supposant que l'enfant sorti à treize ans de cette école du premier degré ne puisse se perfectionner dans celle du second degré (comme l'école du boulevard de la Villette), et qu'il entre immédiatement dans un atelier, il y passerait pour un savant. Mais ce serait chose très fâcheuse qu'il ne pût continuer dans une école supérieure, ne fût-ce que pour n'entrer que deux ou trois ans plus tard dans les ateliers, et n'y entrer qu'à titre d'ouvrier.

Tous les enfants de cette école ne prennent pas part aux travaux manuels, d'abord pour cette raison que le local n'est pas assez grand; ensuite pour cette autre, qui est bien misérable : c'est que les parents d'un certain nombre d'élèves, parents pauvres ou peu aisés, ouvriers euxmêmes, ambitionnent pour leurs enfants une condition supérieure à la leur propre, et ne veulent pas qu'ils apprennent à travailler.

Cela me rappelle que le directeur d'une école à la fois secondaire et professionnelle, à Lagny, me disait qu'il avait pour élèves externes des fils d'agriculteurs dont l'éducation était fort contrariée par les parents, et que plusieurs de ces enfants ont été retirés de l'établissement parce que chez eux on s'était aperçu qu'on leur apprenait à faire à la fois œuvre de l'esprit et des mains. «Nous vous confions nos fils pour en faire des savants et non des travailleurs comme nous," disaient les pères au directeur de l'école.

Vous voyez les difficultés nombreuses auxquelles on se heurte quand on veut faire le bien! S'il y a une intention généreuse, humanitaire, c'est certainement celle qui a présidé à la fondation et à la direction de ces écoles; eh bien, on rencontre trop souvent des résistances de la part même des parents!

Quant aux enfants qui fréquentent les ateliers de l'école de la rue Tournefort, ils en sont très heureux, ils s'en félicitent; ils montrent beaucoup de goût à ce qu'on y fait. Aussi les résultats sont-ils fort remarquables.

C'est un exemple. Le jour viendra où toutes les écoles primaires entreront dans cette voie, et partout, je ne dis pas l'éducation professionnelle, mais le développement des aptitudes manuelles se fera en même temps que le développement des aptitudes intellectuelles. C'est ainsi qu'on formera ces pépinières où l'industrie ira recruter les travailleurs dont elle a besoin; ces travailleurs seront très supérieurs à ceux d'autrefois, et le niveau de la capacité générale sera relevé.

Et ce n'est pas seulement le niveau de la capacité ouvrière, c'est aussi celui de la capacité civique qui s'élèvera, parce que par l'instruction, par la moralité, par l'aptitude même manuelle, on acquiert le sentiment de sa dignité; on raisonne et l'on se dit: Je ne suis pas seulement un ouvrier, je

suis un citoyen. Or, l'homme est plus fier, il devient ainsi un citoyen plus digne que s'il ne savait rien, que s'il était à la merci de tout le monde, et surtout à la merci de l'ignorance et des fluctuations du travail.

Voilà donc les avantages précieux sur lesquels je ne crois pas devoir insister, car je vois bien que je prêche des convertis.

Mais en finissant je veux redire que c'est grâce aux expositions universelles que la question est si avancée. Si elles n'ont pas fait naître l'idée, elles l'ont du moins mise en lumière; elles ont fait sentir impérieusement la nécessité de sortir des anciens errements, et de fonder, pour les besoins de l'industrie, des pépinières d'ouvriers habiles et instruits.

Et pour ce qui nous concerne particulièrement, si, comme l'a fait remarquer notre honorable Président, nous ne sommes pas aussi avancés que nous le voudrions, autant qu'on l'est ailleurs sous le rapport de l'enseignement professionnel, j'espère bien que nous ne nous laisserons pas distancer davantage, et que nous nous replacerons bientôt au premier

rang.

Par conséquent, je dis : Glorifiées soient les expositions universelles! (Très bien! très bien ! Vifs applaudissements.)

M. LE PRÉSIDENT. Mesdames et Messieurs, je vous prierai de vouloir bien, au sortir de cette réunion, propager autour de vous les idées utiles que vous venez d'entendre développer, et qu'il est si nécessaire pour la France de mettre en pratique. La réalisation de ces idées remplacera chez nous ce que nous n'avons plus, en nous rendant plus puissants que nous ne l'avons jamais été. Appliquons ces idées dans la plus large mesure, et dévouons-nous tous à les généraliser dans notre patrie!

La séance est levée à 3 heures un quart.

PALAIS DU TROCADÉRO. -- 11 JUILLET 1878.

CONFÉRENCE

SUR

L'ENSEIGNEMENT DES SOURDS-MUETS

PAR LA PAROLE

(MÉTHODE JACOB RODRIGUES PEREIRE)

ET L'APPLICATION DE LA MÉTHODE

AUX ENTENDANTS-PARLANTS,

PAR M. FÉLIX HÉMENT,

INSPECTEUR DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE À PARIS.

BUREAU DE LA CONFÉRENCE.

Président :

M. le Dr BLANCHE, membre de l'Académie de médecine.

Assesseurs :

MM. BRAUN, inspecteur général des écoles normales de Belgique;
CAZEAUX, ancien inspecteur général de l'agriculture;

DETHOMAS, membre du Jury;

DUBAIL, ancien maire du x° arrondissement, membre du Jury;
HOUDIN, directeur d'une institution libre de sourds-muets;

LA ROCHELLE;

MARGUERIN, administrateur des Écoles supérieures de la ville de Paris;
MIR, député;
Eugène PEREIRE.

M. Félix HEMENT:

Mesdames, Messieurs,

Non loin d'ici, au Champ de Mars, vous pourrez voir, dans la partie réservée à l'Enseignement primaire, une exposition modeste si l'on juge sur

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